Le Quotidien du 11 mai 2020 : Droit pénal spécial

[Brèves] Protection de la vie privée : quid de l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne placée en garde à vue ?

Réf. : Cass. crim., 21 avril 2020, n° 19-81.507, FS-P+B+I (N° Lexbase : A17603LR)

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

le 27 Mai 2020

► La Chambre criminelle retient dans cet arrêt que d’une part, l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne placée en garde à vue est susceptible de constituer une atteinte à l’intimité de sa vie privée au sens de l’article 226-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2092AMG), et d’autre part, qu’une personne faisant l’objet d’une garde à vue n’est pas en mesure de s’opposer à cet enregistrement ;

dès lors, encourt la cassation l’arrêt d’appel qui, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu, a retenu, notamment, que les images et paroles d’une personne placée en GAV ne relevaient pas de l’intimité de la vie privée.

C’est ainsi que s’est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt relatif à la garde à vue et à la protection de la vie privée (Cass. crim., 21 avril 2020, n° 19-81.507 N° Lexbase : A17603LR).

Résumé des faits. Des époux ont porté plainte auprès du procureur de la République des chefs de violation du secret professionnel et du secret de l’instruction après la diffusion sur la chaîne W9, d’un reportage intitulé « Prostitution : les nouvelles esclaves du trottoir, les nouveaux visages de la prostitution », qui retraçait les investigations menées sur les réseaux de prostitution asiatique dans le sud de Paris et notamment la surveillance de l’hôtel, géré par les intéressés, où les prostituées effectuaient leurs prestations. Le reportage présentait, notamment, la garde à vue de l’épouse, intervenue à la suite de l’interpellation de l’intéressée pour des faits de proxénétisme aggravé, laquelle a déclaré avoir été reconnue par des tiers, notamment par sa voix, à la suite de la diffusion du film. Les auteurs du reportage avaient anonymisé les lieux et les personnes.

La plainte des requérants a été classée sans suite. Ils ont porté plainte et se sont constitués partie civile auprès du juge d’instruction des chefs précités, leur avocat faisant en outre valoir, par une note, qu’il avait été porté atteinte à l’intimité de la vie privée de la requérante. Le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu. Les parties civiles ont interjeté appel de cette décision.

En cause d’appel. La cour d’appel confirme l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction et écarte l’argumentation de la requérante qui soutenait que le délit incriminé à l’article 226-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2092AMG) était constitué. La chambre de l’instruction retient que les images et paroles d’une personne interpellée par les services de police puis interrogée au cours de sa garde à vue ne relèvent pas de l’intimité de la vie privée au sens de ce texte. Elle ajoute qu’aucun élément du dossier n’indique que les conditions de la garde à vue de la requérante, qui a nécessairement vu la caméra, lui ôtaient la possibilité de faire valoir son opposition à l’enregistrement.

Les requérants ont formé un pourvoi.

Décision. Par cet arrêt du 21 avril 2020, la Chambre criminelle casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa de l’article 226-1 du Code pénal.

Elle rappelle que ce texte incrimine le fait, au moyen d’un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, en enregistrant des paroles prononcées à titre confidentiel sans le consentement de leur auteur, ou en fixant sans son consentement l’image d’une personne se trouvant en un lieu privé. Elle précise également que lorsque l’acte est accompli au vu et au su de la personne intéressée, son consentement est présumé si elle ne s’y est pas opposée, alors qu’elle était en mesure de le faire.

La Chambre criminelle considère que la chambre de l’instruction a méconnu le sens et la portée du texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé dans la mesure où, d’une part, l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne placée en garde à vue est susceptible de constituer une atteinte à l’intimité de sa vie privée, et d’autre part, une personne faisant l’objet d’une garde à vue n’est pas en mesure de s’opposer à cet enregistrement.

Rappel législatif. Pour mémoire, s’agissant de la vie privée au sens strict, c'est la loi du 17 juillet 1970 qui a dans le même temps créé l’article 9 du Code civil (N° Lexbase : L3304ABY) et inséré dans le Code pénal de nouvelles infractions, aujourd'hui codifiées aux articles 226-1 et suivants. L’article 226-1 du Code pénal en est l’article central, les articles 226-2 (N° Lexbase : L2241AMX) à 226-3-1 (N° Lexbase : L6208LLI) le précisant et le complétant.

Étendue du concept de vie privée. Le concept de vie privée renvoie à tout ce qui n’est pas public. Il peut s’agir de l’état de santé, de la vie familiale et amoureuse, des coordonnées, des vacances, des activités sportives et des loisirs, mais également de la garde à vue comme en témoigne l’arrêt en présence. La Chambre criminelle affirme en effet que l’enregistrement de la parole ou de l’image d’une personne placée en garde à vue est susceptible de constituer une atteinte à l’intimité de sa vie privée. 

Consentement. La personne protégée ne doit pas avoir donné son consentement, explicite ou implicite. Il est à cet égard précisé par le dernier alinéa de l’article 226-1 du Code pénal que : « Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé. » A cet égard, l’arrêt du 21 avril 2020 précise qu’une personne faisant l’objet d’une garde à vue n’est pas en mesure de s’opposer à cet enregistrement.

Pour aller plus loin :

Cf. ETUDE : L’atteinte à la vie privée, La captation, l'enregistrement et la transmission de paroles ou d'images, Droit pénal spécial, (dir. J.-B. Perrier), Lexbase (N° Lexbase : E5961EX3)

Et E. Raschel, ETUDE : Les responsabilités en droit de la presse, La protection de la vie privée, Droit de la presse, Lexbase (N° Lexbase : E6330Z8X)

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