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N1557BXX
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par Yannick Pagnerre, Professeur à l'Université d'Evry, Agrégé des facultés de droit
le 07 Décembre 2017
I - Conditions de l'exclusion
Dans les limites fixées par la loi (A), une exclusion conventionnelle peut être envisagée (B).
A - Cadre légal
2. "3 mois ou 15 heures". L'obligation de faire adhérer les salariés à un régime complémentaire de "frais de santé" contient l'interdiction d'écarter des salariés du champ de la couverture au motif d'une clause d'ancienneté (6). A titre dérogatoire, un accord de branche ou un accord d'entreprise (en l'absence d'accord de branche ou lorsque celui-ci le permet) voire une décision unilatérale peut exclure des salariés en se plaçant dans le périmètre des cas d'exclusion autorisés par l'article L. 911-7-1, III, du Code de la Sécurité sociale. Il est permis d'écarter ceux dont "la durée du contrat ou la durée du travail prévue par celui-ci est inférieure à des seuils fixés par cet accord" (CSS, art. L. 911-7-1, III). La liberté contractuelle pour fixer ces seuils est enserrée dans les plafonds de l'article D. 911-7 du Code de la Sécurité sociale. L'exclusion ne peut concerner que : 1/ les salariés "dont la durée du contrat de travail ou du contrat de mission est inférieure ou égale à trois mois" ; 2/ les salariés "dont la durée effective du travail prévue par ce contrat est inférieure ou égale à 15 heures par semaine", même si la durée du contrat est supérieure à trois mois. La seconde condition vise tout type de contrats (à durée indéterminée ou déterminée, contrat de mission, contrats intermittents...) conclus à temps "très" partiels (7). Il en résulte qu'un accord collectif est autorisé à prévoir l'exclusion de son régime complémentaire "frais de santé" des travailleurs précaires dont l'ancienneté est insuffisante au regard de la durée du contrat conclu et de ceux qui, quelle que soit leur ancienneté, sont embauchés pour un faible nombre d'heures de travail. La loi apparaissant d'ordre public social, un acte collectif pourrait mettre en oeuvre l'exclusion tout en restreignant ses conditions au profit des salariés (8).
B - Traduction conventionnelle
3. Pratique. A la lecture des différents accords de branche, deux types de pratiques conventionnelles peuvent être constatées. D'abord, certains accords limitent l'exclusion aux seuls contrats d'une durée inférieure ou égale à trois mois (9) ; les "petits" temps partiels à durée indéterminée ne sont pas écartés. Ces salariés, qui peuvent cumuler plusieurs emplois, sont susceptibles d'être couverts par plusieurs contrats collectifs d'assurance ; afin d'éviter une "multiple" couverture, ils peuvent exercer leur faculté de dispense (10). D'autres accords collectifs, en revanche, n'ont pas précisé les contours de l'exclusion ; ces accords n'ont été étendus par l'administration que "sous réserve" de respecter l'article D. 911-7 du Code de la Sécurité sociale (11). Un accord de branche a choisi une voie intermédiaire dont l'analyse laisse dubitatif. Il s'agit de la branche du travail temporaire qui a conclu, le 14 décembre 2015, modifié par un avenant du 30 septembre 2016 pour prendre en compte la LFSS de 2016 (12), un accord instituant un régime de frais de santé. Celui-ci a été étendu, sans réserve, par arrêté du 20 avril 2017 (N° Lexbase : L0217LER).
4. Présentation de l'accord du 14 décembre 2015. L'accord prévoit, en son article 2.2, que l'affiliation au régime collectif est accordée au "salarié intérimaire qui a effectué plus de 414 heures de travail dans une ou des entreprises de travail temporaire ou entreprises de travail temporaire d'insertion au cours d'une période de douze mois consécutifs, auxquelles s'ajoute un équivalent temps de l'indemnité compensatrice de congés payés, correspondant à 10 % des heures rémunérées, soit une ancienneté de 455 heures" (13) mais aussi "le salarié intérimaire qui dépasse ce seuil de 414 heures au cours d'un mois civil" (14). L'accord précise, en son article 2.1 relatif au "salarié intérimaire ne remplissant pas la condition d'ancienneté prévue à l'article 2.2 (414 heures)", qu'ils ont "la possibilité de souscrire individuellement au régime facultatif" par ailleurs mis en place. Ces dispositions introduisent donc une condition d'ancienneté a priori illicite dans l'adhésion du travailleur intérimaire au régime complémentaire "frais de santé" (15).
Toutefois, depuis l'avenant du 30 septembre 2016, cette condition est écartée pour le salarié "embauché en contrat de travail à durée indéterminée (CDI intérimaire), ou en contrat de mission d'une durée de trois mois ou plus". Ce travailleur "est obligatoirement affilié au régime collectif dès sa date d'embauche sans condition d'ancienneté" (16). Dans le prolongement, l'avenant du 30 septembre 2016 a ajouté à l'article 2.1 un alinéa 2 dont la rédaction est la suivante : "en application des dispositions de l'article L. 911-7-1 du Code de la Sécurité sociale, les salariés intérimaires [...] en contrat de mission, dont la durée est inférieure ou égale à trois mois et bénéficiaires d'un contrat d'assurance maladie complémentaire 'responsable' souscrit à titre personnel, et couvrant la période du contrat de mission, ont droit, à leur demande, au 'versement santé' dans les conditions fixées par les dispositions légales et réglementaires en vigueur".
5. Analyse de l'accord du 14 décembre 2015. Le renvoi général de l'article 2.1 de l'accord à l'article L. 911-7-1 du Code de la Sécurité sociale est imprécis ; il ne permet pas de savoir si la condition posée à l'article 2.2 et les exceptions à cette condition prévues à l'article 2.3 en sont l'application. Deux interprétations sont possibles : 1/ les partenaires sociaux n'ont pas souhaité se référer à ce dispositif dérogatoire et l'ancienneté conventionnelle serait alors illicite ; 2/ les partenaires sociaux se sont référés implicitement à ce dispositif (17) ; sa licéité dépend donc du caractère plus favorable des conditions adoptées.
6. Ordre public social. A première vue, les conditions conventionnelles sont équivalentes voire plus favorables que celles posées par l'article D. 911-7 du Code de la Sécurité sociale. L'article 2.3 offre le bénéfice du régime collectif quelles que soient les heures effectuées au CDI intérimaire et au contrat de mission d'au moins trois mois et exclut ceux qui ont une moindre ancienneté, ce qui est conforme au dispositif légal. L'article 2.2 de l'accord de branche fixe une référence "annuelle" de 414 heures effectuées dans "une ou des entreprises de travail temporaire" pour accorder le bénéfice du régime au travailleur qui franchit ce seuil. Cette condition, calculée par addition de l'ensemble des contrats intérimaires effectués au sein d'une ou plusieurs entreprises de travail temporaire, respecte l'ordre public social (18). Il est en effet plus aisé pour un salarié de franchir le seuil de 414 heures annuel (surtout sur une période de moins de trois mois avec un ou plusieurs contrats de mission) que celui de 15 heures de travail hebdomadaire. Prenons un exemple : un salarié a conclu au cours d'une année civile plusieurs contrats d'intérim, chacun ayant duré moins de trois mois, au titre desquels il a effectué 15 heures de travail hebdomadaire pendant 30 semaines. En vertu des dispositions légales, il ne peut pas prétendre au bénéfice de l'adhésion au régime complémentaire de "frais de santé" puisque l'ancienneté comme la durée du travail hebdomadaire sont insuffisantes. Mais ayant effectué 450 heures de travail, la stipulation conventionnelle fixant le seuil de 414 heures lui assure le bénéfice du dispositif.
7. Ordre public absolu. Même si la règle semble conforme à l'ordre public social, sa licéité peut être mise en doute sur un autre fondement relevant de l'ordre public absolu. Pour l'application de ce dispositif, la difficulté réside dans la possibilité matérielle de calculer le seuil de 414 heures. Pour y répondre, les partenaires sociaux ont mis en place, à l'article 7 de l'accord de branche, un système par lequel "un opérateur de gestion désigné au terme d'une procédure d'appel d'offres" a pour mission principale de concentrer et consolider "les données de toutes les entreprises de travail temporaires et entreprises de travail temporaire d'insertion afin de déterminer quels sont les salariés intérimaires, visés à l'article 2.2, bénéficiaires du régime institué par le présent accord". Ainsi, l'opérateur est en charge du "décompte de l'ancienneté en vue de l'affiliation des salariés". L'accord de branche a aussi recommandé deux organismes assureurs qui participent au fonctionnement du régime exclusivement par l'intermédiaire de l'opérateur de gestion : ce dernier s'occupe "de l'encaissement des cotisations d'assurance et de leur reversement aux organismes assureurs recommandés visés à l'article 13" et "du versement des prestations en qualité de mandataire des organismes assureurs recommandés visés à l'article 13". Finalement, seul échappe à l'opérateur de gestion la mission de procéder lui-même à l'affiliation des travailleurs ayant franchi le seuil...
Pour faire adhérer les travailleurs temporaires qui remplissent la condition de 414 heures, une entreprise de travail temporaire n'a pratiquement pas d'autre choix que de prendre attache auprès de l'organisme de gestion désigné et des organismes assureurs recommandés. Certes, en théorie, l'employeur conserve la faculté de choisir de conclure un contrat collectif avec un autre organisme assureur et d'y affilier les salariés qui remplissent les conditions de cette couverture obligatoire. L'opérateur de gestion est en effet débiteur, quel que soit l'organisme choisi, de l'obligation de l'informer du franchissement du seuil horaire. Toutefois, la centralisation des opérations de gestion du régime entre les mains de l'opérateur (encaissement des cotisations et versement des prestations) lui confère la qualité d'interlocuteur unique, ce qui est un vecteur de simplification administrative particulièrement incitatif pour les entreprises de la branche. Pire, même si elle conclut un contrat avec un organisme assureur autre que l'un des recommandés, l'entreprise de travail temporaire a l'obligation de "contribuer à la consolidation des heures de travail et au décompte de l'ancienneté de tous les salariés intérimaires dans la branche en fournissant à l'opérateur de gestion les données nécessaires selon les modalités fixées par le contrat de prestations de services conclu entre l'opérateur de gestion et chaque entreprise" et de "verser à l'opérateur de gestion une contribution dont le montant est fixé, à la date de conclusion du présent accord, à 0,0284 euros HT par heure de travail effectuée par chacun de ses salariés intérimaires non obligatoirement affiliés au régime collectif obligatoire visé à l'article 10, afin de financer la prestation de services de l'opérateur". Ce système crée une clause de désignation d'un opérateur de gestion et introduit une clause de "co-désignation" déguisée de deux organismes assureurs (19). Rien n'est plus contraire à la liberté contractuelle. En paraphrasant le considérant 11 de la décision du Conseil constitutionnel du 13 juin 2013, "toutes les entreprises qui appartiennent à [la] branche professionnelle [se voient] imposer [...] le choix" de l'opérateur de gestion, des obligations de consolidation et un prix ainsi qu'indirectement, "le choix de l'organisme de prévoyance chargé d'assurer cette protection parmi les entreprises régies par le Code des assurances, les institutions relevant du titre III du livre IX du Code de la Sécurité sociale et les mutuelles relevant du Code de la mutualité" (20). Dès lors que les entreprises sont tenues d'adhérer à "un contrat négocié au niveau de la branche et au contenu totalement prédéfini", les articles 2, 7 et 13 de l'accord de branche "portent à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi de mutualisation des risques" (21).
L'adoption de l'arrêté d'extension du 20 avril 2017 est problématique. "S'agissant des prestations de services qui impliquent une intervention des autorités nationales", l'obligation de transparence issue de l'article 56 du TFUE (N° Lexbase : L2705IPU) interdisant toute restriction injustifiée et disproportionnée à la libre prestation de service, "s'oppose à l'extension, par un Etat membre, à l'ensemble des employeurs et des travailleurs salariés d'une branche d'activité, d'un accord collectif, conclu par les organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs salariés pour une branche d'activité, qui confie à un unique opérateur économique, choisi par les partenaires sociaux, la gestion d'un régime de prévoyance complémentaire obligatoire institué au profit des travailleurs salariés, sans que la réglementation nationale prévoie une publicité adéquate permettant à l'autorité publique compétente de tenir pleinement compte des informations soumises, relatives à l'existence d'une offre plus avantageuse" (22). Mutatis mutandis, l'administration aurait dû vérifier la légalité de l'article 7 de l'accord de branche, surtout en combinaison avec son article 13, ainsi que la transparence de l'appel d'offre auquel il est fait référence. L'arrêté d'extension est donc tout autant illicite que les clauses étendues (23).
8. Nullité de l'accord du 14 décembre 2015. Portant atteinte à la liberté d'entreprise et à la liberté contractuelle de manière disproportionnée, sans -à notre avis- que l'exigence de mutualisation des risques le justifie, les articles 2, 7 et 13 sont atteints de nullité. Mettant en cause les intérêts tant individuels que collectifs des entreprises de travail temporaire, des organismes assureurs et des salariés, la nullité apparaît absolue (24). Contre l'arrêté d'extension, le contentieux est administratif ; contre l'accord collectif, le contentieux est judiciaire. Pour l'heure, l'action en nullité de l'accord de branche est toujours régie par le droit commun, soit prescrite par cinq ans à compter de la conclusion du contrat (C. civ., art. 2224). Ne joue pas le délai de deux mois s'imposant, "à peine d'irrecevabilité", à "toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif", prévu au nouvel article L. 2262-14 du Code du travail (N° Lexbase : L7773LGY), qui "court à compter de [la] publication" de l'ordonnance du 22 septembre 2017 pour les "accords conclus antérieurement à la publication de la présente ordonnance" (25) dès lors que la publication au sein de la base de données sociales prévue à l'article L. 2231-5-1 du Code du travail (N° Lexbase : L7178K9Q) n'est toujours pas opérationnelle et ne s'applique qu'aux accords conclus à compter du 1er septembre 2017 (loi n° 2016-1088, 8 août 2016 N° Lexbase : L8436K9C, art. 16, IV).
L'annulation étant juridictionnelle, tant que les articles 2, 7 et 13 de l'accord ne sont pas annulés, ils conservent leur force obligatoire ; les intéressés sont tenus "de se conformer au principe selon lequel le contrat conclu doit être exécuté [...] tant qu'il n'a pas été statué sur sa validité par les juges du fond compétents" (26). En droit du travail, de telles clauses ont même une valeur impérative, l'employeur s'exposant à des sanctions en cas d'inexécution (27). Le plus sûr, dans l'attente d'une décision au fond, est alors d'agir en référé en sollicitant la suspension de l'arrêté en raison d'une atteinte à une liberté fondamentale (28) ou de l'accord de branche en raison d'un trouble manifestement illicite (29). Plus radicalement, une entreprise pourrait refuser d'exécuter l'accord illicite à ses risques et périls (en ne versant pas la cotisation par exemple) et, en cas d'action en exécution de l'accord, d'exciper la nullité de l'accord (30) (exception qui, sous certaines conditions, est perpétuelle (31)). Une fois l'annulation des clauses voire de l'accord reconnue (32), les entreprises en sont libérées pour l'avenir ; pour le passé, le juge "peut décider" d'en limiter la portée rétroactive (33), solution courante en matière de protection sociale complémentaire (34). En tout état de cause, cela n'exonère pas les partenaires sociaux et l'administration de leur éventuelle responsabilité en réparation du préjudice économique subi par les entreprises et assureurs lésés (35).
II - Contreparties de l'exclusion
La loi fixe un cadre aux contreparties de l'exclusion (A) que l'accord peut mettre en musique (B).
A - Cadre légal
9. Mécanisme. L'article L. 911-7-1 du Code de la Sécurité sociale demande aux employeurs de verser chaque mois, entre les mains des salariés exclus ou dispensés de l'adhésion au régime complémentaire santé d'entreprise, une somme d'argent représentant l'équivalent du coût qu'aurait engendré leur couverture (36). Le versement santé correspond au montant que l'employeur aurait dû payer, sur un mois, pour assurer la couverture santé du salarié et la portabilité afférente, majoré d'un coefficient de 105 % ou de 125 % selon que le bénéficiaire est sous contrat à durée indéterminée ou non (CSS, art. D. 911-8 N° Lexbase : L3755KWY). Les travailleurs précaires sont spécialement visés par le dispositif. Le versement santé leur est en effet accordé en contrepartie de l'exclusion (37). Cette contrepartie est si essentielle aux yeux du législateur qu'a été rappelée l'urgence "de prendre cette mesure" ; à défaut, de nombreux salariés risquaient "à compter du 1er janvier 2016, de ne pas être couverts par une complémentaire santé, et pas forcément ceux qui en ont le moins besoin" (38).
Le versement santé au profit de ces salariés est donc obligatoire : l'employeur en est de plein droit "débiteur", les salariés n'ayant qu'à renseigner l'employeur de l'existence d'une couverture éligible au versement santé, notamment un contrat individuel (CSS, art. L. 911-7-1, III, renvoyant au II). Ainsi, à la différence de la dispense, le salarié ne sollicite pas le versement ; c'est à l'employeur de le proposer en demandant au salarié de fournir les justificatifs légaux, soit la copie d'un contrat d'assurance complémentaire dit "responsable" éligible au versement santé (CSS, art. L. 911-7-1, II). Libre aux salariés de refuser ou de ne pas présenter la copie du contrat. Mais le versement santé ne se présume pas. Il est impératif qu'un accord de branche, à défaut, un accord d'entreprise ou une décision unilatérale de l'employeur encadre la substitution permise par la loi en rappelant l'obligation de l'employeur de verser le "chèque santé" et de demander aux salariés les justificatifs.
B - Traduction conventionnelle
10. Discernement et confusion. La pratique conventionnelle est sur ce point assez aléatoire. Certaines stipulations semblent confondre la dispense et l'exclusion ; d'autres méritent de recevoir un inconditionnel satisfecit. Ainsi, dans la branche des "exploitations de polyculture et d'élevage, les exploitations de cultures légumières et maraîchères, et les coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) de la Manche", le versement santé s'applique depuis un avenant à l'accord relatif à la protection sociale complémentaire frais de santé des salariés non cadres du 27 janvier 2017, "exclusivement aux salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée ou d'un contrat de mission d'une durée inférieure ou égale à 3 mois" (art. 3.3.2) ; sa mise en oeuvre intervient lors de la conclusion du contrat de travail : l'employeur informe le salarié de l'existence du dispositif et des justificatifs à fournir. Le salarié qui le souhaite dispose alors d'un délai de 21 jours pour remettre les documents nécessaires. Seul le salarié ne justifiant pas du bénéfice d'un contrat responsable ne pourra pas prétendre au versement santé (art. 3.3.4). La procédure mise en place reprend exactement celle demandée par le législateur. Rares devraient être les salariés de cette branche exclus du régime complémentaire "frais de santé" ne bénéficiant pas du chèque santé.
Au contraire, certaines conventions collectives organisent un mécanisme s'écartant des dispositions légales s'agissant de la procédure d'attribution du versement santé. La Convention collective nationale de l'enseignement privé indépendant du 27 novembre 2007 prévoit, dans un avenant n° 1 du 29 juin 2016 à l'accord du 22 septembre 2015 étendu par arrêté du 28 avril 2017, que les salariés visés par le dispositif ont "la faculté, en lieu et place du bénéfice du régime professionnel de santé, de demander le bénéfice d'un versement par leur employeur d'une somme déterminée" (art. 3.4). De manière semblable, l'accord de branche de l'intérim contient un article aux termes duquel les salariés entrant dans son champ d'application "ont droit, à leur demande, au 'versement santé'" (art. 2.1). Confondant l'exclusion et la dispense, ces deux accords subordonnent le versement santé à une "demande" des salariés. L'initiative repose ainsi sur le salarié et non, comme la loi l'impose, sur l'employeur (39). Cette inversion de la mise en oeuvre du versement santé est sans doute motivée par un objectif d'économie : la passivité des salariés, qui devrait être fréquente s'agissant de contrats courts, permettra de réaliser quelques économies. Illégale, l'annulation de la clause (ou de l'accord) semble inévitable (40).
(1) Sur la distinction, cf., X. Ameuran, Le versement santé, JCP éd. S, 2017, 1066.
(2) Circ. DSS n° 2013/344, 25 septembre 2013 (N° Lexbase : L2810IYQ), p. 15.
(3) Rapport Ass. nat., n° 3129, 14 octobre 2015, M. Delaunay, t. 2, Assurance maladie, art. 22, p. 42 et s., spé. p. 45.
(4) Rapport Ass. nat., préc., p. 43.
(5) R. Marié, La complémentaire santé des travailleurs temporaires, JCP éd. S, 2017, 1000.
(6) Lettre-circulaire ACOSS n° 2015-45, 12 août 2015 (N° Lexbase : L4982LHY), p. 8.
(7) Cf., C. trav., art. L. 3123-1 (N° Lexbase : L6834K9Y), fixant la durée minimale à 24 heures par semaines, sauf dérogations collectives ou individuelles.
(8) Cf., Rapport Ass. nat., n° 3238, 19 novembre 2015, t. I, 2nde Lecture, M. Delaunay, art. 22, p. 66 et s., spé. p. 69.
(9) Cf., Accord de branche des exploitations de polyculture et d'élevage, les exploitations de cultures légumières et maraîchères, et les coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) de la Manche, relatif à la protection sociale complémentaire frais de santé des salariés non cadres du 27 janvier 2017, art. 3.3.2.
(10) CSS, art. L. 911-7.
(11) Cf., arrêté du 7 février 2017 portant extension d'un avenant à l'accord départemental instaurant un régime d'assurance complémentaire frais de santé au bénéfice des salariés agricoles non cadres de l'Hérault (N° Lexbase : L9078LC9), art. 1, 1°.
(12) En ce sens, ancien article 2.1 de l'accord de branche.
(13) Aux termes de l'article 2.3, "sont assimilées aux heures de travail effectif dans le cadre des missions effectuées : - les heures chômées payées à l'occasion des jours fériés, congés pour événements familiaux, congés de naissance ou d'adoption, d'intempéries et de chômage partiel ; - les heures chômées du fait de maternité, de maladie ou d'accident indemnisées ou non ; - les heures restant à courir jusqu'au terme initialement prévu de la mission, en cas d'interruption de celle-ci avant l'échéance du contrat, du fait de l'entreprise utilisatrice, lorsque l'entreprise de travail temporaire n'a pas été en mesure de proposer une nouvelle mission au sens de l'article L. 1251-26 du Code du travail (N° Lexbase : L1571H93) ; - les heures correspondant à des contrats de mission-formation dans les conditions légales, réglementaires et conventionnelles relatives à la formation professionnelle continue ; - les heures correspondant à des congés de formation syndicale, économique et sociale, de formation prud'homale, de formation de cadres et d'animateurs pour la jeunesse ; - les heures rémunérées pour l'exercice de tous mandats de représentation du personnel ou syndical y compris dans des organismes non liés à la branche, ainsi que pour les commissions paritaires et les commissions mixtes de la profession".
(14) Conv. coll. du 14 décembre 2015, art. 2.2.
(15) Contra, R. Marié, art. préc., n° 4, considérant qu'"en subordonnant l'accès à la couverture complémentaire à cette condition d'ancienneté, les partenaires conventionnels ont opportunément et délibérément choisi de s'affranchir de l'obligation de généralisation".
(16) Conv. coll. 14 déc. 2015, art. 2.3.
(17) La référence à un mécanisme dérogatoire devrait faire l'objet d'une indication expresse dans un accord collectif. On ne peut pas présumer "implicitement" qu'un accord collectif utilise une faculté de dérogation légale. Néanmoins, "lorsqu'une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l'emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun" (C. civ., art. 1191 N° Lexbase : L0902KZG).
(18) R. Marié, art. préc., n° 2 : "Le caractère discontinu de l'activité et la succession d'employeurs ont demandé des adaptations tant pour le décompte de la durée minimale d'emploi ouvrant droit à la couverture santé que pour la gestion administrative. La branche du travail temporaire s'est toujours distinguée par son activité conventionnelle soutenue souvent sous-tendue par le désir de retisser de la continuité professionnelle là où il n'y en a, par nature, pas suffisamment".
(19) R. Marié, art. préc., n° 7.
(20) Cons. const., 13 juin 2013, n° 2013-672 DC (N° Lexbase : A4712KGM), cons. 11.
(21) Cons. const., 13 juin 2013, préc., cons. 13.
(22) CE, 8 juillet 2016, n° 357115, mentionnés dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9037RWM) ; CJUE, 17 décembre 2015, aff. C-25/14 et 26/14 (N° Lexbase : A9576N33).
(23) Cf., Cass. soc., 20 juillet 1964 : Dr. soc., 1965, p. 55, obs. J. Savatier.
(24) Cf., CE, 8 juillet 2016, préc. : "La société requérante, qui entre dans le champ d'application de ces dispositions, justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de l'arrêté d'extension, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'à la date d'introduction de sa requête, elle était membre d'une organisation d'employeurs adhérente à une organisation signataire de l'avenant".
(25) Ord. n° 2017-1385 du 22 septembre 2017, art. 15, al. 3.
(26) Cass. civ. 1, 15 juin 2004, n° 00-16.392, FS-P (N° Lexbase : A7293DC4) : Bull. civ. I, n° 172.
(27) C. trav., art. L. 2132-3 (N° Lexbase : L2122H9H) et L. 2262-9 (N° Lexbase : L2491H97) ; Cass. soc., 14 février 2001, n° 98-46.149, publié (N° Lexbase : A3485ARI) : RJS 4/01, n° 479 ; Cass. soc., 12 juin 2001, n° 00-14.435, publié (N° Lexbase : A5948ATH) : RJS 8-9/01, n°1045.
(28) CJA, art. L. 521-2 (N° Lexbase : L3058ALT).
(29) CPC, art. 809 (N° Lexbase : L0696H4K).
(30) Cf., Cass. civ. 3, 17 novembre 2009, n° 08-19.175, F-D (N° Lexbase : A7489ENP).
(31) C. civ., art. 1185 (N° Lexbase : L0893KZ4).
(32) L'annulation de cette clause pourrait même s'étendre au-delà du dispositif conventionnel sur le "chèque santé" à l'ensemble de l'avenant organisant l'adhésion des salariés au régime complémentaire "frais de santé" puisqu'il est fort à parier que ce dispositif est indivisible des autres mesures et constitue "un élément déterminant de l'engagement des parties ou de l'une d'elles" (C. civ., art. 1184 N° Lexbase : L0894KZ7).
(33) C. trav., art. L. 2262-15 (N° Lexbase : L7758LGG).
(34) CE, 8 juillet 2016, préc. ; CJUE, 17 décembre 2015, préc. ; CE, 17 mars 2017, n° 396835, mentionné au recueil Lebon (N° Lexbase : A2873UCE), § 12.
(35) Notre article, Responsabilité des partenaires sociaux du fait des conventions et accords collectifs, JCP éd. S, 2012, 1001 ; Cf., Cass. civ. 1, 26 avril 2017, n° 16-10.482, F-D (N° Lexbase : A2787WBT).
(36) X. Aumeran, art. préc..
(37) Rapport Ass. nat., préc., p. 45, ainsi que le précisent les travaux préparatoires, "les salariés concernés bénéfici[ent], en contrepartie [de l'exclusion], du versement de l'employeur, sous réserve d'avoir souscrit à titre individuel à une couverture complémentaire". Rapport Ass. nat., préc., p. 49 : "Le dispositif proposé facilite la dispense d'affiliation au contrat collectif quand celui-ci paraît trop cher, en contrepartie d'une contribution de l'employeur dont le montant dépendra notamment de la durée du contrat et de la durée de travail prévue par celui-ci".
(38) Rapport Ass. nat., préc., p. 49, le rapporteur ajoutant que "la logique [n'est] en aucun cas d'inciter les salariés à se dispenser du contrat collectif proposé par l'employeur, elle est de proposer une solution -de rattrapage, en quelque sorte- lorsque le contrat collectif n'est pas adapté".
(39) Contra, R. Marié, art. préc., n° 15.
(40) Supra, n° 8.
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