La lettre juridique n°720 du 23 novembre 2017 : Procédure civile

[Chronique] Chronique de procédure civile - Novembre 2017

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par Etienne Vergès, Professeur à l'Université de Grenoble, Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Procédure civile"

le 23 Novembre 2017

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en procédure civile réalisée par Etienne Vergès, Professeur à l'Université Grenoble Alpes et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Procédure civile". L'auteur revient sur l'application dans le temps du nouveau recours institué par la loi "J21" (loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 (N° Lexbase : L1605LB3) et permettant le réexamen des décisions en matière d'état des personnes (Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-20.052, FS-P+B+R+I) ; il analyse, ensuite, la portée de la clause attributive de compétence sur les mesures d'instruction in futurum ordonnées sur requête (Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-12.196, F-P+B+I) ; il s'interroge, également, sur l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil et le sursis à statuer dans le cadre de l'affaire du "Médiator" (Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, F-P+B+I) ; enfin, il passe en revue l'actualité de la procédure devant la cour d'appel (Cass. civ. 2, 11 mai 2017, n° 15-27.467, FS-P+B+I ; Cass. civ. 2, 11 mai 2017, n° 16-14.868, FS-P+B+I ; Cass. civ. 2, 19 octobre 2017, n° 16-12.885, F-P+B). 1 - Le réexamen des décisions civiles en matière d'état des personnes : premières précisions sur l'application dans le temps de la loi "J21" (Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 16-20.052, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4629WCG ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0620GA9)

Le réexamen des décisions rendues par une juridiction civile et ayant autorité de la chose jugée constitue une innovation de la loi "J21" (1). Cette voie de recours a été créée sur le modèle du réexamen des décisions pénales pour assurer l'exécution d'une condamnation prononcée par la CEDH. Ce dispositif est entré en vigueur le 15 mai 2017 à la suite de la publication du décret n° 2017-396 du 24 mars 2017, portant diverses dispositions relatives à la Cour de cassation (N° Lexbase : L3728LDG) (2). En application de ces textes, la Cour de cassation a été saisie d'une demande de réexamen dans une affaire célèbre de gestation pour autrui.

Cette affaire remonte aux années 2000. Un couple français a eu recours à une mère porteuse aux Etats-Unis et a obtenu, en application du droit californien, que les deux parents du couple soient reconnus comme les pères et mères de leurs deux filles nées de la mère porteuse. Après de multiples rebondissements judiciaires, les actes de naissance ont été transcrits en France puis annulés par une décision de la cour d'appel de Paris en 2010. Cette annulation conduisait la juridiction française à refuser de reconnaître en France les effets d'une filiation établie à l'étranger. Dans deux arrêts rendus le 26 juin 2014 (3), la CEDH a condamné la France, en affirmant que le refus de reconnaître la filiation entre les enfants conçus par GPA et les parents d'intention porte atteinte au droit au respect de la vie privée des enfants qui "implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation" (§ 99 arrêt "Menesson" CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 N° Lexbase : A8551MR7). En août 2015, les époux ont exercé une nouvelle action, cette fois devant le juge des référés, pour voir ordonner la transcription, sur les registres de l'état civil, des actes de naissance des enfants. Déboutés par la cour d'appel, ils se sont pourvus en cassation.

Les différents moyens du pourvoi ne portent que sur la question de l'étendue des pouvoirs du juge des référés, mais, de façon inattendue, la Cour de cassation profite de cet arrêt pour rappeler et préciser les règles d'application dans le temps du nouveau recours institué par la loi "J21" dans plusieurs attendus particulièrement motivés.

La Cour pose d'abord comme principe qu'aucune disposition en vigueur avant le 15 mai 2017 ne permet qu'une décision, par laquelle la Cour a condamné la France, puisse avoir pour effet, en matière civile, de remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à une décision devenue irrévocable. La Cour de cassation avait déjà affirmé en 2005 que le droit français ne permettait pas de réexaminer les affaires civiles à la suite d'une condamnation de la CEDH (4). Puis la première chambre civile énonce que la loi "J21" a créé une procédure de réexamen en matière civile, dont l'entrée en vigueur est fixée au 15 mai 2017. Toutefois, cette loi permet aux personnes qui invoquent des décisions de la CEDH, antérieures à cette date, de former une demande de réexamen durant une année à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Enfin, la Cour de cassation note que, dans l'espèce qui lui est soumise, la demande de transcription devant le juge des référés a été formée avant la date d'entrée en vigueur de la loi, date à laquelle aucune procédure de réexamen n'était en vigueur. Le rejet de l'action par la cour d'appel se trouvait ainsi justifié.

En résumé, conformément aux dispositions transitoires de la loi "J21", les personnes qui souhaitent obtenir le réexamen d'une décision rendue par une juridiction française en contrariété avec une décision de la CEDH doivent demander le réexamen de leur affaire dans les conditions fixées par les articles 1031-8 (N° Lexbase : L3789LDP) et suivants du Code de procédure civile. Si la décision de la CEDH a été rendue avant le 15 mai 2017, la demande doit être formée dans l'année à compter de l'entrée en vigueur de la loi. Lorsque la décision de la CEDH a été rendue après le 15 mai 2017, la demande de réexamen doit être formée dans l'année à compter de la date de cette décision.

2 - La clause attributive de compétence est inopérante à l'égard des mesures d'instruction in futurum ordonnées sur requête (Cass. com., 13 septembre 2017, n° 16-12.196, F-P+B+I N° Lexbase : A4161WRK ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0710EUT)

L'article 48 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1215H4R) énonce une règle de validité des clauses attributives de compétence territoriale lorsque ces clauses ont été convenues entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant. L'arrêt commenté en réduit la portée, tout en soulignant une fois encore l'originalité de la procédure de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49).

Dans cette espèce, deux sociétés commerciales ont conclu une cession d'actions. Par la suite, l'un des contractants a soupçonné des détournements d'actifs de la part de son partenaire. Il a saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre sur requête afin de voir confier à un huissier la mission de réaliser des mesures d'investigation dans les locaux du cocontractant. Ce dernier a alors sollicité la rétractation de l'ordonnance en invoquant l'incompétence territoriale de la juridiction. En effet, le contrat de cession d'action comportait une clause attribuant la compétence territoriale aux juridictions situées dans le ressort de la cour d'appel de Paris.

Saisie de la demande de rétractation, la cour d'appel de Versailles a estimé que la clause attributive de compétence trouvait à s'appliquer en l'espèce. Elle a ainsi affirmé que le contrat se trouvait "au coeur du litige" et, qu'étant conclue entre commerçants, la clause attributive de juridiction devait produire son plein effet.

Cette argumentation pouvait sembler convaincante et fondée sur la force obligatoire de la convention. Toutefois, l'arrêt est cassé. Il donne l'occasion à la Cour de cassation d'affirmer dans un chapeau explicite que "le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur [l'article 145 du Code de procédure civile] est le président du tribunal susceptible de connaître de l'instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d'instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées, sans qu'une clause attributive de compétence territoriale puisse être opposée à la partie requérante".

Cette affirmation n'est pas nouvelle. Elle comporte deux règles distinctes qui découlent du particularisme des mesures d'instruction in futurum.

D'une part, la Chambre commerciale s'approprie la solution adoptée par la deuxième chambre civile qui définit une règle de compétence territoriale alternative. Le demandeur peut s'adresser, soit à la juridiction qui serait éventuellement compétente pour juger le fond du litige, soit celle du lieu où la mesure d'instruction doit être exécutée, même partiellement. Cette solution affirmée dans un important arrêt rendu le 15 octobre 2015 (5) est, en réalité, plus ancienne (6).

D'autre part, la Chambre commerciale réitère une solution adoptée depuis 2016 selon laquelle une clause attributive de compétence ne peut être opposée à la partie requérante à une mesure d'instruction. Ici encore, la solution est directement inspirée d'une jurisprudence initiée par la deuxième chambre civile (7).

Cet arrêt a donc le mérite d'aligner la position de la Chambre commerciale sur celle adoptée par la deuxième chambre civile. Il n'en reste pas moins que ce courant jurisprudentiel laisse planer deux incertitudes.

D'une part, on peut se demander si la mise à l'écart de la clause attributive de compétence se limite à la procédure de l'ordonnance sur requête ou si elle s'impose également lorsque l'article 145 est mis en oeuvre par la voie du référé. En d'autres termes, est-ce le caractère non contradictoire de la procédure qui conduit à écarter légitimement le contrat, ou faut-il comprendre que l'article 145 échappe globalement aux clauses attributives de juridiction ?

D'autre part, lorsque la Cour de cassation affirme que la clause attributive de compétence est inopposable à la partie requérante, cela n'exclut pas que cette dernière puisse s'en prévaloir. Ainsi, il est possible que la Cour de cassation ait laissé ouverte une troisième option de compétence au requérant qui souhaiterait se prévaloir du bénéfice de la clause.

3 - Autorité de la chose jugée du pénal sur le civil et sursis à statuer : un aspect procédural de l'affaire du "Médiator" (Cass. civ. 1, 20 septembre 2017, n° 16-19.643, F-P+B+I N° Lexbase : A3786WSZ ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E3903EU4)

L'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil a pour effet de provoquer une obligation de sursis à statuer lorsque la juridiction civile est saisie d'une action donc l'avenir pourrait dépendre de la solution donnée par le juge pénal. L'article 4, alinéa 2, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9885IQ8) dispose ainsi qu'il est sursis au jugement de l'action civile tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement. Depuis la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 (N° Lexbase : L5930HU8), l'alinéa 3 du même article dispose que la mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.

Cette restriction du domaine du sursis à statuer permet au juge civil de statuer sans retard chaque fois que l'enjeu du procès civil se distingue de celui du procès pénal. Elle a également pour finalité de neutraliser les plaintes dilatoires exercées par certains plaideurs pour retarder l'issue d'un procès civil. Ainsi, un employeur en conflit avec son employé devant le conseil des prud'hommes ne pourra retarder l'issue de son procès civil en agissant au pénal contre son employé pour lui reprocher une faute constitutive d'une infraction (vol de documents, d'informations, etc.).

L'utilisation du procès pénal dans un but dilatoire est illustrée par l'arrêt rendu le 20 septembre 2017 par la Cour de cassation dans le volet civil de l'affaire "Médiator". Une victime des effets secondaires du médicament a assigné la société S. en réparation de son préjudice devant la juridiction civile. Le laboratoire pharmaceutique a alors formulé une demande de sursis à statuer en invoquant l'existence de poursuites pénales n'ayant pas fait l'objet d'une décision définitive. La demande de sursis ayant été rejetée par les juridictions du fond, il s'est pourvu en cassation en invoquant notamment le principe de l'autorité de la chose jugée du criminel sur le civil.

L'argumentation du pourvoi était intéressante. La société S. soutenait que le fait générateur de responsabilité civile reposait sur les mêmes éléments matériels que l'infraction pénale faisant l'objet des poursuites. Selon ce moyen, il existait un lien étroit entre les poursuites pour tromperie, homicides et blessures involontaires d'un côté, et le débat civil sur l'existence d'un défaut du produit, d'une absence d'information sur ses effets indésirables et enfin d'un éventuel risque de développement.

En rejetant le pourvoi, la première chambre civile apporte des précisions riches sur les contours du sursis à statuer. Reprenant la substance de l'article 4 du Code de procédure pénale, elle affirme que le sursis à statuer ne s'impose que lorsque la juridiction civile "est saisie de l'action civile en réparation du dommage causé par l'infraction". Elle ajoute ensuite que "dans les autres cas, quelle que soit la nature de l'action civile engagée, et même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil, elle apprécie dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire s'il y a lieu de prononcer un sursis à statuer".

La Cour de cassation distingue ainsi l'action civile qui découle directement de l'infraction de l'action en réparation qui, tout en trouvant son origine dans l'infraction, n'est pas juridiquement fondée sur la commission de l'infraction, c'est-à-dire sur l'existence d'une faute intentionnelle ou d'imprudence. Tel était le cas en l'espèce, de l'action fondée sur la défectuosité du Médiator qui a été jugée "indépendante de l'action publique". Il n'y avait donc pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir au pénal.

Cette décision présente une synthèse de l'évolution jurisprudentielle. Ainsi, dès les années 50, la Cour de cassation jugeait qu'une action en responsabilité sans faute, fondée sur l'article 1384, alinéa 1er (N° Lexbase : L3102ICU), ne devait pas subir l'effet du sursis à statuer (8). La nouvelle rédaction de l'article 4 du Code de procédure pénale, issue de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 ne faisait qu'entériner cette solution. En 2002, la première chambre civile avait également jugé que la question du sursis à statuer relevait du pouvoir discrétionnaire de la juridiction du fond (9).

Il découle de cette évolution légale et jurisprudentielle que l'action civile échappe en grande partie au sursis à statuer. Cette solution se justifie par une volonté de ne pas entraver le cours de la procédure devant les juridictions civiles, mais elle a pour effet secondaire d'entraîner un risque de contradiction de jugements. Indirectement, elle fait donc obstacle à l'autorité de la chose jugée du criminel sur le civil. Pour éviter cet écueil, la Cour de cassation apporte deux nuances. D'une part, le pouvoir discrétionnaire des juridictions du fond s'exerce dans les deux sens. Cela signifie que, si le sursis à statuer ne s'impose pas, rien n'empêche la juridiction du fond de le prononcer (10). D'autre part, à l'issue de la procédure pénale, si une contrariété de jugements apparaît de telle sorte que les deux décisions sont inconciliables, cette contrariété constitue un motif autonome de cassation de la décision civile (11).

4 - Actualité de la procédure devant la cour d'appel

Le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL) a modifié en substance la procédure devant la cour d'appel, mais il n'a pas fait taire la jurisprudence. Bien au contraire, qu'il s'agisse du régime antérieur à l'entrée en vigueur du décret (1er septembre 2017) ou postérieur, les arrêts rendus par la Cour de cassation en la matière sont toujours aussi nombreux et ils traduisent à chaque fois une évolution du régime de l'appel. Nous reprenons ici les solutions les plus marquantes des derniers mois.

  • "Appel sur appel ne vaut" : les différentes applications d'un nouveau principe (Cass. civ. 2, 11 mai 2017, n° 16-18.464, FS-P+B+I N° Lexbase : A4631WCI ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E5797EYD)

Plusieurs décisions rendues en 2017 illustrent ce nouveau principe qui a été partiellement consacré dans le Code de procédure civile. L'hypothèse est la suivante : un plaideur interjette appel, mais il s'aperçoit que son recours est irrégulier et encoure la caducité. Il décide alors de régulariser sa situation en formant un nouveau recours. Le Code de procédure civile et les décisions rendues par la Cour de cassation font désormais obstacle à cette tentative de régularisation. L'article 911-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7243LEY) dispose que la partie dont la déclaration d'appel a été frappée de caducité ou déclarée irrecevable "n'est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l'égard de la même partie". La solution est donc clairement établie dès lors que l'appel est frappé d'une sanction. La question demeure lorsque le plaideur anticipe la sanction et forme un second recours avant que le premier ait été anéanti. C'est l'hypothèse qui a été tranchée dans l'arrêt du 11 mai 2017. Une partie avait formé un appel principal le 2 juin 2014 et, se doutant de l'irrégularité de son appel, avait déposé un second appel principal le 13 février 2015, alors que le jugement n'avait pas encore été signifié. En théorie, les deux appels étaient donc réalisés dans les délais. Le 15 mars 2015, le conseiller de la mise en état a déclaré caduc le premier appel. La question se posait donc de savoir si le second appel, qui était régulier, produisait son plein effet. La Cour de cassation répond par la négative. Elle juge le second recours irrecevable "faute d'intérêt à interjeter appel". En effet, ce recours avait été formé avant même que le précédent ne soit déclaré caduc. La solution est sévère puisque le plaideur se voit désormais interdire toute possibilité de former un second appel régulier lorsqu'il prend conscience de l'irrégularité du premier. Qu'il se trouve en amont ou en aval de la décision du CME déclarant le premier appel caduc, le second recours est nécessairement irrecevable.

Cette solution a été étendue à la saisine de la cour d'appel après cassation. Suivant la procédure en vigueur avant le décret du 6 mai 2017, des époux impliqués dans une affaire ayant fait l'objet d'un renvoi devant une cour d'appel ont adressé une déclaration de saisine à la cour d'appel de renvoi par un courrier de leur avocat. Cette saisine a été déclarée irrecevable par un arrêt irrévocable et les époux ont formé une nouvelle déclaration de saisine. Ici, la question était de savoir si cette seconde déclaration avait pour effet de saisir la cour de renvoi. La Cour de cassation répond, une nouvelle fois, par la négative. Elle affirme que "l'irrecevabilité de la déclaration de saisine confère force de chose jugée au jugement de première instance, lorsque la décision cassée a été prononcée sur appel de ce jugement, rendant irrecevable toute nouvelle déclaration de saisine tendant à déférer à la cour d'appel la connaissance de ce jugement". La solution constitue un prolongement du principe "appel sur appel ne vaut" et la Cour de cassation en étend ici les effets à la saisine de la juridiction de renvoi. Certes, il ne s'agit pas d'une voie de recours au sens strict, mais il s'agit bien d'une modalité de saisine de la juridiction du second degré. L'article 1032 (N° Lexbase : L6820LEC) qui prévoit que "la juridiction de renvoi est saisie par déclaration au greffe de cette juridiction" s'impose donc comme une règle incontournable. En application de la réforme du 6 mai 2017, cette déclaration doit être faite avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt de cassation faite à la partie (C. pr. civ., art. 1034 N° Lexbase : L7257LEI) et ce, à peine d'irrecevabilité relevée d'office.

  • Dépendance de l'appel incident vis-à-vis de l'appel principal : pas toujours ! (Cass. civ. 2, 19 octobre 2017, n° 16-12.885, F-P+B N° Lexbase : A4635WWL ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E9911ETA)

Par principe, le sort de l'appel incident dépend de celui de l'appel principal. Dans un arrêt du 13 mai 2015, la Cour de cassation affirmait que "l'appel incident, peu important qu'il ait été interjeté dans le délai pour agir à titre principal, ne peut être reçu en cas de caducité de l'appel principal" (12). Cette solution a été confirmée, au moins partiellement, dans la nouvelle formulation de l'article 550 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7231LEK), qui date du décret du 6 mai 2017. Selon cette disposition, l'intimé, qui est forclos pour interjeter appel à titre principal, peut encore le faire à titre incident dans les délais imposés par le Code. Toutefois, l'appel incident est irrecevable si l'appel principal n'est pas lui-même recevable ou s'il est caduc. L'anéantissement de l'appel principal conduit ainsi à la disparition de l'appel incident. L'arrêt rendu le 19 octobre 2017 vient nuancer cette solution. En l'espèce, une société HLM avait fait appel d'un jugement ordonnant l'expulsion d'un locataire, mais entre-temps, le locataire avait quitté les lieux de sa propre initiative. L'appel principal a donc été déclaré sans objet. Dans la même affaire, le locataire avait formé un appel incident concernant les modalités de la mesure d'expulsion. L'appel principal ayant été déclaré sans objet, on pouvait penser que l'appel incident devait être jugé irrecevable. Pourtant, la Cour de cassation prend le contrepied de cette analyse. Elle affirme qu'une cour d'appel peut, sans excéder ses pouvoirs, examiner l'appel incident dont elle avait été saisie par l'intimée, même après avoir déclaré sans objet l'appel principal. Cette décision montre qu'il existe des situations particulières dans lesquelles l'appel incident survit à l'anéantissement de l'appel principal. La relation de dépendance entre les deux recours n'est donc pas systématique.

  • Compétence de la cour pour prononcer la caducité de l'appel (Cass. civ. 2, 11 mai 2017, n° 15-27.467, deux arrêts, N° Lexbase : A4626WCC et n° 16-14.868 N° Lexbase : A4629WCG, FS-P+B+I ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E3947EUQ)

Les décisions relatives à la caducité et à l'irrecevabilité de l'appel relèvent de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état depuis sa désignation et jusqu'à la clôture de l'instruction. En application de l'article 914 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7247LE7), les parties doivent donc soulever l'irrégularité de ces recours "par des conclusions, spécialement adressées à ce magistrat".

La question qui se pose est de savoir si la Cour est, elle-même, compétente pour statuer sur ces recours lorsqu'elle est saisie après la clôture de l'instruction, c'est-à-dire à un moment où la compétence exclusive du CME a cessé. Cette question est désormais résolue par l'article 914, alinéa 2, qui pose deux règles distinctes. D'une part, les parties ne sont plus recevables à invoquer devant la cour d'appel la caducité ou l'irrecevabilité après la clôture de l'instruction à moins que leur cause ne survienne ou ne soit révélée postérieurement. D'autre part, lorsque l'instruction est close, la cour d'appel peut, d'office, relever la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou la caducité de celui-ci. Ainsi, les parties qui ont traversé sans heurt l'étape de la mise en état ne sont pas à l'abri d'une possible sanction si la cour décide de se saisir d'office de la question de la caducité ou de l'irrecevabilité.

Le Code de procédure civile n'était pas aussi clair dans le régime antérieur au décret du 6 mai 2017. A cet égard, une application dans le temps de ce texte pouvait donc s'avérer problématique. C'est la raison pour laquelle la Cour de cassation vient d'harmoniser ces règles de compétence par deux arrêts rendus le 11 mai 2017.

Dans le premier arrêt (n° 15-27.467), la cour reprend la solution de l'article 914 selon laquelle "les parties ne sont plus recevables à invoquer la caducité de la déclaration d'appel après son dessaisissement". En l'espèce, le CME n'avait pas été saisi de la question de la caducité et une partie avait soulevé cette question devant la cour. Cette dernière avait alors tranché la question et déclaré l'appel caduc en raison du non-respect du délai de communication des conclusions. Cette solution est censurée par la Cour de cassation. En effet, la cour d'appel avait accueilli un incident soulevé par une partie devant elle alors qu'elle ne pouvait "retenir la caducité qu'en la relevant d'office". La juridiction du fond a ainsi violé l'article 914 du Code de procédure civile.

Dans le second arrêt (n° 16-14.868), les faits étaient différents. La question de la caducité n'avait été soulevée par aucune des parties et la cour d'appel l'avait relevé d'office, après avoir ordonné la réouverture des débats afin que les parties concluent sur cette question. La Cour de cassation valide cette fois la sanction prononcée par la cour d'appel. Elle affirme que la compétence exclusive du CME durant la mise en état et l'interdiction faite aux parties d'invoquer la caducité devant la Cour "ne fait pas obstacle à ce que la cour d'appel relève d'office la caducité".

Ces deux arrêts interviennent opportunément pour harmoniser l'état du droit avant et après l'entrée en vigueur du décret du 6 mai 2017.


(1) Nous renvoyons ici à notre chronique intitulée "Justice du XXIème siècle : enfin la loi ! A propos des aspects de procédure civile de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, Lexbase, éd. priv., n° 681, 2016 (N° Lexbase : N5779BWX).
(2) Ce décret aménage, dans son chapitre IV, la procédure de réexamen en matière civile.
(3) CEDH, 26 juin 2014, Req. 65192/11 (N° Lexbase : A8551MR7).
(4) Cass. soc., 30 septembre 2005, n° 04-47.130, FS-P (N° Lexbase : A6001DKH).
(5) Cass. civ. 2, 15 octobre 2015, n° 14-17.564, FS-P+B (N° Lexbase : A5902NTR).
(6) Cass. civ. 2, 17 juin 1998, n° 95-10.563 (N° Lexbase : A5066ACM).
(7) Même arrêt.
(8) Cass. civ. 2, 24 avril 1958, Gaz. Pal. 1958, 1, 417.
(9) Cass. civ. 1, 2 juillet 2002, n° 00-14.471 (N° Lexbase : A0417AZH).
(10) Cass. soc., 17 septembre 2008, n° 07-43.211, FS-P+B (N° Lexbase : A4090EAQ).
(11) Ass. plén., 3 juillet 2015, n° 14-13.205, P+B+R+I (N° Lexbase : A5553NMM). cf. notre commentaire, Contrariété des jugements : notion de décisions inconciliables et déni de justice in Chronique de procédure civile, Lexbase, éd. priv., n° 625, 2015 (N° Lexbase : N8920BUW).
(12) Cass. civ. 2, 13 mai 2015, n° 14-13.801, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8860NHM ; cf. l’Ouvrage "Procédure civile N° Lexbase : E1477EUA).

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