Le Quotidien du 15 juillet 2020 : Propriété

[Brèves] Affaire du « Pissarro spolié » : absence de recours des sous-acquéreurs (de bonne foi) à l’égard des descendants du propriétaire dépouillé

Réf. : Cass. civ. 1, 1er juillet 2020, n° 18-25.695, F-D (N° Lexbase : A56433Q3)

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[Brèves] Affaire du « Pissarro spolié » : absence de recours des sous-acquéreurs (de bonne foi) à l’égard des descendants du propriétaire dépouillé. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/59200114-breves-affaire-du-pissarro-spolie-absence-de-recours-des-sousacquereurs-de-bonne-foi-a-legard-des-de
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par Anne-Lise Lonné-Clément

le 13 Juillet 2020

► L’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 assure la protection du droit de propriété des personnes victimes de spoliation, de sorte que, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d'un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires ; ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions de l’ordonnance précitée, instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable.

L’affaire. L’origine de l’affaire concernait la spoliation, en 1943, d’un collectionneur de tableaux de maîtres, Simon B., en vertu des textes instituant le statut des juifs ; certains tableaux ayant été revendus, notamment « La cueillette des pois » de Camille Pissarro, Simon B. avait obtenu, le 8 novembre 1945, une ordonnance du président du tribunal civil de la Seine, confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 mai 1951 constatant, sur le fondement de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, la nullité de ces ventes et ordonnant la restitution immédiate des tableaux. Ayant été revendu, le tableau « La cueillette des pois » n’a pas été restitué à Simon B., décédé le 1er janvier 1947. L’oeuvre a fait l’objet de plusieurs ventes successives. En particulier, le 22 juin 1966, à l'occasion d'une vente aux enchères publiques organisée à Londres par la société Sotheby’s, il a été adjugé à un acquéreur demeuré inconnu. Enfin, le 18 mai 1995, M. T. et son épouse, résidents américains, ont acquis ce tableau lors d’une vente publique aux enchères organisée à New-York par la société Christie’s. En 2017, ils ont accepté de le prêter pour une exposition organisée à Paris au musée Marmottan Monet, intitulée « Pissarro, premier peintre impressionniste ».

Ayant appris la présence de ce tableau, le petit-fils de Simon B. a engagé, avec ses autres ayants droit, une action notamment contre M. et Mme T., et, par jugement rendu en la forme des référés le 30 mai 2017 (TGI Paris, référé, 30 mai 2017, n° 17/52901 N° Lexbase : A9245WHU ; et la brève N° Lexbase : N8956BWM), le tribunal de grande instance de Paris a ordonné le séquestre de l’oeuvre et désigné à cet effet l’Académie des beaux-arts jusqu’à la fin de l’exposition le 16 juillet 2017, puis, sous réserve de justification par les consorts B. de la saisine du juge du fond, l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie.

Le 13 juillet 2017, les consorts B. ont assigné M. et Mme T., l’Académie des beaux-arts et l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie aux fins de voir ordonner à ce dernier de leur remettre le tableau litigieux.

M. et Mme T. faisaient grief à l'arrêt rendu par la cour d’appel de Paris d’ordonner la remise du tableau aux consorts B., excipant notamment de leur bonne foi. Ils n’obtiendront pas gain de cause.

QPC. Pour rappel, ils ont dans un premier temps tenté de dénoncer l’inconstitutionnalité des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi, à raison du caractère irréfragable de la présomption de mauvaise foi qu'elle instituerait sans condition de délai à des fins confiscatoires au préjudice du tiers acquéreur qui serait lui-même de bonne foi ; de même était-il argué d’une atteinte aux droits de la défense et à une procédure juste et équitable en ce que l’article 4 interdisait aux sous-acquéreurs objet d'une revendication de rapporter utilement la preuve de sa bonne foi en violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D).

Mais la Cour de cassation a jugé, dans sa décision rendue le 11 septembre 2019 (Cass. civ. 1, 11 septembre 2019, n° 18-25.695, FS-P+B+I N° Lexbase : A4736ZNQ), qu’il n’y avait pas lieu à renvoi, les questions posées ne présentant pas un caractère sérieux en ce que les dispositions contestées assurent la protection du droit de propriété des personnes victimes de spoliation ; aussi, selon la Haute juridiction, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d'un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires ; ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions contestées, instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable.

Décision au fond. Statuant alors sur le fond, la Haute juridiction, réitère ses arguments et précise que l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 assure la protection du droit de propriété des personnes victimes de spoliation, de sorte que, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d'un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires. Ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions de l’ordonnance précitée, instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable.

Dès lors, sans méconnaître les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H), 16 (N° Lexbase : L1363A9D) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, ni l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9), ni l’article 6, § 1 (N° Lexbase : L7558AIR), de cette convention, la cour d’appel a exactement retenu que les sous-acquéreurs ne pouvaient utilement exciper de leur bonne foi à l’égard des personnes dépouillées ou de leurs héritiers continuant leur personne.

La Cour suprême ajoute que, si un jugement n'a autorité de la chose jugée qu'entre les parties, il n'en est pas moins opposable aux tiers. C’est donc à bon droit que la cour d’appel avait énoncé que la nullité de la première revente vente du tableau litigieux était un fait juridique opposable aux tiers à la transaction, en particulier aux sous-acquéreurs successifs, en dernier lieu M. et Mme T..

Pour aller plus loin : regarder en vidéo l’interview de Maître Fischer, avocat des consorts B., qui revient sur cette décision en huit questions.

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