La lettre juridique n°482 du 19 avril 2012 : Éditorial

"Espionnage salarial" : bons baisers... du Parquet de Versailles !

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


En attendant la sortie de "Bond 24" (24ème opus des aventures cinématographiques du plus célèbre des agents secrets prévu fin 2012), les aficionados du genre n'ont qu'à ouvrir les pages judiciaires de leurs quotidiens ou, plus singulièrement, celles du bulletin de la Cour de cassation, pour étancher leur soif de "ténébreuse affaire" (pour paraphraser Balzac). Oh ! Certes, nous sommes bien loin des cabrioles, des Aston Martin (DB5, pour les connaisseurs) et autre Walther PPK -le pistolet qui ne s'enraye jamais, contrairement au bon vieux Beretta-, mais la modernité, en la matière, n'est plus à l'affrontement de "l'Aigle" et de "l'Ours", ni même à l'espionnage industriel -encore faut-il trouver des industries- ; désormais, "l'ennemi" vient de l'intérieur... de l'entreprise.

A lire le dernier rapport de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), "l'espionnage" des salariés est une pratique en expansion. Enregistrant une augmentation sensible du nombre de plaintes portées à son appréciation, la Cnil précise que cette augmentation provient essentiellement de la cybersurveillance, ayant pour objet l'enregistrement de conversations des salariés, ainsi que la pose de logiciels "mouchards". Ce sont près de 1 500 requêtes de salariés qui se considéraient surveillés à leur insu au travail (+ 59 %), qui ont été ainsi enregistrées au bureau de la Commission nationale. Et, les entreprises déclarant mettre en place un système de vidéosurveillance sont, aujourd'hui, deux fois plus nombreuses qu'il y a trois ans... "L'espionnage" salarial n'est donc pas un fantasme, mais une réalité sociale, qui plus est légale lorsque le formalisme déclaratif est respecté.

Mais, là où la réalité dépasse la fiction, c'est lorsque, après avoir déployé la géolocalisation, mis en place des caméras dans les moindres recoins (jusqu'à huit pour huit salariés dans une entreprise ayant fait l'objet d'une sanction de la Cnil), traqué la "cybervie" des salariés internautes, sur les réseaux sociaux notamment, enregistré les conversations et installé des logiciels espions de traçabilité, certaines entreprises ont recours aux bons vieux barbouzes, détectives privés et autres "implants", ces "taupes", recrutées pour quelques semaines ou quelques mois, souvent envoyées par des officines privées, pour "s'immerger" dans l'entreprise, observer ni vu, ni connu, le comportement et les agissements des autres. Les informations récoltées peuvent être anodines, mais elles peuvent, également, anticiper les réactions en cas de conflit, voire pour prévenir une crise sociale.

Entourloupe dans l'azimut, le cas de cette filiale française d'un groupe d'ameublement suédois est topique. Apprentie "docteur know", elle a reconnu avoir recherché "des renseignements sur la vie privée" de son personnel. Il est notamment question d'avoir "monnayé", via une officine de détectives privés, des fichiers de la police nationale (illégalement obtenus ?), afin de connaître certaines données sensibles concernant ses salariés et certains de ses clients (en litige notamment). Le fichier en cause (le Stic) est détenu par les services de police qui rassemble des informations relatives à tous les individus impliqués dans une infraction (auteurs présumés et victimes) et interpellés par la police. Mais, les renseignements obtenus concernaient, également, des actes de propriété, le régime matrimonial, le chiffre d'affaires de l'entreprise dont l'acheteur d'une armoire était le gérant (sic) ! Après son mea culpa, la filiale s'est empressée de proposer une charte éthique au sein de l'entreprise ; cette opération chloroforme, quoique tardive, est à saluer. Mais, gare au prochain dérapage, car l'on ne vit que deux fois... Et, le cas de cette filiale n'apparaît, toutefois, pas isolé, plusieurs grandes enseignes ayant fait l'objet de condamnations pour avoir constitué des "dossiers" sur certains salariés.

Heureusement, les réponses judiciaires sont, elles, sans faux-semblant. Il est clairement établi que la surveillance du personnel, qui peut revêtir des formes variées (vidéosurveillance, enregistrements...) et peut avoir des objectifs divers (contrôle des présences, de la productivité...), est autorisée si le salarié en a été préalablement informé. Et, si l'employeur peut contrôler et surveiller l'activité de son personnel pendant la durée du travail, le dispositif de contrôle doit être préalablement porté à la connaissance des salariés, à défaut de quoi, la preuve rapportée par ce moyen est illicite. L'employeur qui souhaite contrôler l'activité de ses salariés par un système de vidéosurveillance doit se soumettre à une autorisation préalable. Mais, doit être condamné le dirigeant qui a dissimulé un magnétophone à déclenchement vocal dans le faux plafond du bureau occupé par deux de ses employés. Ou, l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue. Toutefois, il n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur. Par ailleurs, sauf risque ou événement particulier, l'employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels contenus sur le disque dur de l'ordinateur mis à sa disposition qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé. Et, plus généralement, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de la vie privée qui implique, en particulier, le secret des correspondances. L'entreprise doit informer la personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel, notamment, l'identité du responsable, la finalité poursuivie par le traitement, les conséquences d'un défaut de réponse. Ainsi, les messages émis et reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail par son employeur sont protégés par le secret de la correspondance même si l'employeur a interdit l'utilisation personnelle de l'ordinateur. Mais, il n'y a pas violation du secret des correspondances du salarié dès lors que l'employeur a eu connaissance de ses messages électroniques extra-professionnels par courrier d'une personne extérieure. Voilà pour les actes de "surveillance"...

Pour les motifs invoqués par les entreprises, la prévention des conflits sociaux ne semble pas recueillir l'assentiment des juges de cassation. Ces derniers ont, en effet, rappelé, le 4 avril 2012, que les salariés protégés, au nombre desquels se trouvent les membres du conseil et les administrateurs des caisses de Sécurité sociale, doivent pouvoir disposer sur leur lieu de travail d'un matériel ou procédé excluant l'interception de leurs communications téléphoniques et l'identification de leurs correspondants pour l'accomplissement de leur mission légale et la préservation de la confidentialité qui s'y attache.

Bien que sans doute férus de John le Carré, les magistrats ne seront certainement pas "tout sourire" devant les agissements de ces entreprises dont les méthodes de management apparaissent des plus discutables et pour lesquelles la "trente-neuvième marche" pourrait bien être celle de trop...

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