La lettre juridique n°472 du 9 février 2012 : Éditorial

Accident de ski et obligation de moyens : tout schuss sur l'indemnisation intégrale

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Grand émoi dans la petite commune de la vallée de la Cerdagne, Font Romeu, après sa condamnation au versement d'une provision d'un million d'euros en réparation du préjudice subie par une skieuse qui, en 1997, était devenue tétraplégique à la suite d'un accident sur le domaine skiable catalan. Les près de 2 000 romeufontains ne seront pas mis à contribution directement, les assurances se chargeant de l'indemnisation, mais l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, en date du 21 décembre 2011 qui, pour fêter l'hiver, confirme, à nouveau, l'obligation de sécurité de moyens à laquelle est tenu tout exploitant d'une station de ski, aura sans doute des répercussions, non véritablement juridiques, mais économiques, à la fois pour les communes qui accélèreront le transfert de la gestion des domaines skiables, à des sociétés commerciales ; des régies et de leurs assurances quant au coût d'exploitation des stations de ski ; et, pour finir, pour les touristes et autres aficionados des sports d'hiver, dont la facture du séjour devrait sensiblement augmenter.

Alors, n'en déplaise à Jean-Louis Démelin, le maire de la cité pyrénéenne condamnée, l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier n'est pas une "première" en France, du moins quant aux principes juridiques appliqués et quant à la condamnation d'une commune à la réparation du préjudice invoqué à la suite d'un accident de ski. Dernier opus en date, si, le 4 novembre 2011, la Cour de cassation reprochait à une cour d'appel d'avoir retenu l'entière responsabilité d'une commune exploitante de la piste skiable sur laquelle s'était produit un accident, sans répondre aux conclusions invoquant le comportement fautif du skieur comme cause de l'évènement, elle reconnaît que l'exploitante avait insuffisamment rempli l'obligation de sécurité de moyens qui pesait sur elle, caractérisant ainsi une faute à son encontre (en l'espèce, une insuffisante signalisation d'un socle en béton d'un canon à neige). Et, si la même formation écartait, le 1er juin 2011, conformément à sa jurisprudence constante, la responsabilité de la société exploitante d'une piste ni balisée, ni entretenue, mais alors qu'il était parfaitement établi qu'au moment de l'accident, la piste empruntée était fermée et signalée comme telle à son origine, elle retenait, le 17 février 2011, que l'endroit où le skieur avait quitté la piste présentait un danger particulier du fait de la présence d'un torrent situé en contrebas, et que l'accident ne se serait pas produit si un filet de protection avait été placé entre le mélèze et le premier piquet maintenant le filet existant, à l'endroit où la victime avait quitté la piste.

L'obligation de sécurité de moyens imposée à tout exploitant d'un domaine skiable, qu'il soit une commune ou un opérateur privé, n'est donc pas chose nouvelle. Tout au plus, pouvons-nous souligner que l'obligation de moyens, dont les contours sont définies par les juges montpelliérains, c'est-à-dire la pose de filets de sécurité tout au long des pistes skiables, est, de l'aveu même des professionnels de la montagne, parfaitement impossible à respecter. D'où il suit que, si la présence d'une plaque verglacée constituait dans les circonstances de l'espèce, un risque tout particulier à raison de son emplacement et que la probabilité de survenance de chutes de la part de skieurs, même d'un niveau moyen, avec la quasi-certitude de terminer leur course en dehors de la piste et donc, contre un arbre, voire un rocher, était objectivement non négligeable, attendre de l'exploitant qu'il interdise le passage sur cette portion -encore faut-il qu'il en connaisse le danger-, ou qu'il prévienne et balise la présence de cette plaque de verglas -sur l'ensemble des milliers de m² des pistes-, ou, enfin, qu'il pose des filets de protection le long de la zone boisée et parsemée de rochers située en bordure de piste, précisément à raison du danger réel et anormal que présentait cette plaque, c'est l'astreindre à une quasi-obligation de résultat, l'accident survenant malgré ces précautions caractérisant une faute quasi-exclusive du skieur exonérant, pour une grande partie, la commune exploitante de sa responsabilité. Comme le souligne Grégory Mollion, avocat au barreau de Grenoble et Maître de conférences à l'Université de Grenoble, le risque zéro n'existe pas et tous les aménagements possibles de sécurité n'empêcheront pas les accidents.

Non, si le maire de la commune, interrogé par le journal l'Indépendant s'est dit "surpris" par la décision de justice, c'est évidemment par le quantum de la provision pour préjudice de l'accident qui doit être versé à la skieuse tétraplégique -précisant bien que le montant en cause peut être réévalué à la hausse en fonction des nécessités liées à l'état de la victime, après expertise de l'ensemble des besoins soulevés par les demandeurs-. En effet, les communes exploitant directement un domaine skiable, reconnues responsables du fait de leur manquement à leur obligation de sécurité de moyens, était plutôt habituées à devoir verser une indemnisation à "quatre zéro", de l'ordre de la dizaine de milliers d'euros, quand dans les années soixante, l'indemnisation n'avoisinait "que" le millier de francs. Cet "emballement" du montant de l'indemnisation de la victime d'un accident de ski est le fruit de la conjugaison de deux facteurs juridiques. D'abord, par un arrêt du 19 février 2009, le Conseil d'Etat renvoyait aux tribunaux judiciaires la compétence exclusive pour connaître d'un litige opposant une victime d'un accident de ski à une commune, en raison de la nature juridique des liens existant entre les services publics industriels et commerciaux et leurs usagers, lesquels sont des liens de droit privé, alors que les juges administratifs étaient compétents en la matière depuis l'origine des premières stations de ski ; et la Cour de cassation de lui emboîter le pas, le 31 mars 2010, en confirmant bien que le juge judiciaire est compétent dès lors que l'organisme chargé de l'exploitation du domaine skiable constitue un service public industriel est commercial. La judiciarisation du contentieux en la matière explique, non seulement la compétence de la cour d'appel, mais aussi l'application du régime de la responsabilité civile et non celui de la responsabilité administrative s'attachant au seul pouvoir de police du maire.

Exit la théorie du risque inhérent à la pratique d'un sport, les amateurs de sport, violents ou non, savent bien que tout au plus cette théorie est valable pour les courses automobiles, comme il a été jugé par un arrêt de la Haute juridiction rendu le 8 octobre 1975, mais plus difficilement sur la piste verte d'une station de ski, même si ne méconnaît pas son obligation de sécurité à l'égard des usagers, l'exploitant d'un domaine skiable qui a mis en place un dispositif de signalisation visible et efficace, l'accident ayant trouvé son origine dans la vitesse excessive de la victime, selon un arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 1996. Dès lors, comme le rappelle l'avocat grenoblois, point besoin de faute caractérisée applicable en matière de police administrative, le manquement à l'obligation de moyens suffit, et, conformément à la jurisprudence judiciaire, nous rappelons que c'est le principe cardinal de la réparation intégrale du préjudice qui prévaut. Depuis l'arrêt d'Assemblée plénière du 28 novembre 2011, on sait que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties. Mieux, il faut une "adéquation de la réparation au préjudice", selon Philippe le Tourneau, une "équivalence entre dommage et réparation", précise Geneviève Viney : d'où le montant de la provision sur dommages et intérêts accordée à la victime et la Caisse primaire d'assurance maladie.

Alors, afin de battre en brèche une jurisprudence judiciaire clouant au pilori les finances des communes, de leurs assureurs et, au final, des vacanciers, on évoque un pourvoi en cassation. C'est juste oublier, d'une part, que sur le terrain du droit, les juges n'ont fait qu'appliquer une jurisprudence constante et, d'autre part, que le montant de l'indemnité réparatrice est souverainement apprécié par les juges du fond, au terme d'un examen in concreto de la situation, sauf dans l'hypothèse où la loi imposerait une base ou lorsque les parties déterminent conventionnellement ce montant. Aussi, sauf à démontrer un partage de responsabilité, du fait de la faute de la skieuse handicapée, un pourvoi en cassation ne constituera pas une solution miracle pour les communes comme pour les sociétés exploitant un domaine skiable.

Tel est l'avenir de ce "moyen de transport" néolithique, de ces deux planches de bois qui sauvèrent, en 1206, le fils du roi Haakon III de Norvège (à l'origine de la traditionnelle course de fond entre Lillehammer et Trondheim), et qui jouèrent un si grand rôle dans la souveraineté de la Suède en 1523, alors aux mains des danois ; mais qui, ayant pris la qualité de "sport", se voit contraint à un exercice ultra réglementé, pour que sa pratique demeure un loisir, un plaisir, entouré du surf, du free ride, du ski joëring et du snowk ball. Reste que la sécurité et son obligation de moyens ont un coût dont le premier débiteur sera le vacancier. "Pourtant, que la montagne est belle...".

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