La lettre juridique n°761 du 15 novembre 2018 : Bancaire

[Jurisprudence] Caractère abusif d’une clause d’exigibilité anticipée en cas de déclaration inexacte insérée dans un contrat de prêt immobilier

Réf. : Cass. civ. 1, 10 octobre 2018, n° 17-20.441, F-P+B (N° Lexbase : A3262YGW)

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par Karine Rodriguez, MCF - HDR, Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), Responsable du M2 Droit de la consommation

le 14 Novembre 2018

Contrat de prêt immobilier / Clause d'exigibilité anticipée en cas de déclaration inexacte / Clause abusive (oui) / Office du juge

Alors que la lutte contre les clauses abusives s’étend désormais bien au-delà des contrats conclus entre un consommateur (ou un non-professionnel) et un professionnel [1], les clauses abusives restent paradoxalement extrêmement fréquentes dans les contrats bancaires [2], et notamment dans le domaine des prêts immobiliers [3].  Sans doute l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 octobre 2018 permettra-t-il d’en identifier une nouvelle au sein des contrats de prêts immobiliers.

 

En l’espèce, une banque avait consenti un prêt immobilier garanti par un cautionnement pour financer la construction d’une maison d’habitation. Or, les conditions générales applicables au contrat de prêt prévoyaient qu’en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur, la banque pouvait faire valoir si bon lui semblait l’exigibilité de toutes les sommes dues (principal et intérêts) quinze jours après notification faite à l’emprunteur par LRAR, la clause précisant qu’aucune mise en demeure, ni aucune formalité judiciaire n’était préalablement requise. Pour obtenir le déblocage de fonds de manière anticipée, l’emprunteuse avait remis des factures insincères de l’entrepreneur de travaux. Considérant qu’il s’agissait de déclarations inexactes, la banque s’est prévalue de ladite clause afin d’obtenir auprès de la caution le remboursement anticipé de toutes les sommes dues [4]. La caution subrogée dans les droits de la banque, demanda donc le remboursement des sommes payées à l’emprunteur. La cour d’appel de Papeete, confirmant la décision de première instance, avait, dans son arrêt du 2 mars 2017, condamné l’emprunteuse à rembourser la caution. Se pourvoyant en cassation, l’emprunteuse invoque le caractère abusif de ladite clause afin qu’elle soit considérée comme non écrite.

 

Pour casser l’arrêt de la cour d’appel, la Cour de cassation se prononce en deux temps. Dans un premier temps, elle affirme que «le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet». Dans un second temps, elle dispose, au visa de l’article L. 212-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L3278K9B), que la cour d’appel aurait dû évaluer le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de la part de l'emprunteur, en ce qu'elle est de nature à laisser croire que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l'importance de l'inexactitude de cette déclaration et que l'emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme. Si elle n’est pas surprenante, cette solution suscite néanmoins un éclaircissement et une double réflexion.

 

Au titre de l’éclaircissement, figure une question d’ordre procédural qui n’était pas discutée en l’espèce. En effet, il convient de préciser qu’il est admis que le débiteur principal puisse opposer à la caution qui exerce son recours en remboursement, des exceptions qu’elle aurait opposées au créancier, dès lors que la caution agit en qualité de subrogée dans les droits du créancier. Dans ces conditions, la caution peut se voir opposer les exceptions opposables au subrogeant par le débiteur principal, dès lors qu’elles sont inhérentes à la dette ou qu’elles sont nées avant que la subrogation lui soit opposable [5].

 

Quant aux réflexions, la première porte sur l’office du juge dans la lutte contre les clauses abusives (I), la seconde concerne l’appréciation du caractère abusif de la clause par le juge (II).

 

I - Clause abusive et office du juge

 

La première réflexion que suscite cet arrêt concerne l’office du juge en matière de lutte contre les clauses abusives dans les contrats conclus entre un consommateur (ou non professionnel) et un professionnel.

 

Conformément à l’article L. 212-1 du Code de la consommation, «dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat». Si une clause abusive est considérée comme non écrite, encore convient-il de prouver le caractère abusif de la clause. Pour faciliter la preuve du caractère abusif des clauses, un décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 (N° Lexbase : L0482ID9) a dressé une liste de clauses «noires», irréfragablement présumées abusives et une liste de clauses grises réputées abusives de manière simple, le professionnel pouvant dans ce second cas démontrer leur caractère non abusif (v. C. consom., art. R. 212-1 N° Lexbase : L0546K94) [6]. Il reste néanmoins possible pour le juge de qualifier d’abusive une clause ne figurant pas dans ces listes, dès lors qu’il est démontré qu’elle a pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Mais le juge peut-il se saisir d’office pour ce faire ? Ce moyen doit-il être soulevé par une partie ?

 

Sur ce point, la décision de la Cour de cassation mérite d’être approuvée en ce qu’elle affirme que le juge est «tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses […] dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet». Il est désormais clairement acquis que le juge doit relever d’office le caractère abusif de clauses. En effet, non seulement il peut examiner d’office le caractère abusif d’une clause [7] mais surtout, la Cour de justice de l’Union européenne affirme qu’il doit le faire dès lors qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires [8]. Elle ajoute, en outre, que le juge national «doit prendre d'office des mesures d'instruction afin d'établir si [la clause] entre dans le champ d'application de la Directive [Directive 93/13 du 5 avril 1993 N° Lexbase : L7468AU7» [9]. C’est pourquoi, depuis la loi «Hamon» du 17 mars 2014 (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 N° Lexbase : L7504IZX), l’article R. 632-1, alinéa 2, du Code de la consommation (N° Lexbase : L0942K9R) dispose que le juge «écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débat». Autrement dit, la cour d’appel aurait dû rechercher si la clause d’exigibilité anticipée en cas de déclaration inexacte était abusive, conformément au relevé d’office qui lui est conféré.


 

II - Clause abusive et appréciation par le juge 

 

Le caractère abusif des clauses requiert l’identification par le juge d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

 

En l’espèce, une clause des conditions générales prévoyait que «toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l’emprunteur seraient exigibles, si bon semble au prêteur, quinze jours après notification faite à l’emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure ni d’aucune formalité judiciaire, dans l’un des cas suivants : / a) en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur ou de la caution».

 

Cette clause causerait un tel déséquilibre en ce qu’elle serait de nature à laisser croire que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de cette déclaration et que l’emprunteur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme. Bien entendu, la Cour de cassation ne tranche pas ; elle casse et renvoie à l’appréciation des juges du fond.

 

L’auteur du pourvoi relevait en effet la brutalité du procédé prévu par la clause, le faux document ayant permis un versement anticipé de fonds de quelques semaines seulement, et sans que la clause ne lui permette d’en expliquer les raisons. Il faisait valoir, en outre, un déséquilibre dans les préjudices subis puisque selon lui la banque n’avait en réalité subi aucun préjudice (d’autant moins qu’une hypothèque grevait la maison dont la valeur représentait le triple de la somme empruntée) alors que l’emprunteur se trouvait dans l’impossibilité de rembourser en une seule fois les fonds.

 

Reste à savoir ce qu’en pensera la cour d’appel de renvoi, même si le Cour de cassation semble l’inviter à retenir la qualification de clause abusive. Différents arguments permettent de penser qu’elle devrait statuer en ce sens.

 

D’une part, une recommandation avait été rendue par la commission des clauses abusives à propos des contrats de prêt immobilier. Elle y prévoyait que «les clauses qui autorisent la banque à exiger immédiatement la totalité des sommes dues, dès lors, notamment, que […] l’une quelconque des déclarations faites par l’emprunteur ont été reconnues fausses ou inexactes sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties» [10]. La commission justifie leur caractère abusif en affirmant que ces clauses tendent à laisser penser que l’établissement de crédit dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d’une part, l’existence d’une inobservation commise par l’emprunteur et, d’autre part, une inexactitude dans les déclarations de l’emprunteur, et qu’au surplus, elles laissent croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance. Ces clauses apparaissent selon la commission des clauses abusives significativement déséquilibrées, pour des raisons qui ne sont pas sans rappeler celles envisagées dans l’arrêt commenté.

 

D’autre part, s’il était encore besoin d’un autre argument, les clauses de déchéances du terme en matière de crédit à la consommation ne sont en général admises par les juges que lorsqu’elles sont fondées sur la défaillance du débiteur ; en dehors de cette hypothèse (clauses de déchéance par contagion ou en cas d’impayés relatifs à d’autres comptes par exemple), elles sont bien souvent considérées comme abusives [11]. Pourquoi en serait-il différemment en matière de crédit immobilier ? Preuve en est, on constate également une certaine réticence des décisions des cours d’appel [12] à valider ce type de clause en matière immobilière [13]. En particulier, un arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 avril 2016 a qualifié d’abusive la clause de déchéance du terme en cas en découverte de faux, ce qui fut le cas en l’espèce, l’emprunteur ayant fourni des documents falsifiés concernant ses revenus [14].

 

Deux arguments de poids qui devraient laisser peu de doutes sur le sens de la décision de la cour d’appel de renvoi.

 

[1] C. com., art. L. 442-6 (N° Lexbase : L7575LB8) : «I. Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : […] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties» ; C . civ., art.1171 (N° Lexbase : L1981LKL, modifié par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018, art. 7 N° Lexbase : L0250LKH): «Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation».

[2] V. Dossier, La banque et le droit des clauses abusives, Dir. J. Lasserre-Capdeville, RDBF, mai 2016, n° 3, Dossier, 17 ; L. Abadie et K. Rodriguez, «Une protection à renforcer ? Etude des conditions générales de banque», Banque et droit, in n° spécial «Quel droit pour le développement de la banque en ligne ?», juin 2013, p. 81 et s..

[3] V. notamment à propos des emprunts libellés en francs suisses : Cass. civ.1, 29 mars 2017, n° 15-27.231, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6069UMQ) et n° 16-13.050, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6072UMT). V. également à propos d’une clause de résiliation du contrat de prêt pour une défaillance de l’emprunteur extérieure à ce contrat : Cass. civ.1, 27 novembre 2008, n° 07-15.226, FS-P+B (N° Lexbase : A4581EBB), D., 2009, p.16, obs. V. Avena-Robardet.

[4] Cet élément n’est pas au cœur de l’arrêt mais l’on peut s’étonner de ce que la caution ait payé dans la mesure où la déchéance du terme lui est en principe inopposable (cf. C. civ., art. 1305-5 N° Lexbase : L2143LKL). Néanmoins, il apparaît que cette règle n’est pas d’ordre public de sorte que les clauses contraires sont fréquentes dans les contrats de cautionnement : V. M. Mignot, Droit des suretés et de la publicité foncière, LGDJ, 2017, n° 363.

[5] C. civ., art. 1346-5, al. 3 (N° Lexbase : L0698KZU) : «Le débiteur peut opposer au créancier subrogé les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l'exception d'inexécution, la résolution ou la compensation de dettes connexes. Il peut également lui opposer les exceptions nées de ses rapports avec le subrogeant avant que la subrogation lui soit devenue opposable, telles que l'octroi d'un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes».

[6] V. J. Salvandi, Protection du consommateur-emprunteur immobilier : nouvelles clauses abusives «noires» et «grises», Décret n°2009-302 du 18 mars 2009 portant application de l’article 132-1 du code de la consommation, RDI, 2010, p. 145.

[7] CJCE, 27 juin 2000, aff. jointes C-240/98 à C-244/98 (N° Lexbase : A5920AYW).

[8] CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08 (N° Lexbase : A9620EHR) JCP éd. G, 2009, 336, G. Paisant ; D., 2010, p. 790, E. Poillot.

[9] CJUE, 9 novembre 2010, aff. C-137/08 (N° Lexbase : A2073GEI) ; D., 2011, p. 974, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud.

[10] Commission des clauses abusives, recommandation n° 04-03 (N° Lexbase : X6240ATB), BOCC, 30 septembre 2004, p. 629 ; RTDCom., 2004, p. 794, D. Legeais.

[11] En ce sens, V. J. Lasserre-Capdeville, Interrogations à propos des clauses de déchéance du terme en matière de crédit immobilier, AJ Contrat, 2018, p. 320.

[12] V. les décisions citées in J. Lasserre-Capdeville, Interrogations à propos des clauses de déchéance du terme en matière de crédit immobilier, préc..

[13] La déchéance du terme fondée sur la défaillance du débiteur est quant à elle valable (C. consom., art. L. 313-51 N° Lexbase : L3281K9E).

[14] CA Paris, Pôle 5, 6ème ch., 4 avril 2016, n° 14/25646 (N° Lexbase : A7585SEN).

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