Réf. : Cass. crim., 1er septembre 2020, n° 19-84.505, F-P+B+I (N° Lexbase : A49723SX)
Lecture: 6 min
N4568BYT
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Adélaïde Léon
le 23 Septembre 2020
►La publication d’un lien hypertexte renvoyant à un écrit mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue une reproduction dudit texte, faisant courir un nouveau délai de prescription ;
Pour apprécier si l’auteur d’un lien hypertexte, qui renvoie à un contenu susceptible d’être diffamatoire, peut voir sa responsabilité pénale engagée en raison de la nouvelle publication de ce contenu à laquelle il procède, les juges doivent examiner en particulier si l’auteur du lien a approuvé le contenu litigieux, l’a seulement repris ou s’est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s’il savait ou était raisonnablement censé savoir que le contenu litigieux était diffamatoire et s’il a agi de bonne foi.
Rappel des faits. À la suite d’accusations de viol portant sur un de ses membres, le groupe Alternative libertaire a publié sur internet un communiqué faisant part de l’exclusion de l’intéressé. Par la suite, le syndicat CNT santé, social, collectivité territoriales (SSCL) a publié un texte se référant au premier communiqué. Le SSCL critiquait dans cette publication les procédures internes au groupe Alternative libertaire. Les deux textes ont, par la suite, été reproduits intégralement sur un site internet tiers et introduits par le titre « Accusé de viol, A. X. provoque une crise chez les antifas (MàJ) ». Le même jour, une élue locale publiait sur son compte Facebook un lien hypertexte renvoyant à cette dernière publication précédé notamment des mots « Où un groupuscule **antifa** qui fait régner sa loi à Metz se justifie de couvrir son chef accusé de viol… en accusant le groupuscule antifa qui le dénonce de couvrir... deux violeurs dans leurs rangs. On en rirait, si le fond n’était pas aussi grave ».
La personne à l’encontre de laquelle étaient portées les accusations de viol a porté plainte et s’est constituée partie civile du chef de diffamation publique à raison du seul texte émanant du groupe Alternative libertaire, mais en ce qu’il avait été reproduit ultérieurement sur divers sites, dont celui de l’élue locale.
Cette dernière a été renvoyée devant le tribunal correctionnel qui l’a déclarée coupable. L’élue a, par la suite, relevé appel de ce jugement.
En cause d’appel. La cour d’appel a confirmé le jugement ayant déclaré l’élue coupable de diffamation publique. Les juges ont considéré que le propos incriminé renfermait en lui-même l’insinuation que la partie civile s’était rendue coupable du crime de viol. Ils ont par ailleurs spécifié que la circonstance que cette diffamation ait eu pour support un lien hypertexte était indifférente dès lors que la réactivation d’un contenu sur internet valant reproduction, l’insertion d’un tel lien constituait un nouvel acte de publication.
L’élue locale a formé un pourvoi en cassation.
Moyens du pourvoi. Le pourvoi soutenait que l’insertion d’un lien hypertexte n’engage la responsabilité pénale de son auteur à raison du contenu vers lequel il renvoie que si celui-ci a approuvé ce contenu ou l’a repris à son compte et savait qu’il était diffamatoire. En l’espèce, l’élue soutenait qu’elle n’avait pas repris ni approuvé les contenus vers lesquels renvoyait le lien hypertexte et qu’elle ne pouvait raisonnablement savoir que la seule insertion du lien hypertexte pouvait être considérée comme un nouvel acte de publication d’un contenu diffamatoire. Dans ces circonstances, elle estimait n’avoir imputé aucun fait précis de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération dudit militant.
Décision de la Cour. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4743AQQ), 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (N° Lexbase : C97904YA) et 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC).
La Haute juridiction souligne que selon l’article 10 de la CESDH tel qu’interprété par la Cour européenne des droits de l’Homme, pour apprécier si la responsabilité pénale de l’auteur d’un lien hypertexte renvoyant vers un contenu susceptible d’être diffamatoire doit être mise en cause à raison de la nouvelle publication de ce contenu litigieux, les juges doivent examiner en particulier si l’auteur du lien a approuvé le contenu, l’a seulement repris ou s’est contenté de créer un lien, sans reprendre ni approuver ledit contenu, s’il était raisonnablement censé savoir que celui-ci était diffamatoire et s’il a agi de bonne foi. La Cour rappelle que cet examen concerne donc des éléments extrinsèques au contenu incriminé, de la nature de ceux qu’il appartient au juge de prendre en compte pour apprécier le sens et la portée des propos poursuivis comme diffamatoires, au sens de l’article 29 de la loi de 1881.
En l’espèce, la Cour de cassation considère que la cour d’appel n’a pas procédé à l’examen de ces éléments extrinsèques au contenu incriminé. Il s’agissait des modalités et du contexte de l’insertion du lien litigieux et plus spécialement du sens du texte du SSCL qui contredisait le premier communiqué et des conclusions que tirait la prévenue de l’ensemble de textes auquel elle renvoyait.
S’agissant de la prescription de l’action publique. Cette décision est également l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler les règles de prescription de l’action publique en matière de lien hypertexte. Elle rappelle qu’en matière de presse, le point de départ du délai de prescription est fixé à la date du premier acte de publication (loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse N° Lexbase : C98664Y3, art. 65 ; Cass. crim., 16 octobre 2001, n° 00-85.728 N° Lexbase : A5083AYW). La Haute juridiction précise par ailleurs que sur internet, l’insertion, par l’auteur d’un écrit, d’un lien hypertexte renvoyant directement audit écrit précédemment publié, caractérise une nouvelle publication (Cass. crim., 2 novembre 2016, n° 15-87.163, FS-P+B+I N° Lexbase : A4731SC9). En l’espèce, elle juge que la publication du lien hypertexte par l’élue, lequel renvoie directement à un écrit qui a été mis en ligne par un tiers sur un site distinct, constitue également une reproduction du texte faisant courir un nouveau délai de prescription.
Pour aller plus loin : E. Raschel, ETUDE : La procédure en droit de la presse, Détermination de la personne physique responsable, Internet, in Droit de la presse (dir. E. Raschel), Lexbase (N° Lexbase : E0871Z97) E. Raschel, ETUDE : La procédure en droit de la presse, La prescription de l'action publique, Le point de départ du délai, in Droit de la presse (dir. E. Raschel), Lexbase (N° Lexbase : E0876Z9C) |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:474568