La lettre juridique n°436 du 14 avril 2011 : Éditorial

Echec au roi : le "délit d'offense au Président" est-il mat pour autant ?

Lecture: 6 min

N9635BRB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Echec au roi : le "délit d'offense au Président" est-il mat pour autant ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/4318099-echec-au-roi-le-delit-doffense-au-president-estil-mat-pour-autant
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Pourquoi la condamnation, par la Cour européenne des droits de l'Homme, de l'injure grave au roi ou "crime de lèse-majesté" appliqué en Espagne, ne doit pas remettre nécessairement en cause le "délit d'offense au Président de la République" instruit en France ? Le suffrage universel direct : tel est le pilier de notre démocratie qu'il convient de placer au dessus des lois communes et de protéger par une disposition spéciale excluant l'arbitraire.

Le 15 mars 2011, la Cour européenne jugeait contraire à l'article 10 de la Convention la condamnation d'un parlementaire qui avait mis en cause le roi d'Espagne, dans le cadre de violences policières prétendument subies par des journalistes basques. L'affaire ne pouvait être que sulfureuse, puisqu'elle mêlait l'atteinte à la liberté d'expression du parlementaire, l'atteinte à la liberté d'opinion des journalistes suspectés de connivence avec les indépendantistes activistes basques, et l'atteinte à la sûreté et l'unité de l'Etat espagnol sur fond de terrorisme. Heureusement, le cadre d'intervention des juges conventionnels se limitait à un arbitrage savant entre les libertés d'expression et d'opinion et le respect de l'institution monarchique dont le roi est la figure emblématique. Le parlementaire a été condamné, en appel, à un an d'emprisonnement accompagné de la suspension de son droit de suffrage passif pour avoir qualifié Juan Carlos de "véritable honte politique" et l'avoir désigné comme "celui qui protège la torture et qui impose son régime monarchique [...] au moyen de la torture". Pour la Cour européenne, si la protection de la réputation du roi d'Espagne constitue un but légitime, elle note que les propos proférés avaient un lien suffisant avec les allégations de mauvais traitements et qu'elles s'inscrivaient dans le cadre d'un débat plus large portant sur la responsabilité des forces de l'ordre dans des cas de mauvais traitements. Le caractère provocateur des paroles proférées s'inscrivait, dès lors, dans un débat d'intérêt général mettant en cause la responsabilité institutionnelle du roi dans des exactions de torture. Ainsi, la Cour se place volontiers sur le terrain des libertés d'expression et d'opinion et de la disproportion de la sanction prononcée à l'égard du parlementaire jugé, dès lors, polémiste et non séditieux, prenant garde, dans son communiqué, à ne pas remettre directement en cause la loi espagnole condamnant l'injure grave envers le roi, au nom de la surprotection des chefs d'Etat.

D'abord, la Cour prend soin de qualifier le roi d'Espagne d'"homme politique" (§ 51), désacralisant immédiatement le représentant de l'institution monarchique, lui qui répond pourtant au titre de "roi très catholique" depuis Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon. Désacralisé, le roi d'Espagne n'est plus que l'équivalent d'un Deschanel ou d'un Millerand, un Président de la IIIème République sans responsabilité devant le peuple, garant au mieux des institutions démocratiques et de la séparation des pouvoirs, sinon de la floraison des chrysanthèmes. C'est donc un homme politique, certes haut représentant de l'Etat, qui fut le sujet de quolibets et non un roi d'ancien régime. Par conséquent, le débat entre superprotection et liberté d'expression s'avérait plus évident pour les juges de Strasbourg. Et, à tout le moins, les gardiens des droits de l'Homme, héritiers des Lumières, ne pouvaient que faire leurs, la pensée de Montesquieu, dans De l'esprit des lois ("c'est assez que le crime de lèse-majesté soit vague, pour que le gouvernement dégénère en despotisme" et "combien il est dangereux dans les républiques de trop punir le crime de lèse-majesté") et de Beccaria, dans Des délits et des peines ("la tyrannie et l'ignorance ont donné ce nom de lèse-majesté à une foule de délits de nature très différente"). Aussi, bien que neutre dans le débat politique, le roi symbolise l'Etat ; et "le fait que le roi soit irresponsable' en vertu de la Constitution espagnole, notamment sur le plan pénal, ne saurait faire obstacle en soi au libre débat sur son éventuelle responsabilité institutionnelle". Or, la condamnation de l'arbitraire et la désacralisation de la personne du roi renvoient aux oubliettes le "crime de lèse-majesté", tel qu'il fut dévoyé par le pape Innocent III, qui adjoignit à cette infraction une dimension hautement religieuse pour condamner l'hérésie et favorisa, ainsi, l'arbitraire contre la liberté d'opinion, moins politique, que religieuse. C'est ce "crime de lèse-majesté"-ci que la Cour condamne, allant jusqu'à estimer que des propos mettant en cause le principe monarchique en l'Espagne -le parlementaire requérant estimant que le régime monarchiste assurait sa perduration par la violence et la torture, l'assimilant à un régime despotique- entrent dans le cadre du débat libre d'intérêt général.

A l'inverse, le "délit d'offense au Président de la République" n'est pas, contrairement à ce que d'aucuns parlementaires français pensent, à l'image de cette proposition de loi visant à le supprimer déposée au bureau de Sénat, le 19 novembre 2008, une réminiscence du "crime de lèse-majesté" supprimé en 1832 (par la monarchie de Juillet donc) et réintroduit, sous sa forme actuelle, par la IIIème République. Pour être précis, c'est toujours l'article 26 de la loi de 1881 qui prévoit ce "délit d'offense au Président de la République" puni d'une amende, désormais, d'un montant de 45 000 euros, mais ce délit a changé de fondement. En 1881, la République était mal assise et attendait la défection du comte de Chambord/Henri V pour asseoir sa légitimité et perdurer. Le délit, aujourd'hui parfois contesté, était proprement l'avatar de la lèse-majesté. Mais, en 1962, l'introduction du suffrage universel direct pour l'élection du Président de la République entraîne le rattachement du délit d'offense, non plus à l'arbitraire décrétale de 1199 d'Innocent III, mais à la "loi de majesté" de Cicéron, à la République romaine. Cette "loi de majesté" condamnait l'atteinte au bien publique et à la majesté suprême du peuple, dont le bien le plus précieux et l'expression de son suffrage. C'est du moins de cette manière que le Président De Gaulle l'entendait, lui qui intenta plus 500 procès sur ce fondement, aux heures noires de la République menacée par les putschs.

Certes, dans son arrêt "Colombani", du 25 juin 2002, la Cour relevait que "le délit d'offense tend à conférer aux chefs d'Etat un statut exorbitant du droit commun, les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans aucune prise en compte de l'intérêt de la critique". Et, elle ajoutait que "cela [revenait] à conférer aux chefs d'Etat étrangers un privilège exorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d'aujourd'hui". Et, la France d'abroger ce délit d'offense envers les chefs d'Etat étrangers, à travers la loi "Perben II" du 9 mars 2004. Mais, il s'agit, désormais, de protéger la personne incarnant le plus haut degré démocratique en France, à travers le suffrage universel et non les Présidents Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo !

Alors, quid du recours aux instances conventionnelles internationales de Hervé Eon, qui brandit, lors d'une visite présidentielle à Laval, une pancarte avec le slogan "Casse-toi, pov' con", en référence à la prose fleurie du Président français ? En effet, le délinquant a été condamné par le tribunal correctionnel, la cour d'appel d'Angers et la Cour de cassation à une peine symbolique de 30 euros avec sursis ; condamnation qu'il entend contester auprès de la Cour européenne. Mais, il est probable que le sort du Président français diffère de celui de Juan Carlos, "bouclier humain contre le franquisme" en 1981, père de la démocratie moderne espagnole. La mise en oeuvre du délit d'offense en France a non seulement entraîné une condamnation symbolique, mais l'offense ne contrevient pas particulièrement au débat d'intérêt général. Il ne s'agissait, pour le sieur Eon, de manière peu chevaleresque mais avec une certaine effronterie, de marquer son opposition à la politique générale du Président et non singulièrement et de manière non équivoque à l'une de ses actions ou responsabilités.

Et, elle serait sage de ne pas déboulonner la "statut du commandeur" de tous les chefs d'Etat, en tant qu'institution démocratique, sauf à favoriser l'affaissement du politique, l'avènement de l'invective et la consécration des politiques, tant craints par Weber. Ce faisant, la Cour, dans sa sagesse, consacrerait le principe de lèse-majesté dans sa téléologie républicaine et démocratique pour ne sanctionner que sa conception monarchiste absolue. Il est seulement étrange que le roi le plus démocratique soit victime de cet élagage et que le Président d'une monarchie républicaine en soit exsangue.

newsid:419635

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.