La lettre juridique n°761 du 15 novembre 2018 : Rupture du contrat de travail

[Jurisprudence] Premier éclairage sur le contrôle administratif des accords de rupture conventionnelle collective

Réf. : TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099 (N° Lexbase : A9471YHA)

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N6218BXL

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par Magali Gadrat, Maître de conférences à l'Université Paris XIII

le 14 Novembre 2018

Rupture conventionnelle collective • contrôle administratif

 

Résumé :   

    

Un accord de RCC peut être conclu dans un contexte de difficultés économiques dès lors que l’accord contient un engagement de ne pas prononcer de licenciements pour motif économique pendant les douze mois suivant les premiers départs, ce qui exclut toute volonté de contourner le droit du licenciement pour motif économique

 

Le non-respect du délai d’information de la Direccte sur l’ouverture de négociations relatives à un accord portant RCC n’entraîne pas, en principe, la nullité de la décision administrative de validation de l’accord.

 

Le comité d’entreprise et le CHSCT (pas plus que le CSE s’il existe) n’ont pas à être légalement consultés lors de la négociation d’un accord portant RCC.

 

La Direccte doit simplement s’assurer de la présence dans l’accord des clauses rendues obligatoires par la loi, sans en contrôler le contenu et notamment pas le fait qu’elles respectent le principe d’égalité de traitement.

 

L’ordonnance n° 2017-1387 du 23 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail [1] a créé un nouveau mode de rupture du contrat de travail : la rupture conventionnelle collective (RCC) [2], qui s’inspire du régime des «plans de départs volontaires autonomes», id est des plans de départ volontaires exclusifs du prononcé de licenciements pour atteindre l’objectif de suppressions d’emplois fixé par l’employeur [3], plans de départs volontaires autonomes auxquels la RCC ne se substitue pas [4]. En effet, selon le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance, «les plans de départs volontaires qui inspirent la mesure représentent aujourd'hui environ 13 % des plans de sauvegarde de l'emploi. Dans la mesure où cela permet de limiter le nombre de licenciements contraints et d'encourager les projets professionnels et personnels des salariés, le développement du recours au volontariat doit être encouragé» [5], ce qui implique, selon les rédacteurs de l’ordonnance, une clarification des règles applicables, raison pour laquelle a été instituée la rupture conventionnelle collective. Cette rupture repose sur la combinaison d’un accord collectif portant rupture conventionnelle collective qui doit être validé par la Direccte (à l’instar des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) conventionnels [6]) et d’un accord individuel de rupture. La RCC ne relève ni du régime du licenciement pour motif économique [7], ni de celui de la rupture conventionnelle telle que prévue par les articles L. 1237-11 (N° Lexbase : L8512IAI) et suivants du Code du travail [8].

 

Pour que des ruptures d’un commun accord fondées sur un accord portant rupture conventionnelle collective puissent être prononcées, l’accord doit au préalable avoir été validé par la Direccte [9]. Pour la première fois, dans un jugement du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise se prononce sur le contrôle auquel doit se livrer l’administration pour valider un tel accord. Il ressort de cette décision non seulement que l’employeur peut décider de recourir à la RCC en présence de difficultés économiques, sans pour autant être soumis au droit du licenciement pour motif économique, mais également que le contrôle de l’administration est un simple contrôle de légalité ; le tribunal ayant vraisemblablement décidé de ne pas ajouter de contraintes supplémentaires aux conditions et critères légaux afin de ne pas entraver le recours à ce nouveau mode de rupture. En l’espèce, la Direccte a validé un accord portant RCC conclu le 2 mai 2018 au sein d’une société, décision dont l’annulation était sollicitée par un syndicat non signataire de l’accord, le CHSCT de l’un des sites de l’entreprise [10] et un salarié. Le tribunal administratif rejette l’ensemble des arguments développés par les requérants pour tenter d’obtenir l’annulation de la décision de validation de l’accord de RCC. Ainsi, le tribunal estime-t-il que la Direccte peut valider un accord de RCC conclu en présence de difficultés économiques dès lors que celui-ci ne constitue pas un contournement du droit du licenciement pour motif économique et de l’obligation de mettre en place un PSE, ce qui ressortait en l’espèce, selon le tribunal, du fait que l’accord prévoyait qu’aucun licenciement pour motif économique ne serait prononcé dans les douze mois suivant les premières ruptures volontaires (I). En outre, le tribunal estime que le fait que l’administration ait été informée «tardivement» de l’ouverture des négociations relatives à la RCC ne saurait entraîner la nullité de sa décision de validation de l’accord de RCC (II). De même, le tribunal affirme que le fait que le comité d’entreprise et le CHSCT n’aient pas été informés et consultés au titre de leurs compétences générales, ne saurait entacher de nullité la décision de validation de l’accord, dans la mesure où aucune consultation de ces instances n’est prévue dans le cadre de la négociation d’un accord de rupture conventionnelle (III). Enfin, et c’est là sans doute le point le plus discutable de cette décision, le tribunal administratif estime qu’il appartient simplement à la Direccte, saisie d’une demande de validation d’un accord portant RCC, de s’assurer de la présence dans l’accord des clauses prévues par l’article L. 1233-19-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1141H97), sans pour autant en contrôler le contenu. Ainsi, seule la présence des clauses relatives au traitement des candidatures au départ volontaires doit être vérifiée par l’administration, le fait qu’elles soient, selon les requérants, contraires au principe d’égalité, n’ayant pas à être examiné par la Direccte et ne pouvant, dès lors, justifier l’annulation de sa décision de validation de l’accord de RCC (IV).

 

 

I - La possible conclusion d’un accord portant RCC en présence de difficultés économiques

 

Les requérants soutenaient que la décision de validation de l’accord portant RCC devait être annulée en ce que les suppressions d’emploi prévues par l’accord reposaient sur un motif économique et qu’en concluant un accord de RCC, l’employeur avait contourné le droit du licenciement pour motif économique et notamment l’obligation d’élaborer un PSE dont les mesures d’accompagnement auraient été plus favorables que celles prévues par l’accord en application de l’article L. 1237-19-1, 7°, du Code du travail (N° Lexbase : L1460LKB). Cette argumentation est rejetée par le tribunal administratif qui estime que «si les requérants soutiennent que les suppressions de poste envisagées dans le cadre de l'accord collectif reposent sur un motif économique, cette seule circonstance, à la supposer établie, n'était pas, en elle-même, de nature à imposer la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, dès lors que, conformément aux dispositions de l’article L. 1237-19 du Code du travail (N° Lexbase : L7978LGL), il ressort des stipulations de l'accord collectif, et en particulier de son article 3, que la direction de la société X a expressément pris 1'engagement de ne procéder à aucun licenciement pendant une période de douze mois suivant les premiers départs réalisés en application du même accord ; que ce délai raisonnable est de nature à établir 1'absence de contournement des règles relatives au licenciement pour motif économiqu[11].

 

Ainsi, le tribunal administratif estime qu’un accord de RCC peut être conclu dans une entreprise connaissant des difficultés économiques, sans pour autant que le droit du licenciement pour motif économique n’ait à être respecté dès lors que l’accord ne traduit pas une volonté de l’éluder, ce qui ressort, en l’espèce, d’un engagement de maintien de l’emploi pendant un délai de douze mois à compter des premiers départs. Cette solution ne saurait surprendre, en ce que l’article L. 1233-3 (N° Lexbase : L1446LKR), in fine, du Code du travail dispose expressément que les dispositions du chapitre relatif au licenciement pour motif économique sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant d’une cause économique à l’exception notamment de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord de RCC. A contrario, ce texte signifie donc que des ruptures d’un commun accord fondées sur un motif économique peuvent intervenir dans le cadre d’un accord de RCC, sans que l’employeur ne soit tenu de respecter le droit du licenciement pour motif économique.

 

Il convient, toutefois, de réserver l’hypothèse de la fraude, id est de la conclusion d’un accord de RCC afin de contourner le droit du licenciement pour motif économique. A ce titre, l’administration du travail estime que bien que la loi ne le précise pas, l’engagement de maintien de l’emploi doit expressément figurer dans l’accord [12], ainsi que la durée de mise en œuvre de la RCC [13], et estime qu’il est peu probable qu’un accord de RCC puisse être conclu si le projet de suppression d’effectif implique en réalité, à très court terme, la suppression de l’emploi de salariés qui ne veulent ou ne peuvent quitter l’entreprise dans le cadre de la RCC [14].

 

A ce titre, le tribunal administratif estime que l’engagement pris dans l’accord de ne procéder à aucun licenciement pendant les douze mois suivant les premiers départs démontre que la société n’a pas, en l’espèce, tenté de contourner les règles du licenciement pour motif économique. Ainsi, il semble que si un accord de RCC peut valablement être conclu dans un contexte de difficultés économiques, il est indispensable que la durée de l’engagement du maintien de l’emploi soit «raisonnable» pour que l’accord ne constitue pas une fraude au droit du licenciement pour motif économique ; ce qui justifierait, dans une telle hypothèse, le refus par l’administration de valider l’accord ou l’annulation de sa décision de validation. Reste à déterminer ce que constitue un délai raisonnable… Est-ce qu’un engagement de maintien de l’emploi dans un accord de RCC sur sept ou huit mois serait suffisant à démontrer l’absence de fraude au droit du licenciement pour motif économique ? Il semble, à notre sens, que la réponse devrait être négative, mais il convient d’attendre une prise de position claire de la jurisprudence sur ce point.

 

Par ailleurs, il convient de souligner que le tribunal administratif affirme que la circonstance invoquée par les requérants selon laquelle l'accompagnement des salariés prévu par l’accord de RCC serait moins favorable que celui qui aurait dû être prévu dans le cadre d'un PSE, à la supposer établie, est sans incidence sur la légalité de la décision de validation contestée. La Direccte n’a, en effet, pas à se livrer à un contrôle du choix opéré par l’employeur pour réorganiser son entreprise entre un accord de RCC ou la mise en œuvre d’un grand licenciement collectif accompagné d’un PSE, ce qui n’est qu’une réminiscence de la théorie de «l’employeur seul juge» [15], illustrée notamment par l’arrêt «SAT» rendu en 2000 par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation [16].

 

De ce fait, le jugement affirme ainsi, en filigrane, que la Direccte ne doit se livrer qu’à un contrôle de légalité et en aucun cas d’opportunité, ce qui ressortait des travaux parlementaires relatifs à la loi de ratification des ordonnances [17]. Ainsi, si en application de l’article L. 1237-19-3 (N° Lexbase : L1458LK9), la Direccte doit s’assurer de la présence dans l’accord de RCC de mesures précises et concrètes visant à faciliter l'accompagnement et le reclassement externe des salariés sur des emplois équivalents, telles que le congé de mobilité, des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion ou des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés, ce qui était le cas en l’espèce, elle n’a pas à en apprécier la pertinence, à l’instar du contrôle allégé dont sont l’objet les PSE adoptés par accord collectif, dont la Direccte n’a pas à contrôler la proportionnalité aux moyens de l’entreprise, du groupe ou de l’UES [18].

 

En tout état de cause, il ressort d’une lecture a contrario de ce jugement et des préconisations de l’administration [19] que si la durée d’engagement de maintien de l’emploi avait été trop courte et avait mis en exergue la volonté de la société de contourner le droit du licenciement pour motif économique, la Direccte n’aurait pas dû valider l’accord, et sa décision aurait pu être annulée sur ce fondement. Ainsi, s'il s'avère que l'employeur détourne le dispositif de RCC de sa finalité afin de contourner l'obligation de mettre en place un PSE (en particulier si les salariés font l'objet de pressions avérées pour obtenir leur consentement), les juges pourraient considérer qu'il s'agit en réalité d'un licenciement économique déguisé et l'employeur pourrait se voir infliger de lourdes sanctions à la fois civiles (nullité des ruptures) et pénales (amende de 3 750 euros prononcée autant de fois qu'il y a de salariés licenciés ; C. trav., art. L. 1238-4 N° Lexbase : L1422H9K) [20].

 

II - L’indifférence de principe du respect du délai d’information de la Direccte

 

En application de l’article L. 1237-19, l'administration est informée sans délai de l'ouverture d'une négociation d’un accord de RCC, l’article D. 1237-7 (N° Lexbase : L6861LHL) précisant même que l’employeur doit informer le Direccte «de son intention d'ouvrir une négociation en application de l'article L. 1237-19». Il ressort donc de ces textes qu’avant même l’ouverture des négociations d’un accord de RCC, l’employeur doit informer la Direccte. A ce titre, les requérants estimaient, en l’espèce, que la décision de validation de l’accord portant RCC devait être annulée en ce qu’alors que les négociations avaient débuté le 10 janvier, l’employeur n’avait informé la Direccte qu’à compter du 1er février. Cette argumentation n’a pas été retenue par le tribunal administratif qui affirme, d’une part, que «l'observation du délai d'information imparti par les dispositions précitées n'est pas prescrite à peine de nullité de la procédure» [21] et, d’autre part, que ce délai «a pour objet principal de permettre à l'administration du travail d'exercer un suivi de la négociation collective, ainsi que de procéder, […] à la désignation du [Direccte territorialement] compétent» [22]. S’il affirme que le non-respect du délai d’information de la Direccte ne saurait entraîner l’annulation de la décision de validation de l’accord de RCC, le tribunal administratif émet, toutefois, une réserve laissant supposer que tel n’aurait pas été le cas si les requérants avaient démontré que le non respect de ce délai avait «eu pour conséquence de porter atteinte à une garantie de procédure ou [avait] exercé une influence sur le sens de la décision litigieuse» [23]. Dans la mesure où une telle démonstration semble, en pratique, quasi-impossible, l’argument du non-respect du délai d’information de la Direccte pour justifier l’annulation de la décision de validation d’un accord de RCC devrait être toujours rejeté.

 

III - L’absence d’obligation de consulter les représentants du personnel sur l’accord de RCC

 

Les requérants estimaient, en outre, en l’espèce, que la décision de validation de la Direccte devait être annulée en ce que ni le comité d’entreprise, ni le CHSCT, n’avaient été consultés au titre de leurs compétences générales. Le tribunal administratif rejette, fort logiquement, cette argumentation. En effet, aux termes de l’article L. 1237-19-3, la Direccte doit simplement s’assurer du respect de la procédure d’information du comité social et économique (CSE) -étant précisé qu’en l’absence de CSE, ses prérogatives en matière de RCC sont dévolues au comité d’entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel [24] (à l’exclusion donc du CHSCT)- telle qu’elle doit être définie dans l’accord portant RCC en application de l’article L. 1237-19-1, 1° du Code du travail. Dans la mesure où depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi (N° Lexbase : L2618KG3), dite «loi Rebsamen», le comité d’entreprise n’a plus a être consulté sur les projets d’accord collectif [25], cette loi ayant mis fin à la jurisprudence «EDF» [26], à l’instar du CSE en application de l’article L. 2312-14 du Code du travail (N° Lexbase : L8247LGK), l’argument développé par les requérants semblait voué à l’échec. Ainsi, le tribunal administratif souligne-t-il que la Direccte a bien pris le soin de s’assurer que les deux réunions d’information du comité d’entreprise, prévues par l’accord de RCC du 2 mai 2018, s’étaient bien tenues, avant de valider l’accord [27]. Si aucune consultation des représentants du personnel n’est légalement imposée du fait de la conclusion d’un accord de RCC, rien n’empêche, en revanche, les parties de prévoir dans le cadre de l’accord, outre leur information (légalement imposée), leur consultation en en définissant les modalités et conditions ; hypothèse dans laquelle, s’ils ne sont pas consultés, la Direccte devrait rejeter la demande de validation de l’accord de RCC, faute que ses stipulations aient été respectées. Il convient d’indiquer que cette solution semble conforme à la Directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L9997AUS) qui exige une consultation des représentants des travailleurs en cas de grand licenciement collectif et dont l’article 1er dispose que pour le calcul du nombre de licenciements déclenchant l’application de la Directive, il convient d’assimiler aux licenciements d’autres formes de cessation du contrat de travail intervenues à l’initiative de l’employeur, la Directive ne s’appliquant que «pour autant que les licenciements soient au moins au nombre de cinq» [28], ce qui ne saurait être le cas en présence d’un accord de RCC, par essence exclusif du prononcé de tout licenciement.

 

IV - Le contrôle de la seule présence de clauses relatives au traitement des candidatures, à l’exclusion de celui de leur contenu

 

L’accord portant RCC doit impérativement contenir, en application de l’article L. 1237-19-1 du Code du travail, différentes clauses relatives au traitement des candidatures au départ volontaire dans le cadre de l’accord de RCC, qu’il s’agisse de stipulations relatives aux «conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier» [29], aux «modalités de présentation et d'examen des candidatures au départ des salariés» [30] ou encore aux «critères de départage entre les potentiels candidats au départ» [31]. En l’espèce, les requérants ne niaient pas la présence de ces clauses dans l’accord portant RCC, mais estimaient que les stipulations fixant les modalités de validation des candidatures à la procédure de RCC ainsi que les critères de départage entre salariés en cas de pluralité de demandes de départ sur un même poste, étaient contraires au principe d'égalité, et qu'ainsi l'administration avait entaché sa décision d'une erreur d'appréciation en procédant à la validation de l'accord, justifiant dès lors, selon eux, l’annulation de sa décision. Là encore, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ne retient pas cette argumentation, en ce qu’il estime que l’article L. 1237-19-3 du Code du travail, relatif au contrôle administratif précédant la validation (ou le refus de validation) de l’accord de RCC, impose uniquement à la Direccte de s’assurer de la seule présence des clauses prévues par l’article L. 1237-19-1 et non de leur contenu, interprétant ainsi littéralement et restrictivement ce texte. Le tribunal affirme à ce titre qu’«il n'appartenait pas à l'administration de contrôler les modalités de mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective fixées par l'accord collectif et librement négociées entre l'employeur et les organisations syndicales, mais seulement de s'assurer de la présence des clauses prévues à l'article L. 1237-19-1 du Code du travail ; que la décision contestée précise que l'accord inclut l'ensemble de ces clauses ; qu'en particulier, il ressort des termes de la décision attaquée que l'administration a vérifié la présence dans l'accord collectif des clauses portant sur les conditions que doit remplir le salarié pour pouvoir bénéficier de la rupture conventionnelle (3o), sur les modalités de présentation et d'examen des candidatures au départ des salariés (4o), sur les critères de départage entre les potentiels candidats au départ (6o) et enfin sur les modalités de suivi de la mise en œuvre effective de l'accord portant rupture conventionnelle collective (8o) ; qu'en définitive, l'administration a validé l'accord collectif du 2 mai 2018 après avoir effectué, de manière exhaustive et adéquate, le contrôle administratif qu'il lui appartenait d'exercer en application du 2o de l’article L. 1237-19-3 du Code du travail» [32].

 

Sur ce point, la décision du tribunal administratif semble critiquable. En effet, l’administration du travail estime, pour sa part, que si «un accord de RCC peut définir les types d'activités et postes sur lesquels les mesures de départs volontaires sont envisagées, de telles [stipulations] sont licites si elles respectent le principe d'égalité de traitement et si les règles déterminant les salariés éligibles au départ volontaire sont préalablement définies et objectives. L'administration [doit s’assurer] à ce titre que les critères de sélection des candidats au départ sont clairement définis et tiennent compte autant que possible de la viabilité du projet professionnel du salarié» [33]. Certes, les raisons pour lesquelles, en l’espèce les requérants estimaient que les stipulations relatives au traitement des candidatures à la RCC étaient contraires au principe d’égalité de traitement ne sont pas portées à notre connaissance, et bien que l’article L. 1237-19-3 enjoigne simplement à la Direccte de s’assurer de la seule «présence» de ces clauses, il semble toutefois que la Direccte ne devrait pas pouvoir valider un accord de RCC contraire au principe de l’égalité de traitement ou contenant des clauses discriminatoires, comme le souligne d’ailleurs l’administration [34].

 

De ce point de vue, il semble possible que la position du tribunal administratif soit censurée par le Conseil d’Etat qui déciderait d’appliquer les préconisations de l’administration quant au contrôle par la Direccte du respect du principe de l’égalité de traitement par l’accord de RCC [35]. Pour autant, il n’est pas certain qu’il retienne une telle interprétation et pourrait, à l’instar de la Cour de cassation, estimer que les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d'une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d'accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées, de sorte qu'il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu'elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle [36]. Le Conseil d’Etat pourrait ainsi décider que les différences de traitement entre salariés s’agissant des potentiels candidats à l’accord de RCC instaurées par accord collectif seraient présumées justifiées, confirmant ainsi, en quelque sorte, la position du tribunal administratif, tout comme en matière de PSE les mesures de reclassement internes et externes prévues dans un plan adopté par accord collectif n’ont pas à faire l’objet d’un contrôle administratif de proportionnalité [37]

 

La position du Conseil d’Etat sur cette question est donc particulièrement attendue…

 

 

 

[1] Ordonnance n° 2017-1387 du 23 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail (N° Lexbase : L7629LGN), JORF, 24 septembre 2017.

[2] Sur ce dispositif, v. not. P. Morvan, La salade des ruptures conventionnelles, Dr. soc., 2018, p. 26 ; L. Marquet de Vasselot et A. Martinon, JCP éd. S, 2017, 1312 ; J.-M. Mir et F. Aknin, JCP éd. S, 2017, 1317 ; R. Dalmasso, Dr. ouvr., 2017, 649 ; G. Loiseau, SSL, 2017, n° 1788, p. 9 ; F. Géa, Un nouveau droit du licenciement économique ?, RDT, 2017, p. 636.

[3] Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-15.187, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6142GCH), Bull. civ. V, n° 245, D., 2010, 2653, obs. L. Perrin ; ibid., 2011, 1246, obs. G. Borenfreund, E. Dockès, O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, T. Pasquier, I. Odoul-Asorey et M. Sweeney ; Dr. soc., 2010, 1164, note F. Favennec-Héry ; RDT, 2010, 704, étude F. Géa ; SSL, 2010, n° 1465, p. 8, rapp. P. Bailly ; JCP éd. S, 2010, 1483, note G. Loiseau.

[4] V. le Questions-Réponses sur la rupture conventionnelle collective, mis en ligne sur le site du ministère du Travail le 19 avril 2018.

[5] Rapport au Président de la République sur l’ordonnance n° 2017-1387 du 23 septembre 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, JORF, 24 septembre 2017.

[6] C. trav., art. L. 1233-57-2 (N° Lexbase : L8609LGX) ; les PSE unilatéraux doivent quant à eux être homologués par la Direccte et sont l’objet à ce titre d’un contrôle «plus approfondi» en application de l’article L. 1233-57-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8608LGW).

[7] C. trav, art. L. 1233-3 (N° Lexbase : L1446LKR), in fine.

[8] C. trav., art. L. 1237-16 (N° Lexbase : L1461LKC).

[9] C. trav., art. L. 1237-19-3 (N° Lexbase : L1458LK9) et s..

[10] A ce titre, il est intéressant de souligner qu’alors que la société défenderesse arguait de l’irrecevabilité de la demande du CHSCT, le tribunal administratif ne se prononce pas sur cette question. Or, il semble que, si cette irrecevabilité était soulevée devant le Conseil d’Etat celui-ci devrait considérer que le CHSCT n’a pas qualité à agir en contestation d’une décision de validation administrative d’un accord de rupture conventionnelle collective (RCC) dans la mesure où, d’une part, alors même que, en l’absence de comité social et économique (CSE), sa consultation est prévue en cas de projet de grand licenciement collectif dans une entreprise employant au moins 50 salariés, le Conseil d’Etat estime que le CHSCT ne peut contester la décision d’homologation/validation administrative du projet et du PSE qui l’accompagne (CE, 4° et 5° s-s-r., 21 octobre 2015, n° 386123, mentionné au recueil Lebon N° Lexbase : A0765NUU), et où, d’autre part, sa consultation n’est pas prévue au titre de la RCC, l’article 40, III, de l’ordonnance n° 2017-1387, du 22 septembre 2017, précitée, précisant qu’en l’absence de CSE, ses compétences en matière de RCC sont exercées par le comité d’entreprise, ou à défaut par les délégués du personnel.

[11] TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099 (N° Lexbase : A9471YHA), cons. 14.

[12] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[13] Dont l’administration souligne le caractère essentiel, puisque, pendant ce délai, aucun licenciement pour motif économique ne peut être prononcé par l’employeur ; v. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[14] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[15] Cass. soc., 15 janvier 1960, Bull. civ. V, n° 49 : «l’employeur […] est seul juge de savoir quels sont les salariés qu’il doit conserver dans l’intérêt de son entreprise» ; en ce sens déjà, Cass. soc.,  31 mai 1956, «Brinon», n° 56-04.323, publié (N° Lexbase : A6403CKD), JCP, 1956, II, 9397, note P. Esmein ; D., 1958, p. 21, note G. Levasseur ; Cass. soc., 27 janvier 1971, n° 70-40.120, publié (N° Lexbase : A1411CKH), Bull. civ. V, n° 54 ; Cass. soc., 18 décembre 1972, n° 72-40.068, publié (N° Lexbase : A0702CIT), Bull. civ. V, n° 695.

[16] Ass. plén., 8 décembre 2000, “SAT”, n° 97-44.219 (N° Lexbase : A0328AUP), Bull. Ass. pl., n° 11 ; GADT, 4ème éd., n° 115 ; Dr. soc., 2001, p. 126, concl. P. de Caigny, note A. Cristau ; JCP éd. E, 2001, p. 426, note F. Duquesne ; RJS, 2001, p. 567, chron. P. Waquet ; A. Jeammaud et M. Le Friant, Du silence de l’arrêt «SAT» sur le droit à l’emploi, Dr. soc., 2001, p. 417 ; G. Couturier, Licenciement économique : choix de l’employeur et contrôle du juge, Liais. soc. mag., février 2001, p. 58 ; P.-H. Antonmattei, Le motif économique de licenciement : les limites du contrôle judiciaire, RJS, 2001, p. 95.

[17] V. Rapport n° 194 (2017-2018) de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, déposé le 20 décembre 2017, III, 7, c.

[18] C. trav., art. L. 1233-57-2 (N° Lexbase : L8609LGX).

[19] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[20] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[21] TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099, préc., cons. 5.

[22] TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099, préc., cons. 5.

[23] TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099, préc., cons. 5.

[24] Ordonnance n° 2017/1387 du 22 septembre 2017, préc., art 40, III.

[25] C. trav., art. L. 2323-2, anc. (N° Lexbase : L5637KGU).

[26] Cass. soc., 5 mai 1998, «EDF», n° 96-13.498 (N° Lexbase : A2677AC7), Bull. civ. V, n° 219 ; GADT, 4ème éd., n° 159 ; Dr. ouv., 1998, p. 350, note D. Boulmier ; Dr. soc., 1998, p. 879, rapp. J.-Y. Frouin.

[27] TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099, préc., cons. 10.

[28] Directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs  (N° Lexbase : L9997AUS), JOCE n° L 225, 12 août 1998, p. 0016 – 0021.

[29] C. trav., art. L. 1237-19-1 (N° Lexbase : L1460LKB), 3°.

[30] C. trav., art. L. 1237-19-1, 4°.

[31] C. trav., art. L. 1237-19-1, 6°.

[32] TA Cergy-Pontoise, 16 octobre 2018, n° 1807099, préc., cons. 16

[33] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[34] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc,. note 4.

[35] V. Questions-Réponses la rupture conventionnelle collective, préc., note 4.

[36] Cass. soc., 8 juin 2016, n° 15-11.324, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A0807RSP) ; en ce sens déjà, à propos de salariés de catégories professionnelles différentes : Cass. soc., 27 janvier 2015, n° 13-22.179, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3401NA9) et n° 13-25.437, FS-P+B (N° Lexbase : A6934NA3), Dr. soc., 2015, p. 237, étude A. Fabre ; RDT, 2015, p. 339, obs. E. Peskine ; sur les évolutions jurisprudentielles en la matière, v., J.-G. Huglo, Accords collectifs et principe d'égalité de traitement, SSL, 2016, n° 1727, p. 8.

[37] C. trav., art. L. 1233-57-2 (N° Lexbase : L8609LGX).

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