La lettre juridique n°478 du 22 mars 2012 : Éditorial

Le silence est d'or et la parole du flagrant

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage, // Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage, // Polissez-le sans cesse, et le repolissez, // Ajoutez quelquefois, et souvent effacez" ; tel est l'art poétique du juge du quai de l'Horloge, le "Boileau" de la cassation de l'ordre juridico-philosophique, lorsqu'on lit, ce 7 mars 2012 encore, que le gardé à vue doit, dès le début de la mesure, être informé de son droit de se taire et, sauf exceptions justifiées par des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l'espèce, pouvoir bénéficier, en l'absence de renonciation non équivoque, de l'assistance d'un avocat.

Oh ! L'adresse n'est pas aux juges du fond, qui les premiers ont, jadis, porté l'estocade à brûle-pourpoint des agents de police, pour le respect des droits de la défense et du procès équitable, dès les premières heures de la procédure, au mitard de la garde à vue. Le sceau F-P+B est à destination de ces agents récidivistes de la parole forcée, qui, citant Euripide, vous font croire que "le silence est un aveu". Assurément, il leur faudrait lire le Bâtonnier Pettiti, car "en tout cas, le refus de répondre ou de s'auto-accuser ne peut être retenu comme soupçon plausible". "La charge de la preuve pèse sur l'accusation et le doute profite à l'accusé. Les preuves produites doivent, toutefois, être obtenues de façon licite, c'est-à-dire qu'elles doivent, en principe, être fournies librement par l'accusé lors du procès, sous le contrôle du juge".

"Funke c/ France", "Murray c/ Royaume Uni", "Barberà, Messegué et Jabardo", et dernièrement "Salduz", "Danayan" ou "Bolukoç c/ Turquie" : on ne compte plus les arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme condamnant les régimes de garde à vue déniant à l'avocat le droit d'être présent, dès le début de la procédure, ainsi que le défaut d'information du gardé à vue quant à son droit de se taire. Dans le dernier de ces arrêts, il est même réaffirmé que "l'obligation de prêter serment pour une personne placée en garde à vue porte nécessairement atteinte à son droit au silence et son droit de ne pas participer à sa propre incrimination", or "le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination et le droit de garder le silence [...] sont au coeur de la notion de procès équitable".

Qui tacet consentire videtur : si la maxime latine aux termes de laquelle "qui se tait semble consentir", connut de beaux jours en matière civile, le prévenu n'a pas l'obligation de collaborer à l'administration de la preuve en matière pénale. Et, comme le souligne le Professeur De Page, "il n'est pas possible d'ériger en règle juridique l'adage qui ne dit mot consent'". D'aucuns nous diraient que, si le pape Boniface VIII, auquel la locution fut attribuée, était avocat de formation, il n'en était pas moins notaire... La chose du pénal lui était donc parfaitement étrangère ; et si le fondement principal du droit au silence est d'ordre moral, un élément du respect dû à la dignité de la personne, l'on sait que le chantre de la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, "[se souciait ] autant d'une autre vie que d'un haricot", à en croire l'historien Jean Villani. Aujourd'hui, ce sont les "petits pois", me direz-vous...

"Le droit au silence est le corollaire du libre aveu, conçu comme comportement moral et religieux impliquant liberté de repentir et faculté de pardon" écrivit Louis-Edmond Pettiti. Voilà qui est dit : parler ou se taire est une affaire de conscience individuelle, à l'image de ce missionnaire portugais, dans le Japon du début du XVIIème siècle, qui devint apostat, aux yeux des autres, mais gardant, en silence et en secret, sa foi chrétienne, dans le roman, Chinmoku de Shusaku Endo.

Toutefois, le droit au silence n'est pas un droit absolu. L'on sait, à la suite de Marguerite Yourcenar, que "le silence est fait de paroles que l'on n'a pas dites". Et, dans certaines circonstances, il peut être déduit du silence, des conséquences défavorables, surtout s'il est observé du début à la fin de la procédure, alors que certaines situations appellent des explications. Mais, si "la raison d'ordinaire n'habite pas longtemps chez les gens séquestrés : il est bon de parler, et meilleur de se taire" ; mieux, "le silence est le parti le plus sûr de celui qui se défie de soi-même". Et, c'est ainsi qu'au Grand siècle, La Fontaine et La Rochefoucauld nous enseignaient, tout deux, que le silence était, déjà, d'or.

"A cinquante mètres de la surface, des hommes tournent un film. Munis de scaphandres autonomes à air comprimé, ils sont délivrés de la pesanteur. Ils évoluent librement" : le silence et la liberté sont, comme dans le film de Jaques-Yves Cousteau, étroitement liés. C'est la liberté de se taire, même lorsque l'on a rien à dire, qui est, aujourd'hui encore, rappelé par la Cour suprême, n'en déplaise à Michel Audiard.

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