Le Quotidien du 25 mai 2020 : Droit social européen

[Brèves] Travail détaché : les certificats E 101 et A 1 n’ont aucun impact sur la législation relative au droit du travail !

Réf. : CJUE, 14 mai 2020, aff. C-17/19 (N° Lexbase : A44833LM)

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par Laïla Bedja

le 27 Mai 2020

► L’article 11, paragraphe 1, sous a), l’article 12 bis, point 2, sous a), et point 4, sous a), du Règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972 (N° Lexbase : L7131AUN) ainsi que l’article 19, paragraphe 2, du Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (N° Lexbase : L8946IE3), doivent être interprétés en ce sens qu’un certificat E 101, délivré par l’institution compétente d’un État membre, à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d’un autre État membre, et un certificat A 1, délivré par cette institution s’imposent aux juridictions de ce dernier État membre uniquement en matière de Sécurité sociale.

Telle est la solution retenue par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt rendu le 14 mai 2020 (CJUE, 14 mai 2020, aff. C-17/19 (N° Lexbase : A44833LM).

La question préjudicielle. La Cour de Justice était saisie d’une question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 11 du Règlement CE n° 574/72, fixant les modalités d’application du R. CE n° 1408/71, et de l’article 19 du R. CE n° 987/2009 en ce sens qu’un certificat E 101, délivré par l’institution compétente d’un Etat membre au titre de l’article 14 du Règlement n° 1408/71 (N° Lexbase : L4570DLT), à des travailleurs exerçant leurs activités sur le territoire d’un autre État membre et un certificat A 1, délivré par cette institution, au titre de l’article 12, paragraphe 1, ou de l’article 13, paragraphe 1, du Règlement n° 883/2004 (N° Lexbase : L7666HT4), à de tels travailleurs, s’imposent aux juridictions de ce dernier État membre en matière non seulement de sécurité sociale, mais également de droit du travail.

La procédure française : l’affaire dite « EPR de Flamanville ». Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre les sociétés Bouygues travaux publics, Elco construct Bucarest (société roumaine) et Welbond armatures des chefs de travail dissimulé et de prêt illicite de main d’œuvre. Après une dénonciation sur les conditions d’hébergement de travailleurs étrangers, un mouvement de grève de travailleurs intérimaires polonai portant sur l’absence ou l’insuffisance de couverture sociale en cas d’accident, ainsi que la révélation de plus d’une centaine d’accidents du travail non déclarés, et à la suite de l’enquête menée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), puis par les services de police, Bouygues, Welbond et Elco ont été poursuivies, pour des faits qui se seraient déroulés pendant la période allant du mois de juin 2008 au mois d’octobre 2012.

Par un arrêt du 20 mars 2017, la cour d’appel de Caen, confirmant, en partie, le jugement rendu, le 7 juillet 2015, par la chambre correctionnelle du tribunal d’instance de Cherbourg, a jugé, en ce qui concerne Elco, que cette société était coupable du délit de travail dissimulé pour avoir omis de procéder aux déclarations nominatives préalables à l’embauche de salariés ainsi qu’aux déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales. Cette juridiction a en effet considéré qu’Elco avait eu une activité habituelle, stable et continue en France, ce qui ne l’autorisait pas à se prévaloir de la législation relative au détachement. Elle a constaté à cet égard que la très grande majorité des travailleurs en cause avait été embauchée par Elco dans la seule perspective de leur envoi en France quelques jours avant celui-ci, la plupart d’entre eux n’ayant d’ailleurs pas travaillé ou ne travaillant que depuis peu pour cette société, que l’activité d’Elco en Roumanie était devenue accessoire par rapport à son activité en France, que la gestion administrative des travailleurs concernés n’était pas assurée en Roumanie et que certains détachements avaient duré plus de 24 mois.

Concernant Bouygues et Welbond, la cour d’appel de Caen a considéré que ces sociétés étaient coupables des délits de travail dissimulé, s’agissant de travailleurs mis à disposition par Atlancon, une société chypriote, et de prêt illicite de main-d’œuvre. À cet égard, cette juridiction a constaté, tout d’abord, que Bouygues et Welbond avaient, par l’intermédiaire de la filiale chypriote d’Atlanco et d’un bureau de cette filiale en Pologne, recruté des travailleurs intérimaires polonais en leur faisant signer un contrat rédigé en grec, en vue de leur mise à disposition à des sociétés françaises. Ensuite, ladite juridiction a relevé que la même filiale n’était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés en France et qu’elle n’avait aucune activité ni à Chypre ni en Pologne. Enfin, la même juridiction a établi que, si Bouygues et Welbond avaient certes demandé à Atlanco les documents relatifs aux travailleurs polonais intérimaires présents sur le site de Flamanville, notamment, les certificats E 101 et A 1, celles-ci avaient continué à employer ces travailleurs sans obtenir une communication complète de ces documents.

Bouygues, Elco et Welbond ont saisi la Cour de cassation d’un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Caen, du 20 mars 2017, en faisant valoir, notamment, que celle-ci avait méconnu les effets attachés aux certificats E 101 et A 1, délivrés aux travailleurs concernés. La Cour se pose la question de savoir si les effets attachés aux certificats E 1010 et A 1, délivrés en application de Règlements européens en matière de Sécurité sociale, s’étendant à la détermination de la loi applicable quant au droit du travail et aux obligations incombant à l’employeur, telles qu’elles résultent de l’application du droit du travail de l’Etat dans le quel les travailleurs concernés par ces certificats effectuent leur travail, en particulier aux déclarations qui doivent être effectuées par l’employeur préalablement à l’embauche de ces travailleurs (Cass. crim., 8 janvier 2019, n° 17-82.553, FS-D N° Lexbase : A9698YSY).

Enonçant la solution précitée, la Cour européenne interprète de façon très stricte la réglementation européenne. Elle rappelle qu’une juridiction de l’Etat membre d’accueil ne saurait écarter des certificats E 101 que lorsque deux conditions cumulatives sont remplies, à savoir :

  • d’une part, que l’institution émettrice de ces certificats, ayant été saisie promptement par l’institution compétente de cet État membre d’une demande de réexamen du bien‑fondé de la délivrance desdits certificats, s’est abstenue de procéder à un tel réexamen à la lumière des éléments communiqués par cette dernière institution et de prendre position, dans un délai raisonnable, sur cette demande, le cas échéant, en annulant ou en retirant les mêmes certificats et,
  • d’autre part, que ces éléments permettent à cette juridiction de constater, dans le respect des garanties inhérentes au droit à un procès équitable, que les certificats en cause ont été obtenus ou invoqués de manière frauduleuse.°

Elle rappelle notamment que, aux termes de l’article 1er, sous j), du Règlement n° 1408/71 et de l’article 1er, sous l), du Règlement n° 883/2004, la notion de « législation », aux fins de l’application de ces règlements, vise le droit des États membres concernant les branches et régimes de Sécurité sociale. Il s’ensuit que les certificats E 101 et A 1, délivrés par l’institution compétente d’un État membre, ne lient l’institution compétente et les juridictions de l’État membre d’accueil qu’en ce qu’ils attestent que le travailleur concerné est soumis, en matière de Sécurité sociale, à la législation du premier État membre pour l’octroi des prestations directement liées à l’une des branches et à l’un des régimes énumérés à l’article 4, paragraphes 1 et 2, du Règlement n° 1408/71 ainsi qu’à l’article 3, paragraphe 1, du Règlement n° 883/2004.

Ces certificats ne produisent donc pas d’effet contraignant à l’égard des obligations imposées par le droit national dans des matières autres que la Sécurité sociale, au sens de ces Règlements, telles que, notamment, celles relatives à la relation de travail entre employeurs et travailleurs, en particulier, les conditions d’emploi et de travail de ces derniers.

Lire :

  • Christophe Willman, Validité du certificat E 101 délivré frauduleusement, Lexbase Social, 2019, n° 771 (N° Lexbase : N7565BXH) ;
  • Jean-Philippe Tricoit, Chronique de droit social international et européen de janvier à mars 2019 : instruments internationaux de protection des droits et libertés sociales fondamentales et mobilité internationale des travailleurs, Lexbase Social, 2019, n° 781 (N° Lexbase : N8695BXC), point 16 ;
  • Notre brève, Renvoi d’une question préjudicielle portant sur la liaison d’un certificat E 101 ou A1 aux juridictions de l’Etat membre dans lequel le travail est effectué pour déterminer la législation applicable au régime de Sécurité sociale et au droit du travail, Lexbase Social, 2019, n° 769 (N° Lexbase : N7337BXZ).

A noter : Cette décision sera commentée par Vincent Roulet dans la prochaine revue Lexbase Social, 2020, n° 826. 

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