Réf. : Cass. civ. 1, 9 septembre 2020, n° 19-16.415, FS-P+B (N° Lexbase : A55143TE)
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N4519BYZ
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par Manon Rouanne
le 16 Septembre 2020
► La révélation, à l’occasion d’une émission de télévision, d’informations précises et de détails sordides sur les circonstances d’un crime dont une personne a été victime, sans dévoiler son identité, constitue une atteinte à son droit au respect de sa vie privée qui peut être réparée sur le fondement de l’article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) indépendamment de l’infraction consacrée à l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) impliquant la diffusion de renseignements concernant l’identité d’une victime.
Faits. Dans cette affaire, une société productrice d’émissions de télévision a produit, pour la société France télévisions, une émission diffusée à deux reprises et consacrée à une affaire judiciaire dans laquelle un couple était poursuivi pour des faits d’enlèvement, de séquestration, de violences volontaires, de viol et d’assassinat. Une des victimes de ces crimes, ayant constaté que son avocate avait, sans recueillir son accord, participé à cette émission en relatant les faits dont elle avait été victime, a exercé, à l’encontre de cette dernière ainsi qu’à l’encontre de la société productrice et de la société Frances télévisions, une action fondée sur l’article 9 du Code civil pour obtenir réparation de l’atteinte portée au respect de sa vie privée.
Alléguant que l’action engagée par la victime devait être fondée, non sur l’article 9 du Code civil, mais sur l’article 39 quinquies de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les défendeurs à l’action ont sollicité sa requalification et soulevé la nullité de l’assignation et la prescription de l’action.
La cour d’appel (CA Bordeaux, 14 juin 2018, n° 17/03496 N° Lexbase : A1059XRN) a décidé d’accueillir cette demande de requalification et a déclaré l’action engagée par la victime irrecevable car prescrite au motif que l’atteinte au respect de la vie privée dont se prévalait la victime avait nécessairement supposé la révélation de son identité, de sorte que cette dernière ne pouvait agir que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1981 qui a érigé en infraction le fait de diffuser des renseignements concernant l’identité d’une victime d’une agression sexuelle sans son consentement.
Soutenant que la révélation d’informations précises et de détails relatifs aux circonstances d’un crime dont elle a été victime constitue, indépendamment de la révélation de l'identité de la victime d'une agression ou d'une atteinte sexuelle incriminée par la loi relative à la liberté de la presse, une atteinte à sa vie privée dont elle est en droit de demander réparation sur le fondement de l’article 9 du Code civil, la victime a contesté l’arrêt rendu par les juges du fond devant la Cour de cassation.
Décision. Faisant droit à l’argumentaire développé par le demandeur au pourvoi, la Haute juridiction affirme que si la diffusion de l'identité d'une personne et de la nature sexuelle des crimes ou délits dont elle a été victime est poursuivie sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 ayant érigé ce fait en infraction pénale, la divulgation, sans le consentement de l'intéressée, d'informations relatives aux circonstances précises dans lesquelles ces infractions ont été commises est un fait distinct constitutif d'une atteinte à sa vie privée, qui peut être sanctionné sur le fondement de l'article 9 du Code civil. Aussi, bien que l’identité de la victime n’ait pas été dévoilée lors de l’émission de télévision litigieuse, celle-ci peut obtenir réparation, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, de l’atteinte portée à sa vie privée caractérisée par la révélation d’informations sur les circonstances des crimes subis.
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