La lettre juridique n°711 du 14 septembre 2017 : Collectivités territoriales

[Jurisprudence] Les modalités d'encadrement du recours à une procédure de consultation du public par une collectivité locale - conclusions du Rapporteur public (seconde partie)

Réf. : CE Ass., 19 juillet 2017, n° 403928,403948, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A2077WNA)

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N0028BXC

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par Vincent Daumas, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 14 Septembre 2017

Dans un arrêt rendu le 19 juillet 2017, la Haute juridiction administrative précise les modalités d'encadrement du recours à une procédure de consultation du public par une collectivité locale et plus précisément par un conseil général : elle rappelle le nécessaire respect des principes d'égalité et d'impartialité, dont il découle que la consultation doit être sincère. La régularité de la consultation implique également que la définition du périmètre du public consulté soit pertinente au regard de son objet, Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Vincent Daumas (voir la première partie N° Lexbase : N0027BXB). 2.3. Une fois campé le cadre juridique des consultations du public organisées à titre facultatif, quelques précisions méritent d'être apportées sur l'office du juge.

Indiquons tout d'abord, à ce propos, que le juge peut se trouver saisi, directement, d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision prise par l'autorité administrative d'organiser une consultation du public -ce qui n'est pas la configuration de la présente affaire-. L'examen d'un tel recours par le juge ne pose pas de difficulté particulière hormis celle tenant à la question de sa recevabilité. Même si la décision d'organiser une consultation ne sera sans doute pas toujours formalisée, nous pensons qu'en général, ce recours devrait être jugé recevable au regard de son objet. Car une fois identifiée une telle décision, il paraît difficile de la ravaler au rang de simple mesure préparatoire, insusceptible de recours (1). L'expression, par une autorité administrative, de la volonté de recourir à une procédure de consultation du public nous paraît revêtir un caractère décisoire et produire des effets propres -notamment parce que la consultation a des implications, parfois importantes, en termes de dépenses pour l'autorité qui l'organise-. Il est possible de tenter une analogie, sur ce point, avec la délibération prescrivant l'adoption ou la révision d'un plan local d'urbanisme, délibération qui porte, d'une part, sur les objectifs généraux poursuivis par le projet d'élaboration ou de révision de ce document d'urbanisme et, d'autre part, sur les modalités de la concertation avec les habitants et les associations locales : vous jugez cette délibération susceptible de recours devant le juge de l'excès de pouvoir (CE Sect., 5 mai 2017, n° 388902 N° Lexbase : A1651WDI, à publier au Recueil).

Il est encore possible d'imaginer un recours direct contre les résultats de la consultation -ou du moins contre l'acte constatant ces résultats-. Mais pour le coup, il n'est guère douteux qu'un tel recours serait irrecevable car dirigé contre un acte purement préparatoire ou, en tout cas, non décisoire, et à l'un ou l'autre de ces titres insusceptible de recours. De manière constante, et si l'on met de côté l'encoche très circonscrite résultant de vos récentes décisions d'Assemblée "Fairvesta" et "Numericable" (2), vous rejetez comme irrecevables les recours dirigés contre de simples avis, dès lors qu'ils sont véritablement dépourvus de caractère décisoire et ne produisent pas d'effets juridiques (3). Et tel doit être le cas de l'avis qui ressort des résultats d'une consultation du public, qui ne peut légalement avoir d'autre portée que d'éclairer l'autorité administrative.

La configuration contentieuse qui nous intéresse plus particulièrement est toute autre : c'est celle dans laquelle le juge est saisi d'une demande d'annulation d'un acte, à l'appui de laquelle il est soutenu qu'une consultation du public organisée à titre facultatif, et intervenue en amont de cet acte, est irrégulière.

Dans une telle configuration, il y a lieu de s'interroger, en tout premier lieu, sur l'opérance du moyen soulevé. Lorsqu'une consultation, quelle qu'elle soit, est prévue à titre obligatoire, autrement dit lorsqu'elle constitue une condition de légalité de l'acte administratif pris en aval et dont il est demandé au juge de prononcer l'annulation, l'opérance du moyen tiré de l'absence ou de l'irrégularité de cette consultation ne fait aucun doute : il s'agit d'un moyen de légalité externe critiquant la procédure préalable à l'adoption de l'acte attaqué. En revanche, lorsque la consultation critiquée a été organisée à titre facultatif, l'opérance du moyen est moins évidente : le lien entre la consultation et l'acte attaqué n'étant pas affirmé par un texte, il doit être apprécié par le juge. Celui-ci devra vérifier, au vu des circonstances de l'espèce, si la consultation critiquée fait bien partie intégrante du processus ayant conduit à l'adoption de l'acte attaqué, si elle s'insère dans la procédure suivie préalablement à cette adoption. En règle générale, cette vérification ne devrait pas poser de difficulté et l'opérance du moyen tiré de l'irrégularité de la consultation se déduira sans peine de son objet même -car la consultation aura été organisée précisément en vue de l'adoption de l'acte attaquée-. Devraient en revanche être écartés comme inopérants les moyens critiquant des consultations qui ne présentent pas de lien suffisant avec l'acte attaqué -nous pensons notamment aux consultations organisées très en amont de celui-ci ou dont l'objet est très général, par exemple parce qu'elles visent à recueillir les observations du public sur la qualité d'un service ou les orientations souhaitables d'une politique publique-.

D'autres questions d'opérance -mais aussi de recevabilité- des moyens par lesquels est critiquée la régularité d'une procédure préalable de consultation du public, suivie à titre facultatif, sont susceptibles de se poser. L'autorité qui a organisé la consultation aura normalement adopté, en amont de celle-ci, une décision formelle fixant l'objet et précisant les modalités de la consultation. Une critique soulevée à l'appui du recours dirigé contre l'acte adopté à l'issue de la consultation et tirée, par exemple, du caractère insuffisant des moyens de contrôle prévus pour en assurer la sincérité pourra alors s'analyser, selon la manière dont elle est formulée, comme un moyen critiquant, par la voie de l'exception, la légalité de la décision préalable arrêtant l'objet et les modalités de la consultation. Dans cette dernière hypothèse, il nous semble que devraient être admises, tout à la fois, l'opérance et la recevabilité de l'exception d'illégalité, nous pas en recourant au cadre général, nécessairement strict, fixé par votre décision de section "Sodemel" du 11 juillet 2011 (4), mais en retenant l'existence d'une opération complexe -réserve d'ailleurs rappelée par votre avis de section du 30 décembre 2013 (5)-. Lorsqu'une autorité administrative organise une consultation du public précisément en vue de prendre un acte donné et arrête, avant d'y procéder, l'objet et les modalités de cette consultation, les actes successifs qu'elle adopte, depuis la décision de recourir à une consultation jusqu'à l'acte final pris au vu de ses résultats, en passant par la définition du cadre de la consultation et les opérations matérielles de déroulement de cette consultation, entretiennent entre eux un lien tel qu'ils méritent à notre avis cette qualification d'opération complexe (6).

Enfin, toute irrégularité entachant l'une ou l'autre des étapes de cette procédure administrative complexe que constitue l'organisation d'une consultation du public est-elle de nature à entraîner l'illégalité de l'acte pris à son issue ? La réponse est négative : s'agissant d'irrégularités de procédure (7), il incombera au juge de les passer au crible de votre jurisprudence "Danthony" (8).

Rappelons qu'au terme du considérant de principe adopté en 2011 par votre assemblée, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

Ce considérant loge à la même enseigne les procédures obligatoires et les procédures facultatives. Et pourtant, nous confessons avoir été tenté, et plus qu'un instant de raison, de vous proposer de préciser, à l'occasion de la présente affaire, qu'un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable suivie à titre facultatif n'entache d'illégalité l'acte pris à son issue que s'il est susceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de cet acte. Autrement dit, de regarder l'hypothèse de la privation d'une garantie comme inapplicable, par construction, aux procédures suivies à titre facultatif.

Cette tentation était motivée par deux principales considérations. La première est que, dans l'état de votre jurisprudence antérieure à "Danthony", vous ne tiriez les conséquences d'irrégularités éventuellement commises dans le déroulement d'une procédure suivie à titre facultatif que lorsque ces irrégularités avaient exercé, en fait, une influence sur l'acte pris à son issue (CE Sect., 19 mars 1976, n° 98266 N° Lexbase : A2948B8P, au Recueil, p. 167 (9)). Vous ne vous intéressiez donc qu'à l'influence sur le sens de l'acte. La seconde considération expliquant notre tentation tient au caractère à première vue paradoxal de la notion de garantie appliquée à une procédure suivie à titre facultatif. Pas toujours évidente à cerner lorsqu'une règle de procédure est prévue à titre obligatoire (10), cette notion apparaît d'autant plus fuyante lorsqu'une autorité administrative se soumet d'elle-même à une procédure que rien ne lui impose : puisqu'elle peut à tout moment y renoncer, où est la garantie ?

Néanmoins, à la réflexion, nous croyons que la notion de garantie peut avoir une pertinence en matière de procédures suivies à titre facultatif -et c'est vrai tout particulièrement des procédures complexes telles qu'une consultation préalable du public-. Tout dépend, au fond, de l'échelle à laquelle on se place pour apprécier cette notion de garantie. Il est possible de se demander si la procédure suivie à titre facultatif est, prise dans son ensemble, une garantie -ce à quoi il est tentant de répondre, nous l'avons dit, par la négative-. Mais il est possible aussi d'adopter une échelle d'analyse plus fine et d'envisager la notion de garantie au regard de chacune des règles dont l'ensemble constitue la procédure suivie à titre facultatif. A ce niveau d'analyse, certaines de ces règles peuvent apparaître comme des garanties. Ainsi, dans le cas d'une procédure de consultation du public suivie à titre facultatif, comme celle en cause dans la présente affaire, il est difficile de ne pas regarder certains des principes énoncés par l'article L. 131-1 du Code des relations entre le public et l'administration comme des garanties -garanties données au public et tendant à assurer que la consultation, certes suivie à titre facultatif, sera sincère-.

Il est difficile de retirer, de l'examen de vos décisions faisant application de la jurisprudence "Danthony", une orientation claire quant à l'échelle à laquelle il convient de se placer pour apprécier la notion de garantie au sens de cette jurisprudence. S'agissant de procédures prévues à titre obligatoire, il vous est arrivé d'adopter une approche plutôt analytique : dans le cas de l'obligation de consulter un organisme collégial avant d'infliger à un militaire une sanction du 3e groupe, vous avez regardé la méconnaissance d'une des règles régissant la composition de cet organisme comme constituant, en elle-même, une garantie (CE, 22 février 2012, n° 343052 N° Lexbase : A3400IDB, aux tables du Recueil). Inversement, dans le cas de procédures obligatoires complexes comme la réalisation préalable d'une étude d'impact ou celle d'une enquête publique, vous avez adopté une approche plus synthétique, allant jusqu'à reformuler le considérant de principe "Danthony", dans son volet "garantie", en fonction de l'objectif principalement poursuivi par la procédure en cause : l'information complète de la population dans le cas d'une étude d'impact en matière d'environnement (CE, 30 janvier 2013, n° 347347 N° Lexbase : A4390I4D, aux tables du Recueil sur un autre point (11)) ; l'information et la participation de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération envisagée dans le cas d'une enquête publique (CE, 3 juin 2013, n° 345174 N° Lexbase : A3359KGI, aux tables du Recueil). Toutefois, dans le cas de l'enquête publique, vous avez récemment rappelé, alors qu'était en cause la méconnaissance d'une règle n'ayant pas principalement pour objet d'assurer l'information et la participation du public, que le considérant de principe "Danthony" restait entièrement pertinent (CE, 28 avril 2017, n° 397015 N° Lexbase : A8433WQE, aux tables du Recueil sur un autre point).

Il est permis de voir, dans cette obscure clarté qui émane de la notion de garantie au sens de la jurisprudence "Danthony", une manifestation du pragmatisme du juge. Tout en permettant d'éviter des annulations trop mécaniques, elle demeure aussi une épée de Damoclès, un aiguillon destiné à rappeler à l'administration, constamment, que les procédures ne doivent pas être prises à la légère. Vrai pour les procédures suivies à titre obligatoire, il nous semble que ce l'est tout autant pour celles suivies à titre facultatif, et en particulier pour les procédures de consultation du public. Lorsque l'administration décide, même à titre facultatif, de s'engager dans une telle démarche de consultation, elle doit le faire sérieusement, en respectant scrupuleusement l'ensemble des règles qui alors s'imposent à elle. Au final, nous sommes d'avis qu'il n'est pas souhaitable d'envoyer, à l'occasion de la présente affaire, un signal qui serait nécessairement perçu comme un assouplissement, en cantonnant l'annulation à la seule hypothèse où les irrégularités commises ont été susceptibles d'exercer une influence sur le sens de l'acte contesté.

2.4. Il reste à appliquer le cadre général ainsi défini à la résolution de l'affaire.

Vous aurez relevé d'emblée qu'elle se présente dans une configuration un peu particulière au regard du cadre général que nous avons dessiné.

La procédure suivie à titre facultatif que critiquent les requêtes n'a pas été organisée immédiatement en amont de l'acte attaqué, par l'autorité administrative qui a pris cet acte ; elle a été organisée par une autre autorité administrative, avant de rendre un avis que l'autorité qui a pris l'acte attaqué était tenue de recueillir. Vous êtes donc en présence d'une imbrication de deux procédures administratives, la première dans l'ordre chronologique ayant été suivie à titre facultatif, la seconde à titre obligatoire, l'enchaînement des deux débouchant sur l'acte attaqué. Cela ne rend pas pour autant inopérante par principe la critique de la première : à partir du moment où le Premier ministre devait consulter le conseil régional, une éventuelle irrégularité de l'avis émis par celui-ci est susceptible d'avoir une incidence sur la légalité du décret attaqué ; et à partir du moment où le conseil régional a choisi de procéder à une consultation du public, une éventuelle irrégularité de cette consultation est susceptible de retentir sur la régularité de son avis.

Ceci précisé, voyons plus en détail les moyens qui vous sont soumis.

2.4.1. Le premier est tiré de ce que le Premier ministre se serait cru, à tort, lié par l'avis du conseil régional, et aurait ainsi entaché le décret attaqué d'incompétence négative.

A l'appui de ce moyen, les requérants se prévalent, principalement, d'une lettre signée du Premier ministre du 9 août 2016, adressée à un parlementaire, ainsi que d'une lettre signée du chef de cabinet du Premier ministre du 23 août 2016, adressée au président du syndicat intercommunal pour la promotion des langues occitane et catalane. Ces lettres, rédigées en termes identiques, rappellent la consultation organisée à l'initiative du conseil régional, sur la base de laquelle un débat s'est tenu en son sein, avant d'indiquer : "Aussi, le Gouvernement s'en remet à la décision qui en est issue". Ces termes sont pour le moins maladroits, c'est certain, en particulier lorsqu'ils font mention d'une décision là où il n'y avait qu'un simple avis. Pour autant, nous ne croyons pas que cela suffise pour établir que le Premier ministre aurait abdiqué sa compétence en renonçant à exercer tout pouvoir d'appréciation.

Il est exact que vous avez déjà annulé, pour ce motif, une décision de sanction d'un magistrat prise par le garde des sceaux, parce qu'il s'était entièrement remis à un simple avis du Conseil supérieur de la magistrature (CE Sect., 20 juin 2003, n° 248242 N° Lexbase : A0627C94, au Recueil). Mais dans cette affaire, le garde des sceaux avait annoncé publiquement, avant même de connaître cet avis, qu'il le suivrait quel que fût son sens, position ensuite confirmée par le directeur des services judiciaires dans ses déclarations devant le Conseil supérieur de la magistrature, et encore confortée par la circonstance que la décision de sanction s'appropriait sans réserve le contenu de son avis. C'est au vu de l'ensemble de ces circonstances que vous avez jugé apportée la preuve de la renonciation du ministre à l'exercice du pouvoir qui lui appartenait. Inversement, par une décision plus ancienne rendue à l'occasion d'un recours contre un décret d'extradition, vous aviez refusé de juger, au vu de la seule circonstance que le Gouvernement avait l'intention de se conformer en principe à l'avis de la chambre d'accusation, qu'il s'était à tort cru lié par l'avis favorable que celle-ci avait ultérieurement émis (CE, 7 juillet 1978, n° 10079 N° Lexbase : A5442AIE, au Recueil sur un autre point).

Comme le soulignait Francis Lamy dans ses conclusions sur votre décision du 20 juin 2003 précitée, le moyen tiré de ce que l'auteur d'un acte administratif a renoncé à tort à exercer sa compétence pose avant tout une question de preuve. Celle-ci n'est pas facile à apporter puisqu'elle suppose de mettre au jour quelle a été l'intention de l'auteur de cet acte à la date de son édiction. Comme le soulignait encore votre commissaire du gouvernement, de simples déclarations antérieures à cet acte sont à cet égard, en général, insuffisantes : indiquer s'en remettre à un tiers constitue alors, le plus souvent, un moyen commode d'éviter le débat ; de telles déclarations reflètent une posture davantage que la réalité des choses. En l'espèce, les déclarations du Premier ministre dont les requérants se prévalent, qui sont antérieures de plus d'un mois au décret attaqué, nous paraissent relever de cette catégorie. On trouve en outre au dossier une lettre du 1er septembre 2016 du chef de cabinet du ministre de l'intérieur, contresignataire du décret attaqué, dans laquelle les rôles respectifs du conseil régional et du Gouvernement apparaissent pour ce qu'ils sont : simple avis d'un côté, pouvoir de décision de l'autre. Enfin, le Conseil d'Etat a été consulté sur le projet de décret, et l'on peut raisonnablement penser qu'il a rappelé au Premier ministre, avant que celui-ci y appose sa signature, que le pouvoir de décision lui incombait.

2.4.2. Un deuxième moyen, similaire au premier, est tiré de ce que le conseil régional, lorsqu'il a émis son avis, se serait lui-même cru à tort lié par les résultats de la consultation.

Le moyen n'est assurément pas fondé. Le rapport de la présidente du conseil régional sur le projet de délibération exprimant l'avis donné au Gouvernement ne fait apparaître, contrairement à ce qui est soutenu, aucune abdication par le conseil régional de sa propre compétence -pas plus que les motifs de cette délibération-. Soulignons que le sens de cette dernière a été acquis par une majorité de 85 voix sur 158, ce qui manifeste qu'un débat s'est tenu. Quant aux déclarations de divers membres du conseil régional dans la presse, dont sa présidente, il en ressort seulement l'intention de tenir compte des résultats de la consultation -ce qui était la moindre des choses-. Là encore, les éléments de preuve avancés à l'appui du moyen nous paraissent insuffisants pour établir que le conseil régional aurait renoncé à son pouvoir d'appréciation.

2.4.3. Toutes les critiques ensuite formulées sont tirées de l'irrégularité de la procédure de consultation du public.

Disons tout d'abord que ces critiques nous paraissent opérantes, sans aucun doute, dès lors que la consultation organisée en l'espèce, bien qu'intervenue à titre facultatif, fait partie intégrante du processus ayant conduit à l'adoption de l'avis du conseil régional. Cette consultation facultative constitue par conséquent une procédure préalable à cet avis et les requérants peuvent utilement soutenir que la consultation est irrégulière, pour en déduire l'irrégularité de l'avis en question.

La première critique soulevée est une critique de principe. Selon le Comité pour l'autodétermination de la Catalogne Nord (CACN), le conseil régional ne pouvait légalement décider d'organiser la procédure de consultation litigieuse dans d'autres conditions que celles prévues par les dispositions, soit de l'article LO. 1112-1 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L1866GUN), soit de l'article L. 1112-15 du même code (N° Lexbase : L1787GUQ). Les premières sont relatives au référendum local, les secondes à la consultation locale des électeurs. La question est d'importance puisque l'argumentation de l'association requérante revient à soutenir que les collectivités territoriales ne peuvent recourir à aucune forme de consultation du public en dehors de ces deux procédures prévues par le Code général des collectivités territoriales -il s'agit, au fond, d'une critique formulée sur le terrain de la jurisprudence " Chocolat de régime Dardenne"-, mais d'une critique de portée structurelle puisqu'elle affecte l'ensemble des consultations du public organisées par l'ensemble des collectivités territoriales. Nous n'éprouvons guère de doute, cependant, à écarter cette argumentation. Les dispositions précitées du Code général des collectivités territoriales offrent aux collectivités territoriales la possibilité de recourir, pour régler une affaire relevant de leurs compétences, soit à un référendum local, soit à une consultation de leurs électeurs, selon les modalités qu'elles précisent. Elles ne peuvent pas être lues comme interdisant aux collectivités territoriales de mettre en oeuvre d'autres formes d'association du public à l'exercice de leurs compétences. Il est envisageable, bien sûr, de contrôler un éventuel détournement de procédure (12). Mais ce qu'a voulu faire le conseil régional en l'espèce, en consultant toutes les personnes âgées de plus de quinze ans habitant la région ou déclarant y avoir leurs attaches, s'inscrit très clairement en dehors du cadre des dispositions des articles LO. 1112-1 et L. 1112-15 du Code général des collectivités territoriales.

Les autres critiques formulées par les requérants à l'encontre de la procédure de consultation du public portent moins sur le principe de cette consultation que sur les modalités selon lesquelles elle s'est déroulée.

En premier lieu, les requérants critiquent le choix de n'avoir pas consulté les seules personnes inscrites sur les listes électorales dans une commune de la région -c'est-à-dire les seules personnes ayant la qualité d'électeur dans la région-. La critique procède directement de l'idée que la région aurait dû respecter les dispositions du Code général des collectivités territoriales relatives au référendum local et à la consultation des électeurs -idée que nous venons d'écarter-. Mais on peut aussi y voir un moyen tiré de ce que la définition par la région du public qu'elle a choisi de consulter n'était pas adaptée au regard de l'objet de la consultation. Vous écarterez ce moyen. La définition de ce public est certes large et, comme le souligne le CACN, elle inclut des personnes n'ayant pas le droit de vote -des mineurs, des étrangers, des personnes privées de leurs droits civiques-, ainsi que des personnes qui n'habitent pas la région. Pour autant, la définition du public consulté -toutes les personnes de plus de quinze ans habitant la région ou déclarant y avoir leurs attaches- est en rapport avec l'objet de la consultation et elle n'est pas de nature, au regard de cet objet, à en avoir affecté la sincérité. Par ailleurs, l'utilisation du terme "consultation citoyenne" n'est pas davantage constitutive d'une irrégularité, alors même, comme y insiste le CACN, qu'ont pu participer des personnes n'ayant pas la qualité de citoyen. Eu égard à l'information donnée au public sur les modalités de la consultation, l'appellation utilisée n'était pas de nature à induire quiconque en erreur.

En deuxième lieu, les requérants critiquent l'utilisation de la "méthode de Condorcet" pour la présentation et l'analyse des résultats de la consultation, et relèvent que la délibération du conseil régional du 15 avril 2016 fixant les modalités de la consultation ne prévoyait pas d'y recourir. Toutefois, l'utilisation de cette méthode n'a pas abouti en l'espèce au paradoxe éponyme. Et elle était particulièrement adaptée compte tenu des modalités de consultation retenues par la région, puisqu'elle permet de dégager le résultat d'un vote consistant à classer plusieurs choix possibles dans un ordre de préférence -c'était précisément ce qui était demandé au public consulté-. Il n'était donc pas besoin, comme le soutient le CACN, sans préciser d'où il tire une telle exigence, d'organiser un "second tour" entre les deux noms ayant été classés par le plus grand nombre de participants en première position.

En troisième lieu, les requérants font valoir que le nombre d'avis exprimés, à savoir un peu plus de 200 000, était trop faible pour être représentatif de l'opinion de la population. Il est exact que ce chiffre paraît peu élevé si on le compare aux quelques 5,8 millions d'habitants de la région. Mais une telle circonstance est en elle-même sans incidence sur la régularité de la consultation. Il est constant que la région a fait le nécessaire pour permettre à toutes les personnes concernées d'y participer -par le biais de publications dans la presse régionale et sur son site internet-. Il est constant également que la région a rendu publics les résultats, sans occulter le chiffre de la participation. Enfin, elle n'a nullement présenté la consultation comme revêtant une portée décisionnelle mais, au contraire, comme destinée à éclairer son choix, parmi d'autres éléments d'appréciation.

En quatrième lieu, les requérants soutiennent que les conditions dans lesquelles la consultation s'est déroulée ne permettaient pas d'en garantir la sincérité. Bien qu'elle ne soit guère précise, il est possible de voir dans cette critique un moyen tiré de ce que la région ne s'est pas dotée de moyens de contrôle adéquats, propres à empêcher que le résultat de la consultation soit vicié, notamment par des avis à répétition ou par des avis émis par des personnes extérieures au public consulté. Nous avons dit tout à l'heure que ces moyens de contrôle devaient être proportionnés et qu'il y avait lieu d'apprécier ce rapport de proportionnalité au regard de l'objet de la consultation et de la délimitation du public consulté. La consultation organisée en l'espèce a revêtu un caractère essentiellement quantitatif. Il s'agissait de voter, selon des modalités un peu particulières certes -en exprimant un ordre de préférence-, mais seulement de voter. Il était donc nécessaire pour la région de prévoir des mesures de nature à faire échec à d'éventuelles pratiques de vote multiple. Quant à la définition du public consulté, elle était volontairement très ouverte puisque pouvaient participer, notamment, les personnes "déclarant avoir leurs attaches" dans la région. Un tel critère ne permettait pas d'identifier a priori les personnes concernées par la consultation. Il n'était donc pas possible pour la région d'arrêter l'équivalent d'une liste électorale, et par conséquent il était inutile de mettre en place un système consistant à vérifier l'identité des personnes participant à la consultation. Il ressort des pièces du dossier qu'il était notamment exigé des personnes exprimant leur avis sur internet qu'elles renseignent un numéro de téléphone portable valable en France et une adresse électronique, dont la validité était vérifiée, et qui étaient utilisés pour contrôler l'absence de doublons. De tels moyens de contrôle étaient suffisants, eu égard à l'objet de la consultation et au public concerné, pour prévenir les pratiques de vote multiple et donc assurer la sincérité de cette consultation.

Au final, aucune des critiques soulevées par les requérants ne permet de considérer que la consultation organisée par la région serait entachée d'irrégularité.

Parvenu au terme de l'examen des requêtes, nous croyons que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'article 1er du décret attaqué. La région présente des conclusions au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4). Nous pensons qu'elle aurait eu qualité pour former tierce opposition contre votre décision si elle n'avait pas été mise en cause et qu'elle doit, en conséquence, être regardée comme une partie au sens de ces dispositions (13). Vous pourrez faire droit partiellement à sa demande.

Par ces motifs nous concluons dans le sens qui suit :

1. Admission des interventions ;

2. Rejet des requêtes ;

3. Mise à la charge des requérants, dans chacune des deux affaires, d'une somme de 1 500 euros au bénéfice de la région, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.


(1) Voir sur cette notion CE, 12 octobre 1979, n° 10756 (N° Lexbase : A2083AKD), aux tables du Recueil ; CE, 30 octobre 1987, n° 59268 (N° Lexbase : A3923APY), aux tables du Recueil ; CE, 23 février 2000, n° 205261 (N° Lexbase : A9483AGC), aux tables du Recueil ; CE Ass., 26 octobre 2001, n° 216471 (N° Lexbase : A1828AXY), au Recueil.
(2) CE Ass., 21 mars 2016, n°s 368082 (N° Lexbase : A4320Q8I) et 390023 (N° Lexbase : A4296Q8M), au Recueil.
(3) Voir par exemple, illustrant cette jurisprudence, CE, 27 mai 1987, n° 83292 (N° Lexbase : A3342APH), au Recueil, p. 181.
(4) CE Sect., 11 juillet 2011, n° 320735 (N° Lexbase : A0245HWY), au Recueil.
(5) CE Sect., 30 décembre 2013, n° 367615 (N° Lexbase : A9253KSI), au Recueil.
(6) La solution CE Sect., 5 mai 2017, n° 388902 (N° Lexbase : A1651WDI), à publier au Recueil, paraît à cet égard un cas particulier.
(7) Y compris lorsque se trouve critiquée, par la voie de l'exception, l'illégalité interne de la décision par laquelle l'administration fixe, tout au début de la procédure, l'objet et les modalités de la consultation (voir en ce sens CE 14 novembre 2012, n° 340539 (N° Lexbase : A8642IWY), aux tables du Recueil).
(8) CE Ass., 23 décembre 2011, n° 335033 (N° Lexbase : A9048H8M), au Recueil, p. 649.
(9) Voir aussi, pour des décisions plus récentes, CE, 20 mars 1992, n° 105321 (N° Lexbase : A5525AR3), aux tables du Recueil ; CE, 30 octobre 1996, n° 162136 et 162269 (N° Lexbase : A1289APG), aux tables du Recueil ; CE, 11 juin 1999, n° 177970 (N° Lexbase : A4897AXN), inédite au Recueil ; CE, 8 juillet 2009, n° 314236 (N° Lexbase : A7127EIS), au Recueil ; CE, 3 décembre 2010, n° 332540 et 332679 (N° Lexbase : A4460GM7), aux tables du Recueil sur un autre point.
(10) Voyez par exemple la solution retenue dans CE Sect., 23 octobre 2015, n° 369113 (N° Lexbase : A0318NUC), au Recueil, éclairée par les conclusions contraires de Benoît Bohnert.
(11) Solution reprenant celle dégagée, avant l'intervention de la jurisprudence "Danthony", par CE, 14 octobre 2011, n° 323257 (N° Lexbase : A7408HYZ), aux tables du Recueil.
(12) Plusieurs jugements de tribunaux administratifs offrent des exemples d'un tel contrôle : par exemple TA Grenoble, 23 décembre 2009, n° 0904415 ; TA Melun, 30 mars 2016, n° 1508263.
(13) Voir sur ce point CE, 10 janvier 2005, n° 265838 (N° Lexbase : A0079DGZ), aux tables du Recueil.

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