La lettre juridique n°467 du 5 janvier 2012 : Responsabilité

[Chronique] Chronique de responsabilité professionnelle - Janvier 2012

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N9369BSS

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

le 05 Janvier 2012

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité professionnelle réalisée par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique, l'auteur a choisi, en premier lieu, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 15 décembre 2011, qui revient sur la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence et la responsabilité de l'avocat (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-24.550, F-P+B+I). En second lieu, l'auteur de cette chronique s'arrête sur un arrêt rendu le 4 novembre 2011 par la Cour de cassation qui rappelle que le notaire n'est, en principe, pas tenu à une obligation de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours (Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-19.942, F-P+B+I).
  • La modulation dans le temps des revirements de jurisprudence : les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer la faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence (Cass. civ. 1, 15 décembre 2011, n° 10-24.550, F-P+B+I N° Lexbase : A2907H88)

La question de savoir si un revirement de jurisprudence doit, ou non, s'appliquer rétroactivement n'est pas nouvelle. Sans doute est-il de l'essence de toute création prétorienne que la solution retenue par le juge, fût-elle novatrice, s'applique aux faits à propos desquels il a été saisi, par hypothèse, antérieurs à sa décision : la prohibition des arrêts de règlement (C. civ., art. 5 N° Lexbase : L2230AB9) le commande, lui interdisant de poser une règle générale qui n'aurait pas vocation à s'appliquer au litige pour lequel il a été saisi. Il reste, toutefois, qu'une telle application rétroactive produit, dans certains cas, des conséquences iniques et critiquables. La solution retenue par la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 9 octobre 2001 est, à cet égard, éloquente, puisqu'elle a consisté à admettre la responsabilité d'un médecin pour manquement à son devoir d'information en application d'une jurisprudence initiée en 1998, alors que les faits litigieux dataient de 1974 (1). D'autres arrêts avaient, depuis, paru exprimer "une évidente réticence face à la modulation dans le temps des revirements" (2), deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 11 juin 2009 ayant ainsi énoncé que "la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge" (3). Il fallait donc comprendre que la Cour de cassation exprimait là un refus de principe de moduler l'application dans le temps de la jurisprudence, pour n'admettre d'y déroger qu'en cas de privation du droit à l'accès au juge. Pourtant, un arrêt de la même première chambre civile du 15 décembre 2011, rendu dans une affaire dans laquelle la responsabilité d'un avocat était recherchée, paraît s'affranchir de cette position de principe et admettre la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence en dehors de la seule limite tirée de l'atteinte au droit à l'accès au juge.

En l'espèce, une société avait vendu à une autre des marchandises sous le bénéfice d'une clause de réserve de propriété. La société acquéreur ayant été mise en redressement judiciaire, puis en liquidation, la venderesse, assistée de son avocat associé au sein d'une SCP, avait alors revendiqué les marchandises auprès de l'administrateur judiciaire puis, celui-ci ayant rejeté cette demande, du juge-commissaire, sans d'ailleurs beaucoup plus de succès puisque sa demande avait été jugée forclose par une décision de la cour d'appel de Douai en date du 5 décembre 2002, devenue irrévocable à la suite d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 28 septembre 2004 (Cass. com., 28 septembre 2004, n° 03-11.876 N° Lexbase : A4828DD8), et ce au motif que le délai de distance prévu à l'article 643 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5814ICC) n'est pas applicable à la demande en revendication portée devant la juge-commissaire. C'est dans ce contexte que la société a engagé une action en responsabilité contre l'avocat et la SCP.

Les premiers juges l'ayant déboutée de sa demande indemnitaire, la société a formé un pourvoi en cassation en faisant valoir : d'une part, qu'engage sa responsabilité l'avocat et ou la structure au sein de laquelle il est actif qui, par son inaction ou son retard, prive son client d'une chance de faire valoir ses droits, ce qui en l'espèce serait le cas puisqu'il résulte du texte même de l'article 643 du Code de procédure civile que l'allongement des délais de procédure, au bénéfice des plaideurs éloignés de la juridiction compétence, n'est applicable qu'aux délais de comparution, d'appel, d'opposition, de recours en révision et de pourvoi en cassation, limitativement énumérés, et pas aux délais de prescription ou de forclusion relatifs à l'action en justice initiale et, partant, ne sont pas applicables à la requête en revendication ; et, d'autre part, que, à supposer même qu'un doute eut pu apparaître en ce qui concerne le délai applicable, la simple existence de ce doute, qui ne pouvait en toute hypothèse générer une certitude en l'état d'un texte clair et d'une jurisprudence antérieure en sens contraire (Cass. com., 18 décembre 1986, n° 85-13.242 N° Lexbase : A6441AAS), suffisait à justifier le respect de la décision la plus prudente pour conserver les intérêts du justiciable, en sorte qu'en prenant le parti contraire, l'avocat et sa structure auraient manqué à une obligation minimale de prudence, faisant perdre à son client toute chance de faire valoir ses droits.

Cette argumentation n'a cependant pas convaincu la Cour de cassation qui, pour rejeter le moyen (4), a décidé "que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence ; qu'ayant constaté que l'analyse juridique de l'avocat était conforme à la jurisprudence alors en vigueur [Cass., civ. 2, 26 février 1997, n° 94-19.233 (N° Lexbase : A0042ACK)], laquelle énonçait qu'aucune disposition de la loi du 25 janvier 1985 et du décret du 27 décembre 1985 ne faisait exception aux règles de l'article 643 du (nouveau) Code de procédure civile d'application générale à défaut de dérogation expresse, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire, en présence du revirement opéré par l'arrêt du 28 septembre 2004 précité, que le professionnel du droit n'avait pas commis de faute".

Il n'est, évidemment, pas question ici de redire que la responsabilité de l'avocat peut être recherchée en cas de faute consistant, au-delà du cas du manquement à son obligation d'information et de conseil, dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client : chargé de le représenter en justice en vertu du mandat qu'il a accepté, il doit, dans le cadre de l'activité judiciaire, accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, étant entendu que la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié (5). Par où l'on voit que l'avocat est tenu d'un devoir de contrôle qui consiste notamment à vérifier que l'action de son client est fondée et que les conditions de recevabilité de celle-ci sont réunies. Tout cela est parfaitement entendu. Mais en l'espèce, la question tenait au point de savoir si une faute pouvait sérieusement être reprochée à l'avocat. La difficulté venait, en effet, du fait que, au jour où il avait agi, il s'était semble-t-il conformé à la jurisprudence qui faisait, à cette époque, autorité, et dont on pouvait légitimement déduire que les augmentations de délais s'appliquaient à tous les cas où il n'y était pas expressément dérogé, ce qui n'était précisément le cas ni des dispositions de la loi du 25 janvier 1985, ni de celles du décret du 27 décembre 1985 (6). Or cette solution n'avait été abandonnée que postérieurement à la date des faits du litige, le revirement de jurisprudence n'ayant été opéré par la Cour de cassation qu'à la faveur d'un arrêt du 28 septembre 2004 (préc.).

En décidant, au cas présent, "que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure du droit consécutive à un revirement de jurisprudence", la solution, qui conduit par hypothèse à considérer la jurisprudence comme une source du droit ayant, comme telle, vocation à pouvoir modifier l'état du droit positif, réjouira certainement ceux qui, depuis quelques années, militent pour une modulation dans le temps des revirements de jurisprudence : stigmatisant les effets dévastateurs des revirements de jurisprudence, des auteurs ont, on le sait, proposé qu'ils ne puissent valoir que "pour l'avenir" (7). Un rapport du groupe de travail présidé par le Professeur Molfessis sur la question des revirements de jurisprudence a ainsi été remis au premier président de la Cour de cassation le 30 novembre 2004, suggérant que la Cour de cassation admette la possibilité de moduler dans le temps les effets des revirements de jurisprudence, en appréciant au cas par cas les situations et les motifs impérieux d'intérêt général justifiant cette modulation (8). Mais en dépit de quelques arrêts paraissant certes s'accorder avec cette analyse (9), notamment, pour l'un d'eux, dans une affaire dans laquelle était discutée la responsabilité d'un notaire et dont les termes de la solution sont exactement repris par l'arrêt du 15 décembre 2011 (10), la tendance semblait, appréciée globalement, plutôt inverse, en tout cas pour toutes les hypothèses dans lesquelles l'application de la solution jurisprudentielle nouvelle ne conduirait pas à une atteinte au droit à l'accès au juge (11). L'arrêt du 15 décembre 2011, envoyant un signal discordant dans ce qui semblait aujourd'hui rendre compte de l'état du droit positif, mérite en tout cas, sous cet aspect, d'être remarqué. La saga de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence n'est manifestement pas achevée...

  • Le notaire n'est, en principe, pas tenu à une obligation de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours (Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-19.942, F-P+B+I N° Lexbase : A5171HZK)

La vigueur du devoir d'information et de conseil qui pèse sur le notaire, comme d'ailleurs sur les professionnels en général, et les professionnels du droit en particulier, est incontestable. Au demeurant, l'importance du contentieux en la matière, dont les colonnes de cette revue se font régulièrement l'écho, exclut qu'on puisse en douter. Le constat est avéré : le notaire doit, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (12), en même temps qu'il doit éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'il authentifie (13). Par où l'on voit bien que son obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels il prête son concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. On n'ignore pas, sous cet aspect, que le notaire, tenu de s'assurer, en sa qualité de rédacteur de l'acte, de l'efficacité de celui-ci, doit vérifier la situation de l'immeuble au regard des exigences administratives (14) ou procéder à des recherches sur la situation des biens et, plus particulièrement, vérifier les origines de propriété de l'immeuble vendu (15), si bien que sa responsabilité se trouve engagée s'il s'est borné à reprendre d'un acte antérieur une origine de propriété qui s'est finalement révélée erronée (16). Ou bien encore, le notaire qui établit un acte de garantie hypothécaire doit s'assurer de l'efficacité de la sûreté qu'il constitue au regard de la situation juridique de l'immeuble et, le cas échéant, d'appeler l'attention du créancier sur les risques d'insuffisance du gage inhérents à cette situation (17). Naturellement, c'est à la jurisprudence que revient le soin de fixer la limite du devoir d'information et de conseil du notaire, dont on comprend bien qu'il est l'instrument lui permettant de satisfaire à son obligation d'assurer l'efficacité des actes (18). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2011, à paraître au Bulletin, mérite à cet égard d'être, au moins brièvement, signalé.

En l'espèce, à la suite de la résolution de la vente d'un fonds de commerce aux torts de la cessionnaire en raison de l'inexécution de ses obligations vis-à-vis de la cédante, en l'occurrence pour n'avoir pas effectué, auprès des organismes de financement, les diligences nécessaires au transfert sur elle des contrats de crédit afférents aux matériels équipant le fonds de commerce, la responsabilité du notaire qui avait reçu l'acte authentique de vente était recherchée, au motif, soutenait en tout cas la cessionnaire, non seulement qu'il ne l'avait pas averti des risques encourus en cas de défaut de transfert des contrats de crédit-bail, mais encore qu'il n'avait pas suffisamment attiré son attention sur le caractère déséquilibre de l'opération, autrement dit qu'il ne l'avait pas mise en garde contre le danger auquel elle s'exposait en acceptant des obligations qui se sont révélées dépasser ses facultés d'endettement. N'ayant été que partiellement suivie par les premiers juges, qui ont certes admis le principe de la responsabilité du notaire, mais considéré que le manquement de celui-ci n'avait concouru que pour moitié à la réalisation du dommage de la demanderesse, la faute de celle-ci étant, pour le reste, la cause du dommage, elle a formé un pourvoi en cassation, faisant essentiellement valoir que, conformément à l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), le notaire rédacteur d'un acte est tenu d'une obligation de conseil découlant de la nature même de ses fonctions dont il n'est pas dispensé par les compétences ou les connaissances personnelles de son client.

Aussi bien, selon le pourvoi, en retenant, pour déclarer la SCP notariale responsable du dommage subi par la demanderesse seulement à hauteur de 50 %, que l'acte de cession de fonds de commerce est un acte conclu entre commerçants et que la victime avait concouru à la réalisation de son dommage, en ce qu'elle aurait dû réaliser l'importance des obligations financières acceptées dépassant ses facultés de remboursement, la cour d'appel aurait refusé d'admettre que le notaire rédacteur de l'acte devait exécuter son devoir de conseil à son égard, étant entendu que, en dépit de sa qualité de commerçante, elle devait être avertie du risque de défaut de transfert des contrats de crédit-bail. La Cour de cassation rejette le pourvoi, en décidant que "la cour d'appel, qui n'a pas refusé d'admettre que le notaire, rédacteur de l'acte, devait exécuter son devoir de conseil à l'égard de Mme X quant au risque du défaut de transfert des contrats de crédit-bail, a retenu que cette dernière avait commis une faute en acceptant des engagements, qu'en sa qualité de commerçante elle pouvait savoir disproportionnés par rapport à sa capacité de remboursement ; que, partant, le notaire n'étant, en principe, pas tenu à une obligation de conseil et de mise en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours, elle a pu considérer que cette faute ainsi caractérisée avait contribué, comme celle qu'elle retenait à l'encontre de la SCP notariale, à la réalisation du préjudice né de la résolution de la vente du fonds de commerce et a, en conséquence, dans la proportion qu'elle a souverainement appréciée, exactement décidé, sans méconnaître l'objet du litige, le partage de responsabilité que postulait la demande subsidiaire de la SCP notariale de voir Mme X condamnée à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre".

On ne reviendra pas sur le devoir de conseil qui pèse sur le notaire et dont l'arrêt rappelle d'ailleurs le principe. C'est bien, au demeurant, ce qui a justifié que la SCP soit tenue, au moins pour partie, responsable du préjudice de la victime : le notaire qui a reçu l'acte authentique de vente du fonds de commerce aurait dû attirer l'attention des parties sur le risque du défaut de transfert des contrats de crédit-bail. A vrai dire, la cause était, à ce titre, parfaitement entendue. Ce qui, en revanche, pouvait susciter l'hésitation tenait au point de savoir s'il fallait considérer qu'il incombait également au notaire de mettre en garde le client contre les dangers économiques de l'opération. La question se pose d'autant plus que la jurisprudence retient, dans certaines hypothèses, un devoir de mise en garde à la charge du notaire : ainsi a-t-il été jugé qu'il est tenu d'éclairer les parties sur la portée et les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques, de l'acte auquel il prête son concours, et le cas échéant de le déconseiller (19). Se pourrait-il, franchissant un cap supplémentaire, qu'on attende du notaire qu'il s'immisce davantage encore dans le projet de son client, au point éventuellement de le dissuader d'entreprendre et de l'inciter à renoncer à l'opération ? Attendrait-on ainsi du notaire qu'il fasse montre de la même diligence que celle que requiert la jurisprudence du banquier dispensateur de crédit ou des prestataires de services d'investissement ? C'est là sans nul doute une question importante, qui déborde d'ailleurs le seul cadre de la responsabilité professionnelle du notaire, voire de l'avocat, mais qui intéresse, aussi bien d'un point de vue théorique que pratique, le droit commun des obligations. La jurisprudence a en tout cas manifestement entendu encadrer le devoir de conseil du notaire. On se souvient, pour l'avoir ici même commenté, qu'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 8 décembre 2009 avait jugé, sous le visa de l'article 1382 du Code civil, que "si le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours, il n'a pas à répondre, dès lors qu'ont été prises les mesures propres à garantir la bonne exécution du montage choisi, des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients" (20). Autrement dit, le notaire ne saurait être tenu des aléas financiers liés à l'opération boursière de ses clients, qui en connaissaient ou devaient en connaître les risques, solution que nous avions approuvé en relevant notamment que, d'un point de vue pratique, elle encourageait à la responsabilisation de ceux qui se livrent à des opérations risquées en connaissance de cause (21).

L'arrêt du 4 novembre 2011, certes rendu dans une affaire dans laquelle l'opération constatée par l'acte notarié n'était pas aléatoire comme l'est une opération boursière, participe pourtant bien de la même logique : la qualité de commerçante de la cessionnaire, qui impliquait qu'elle soit apte à percevoir le caractère disproportionné de l'engagement par rapport à ses facultés de remboursement, justifiait en définitive que le notaire soit dispensé de la mettre en garde en ce qui concerne l'opportunité économique de l'opération à laquelle il prête son concours. On peut raisonnablement en déduire que la solution aurait sans doute été différente si, inversement, le client n'avait pas eu cette qualité. Tout cela n'est évidemment pas sans rappeler la distinction à l'oeuvre en droit bancaire selon que le client est averti ou profane...


(1) Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564 (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249, D., 2001, p. 340, rapp. P. Sargos, et note D. Thouvenin.
(2) N. Molfessis, La Cour de cassation face à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, D., 2009, p. 2567.
(3) Cass. civ. 1, 11 juin 2009, n° 08-16.914 (N° Lexbase : A0517EIY), Bull. civ. I, n° 124.
(4) Le commentaire porte sur ce seul moyen, à l'exclusion de celui qui portait sur le point de savoir si la responsabilité de l'avocat ayant agi non à titre individuel, mais en tant que membre d'une SCP, pouvait être recherchée. La Cour de cassation casse en effet la décision des juges du fond qui avaient accueilli la fin de non-recevoir soulevée par l'avocat, la Haute juridiction énonçant, sous le visa de l'article 16, alinéas premier et deuxième, de la loi du 29 novembre 1966 modifiée, relative aux sociétés civiles professionnelles (N° Lexbase : L3146AID), que "aux termes de ce texte, que chaque associé répond, sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit et que la société civile professionnelle est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes ; qu'il en résulte que l'action en responsabilité peut indifféremment être dirigée contre la société ou l'associé concerné, ou encore contre les deux". Comp., à propos non plus d'un associé mais d'un avocat collaborateur, nos obs. sous Cass. civ. 1, 17 mars 2011, n° 10-30.283, FS-P+B+I (N° Lexbase : A2317HCS), in Lexbase Hebdo n° 74 du 5 mai 2011 - édition professions (N° Lexbase : N1384BS3).
(5) Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(6) Cass., civ. 2, 26 février 1997, n° 94-19.233 (N° Lexbase : A0042ACK), Bull. civ. II, n° 60.
(7) Ch. Mouly, Le revirement pour l'avenir, JCP éd. G, 1994, I, 3776.
(8) Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à Monsieur le Premier Président Guy Canivet, Litec, 2005.
(9) Cass. com., 13 novembre 2007, n° 05-13.248, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5843DZG).
(10) Cass. civ. 1, 25 novembre 1997, préc..
(11) Ass. plén., 21 décembre 2006, n° 00-20.493, P+B+R+I (N° Lexbase : A0788DTD), D., 2007, p. 835, note P. Morvan ; Cass. civ. 1ère, 11 juin 2009, préc..
(12) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(13) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(14) Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758, FS-P+B (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (en l'espèce vérification de la commercialité de l'immeuble compte tenu de l'exigence d'un périmètre de protection autour) ; Cass. civ. 3, 23 septembre 2009, n° 07-20.965, FS-P+B (N° Lexbase : A3375ELL), Bull. civ. III, n° 201.
(15) Cass. civ. 1, 12 décembre 1995, n° 93-18.753 (N° Lexbase : A7976ABZ), Bull. civ. I, n° 459.
(16) Cass. civ. 1, 12 février 2002, n° 99-11.106 (N° Lexbase : A9928AXY), Bull. civ. I, n° 54.
(17) Cass. civ. 1, 5 octobre 1999, n° 97-145.45, publié (N° Lexbase : A2322CG4). Voir déjà, auparavant, Cass. civ. 1, 30 juin 1987, n° 85-17.737 (N° Lexbase : A1369AH8). Comp. Cass. civ. 1, 16 octobre 2008, n° 07-14.695, F-P+B (N° Lexbase : A8018EA9) décidant que le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours, doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution, dont, quelles que soient ses compétences personnelles, le client concerné se trouve alors déchargé.
(18) Voir en ce sens, très explicite, l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 avril 1981 : Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(19) Cass. civ. 1, 13 décembre 2005, n° 03-11.443, FS-P+B (N° Lexbase : A0335DMD), Bull. civ. I, n° 496 ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831, FS-P+B (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(20) Cass. civ. 1, 8 décembre 2009, n° 08-16.495, FS-P+B (N° Lexbase : A4385EP4).
(21) Nos obs. Le notaire n'a pas à répondre des aléas financiers liés à la conjoncture boursière acceptés par ses clients, Lexbase Hebdo n° 20 du 25 février 2010 - édition professions (N° Lexbase : N2453BN8).

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