Le Quotidien du 25 mai 2020 : Droit des étrangers

[Brèves] La CJUE précise la notion de "rétention"

Réf. : CJUE, 14 mai 2020, aff. C-924/19 PPU (N° Lexbase : A44943LZ).

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[Brèves] La CJUE précise la notion de "rétention". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/58070397-breves-la-cjue-precise-la-notion-de-retention
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par Marie Le Guerroué

le 27 Mai 2020

► Le placement des demandeurs d’asile ou des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour dans la zone de transit de Röszke, à la frontière serbo-hongroise, doit être qualifié de « rétention » ;

► La notion de « rétention », qui revêt la même signification dans le contexte des différentes Directives « procédures » (Directive UE 2013/32 du 26 février 2013 N° Lexbase : L9263IXD) et « accueil » (Directive UE 2013/33 du 26 juin 2013 N° Lexbase : L9264IXE), vise une mesure coercitive qui suppose une privation, et non une simple restriction de la liberté de mouvement de l’intéressé et l’isole du reste de la population, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos ;

► Si, à l’issue du contrôle juridictionnel de la régularité d’une rétention, il est établi que les personnes concernées ont été retenues sans motif valable, la juridiction saisie doit les libérer avec effet immédiat.

Telles sont les précisions apportées par la CJUE dans sa décision du 14 mai 2020 (CJUE, 14 mai 2020, aff. C-924/19 PPU N° Lexbase : A44943LZ).

Faits. Des ressortissants afghans et iraniens, arrivés en Hongrie par la Serbie, avaient introduit des demandes d’asile depuis la zone de transit de Röszke, située à la frontière serbo-hongroise. Ces demandes avaient été rejetées comme irrecevables et des décisions de retour vers la Serbie avaient été adoptées. Mais, cette dernière avait refusé la réadmission des intéressés, au motif que les conditions prévues par l’accord de réadmission conclu avec l’Union (accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier, annexé à la décision du Conseil, du 8 novembre 2007 ; JO 2007, L 334, p. 45) n’étaient pas réunies. A la suite de cette décision, les autorités hongroises n’avaient pas procédé à l’examen au fond des demandes précitées mais avaient modifié le pays de destination mentionné dans les décisions de retour initiales, en le remplaçant par le pays d’origine des intéressés. Les intéressés avaient saisi une juridiction hongroise en vue de faire annuler les décisions rejetant leur opposition à l’encontre de ces décisions modificatives et d’enjoindre à l’autorité chargée de l’asile de mener une nouvelle procédure. Ils avaient, également, introduit des recours en carence liés à leur placement et leur maintien dans la zone de transit de Röszke.

  • Sur la situation des intéressés dans la zone de transit

La Cour a d’abord jugé que le placement des intéressés dans cette zone de transit devait être considéré comme une mesure de rétention. Pour parvenir à cette conclusion, elle a précisé que la notion de « rétention », qui revêt la même signification dans le contexte des différentes Directives précitées, vise une mesure coercitive qui suppose une privation, et non une simple restriction, de la liberté de mouvement de l’intéressé et l’isole du reste de la population, en lui imposant de demeurer en permanence dans un périmètre restreint et clos. Or, pour la Cour, les conditions prévalant dans la zone de transit de Rözske s’apparentent à une privation de liberté, notamment parce que les intéressés ne peuvent pas, légalement, quitter cette zone volontairement en quelque direction que ce soit. En particulier, ils ne peuvent pas la quitter vers la Serbie dans la mesure où une telle tentative, d’une part, serait considérée comme illégale par les autorités serbes et, de ce fait, les exposerait à des sanctions et, d’autre part, risquerait de leur faire perdre toute chance d’obtenir le statut de réfugié en Hongrie.

  • Sur la conformité de la rétention

Sur le placement. En ce qui concerne les exigences liées au placement en rétention, la Cour a jugé que, en vertu, respectivement, de l’article 8 de la Directive « accueil » et de l’article 15 de la Directive « retour » (Directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 N° Lexbase : L3289ICS), ni un demandeur de protection internationale ni un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour ne peuvent être placés en rétention au seul motif qu’ils ne peuvent pas subvenir à ses besoins. Elle a ajouté que les articles 8 et 9 de la Directive « accueil » et l’article 15 de la Directive « retour » s’opposent, respectivement, à ce qu’un demandeur de protection internationale ou un ressortissant de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour soit placé en rétention sans l’adoption préalable d’une décision motivée ordonnant ce placement et sans qu’aient été examinées la nécessité et la proportionnalité d’une telle mesure.

Durée de la rétention. S’agissant des demandeurs de protection internationale, elle a jugé que l’article 9 de la Directive « accueil » n’impose pas que les Etats membres fixent une durée maximale au maintien en rétention. Toutefois, leur droit national doit garantir que la rétention ne dure que tant que le motif qui la justifie demeure d’application et que les procédures administratives liées à ce motif soient exécutées avec diligence. En revanche, s’agissant des ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de retour, il ressort de l’article 15 de la Directive « retour » que leur rétention, même lorsqu’elle est prolongée, ne peut excéder dix-huit mois et ne peut être maintenue que tant que le dispositif d’éloignement est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise. Par ailleurs, s’agissant de la rétention des demandeurs de protection internationale dans le cadre particulier d’une zone de transit, si les Etats membres peuvent, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 43, placer en rétention les demandeurs de protection internationale se présentant à leurs frontières, cette rétention ne peut, en aucune circonstance, excéder quatre semaines à compter de la date d’introduction de la demande.

Légalité. Enfin, la Cour a jugé que la légalité d’une mesure de rétention, telle que la rétention d’une personne dans une zone de transit, devait pouvoir faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, en application, respectivement, de l’article 9 de la Directive « accueil » et de l’article 15 de la Directive « retour ». Dès lors, en l’absence de dispositions nationales prévoyant un tel contrôle, le principe de primauté du droit de l’Union et le droit à une protection juridictionnelle effective imposent à la juridiction nationale saisie de se déclarer compétente pour se prononcer à ce sujet. De plus, si, à l’issue de son contrôle, la juridiction nationale estime que la mesure de rétention en cause est contraire au droit de l’Union, elle doit pouvoir substituer sa décision à celle de l’autorité administrative l’ayant ordonnée et prononcer la libération immédiate des personnes concernées, ou éventuellement une mesure alternative à la rétention. Par ailleurs, le demandeur de protection internationale dont la rétention, jugée illégale, a pris fin doit pouvoir se prévaloir des conditions matérielles d’accueil auxquelles il a droit pendant l’examen de sa demande. Dans cette optique, l’article 26 de la Directive « accueil » impose qu’un tel demandeur puisse saisir une juridiction d’un recours visant à lui garantir ce droit à l’hébergement, cette dernière disposant de la possibilité d’accorder des mesures provisoires dans l’attente de sa décision définitive. Si aucune autre juridiction n’est compétente en vertu du droit national, le principe de primauté du droit de l’Union et le droit à une protection juridictionnelle effective imposent, ici encore, à la juridiction saisie de se déclarer compétente pour connaître du recours visant à garantir ce droit à l’hébergement.

  • Sur la compétence de la juridiction nationale pour connaître du recours en annulation

La Cour a rappelé que, si les Etats membres peuvent prévoir que les décisions de retour sont contestées devant des autorités autres que judiciaires, le destinataire d’une décision de retour adoptée par une autorité administrative doit toutefois, à un certain stade de la procédure, pouvoir en contester la régularité devant au moins une instance juridictionnelle. En l’espèce, la Cour a relevé que les intéressés ne pouvaient contester les décisions prises par l’autorité de police migratoire et modifiant leur pays de retour qu’en formant une opposition devant l’autorité chargée de l’asile et qu’aucun contrôle juridictionnel ultérieur n’était garanti. Or, cette dernière autorité, qui est placée sous l’autorité du ministre chargé de la police, relève du pouvoir exécutif, si bien qu’elle ne remplit pas la condition d’indépendance exigée d’une juridiction. Dans de telles circonstances, le principe de primauté du droit de l’Union, ainsi que le droit à une protection juridictionnelle effective, imposent à la juridiction nationale saisie de se déclarer compétente pour connaître du recours visant à contester une décision de retour portant modification du pays de destination initial, en laissant, au besoin, inappliquée toute disposition nationale qui le lui interdirait.

  • Sur le motif d’irrecevabilité prévu par la réglementation hongroise

La Cour a examiné le motif d’irrecevabilité prévu par la réglementation hongroise et ayant justifié le rejet des demandes d’asile. Cette réglementation permet un tel rejet lorsque le demandeur est arrivé en Hongrie par un pays qualifié de « pays de transit sûr » dans lequel il n’est pas exposé à des persécutions ou à un risque d’atteintes graves, ou dans lequel est assuré un degré de protection adéquat. En rappelant sa jurisprudence récente, la Cour a affirmé qu’un tel motif est contraire à l’article 33 de la Directive « procédures » dans un tel cas, il ressort de la Directive « procédures », combinée notamment avec l’article 18 de la Charte, qui garantit le droit d’asile, que l’autorité ayant rejeté les demandes d’asile n’est pas tenue de les réexaminer d’office. Toutefois, les intéressés peuvent toujours déposer une nouvelle demande, qui sera qualifiée de « demande ultérieure », au sens de la Directive « procédures ».

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