La lettre juridique n°436 du 14 avril 2011 : Communautaire

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - avril 2011

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 03 Novembre 2011

Ces dernières semaines la Cour de justice s'est prononcée sur des questions récurrentes et a apporté des réponses classiques. Tel est le cas lorsqu'elle rappelle les critères de distinction entre les marchés publics et les concessions de service publics (CJUE, 10 mars 2011, aff. C-274/09). Elle peut, également, se trouver confrontée à des problèmes inédits et imposer de nouvelles contraintes aux systèmes juridiques nationaux par la simple application des principes traditionnels de sa jurisprudence. Elle a eu, ainsi, à connaître de la compatibilité avec la liberté d'établissement d'une réglementation de la communauté autonome de Catalogne relative à l'urbanisme commercial (CJUE, 24 mars 2011, aff. C-400/08). Elle peut, enfin, se prononcer sur des questions nouvelles et apporter des réponses sinon révolutionnaires du moins très innovantes. Elle admet donc qu'un ressortissant d'un Etat tiers dispose d'un droit au séjour lorsqu'il est le parent d'un mineur qui a la qualité de citoyen européen (CJUE, 8 mars 2011, aff. C-34/09).
  • La distinction entre marché public et concession de service public (CJUE, 10 mars 2011, aff. C-274/09 N° Lexbase : A3226G7M)

Dans l'arrêt ici commenté, la Cour de justice rappelle que, pour distinguer un marché public d'une concession de service public, tels qu'ils sont définis par la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU), deux éléments cumulatifs doivent être pris en compte : le mode de rémunération du cocontractant (A) et la charge du risque lié à l'exploitation du service en question (B).

A - Le mode de rémunération du cocontractant

La Cour de justice rappelle qu'il résulte de la Directive (CE) 2004/18 que la différence entre un marché public de services et une concession de services réside dans la contrepartie de la prestation de services. En effet, "le marché de services comporte une contrepartie qui, sans pour autant être la seule, est payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire de services [...] alors que, dans le cas d'une concession de services, la contrepartie de la prestation de services consiste dans le droit d'exploiter le service, soit seul, soit assorti d'un prix" (1).

Or dans cette affaire, qui concerne la fourniture de service de secours à la population, le montant des droits d'utilisation prévu pour cette prestation de services de secours est convenu entre l'organisme de Sécurité sociale et le prestataire de services retenu par la collectivité territoriale adjudicatrice. En outre, le prestataire de services retenu perçoit ses droits auprès d'un bureau central de règlement, qui est désigné par le ministère de l'Intérieur bavarois, aux services duquel il est légalement tenu de recourir. Ce bureau transfère au prestataire de services une rémunération sous forme d'acomptes hebdomadaires ou mensuels, sur la base d'une rémunération globale annuelle calculée à l'avance indépendamment du nombre d'interventions réellement effectuées. Si un découvert apparaît en fin d'année, il fera l'objet de négociations. Dès lors, le prix n'est pas fixé par le pouvoir adjudicateur et le prix de la prestation n'est pas payé par les usagers.

Pour la Cour, le point déterminant est le paiement par un tiers et non pas par le pouvoir adjudicateur. La solution n'en demeure pas moins originale car, ici, ce n'est pas directement l'usager qui paye le prestataire, mais une autre personne juridique qui est, en l'occurrence, un organisme de Sécurité sociale. La Cour admet, ainsi, qu'il peut y avoir concession même dans les hypothèses où le prix n'est pas payé par l'usager lui-même. Restait, alors, à examiner si le risque de l'exploitation reposait bien sur les entreprises concessionnaires.

B - La charge du risque de l'exploitation

Il s'agit ici d'apprécier si le risque, même très limité, lié à l'exploitation a été transféré au concessionnaire par le pouvoir adjudicateur. Dans cette affaire, il apparaît que le groupement de communes en cause avait transféré aux prestataires l'intégralité de l'exécution technique, administrative et financière des prestations de services de secours pour une durée de plusieurs années. Toutefois, le risque économique lié à l'exploitation d'un tel service est, par nature, limité. La Cour de justice, de manière fort intéressante, énonce alors les différentes formes que peut recouvrir ce risque économique. Il comprend "le risque d'exposition aux aléas du marché [...] lequel peut se traduire par le risque de concurrence de la part d'autres opérateurs, le risque d'une inadéquation entre l'offre et la demande de services, le risque d'insolvabilité des débiteurs du prix des services fournis, le risque d'absence de couverture intégrale des dépenses d'exploitation par les recettes, ou encore le risque de responsabilité d'un préjudice lié à un manquement dans le service" (2). En revanche, elle estime que "des risques tels que ceux liés à une mauvaise gestion ou à des erreurs d'appréciation de l'opérateur économique ne sont pas déterminants aux fins de qualifier un contrat de marché public ou de concession de services, de tels risques étant, en effet, inhérents à tout contrat, que celui-ci corresponde à un marché public de services ou à une concession de services" (3).

En l'espèce, les droits d'utilisation sont déterminés, annuellement, par voie de convention avec les organismes de Sécurité sociale. Le prestataire risque donc de se trouver confronté à de nouvelles contraintes imposées pendant la durée du contrat et qui n'étaient donc pas nécessairement toutes prévisibles au moment de sa conclusion. Or, il paraît très difficile pour le prestataire de résilier le contrat avant son échéance. En outre, les coûts prévisionnels et les coûts réels peuvent différer car il n'est pas possible d'exclure qu'il y ait des fluctuations de l'activité. Par ailleurs, 10 % du service est payé par les usagers eux-mêmes lorsqu'ils ne sont pas couverts par la Sécurité sociale. Il y a donc un risque d'insolvabilité. Enfin, le pouvoir adjudicateur avait, en l'espèce, confié ce service à deux entreprises distinctes, il existait donc un certain degré de concurrence. Le contrat doit donc être qualifié de concession.

  • Le droit de l'urbanisme commercial à l'épreuve du droit du marché intérieur (CJUE, 24 mars 2011, aff. C-400/08 N° Lexbase : A4673HG8)

Afin de se prononcer sur l'existence d'un manquement commis par le royaume d'Espagne en raison de la réglementation de la communauté autonome de Catalogne relative à l'urbanisme commercial, la Cour de justice devait se prononcer sur l'existence d'une restriction à la liberté d'établissement (A), puis examiner si cette entrave était susceptible d'être justifiée par des exigences impérieuses d'intérêt général (B).

A - L'existence d'une entrave

La Cour de justice examine, d'abord, si la réglementation constitue une discrimination indirecte. En effet, cette réglementation ne contient aucun critère de distinction en fonction de la nationalité de l'entreprise, mais la Commission estimait qu'elle produisait des effets discriminatoires. En effet, elle soutenait que la réglementation catalane était particulièrement sévère pour les établissements de grande taille (hypermarchés), et que cette distinction induisait un avantage pour les opérateurs économiques espagnols au détriment des opérateurs d'un autre Etat membre de l'Union et, en l'occurrence, probablement aux entreprises françaises qui sont très présentes sur le marché espagnol de la grande distribution. La Cour de justice estime, toutefois, que la Commission n'a pas apporté de preuves suffisantes à l'appui de ses allégations.

Dans ses conclusions, l'Avocat général E. Sharpston avait parfaitement démontré que seuls certains aspects de la réglementation catalane avaient pour effet de défavoriser les très grands établissements commerciaux par rapport aux établissements de petite et moyenne dimension. Ensuite, il est admis que les opérateurs étrangers contrôlent en Catalogne la majorité des grands établissements, alors que ceux de taille inférieure sont contrôlés par les espagnols. Mais il n'est pas possible d'en déduire que les opérateurs étrangers préfèrent les grands établissements, et les opérateurs espagnols les établissements commerciaux plus petits. Une simple coïncidence n'est pas suffisante pour construire un lien de causalité. Dans la mesure où la Commission n'apportait aucun autre élément, la Cour ne pouvait que constater que la réglementation n'était pas indirectement discriminatoire.

La Cour rappelle, toutefois, que, "selon une jurisprudence constante, l'article 43 CE [devenu article 49 TFUE] (N° Lexbase : L2697IPL) s'oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans discrimination tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les citoyens de l'Union, de la liberté d'établissement garantie par le Traité" (4). Cette extension de la jurisprudence "Cassis de Dijon" (5) à la liberté d'établissement est désormais ancienne (6).

Sans entrer dans les détails de la réglementation catalane, la Cour rappelle simplement que constitue bien une entrave "une réglementation nationale qui subordonne l'établissement d'une entreprise d'un autre État membre à la délivrance d'une autorisation préalable, car celle-ci est susceptible de gêner l'exercice, par une telle entreprise, de la liberté d'établissement en l'empêchant d'exercer librement ses activités par l'intermédiaire d'un établissement stable" (7). On rappellera, d'ailleurs, que, selon l'article 9, paragraphe 1, b) de la Directive (CE) 2006/123 du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4), "la nécessité d'un régime d'autorisation est justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général". C'est, ainsi, considérer qu'un régime d'autorisation est en soi une restriction à la liberté d'établissement. La plus grande difficulté résidait donc dans les possibles justifications de cette restriction.

B - Les justifications de l'entrave

La Commission soutenait que la réglementation catalane ne visait qu'à protéger le petit commerce et qu'elle poursuivait donc un objectif purement économique, qui ne pouvait donc être considéré comme une exigence impérative d'intérêt général (8). L'Espagne faisait, en revanche, valoir que cette réglementation pouvait se réclamer de la protection des consommateurs, de la protection de l'environnement et de l'aménagement du territoire, qui ont effectivement été considérés comme des exigences impératives par la Cour de justice (9). La Cour rappelle ensuite, de manière fort intéressante, que, "s'il incombe à l'Etat membre invoquant une raison impérieuse d'intérêt général pour justifier une restriction à une liberté de circulation de démontrer que sa réglementation est appropriée et nécessaire pour atteindre l'objectif légitime poursuivi, cette charge de la preuve ne saurait aller jusqu'à exiger que cet Etat membre démontre, de manière positive, qu'aucune autre mesure imaginable ne permet de réaliser ledit objectif dans les mêmes conditions" (10). Elle va donc, pour chacun des aspects de la réglementation en cause, examiner s'il est nécessaire.

La réglementation vise, d'abord, à limiter les emplacements et la taille des établissements de type "hypermarché". Pour la Cour, de telles limitations visent bien des objectifs de protection de l'environnement et d'aménagement du territoire, mais elle estime que l'Espagne n'a pas démontré en quoi elles permettaient effectivement de répondre à ces impératifs. Elle met, ensuite, en place un système d'autorisation spécifique à l'égard des grands établissements. La Cour estime qu'un régime d'autorisation est seul capable de protéger l'environnement. A cet égard, il n'y a pas de violation du droit de l'Union. En revanche, l'obligation de prendre en compte, pour la délivrance d'une telle autorisation, l'existence d'un équipement commercial dans la zone concernée, ainsi que les effets de cette nouvelle implantation sur la structure commerciale de cette zone répond à un objectif purement économique et n'est donc pas justifié. Il en va de même de l'obligation, dans le cadre de la procédure de délivrance de cette autorisation, d'établir un rapport sur le degré d'implantation et l'incidence sur le commerce de détail.

Pour ce qui concerne l'obligation de consultation du tribunal de défense de la concurrence, la Cour considère que, dans la mesure où il s'agit simplement d'une question procédurale et que la décision de cet organisme est non contraignante, cette exigence est justifiée au regard des raisons invoquées par le Royaume d'Espagne. Il en va de même de l'exigence de consultation de la commission des équipements commerciaux. La Cour stigmatise, toutefois, la composition de cette commission. Elle remarque, en effet, que cette commission est composée de représentants des collectivités publiques et du commerce local préexistant. Elle conclut donc qu'"un organisme composé de cette sorte, au sein duquel les intérêts liés tant à la protection de l'environnement qu'à celle des consommateurs ne sont pas représentés, tandis que le sont les concurrents potentiels du demandeur d'autorisation, ne peut constituer un instrument apte à réaliser des objectifs d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement et de protection des consommateurs" (11).

La Commission reprochait, également, l'insuffisante précision des critères fixés dans la législation catalane. Il faut, en effet, rappeler que l'article 10, paragraphe 2 d) et g) de la Directive (CE) 2006/123 précise que les critères d'attribution d'une autorisation doivent être "clairs et non ambigus [...] transparents et accessibles". La Cour de justice ne va, toutefois, pas sanctionner sur ce point le droit espagnol. Elle estimait, encore, que le système selon lequel le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet était contraire à la liberté d'établissement et qu'il aurait fallu mettre en place un système, estimé plus favorable, selon lequel le silence vaut décision d'acceptation. Là encore, la Cour considère qu'il n'y a pas violation du droit de l'Union. Pour finir, il était reproché l'obligation de payer une taxe à l'administration afin de financer le traitement des demandes d'autorisation. Ce coût, qui est de 0,1 % du coût total du projet, est apparu raisonnable à la Cour de justice. Il ne reste donc plus qu'au législateur français à lire avec attention cet arrêt qui constitue une sorte de vademecum pour les pouvoirs publics nationaux souhaitant intervenir en matière d'urbanisme commercial (12).

  • Le droit de séjour d'un enfant mineur citoyen européen et de ses ascendants, ressortissants d'un Etat tiers (CJUE, 8 mars 2011, aff. C-34/09 N° Lexbase : A8752G4W)

Afin de mesurer précisément l'innovation (B) que constitue l'arrêt ici commenté, il convient de rappeler les faits de l'affaire et la jurisprudence antérieure de la Cour de justice (A).

A - Faits de l'espèce et jurisprudence antérieure de la Cour

Les faits de l'espèce étaient relativement simples. M. X, de nationalité colombienne, après être entré en Belgique, avait demandé, ainsi que son épouse, à bénéficier du statut de réfugié. Ce statut leur ayant été refusé, ils avaient donc fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire belge, mais sans possibilité de reconduite en Colombie en raison de l'état de guerre civile que subissait ce pays. Ils ont de nouveau sollicité les autorités belges pour obtenir la régularisation de leur séjour. Ils se sont vus opposer une décision de refus qu'ils ont, sans succès, contesté devant la juridiction administrative. Quelques mois plus tard, Mme X a donné naissance a un enfant, qui, né sur le territoire belge, a la nationalité belge et, en l'absence de démarche particulière de ses parents, n'a pas la nationalité colombienne. Deux ans, plus tard, un autre enfant est né. Ils ont donc demandé à bénéficier d'un droit de séjour sur le territoire de l'Union en leur qualité de parent d'enfants ayant la qualité de citoyen belge.

De tels faits n'étaient pas totalement nouveaux pour la Cour de justice. Dans l'arrêt "Chen" (13), une ressortissante chinoise, séjournant au Royaume-Uni, avait accouché en Irlande du Nord. Or, en vertu de la loi de la République d'Irlande, toute personne née sur le territoire de l'île d'Irlande a la nationalité irlandaise. Dès lors, l'enfant était de nationalité irlandaise et, par là même, avait la qualité de citoyen européen. La Cour de justice avait estimé que, dans la mesure où l'enfant avait la citoyenneté européenne, il disposait d'un droit à la libre circulation dans l'Union, comme ses ascendants dont il était à charge. Cette personne disposait, ainsi, grâce à son enfant de nationalité irlandaise, d'un droit de séjour sur le territoire du Royaume-Uni. Les faits de l'affaire "Chen" se distinguaient, toutefois, des faits de l'affaire du 8 mars 2011. Dans l'affaire "Chen", le droit au séjour au Royaume-Uni découlait de l'exercice de la liberté de circulation de l'enfant irlandais vers le territoire du Royaume-Uni. Dans la présente affaire, en revanche, il n'y avait aucun élément circulatoire. La situation n'était affectée d'aucun élément d'extranéité, tous les éléments de la situation en cause pouvaient être rattachés, en apparence du moins, à un seul et même ordre juridique.

B - Innovation ?

Le Royaume de Belgique, les huit Etats membres, dont la France, intervenant à la procédure, ainsi que la Commission européenne, avait estimé qu'il s'agissait d'une situation purement interne à l'égard de laquelle le droit de l'Union n'était pas applicable. L'Avocat général Sharpston, avait, dans ses conclusions, contesté ce point de vue de manière très circonstanciée et convaincante. Sans qu'il soit besoin de revenir sur ces arguments, on rappellera que la jurisprudence de la Cour de justice relative aux situations purement internes n'est pas toujours très rigoureuse, et qu'elle a une conception très extensive de la circulation entrant dans le champ d'application du Traité. Mais tous ces éléments, quel que soit, par ailleurs, leur intérêt pratique ou intellectuel ne sont pas ici d'une grande importance, car ils ne sont pas évoqués par l'arrêt de la Cour, dont la principale caractéristique n'est pas l'abondance de la motivation.

La Cour affirme laconiquement que "l'article 20 TFUE (N° Lexbase : L2507IPK) s'oppose à des mesures nationales ayant pour effet de priver les citoyens de l'Union de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l'Union" (14). Elle apprécie alors in concreto la situation des enfants, citoyens européens. Elle estime logiquement que "le refus de séjour opposé à une personne, ressortissant d'un Etat tiers, dans l'Etat membre où résident ses enfants en bas âge, ressortissants dudit Etat membre, dont elle assume la charge, ainsi que le refus d'octroyer à cette personne un permis de travail auront un tel effet" . Elle considère "qu'un tel refus de séjour aura pour conséquence que lesdits enfants, citoyens de l'Union, se verront obligés de quitter le territoire de l'Union pour accompagner leurs parents. De la même manière, si un permis de travail n'est pas octroyé à une telle personne, celle-ci risque de ne pas disposer de ressources nécessaires pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille, ce qui aurait, également, pour conséquence que ses enfants, citoyens de l'Union, se verraient obligés de quitter le territoire de celle-ci. Dans de telles conditions, lesdits citoyens de l'Union seront, de fait, dans l'impossibilité d'exercer l'essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l'Union" (16).

Autrement dit, si les parents X ne se voient pas reconnaître un droit de séjour en Belgique, les enfants ne pourront plus séjourner en Belgique. Ces derniers se verront donc priver d'un droit fondamental attaché à la qualité de citoyen européen qui est le droit de séjourner librement sur le territoire des Etats membres de l'Union.

L'examen de la situation des enfants X comme une situation purement interne reposait sur une mauvaise appréhension de ce phénomène. Les situations purement internes sont, en effet, toujours des hypothèses dans lesquels il existe une discrimination à rebours : un ressortissant d'un Etat ne peut se prévaloir d'une liberté que lui confère le marché intérieur à l'encontre de son propre Etat, alors que le ressortissant d'un autre Etat, dans une situation comparable, pourrait le faire. Il n'y a, d'ailleurs, discrimination à rebours que face à une entrave indistinctement applicable. Or, la discrimination à rebours ne relève, par nature, pas du champ d'application du droit de l'Union. Ce n'est pas une discrimination en raison de la nationalité au sens du droit de l'Union. En effet, ce principe, dans le cadre du marché intérieur, est, en réalité, une composante du droit à la libre circulation. Avant que la Cour ne s'intéresse aux mesures indistinctement applicables, une entrave était, par nature, considérée comme une discrimination directe ou indirecte. Dès lors, par nature, ce n'est jamais le séjour d'une personne sur son territoire qui est en cause dans une discrimination à rebours, mais l'exercice d'un droit, par ailleurs, conféré aux autres ressortissants de l'Union.

Il en va de même dans le cadre de la citoyenneté. Ce droit à la non-discrimination en raison de la nationalité reconnu aux citoyens européens se distingue des autres droits comme en témoigne sa formulation dans un article 18 TFUE (N° Lexbase : L2484IPP) distinct de l'article 20 TFUE, qui, lui, consacre les autres droits fondamentaux du citoyen européen. La rédaction de cet article 18 FUE est elle-même spécifique : "dans le domaine d'application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu'ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité". Or l'interprétation de la Cour de justice du principe de non-discrimination en raison de la nationalité implique qu'il y ait eu auparavant exercice d'une liberté de circulation. Mais le principe de non-discrimination n'implique pas un droit au séjour puisque ce dernier est par ailleurs garanti par l'article 20 TFUE, il vise à garantir dans le cadre du droit au séjour dans un autre Etat membre un exercice non discriminatoire des droits. Dès lors dans la mesure où le problème face auquel se trouvaient les enfants Zambrano était une question de droit au séjour dans leur propre Etat, l'article 18 TFUE était par nature inapplicable et dès lors, aucun problème de situation purement interne ne pouvait être évoqué. La Cour devait donc se prononcer uniquement au regard de l'article 20 TFUE.

Pour apprécier l'exacte portée de la solution de la Cour, il faut ici rappeler la structure de l'article 20 TFUE : "1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les Traités. Ils ont, entre autres : a) le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ; b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'Etat membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ; c) le droit de bénéficier, sur le territoire d'un pays tiers où l'Etat membre dont ils sont ressortissants n'est pas représenté, de la protection des autorités diplomatiques et consulaires de tout Etat membre dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État ; d) le droit d'adresser des pétitions au Parlement européen, de recourir au médiateur européen, ainsi que le droit de s'adresser aux institutions et aux organes consultatifs de l'Union dans l'une des langues des Traités et de recevoir une réponse dans la même langue. Ces droits s'exercent dans les conditions et limites définies par les Traités et par les mesures adoptées en application de ceux-ci".

Force est de constater que les droits conférés aux littera b), c) et d) ne sont pas subordonnés à l'exercice de la liberté de circulation, mais sont conférés directement aux citoyens européens. Dès lors, l'élément circulatoire n'est pas, en soi, déterminant pour déterminer l'existence des droits attachés à la citoyenneté. La situation des enfants X pose finalement une question d'interprétation du littera a) de l'article 20 TFUE. Au regard de sa rédaction, deux interprétations paraissent possibles : soit le droit de séjourner est une conséquence de la liberté de circulation, soit il s'agit d'un droit autonome qui existe indépendamment de l'exercice préalable de la liberté de circulation. Or, dans la situation des enfants X, la première interprétation a pour conséquence de les priver du droit de séjourner sur le territoire belge. Seule la première interprétation permet, ainsi, de leur assurer un droit de séjour sur le territoire belge, Etat dont ils ont la nationalité.

Dès lors, on ne comprend pas très bien pas pourquoi l'affaire ici commentée n'a pas pu être réglée au regard du seul droit belge et du droit européen des droits de l'Homme. En effet, tout citoyen dispose d'un droit inconditionnel au séjour sur le territoire de l'Etat dont il a la nationalité. Ce principe s'exprime indirectement par l'interdiction d'extrader les nationaux qui est reconnue implicitement par la loi belge du 15 mars 1874, relative à l'extradition, et par l'interdiction d'expulser ses propres ressortissants qui est, notamment, consacrée par l'article 3 du Protocole n° 4 additionnel à la CESDH. Selon cet article, "1. Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l'Etat dont il est le ressortissant. 2. Nul ne peut être privé du droit d'entrer sur le territoire de l'Etat dont il est le ressortissant". Il résulte du rapport explicatif de ce protocole que "le mot 'expulsion' doit être compris ici dans le sens générique que lui reconnaît le langage courant ('chasser hors d'un endroit')" (17). Ce protocole a été ratifié par la Belgique le 21 septembre 1970. En toute hypothèse, les enfants X ne pouvaient être "expulsés" de Belgique et, dans la mesure où ils sont mineurs, cela impliquait nécessairement de conférer un titre de séjour à leurs parents.

A n'en pas douter, le véritable apport de la Cour de justice est surtout son pragmatisme qui permet de conclure que le refus de séjour des parents implique de priver les enfants de leur droit au séjour sur le territoire belge. On notera, d'ailleurs, qu'en ce sens, l'article L. 313-11 du Code français de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L6388IGP) permet de délivrer un titre de séjour "vie privée et familiale" aux "ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint, lorsqu'ils sont à sa charge et qu'ils sont privés du soutien familial nécessaire dans le pays d'origine". Dès lors, si le droit belge et l'interprétation qui en était faite conduisait indirectement à l'expulsion des enfants X, la Cour ne pouvait admettre une telle interprétation du Traité, sauf à méconnaître elle-même le principe selon lequel tout citoyen a le droit de résider sur le territoire de l'Etat dont il a la nationalité.

Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Point n° 24.
(2) Point n° 37.
(3) Point n° 38.
(4) Point n° 63.
(5) CJCE, 20 février 1979, aff. C-120/78 (N° Lexbase : A5743AUA).
(6) CJCE, 31 mars 1993, aff. C-19/92 (N° Lexbase : A0065AWC).
(7) Point n° 65.
(8) Voir, par exemple, CJCE, 28 avril 1998, aff. C-120/95 (N° Lexbase : A0132AWS).
(9) Voir respectivement CJCE, 20 février 1979, aff. C-120/78, précité ; CJCE, 9 juillet 1992, aff. C-2/90 (N° Lexbase : A9960AUG) ; CJCE, 1er juin 1999, aff. C-302/97 (N° Lexbase : A1746AWL).
(10) Point n° 75.
(11) Point n° 111.
(12) Voir la proposition de loi relative à l'urbanisme commercial, adoptée en première lecture par le Sénat le 31 mars 2011.
(13) CJCE, 19 octobre 2004, aff. C-200/02 (N° Lexbase : A6217DDM).
(14) Point n° 42.
(15) Point n° 43.
(16) Point n° 44.
(17) Point n° 21.

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