Lecture: 39 min
N9786BWD
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Véronique Tellier-Cayrol, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université de Tours
le 31 Août 2017
D'un côté, un certain nombre de juristes et d'hommes politiques ont dénoncé une grave atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi, les juges s'arrogeraient "le pouvoir de faire ou défaire une carrière politique, au mépris du principe de séparation des pouvoirs" (3). L'appel de quatre présidents de groupe de droite et du centre à l'Assemblée nationale et au Sénat, publié le 12 février par Le Journal du dimanche, estime que "la séparation des pouvoirs a été malmenée dans la procédure qui vise François Fillon. Comment ne pas voir que cette attaque avait été préparée de longue date ? [...] En écartant le principe de séparation des pouvoirs, l'élection présidentielle a été prise en otage. [...] Notre justice ne doit pas s'aventurer sur le terrain de la politique et des médias" (4). Dans une tribune, devenue célèbre, publiée le 18 février, huit professeurs de droit (5) et cinq avocats dénoncent un "coup d'Etat institutionnel" (6), ajoutant qu'"aucun juriste ne peut cautionner ce dévoiement voulu et partisan des institutions, préalable à un coup d'Etat permanent". L'ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, J.-E. Schoettl, considère que la machine à éliminer Fillon "rappelle les procès staliniens - peloton d'exécution en moins" (7) (on appréciera le sens de la nuance de l'auteur !). Finalement, il paraît "évident, pour quelque juriste digne de ce nom que ce soit, que l'affaire montée contre François Fillon est une baudruche vide de tout sens" (8).
Une telle "évidence" n'est cependant pas partagée par d'autres auteurs (pourtant juristes et certainement dignes de ce nom !). Plusieurs éminents constitutionnalistes ont répondu que l'affaire "Fillon" n'était ni un coup d'Etat institutionnel (9), ni un procès stalinien (10) ; les professeurs N. Molfessis (11) et G. Beaussonie (12) ont, avec d'autres, écarté toute atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
Quant aux magistrats, ils sont sortis de leur réserve face à ces critiques de part et d'autre. Le premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, et le procureur général Jean-Claude Marin ont fait, le 1er mars, un communiqué lapidaire, énonçant que "la Justice n'encourt pas plus les reproches outranciers qui lui sont faits qu'elle n'a besoin de soutiens d'où qu'ils viennent. Les magistrats suivent leur rythme en toute indépendance sous le seul contrôle des juridictions supérieures, de même qu'ils ont le devoir de ne pas s'engager publiquement dans le débat électoral" (13). Le lendemain, la première présidente et la procureure générale de la cour d'appel de Paris ont également fait un communiqué, rappelant que "notre Constitution, fondée sur la séparation des pouvoirs, garantit l'indépendance des magistrats afin qu'ils exercent leurs missions dans la sérénité et dans le respect du principe de l'égalité de tous devant la loi" (14). Le Conseil supérieur de la magistrature a de même fait part de ses inquiétudes, indiquant que les pouvoirs conférés à l'Autorité judiciaire "n'ont d'autre finalité que d'assurer la mise en oeuvre effective de l'ensemble des règles par lesquelles la représentation nationale organise la vie en société et promeut le bien commun, ainsi que la garantie des droits et libertés que celle-ci proclame. Ils protègent de l'arbitraire, d'une justice instrumentalisée comme d'une justice bâillonnée" (15).
3. Questions. Fallait-il exhumer Montesquieu et en appeler au principe de la séparation des pouvoirs ? "Casse-tête intellectuel", "formule magique", "énigme diabolique" (16), ce principe ne peut utilement être convoqué seul, tant -les échanges par articles de presse et blogs interposés le montrent- on peut faire dire à Montesquieu tout et son contraire (17). En réalité, l'invocation du principe a eu pour conséquence d'obscurcir davantage le débat plutôt que de l'éclairer. Il est appelé ici plus spécifiquement pour contester les "pouvoirs" de l'autorité judiciaire face au statut du parlementaire. h
Quatre interrogations ont divisé universitaires, praticiens et politiciens : la possibilité de retenir l'incrimination de détournement de fonds à l'encontre d'un député (I), la compétence du parquet national financier (II), la trêve judiciaire (III) et la compétence du juge judiciaire (IV).
I - Le parlementaire et le détournement de fonds
4. Un parlementaire peut-il être poursuivi pour l'infraction de détournement de fonds publics prévue à l'article 432-15 (N° Lexbase : L9488IY3) du Code pénal (18) ? Assurément non pour certains (19) ; assurément oui pour d'autres (20). On est alors tenté d'adopter une réponse de normand : assurément la réponse est incertaine, tant les arguments existent dans un sens comme dans l'autre.
5. Principe de la légalité. La difficulté vient des textes d'incrimination du Code pénal. Un certain nombre de textes répressifs sanctionnent des faits commis par "la personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public" : ainsi de la corruption et du trafic d'influence (C. pén., art. 432-11 N° Lexbase : L9483IYU, 433-1 N° Lexbase : L9482IYT, 435-1 N° Lexbase : L9487IYZ, 435-2 N° Lexbase : L7456LBR, 435-3 N° Lexbase : L9486IYY, 435-4 N° Lexbase : L7455LBQ), de la prise illégale d'intérêts (C. pén., art. 432-12 N° Lexbase : L9471IYG), du délit de favoritisme (C. pén., art. 432-14 N° Lexbase : L7454LBP). D'autres incriminations ne visent que la personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public sans reprendre la personne investie d'un mandat électif public : ainsi de la concussion (C. pén., art. 432-10 N° Lexbase : L9472IYH) et de la soustraction et du détournement de fonds (C. pén., art. 432-15 N° Lexbase : L9488IY3).
Le principe de la légalité et son corollaire, le principe de l'interprétation stricte, conduisent à penser qu'un député -investi d'un mandat électif public- ne peut être poursuivi pour une infraction ne visant pas expressément cette qualité. A quoi bon, en effet, l'avoir précisé pour certaines incriminations et pas pour d'autres si ce n'est pour l'exclure dans cette dernière situation ? Il ne semble donc pas possible de poursuivre un parlementaire du chef de détournement de fonds prévu à l'article 432-15 du Code pénal.
Il reste que ce raisonnement ne peut être tenu que si le travail du législateur est cohérent. Or, l'analyse des réformes successives en la matière depuis 1996 a pu montrer que le mouvement législatif allait "à l'encontre de toute rationalité dans la référence aux fonctions publiques" (21).
Et quand bien même les principes de légalité et d'interprétation stricte commandent de ne pas condamner une personne investie d'un mandat électif public dès lors qu'elle n'est pas visée par le texte, encore faut-il s'assurer que le parlementaire ne rentre pas dans l'une ou l'autre des catégories prévues par l'article 432-15, c'est-à-dire dans la catégorie des personnes dépositaires de l'autorité publique ou des personnes chargées d'une mission de service public.
6. Dépositaire de l'autorité publique ? La personne dépositaire de l'autorité publique "dispose d'un pouvoir de décision et de contrainte sur les personnes et sur les choses, pouvoir qu'elle manifeste dans l'exercice de ses fonctions, permanentes ou temporaires, dont elle est investie par délégation de la puissance publique" (22). Certains auteurs estiment que le parlementaire peut être considéré comme dépositaire de l'autorité publique.
Ainsi du Professeur Roseline Letteron qui s'appuie sur l'article 433-3 du Code pénal (N° Lexbase : L1220LDK) : cette disposition sanctionne les menaces ou actes d'intimidation à l'encontre "d'une personne investie d'un mandat électif public, d'un magistrat, d'un juré, d'un avocat, d'un officier public ou ministériel, d'un militaire de la gendarmerie nationale, d'un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l'inspection du travail, de l'administration pénitentiaire ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique, [...]". L'auteure en déduit que "toutes les personnes citées, y compris celles investies d'un mandat électif public sont donc dépositaires de l'autorité publique" (23).
Sauf à considérer les avocats dépositaires de l'autorité publique (?), une autre explication -reposant sur l'analyse de la segmentation du texte- peut être avancée : la proposition "ou toute autre personne dépositaire de l'autorité publique" n'est pas précédée d'une virgule la séparant de "de l'administration pénitentiaire". Il faut alors rechercher à quoi se rapporte cette dernière expression : elle est ici rattachée au fonctionnaire cité plus haut dans le texte.
Une autre lecture du texte permet alors de comprendre que sont punies les menaces à l'encontre :
- d'une part, des personnes investies d'un mandat électif public, d'un magistrat, d'un juré, d'un avocat, d'un officier public ou ministériel, d'un militaire de la gendarmerie nationale ;
- et d'autre part, d'un fonctionnaire de la police nationale, des douanes, de l'inspection du travail, de l'administration pénitentiaire ou de toute autre personne dépositaire de l'autorité publique.
Le raisonnement fondé sur l'article 433-3 du Code pénal (24) ne permet donc pas d'affirmer que le député est dépositaire de l'autorité publique.
Le Professeur Dominique Rousseau tient un raisonnement différent, en se fondant sur la représentation de la Nation : "Qui est titulaire de l'autorité publique ? la Nation. Et la Nation dépose cette autorité entre les mains de ses représentants, c'est-à-dire des parlementaires. Lorsqu'ils expriment des votes ou des opinions, il n'est pas question de les poursuivre -puisqu'ils s'expriment au nom de la Nation. Mais si le parlementaire n'est pas dépositaire de l'autorité publique, il est dépositaire de quoi ? Au sens du droit constitutionnel, le doute n'est pas permis, il est bien dépositaire de l'autorité publique" (25).
Au sens du droit pénal pourtant, il est permis d'en douter. A la lecture des travaux parlementaires relatifs à l'adoption du Code pénal de 1992, le dépositaire de l'autorité publique est la personne qui a "un pouvoir de décision fondé sur la parcelle de l'autorité publique que lui confèrent ses fonctions, qu'il soit fonctionnaire au sens strict, militaire, magistrat, officier public ou ministériel". La circulaire de la Direction des Affaires criminelles et des grâces du 14 mai 1993 vise "celui qui exerce une fonction d'autorité, que cette fonction soit administrative, juridictionnelle ou militaire", et la jurisprudence pénale est venue illustrer cette catégorie, y incluant le président de la République, les ministres, les préfets, les présidents de conseils régionaux, les maires, les notaires, les présidents d'université,.... Mais la Chambre criminelle, dans un arrêt -certes ancien- a considéré que les parlementaires n'étaient pas investis d'une parcelle de puissance publique (26). S'agissant des parlementaires et au regard de la définition, seuls peuvent être véritablement considérés comme dépositaire de l'autorité publique le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat (27).
7. Chargé d'une mission de service public ? Il faut alors se tourner vers la deuxième catégorie : la personne chargée d'une mission de service public. Selon la circulaire de la Direction des Affaires criminelles et des grâces du 14 mai 1993, sont chargées d'une mission de service public "les personnes privées ou publiques qui, sans être dépositaires d'une parcelle de l'autorité publique, accomplissent à titre temporaire ou permanent, volontairement ou sur réquisition des autorités, un service public quelconque". S'agissant du parlementaire, là aussi, les avis divergent.
Le député ne serait pas investi d'une mission de service public en raison de la nature de droit privé du contrat qui lie le parlementaire à ses collaborateurs (28). On a du mal à comprendre l'argument. Si une personne chargée d'une mission de service public utilise l'argent public pour conclure des contrats de droit privé, cela ne lui permet pas d'échapper à une condamnation pour détournement de fonds au prétexte que le contrat passé n'est pas un contrat de droit public. Ou alors le moyen de commettre l'infraction (le contrat de droit privé) devient un moyen d'éviter toute poursuite pour cette infraction -le détournement de fonds- (en raison de la perte de qualité de personne chargée d'une mission de service public) !
Le seul argument permettant d'écarter le parlementaire de cette catégorie repose sur le principe de la légalité et l'interprétation stricte de la loi pénale : le député est "une personne investie d'un mandat électif public" distincte des personnes dépositaires de puissance publique ou chargées d'une mission de service public puisque les textes répressifs les différencient (29).
Une autre analyse est proposée, considérant le député comme une personne chargée d'une mission de service public. Ainsi, selon D. Rousseau, "le rôle du parlementaire est de voter la loi, les règles du vivre ensemble, et c'est évidemment une mission de service public. Par conséquent, il entre bien dans la catégorie des personnes qu'on peut poursuivre, dans l'hypothèse où il y a des doutes sur la façon dont il a utilisé des fonds publics" (30).
Il demeure délicat d'apporter une réponse définitive à cette question. La notion de service public n'est pas définie (31) et le juge judiciaire développe parfois une analyse différente de celle du juge administratif (32). Au surplus, au sein même de la jurisprudence pénale, il est parfois difficile de saisir certaines différences d'appréciation. La catégorie des personnes chargées d'une mission de service public n'est, en effet, pas comprise de la même manière selon que le texte sanctionne les actes commis par elles, ou les protège de certains actes commis à leur encontre (diffamation - loi du 29 juillet 1881, art. 31 N° Lexbase : L7589AIW ; menaces - C. pén., art. 433-3 ; outrages - C. pén., art. 433-5 N° Lexbase : L1223LDN). Ainsi des administrateurs et mandataires judiciaires, considérés comme chargés d'une mission de service public lorsqu'ils sont poursuivis (33) mais à qui est refusée cette qualité lorsqu'ils souhaitent bénéficier en tant que victimes de diffamation de la protection de l'article 31 de la loi de 1881 (34). Une explication est proposée par le Professeur J.-P. Delmas Saint-Hilaire : la différence d'approche, selon que le texte d'incrimination sanctionne ou protège, tient au but de la loi (35). Lorsqu'il s'agit de protéger, il s'agit "d'assurer le respect dû à l'Etat, à son autorité, à ses institutions" ; lorsqu'il s'agit de punir, "le but de la loi est, avant tout, de moraliser l'activité de tous ceux qui participent à une tâche d'intérêt général" (36). L'appréciation des juges serait ainsi plus large lorsqu'il s'agit de retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public pour sanctionner son comportement.
Plus récemment, à propos d'un dirigeant de fait d'une association chargée de la gestion de mesures de protection judiciaire, la Chambre criminelle a indiqué que "doit être regardée comme chargée d'une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du Code pénal, toute personne chargée, directement ou indirectement, d'accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général peu important qu'elle ne disposât d'aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique" (37). Entendue ainsi plus largement et différemment du juge administratif, la qualité de "personne chargée d'une mission de service public" pourrait alors s'appliquer au parlementaire. Mais il est difficile d'être catégorique puisqu'en réalité, le juge répressif, lorsqu'il se prononce sur l'application de ces incriminations applicables aux fonctions publiques, opère au cas par cas, laissant place à des "îlots de perplexité" (38).
8. Abus de confiance. Si l'incrimination de détournement de fonds est finalement écartée à défaut de "personne chargée d'une mission de service public", il faudra alors se tourner vers le droit commun, plus précisément vers l'abus de confiance, lequel se définit comme "le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé" (C. pén., art. 314-1 N° Lexbase : L7136ALU) (39) et qui n'est plus conditionné par une qualité particulière de l'agent.
II - La compétence du parquet national financier
9. Célérité inhabituelle ? Le parquet a ouvert une enquête préliminaire le jour même de la parution du Canard enchaîné. Certains s'étonnent de cette "célérité aussi remarquable qu'inhabituelle" (40). Cherchant une explication -et non une justification-, P. Avril considère qu'en raison de sa création récente (2013), "le parquet national financier peut avoir souhaité affirmer ainsi son autorité par une réaction si prompte et spectaculaire à l'actualité" (41).
Et si, tout simplement, le PNF avait fait son travail ? En droit commun, lorsque la commission d'une infraction est portée à la connaissance du procureur de la République, ce dernier ouvre immédiatement une enquête. Il en va de même en matière plus spécifiquement financière et/ou politique. Inutile de multiplier les exemples : il suffit de citer l'affaire des "Panama Papers" (42).
L'ouverture rapide d'une enquête n'a rien d'inhabituel ; elle se justifie dès lors que le ministère public a des informations laissant penser -à tort ou à raison- qu'une infraction a été commise. La situation inverse aurait suscité un tollé et d'aucuns n'auraient pas hésité à dénoncer un étouffement politique de l'affaire.
10. Incompétence ? La compétence du procureur financier n'est concurrente à celle du procureur territorialement compétent qu'à raison de la grande complexité de l'affaire. L'article 705, 1° du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7451LBL) prévoit la compétence du PNF pour les "délits prévus aux articles 432-10 à 432-15, [...] du Code pénal, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient d'une grande complexité, en raison notamment du grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes ou du ressort géographique sur lequel elles s'étendent".
Certains auteurs considèrent qu'il n'est pas compétent en raison de l'absence de complexité de l'affaire (43) : il s'agit simplement "d'une très banale affaire d'emploi présumé (sic !) fictif semblable à celles dont traitent couramment les tribunaux correctionnels"(44). "L'objet du parquet financier, création récente et d'ailleurs controversée, est de combattre la délinquance économique grave et sophistiquée, non de comptabiliser des heures de permanence téléphonique ou de gestion d'agendas" (45). A première vue, on peut en convenir. Encore faut-il rechercher ce que recouvre cette grande complexité au sens de l'article 705 du Code de procédure pénale.
Dénonçant l'incompétence du PNF, Michèle-Laure Rassat s'appuie sur un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 8 octobre 2014 pour soutenir que "malgré le notamment', la Chambre criminelle de la Cour de cassation estime qu'un juge d'instruction ne peut se dessaisir au profit des juridictions parisiennes pour un autre motif que ceux énoncés par l'article 705". C'est faire dire à l'arrêt des choses qu'il ne dit pas. Dans cette décision, la Chambre criminelle estime que "le juge se borne à énoncer que l'instruction efficace de tels dossiers passe par une concentration des affaires entre les mains d'une seule et même juridiction et qu'il convient, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice' de se dessaisir" et qu'en conséquence, "ces énonciations, procédant de considérations générales, ne mettent pas la Cour de cassation en mesure d'exercer, en l'espèce, son contrôle sur le bien-fondé du dessaisissement ordonné" (46). Autrement dit, elle ne reproche pas au juge de ne pas s'être fondé sur l'un des motifs de l'article 705 ; elle reproche au juge d'avoir donné un motif trop général reposant sur la bonne administration de la justice. Cette décision ne peut être invoquée au soutien d'une éventuelle incompétence du PNF.
Il est au contraire possible de considérer que le PNF est bien compétent.
D'une part, dans sa circulaire du 31 janvier 2014, la ministre de la Justice a souligné que la "nouvelle loi, au travers du mécanisme de compétence concurrente, laisse aux juridictions une grande souplesse dans leur appréciation de la saisine du procureur de la République financier". Dans les critères de la saisine, la circulaire indique que le procureur de la République financier "a par essence vocation à connaître des affaires susceptibles de provoquer un retentissement national ou international de grande ampleur" et ajoute qu'il est compétent, pour les affaires relatives aux atteintes à la probité, lorsque ces affaires "révèlent l'implication d'un agent mis en cause exerçant des responsabilités de haut niveau". Difficile de nier que l'affaire en question était susceptible de provoquer un retentissement national ou international de grande ampleur et que le mis en cause exerçait des responsabilités de haut niveau !
D'autre part, la Chambre criminelle, dans deux décisions du 22 mars 2016, a confirmé que les critères retenus pas la loi pour caractériser la "grande complexité" ne sont qu'illustratifs et que "la qualité des personnes mises en cause" pouvait être prise en compte (47).
Le retentissement national et la qualité du mis en cause permettent donc de caractériser la complexité de l'affaire.
11. Indivisibilité du parquet. Quand bien même le parquet national financier ne serait finalement pas compétent -soit parce que le détournement de fonds ne peut être retenu à défaut de personne dépositaire de la puissance publique ou chargée d'une mission de service public, soit parce que, finalement, la grande complexité n'est pas retenue-, cela n'annulerait en rien la validité de la procédure en raison du mécanisme de compétence concurrente et de l'indivisibilité du ministère public (48).
12. Ouverture d'une information judiciaire. Le communiqué du PNF justifie l'ouverture d'une information judiciaire par "l'ancienneté d'une partie des faits concernés et l'exigence de mise en oeuvre de l'action publique résultant de l'article 4 de la loi adoptée définitivement le 16 février 2017". L'ouverture d'une information judiciaire le 24 février est ainsi motivée par le risque de prescription. Qu'en est-il exactement ?
Les faits remonteraient pour certains d'entre eux à 1988, voire 1982, et le délai de prescription des délits -avant la réforme- était, en principe, de trois ans. Pour Michèle-Laure Rassat, "quelques calculs simples peuvent [...] être faits desquels il semble bien résulter qu'on ne voit pas comment, compte tenu des dates annoncés pour les différents faits reprochés, tout délit ne serait pas nécessairement prescrit". La jurisprudence est pourtant bien connue : pour certaines infractions d'affaires (en l'occurrence, pour celle visée dans l'affaire "Fillon "), le point de départ du délai de prescription n'est pas le jour de la commission de l'infraction, mais le jour de sa découverte (49), c'est-à-dire ici le 25 janvier 2017.
La difficulté ne vient donc pas directement du risque de prescription dû à l'ancienneté des faits mais de l'adoption de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, portant réforme de la prescription en matière pénale (N° Lexbase : L0288LDZ).
Cette loi a doublé les délais (6 ans pour les délits, 20 ans pour les crimes) et a consacré le report du point de départ de la prescription pour les infractions occultes ou dissimulées au "jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique" mais en prévoyant un délai butoir de 12 ans en matière délictuelle et 30 ans en matière criminelle à compter de la commission des faits (50).
L'article 4 de la loi prévoit que "la présente loi ne peut avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement donné lieu à la mise en mouvement ou à l'exercice de l'action publique à une date à laquelle, en vertu des prescriptions législatives alors applicables et conformément à leur interprétation jurisprudentielle, la prescription n'était pas acquise". Aucun risque de prescription pour des infractions commises antérieurement à la loi nouvelle, découvertes plus de 12 ans ou 30 ans après leur commission, dès lors que l'action publique est déclenchée.
Une incertitude, en revanche, existe s'agissant des infractions découvertes avant la nouvelle loi mais après le délai butoir et qui n'avaient pas donné lieu à la mise en mouvement de l'action publique : une lecture a contrario pouvait conduire à la prescription de telles infractions (51). La circulaire du 28 février 2017 semble écarter cette interprétation : "les délais butoirs de douze et de trente ans, même s'ils sont applicables à des délits ou des crimes occultes ou dissimulés commis avant l'entrée en vigueur de la loi, ne peuvent commencer à courir qu'à compter de cette date, soit à compter du 1er mars 2017", mais précise "sous réserve de l'appréciation souveraine de la Cour de cassation" (52). En attendant, il valait donc mieux ouvrir une information judiciaire (53).
Ceux qui sous-entendent que le pouvoir exécutif est derrière cette affaire doivent être rassurés depuis l'ouverture de l'instruction préparatoire puisque le parquet, critiqué pour son absence d'indépendance, a choisi de transmettre l'affaire à trois juges indépendants.
S'agissant de la mise en examen, le moment était peut-être mal choisi. Mais les hommes politiques, lorsqu'ils sont mis en examen, s'en satisfont souvent devant les micros des journalistes, estimant que c'est une bonne chose, qu'ils vont enfin avoir accès au dossier, pouvoir se défendre et laver leur honneur, sans oublier d'ajouter que, ce qui compte pour eux, ce sont finalement le jugement des citoyens et le résultat des urnes....
III - La trêve judiciaire
13. Trêve judiciaire ? Selon le Professeur Pascal Jan, un usage républicain voudrait que les juges observent une trêve "tant pour garantir la sérénité du procès que pour éviter toute interférence de la justice dans le déroulement d'une campagne électorale" (54) : "le temps démocratique prime momentanément sur l'Etat de droit" (55). Un autre constitutionnaliste, P. Avril, estime que "c'est en effet une règle de conduite généralement observée que la justice s'abstient en période électorale, sa discrétion provisoire se justifiant par le respect du suffrage universel" (56). La procédure lancée contre un candidat à l'élection présidentielle heurterait une tradition de retenue : "en période électorale, il existait une tradition républicaine bien ancrée : les juges d'instruction cessaient d'opérer afin de ne pas peser sur le suffrage universel" (57).
14. Trêve de plaisanterie (58) ! On peine néanmoins à trouver un fondement textuel à cette "tradition républicaine". Elle se justifierait au regard de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1373A9Q), autrement dit au regard du principe de la présomption d'innocence. Pourtant ce principe n'a jamais empêché le cours normal de la justice, et si atteinte à la présomption d'innocence il y a, un certain nombre d'actions existe protégeant les hommes politiques mis en cause (59).
Le Professeur Romain Rambaud envisage la possibilité de se fonder sur l'article L. 110 du Code électoral (N° Lexbase : L2832AA7) (60) selon lequel "aucune poursuite contre un candidat, en vertu des articles L. 106 (N° Lexbase : L8404DYW) et L. 108 (N° Lexbase : L8406DYY), ne pourra être exercée, aucune citation directe à un fonctionnaire ne pourra être donnée en vertu de l'article L. 115 (N° Lexbase : L8178C9R) avant la proclamation du scrutin". Seulement l'article L. 106 concerne les dons ou libéralités faits en vue d'influencer le vote et l'article L. 108 vise plus spécifiquement les communes et collectivités de citoyens. Là encore, le texte est insuffisant à justifier une quelconque retenue judiciaire. Comme l'écrit Nicolas Molfessis, "aucun texte, en France, ne sanctuarise les campagnes électorales" (61).
Il peut alors apparaître paradoxal, ou contradictoire, que ces auteurs, d'un côté, s'appuient sur le principe de la légalité et sur l'interprétation stricte de la loi pénale pour exclure les parlementaires du champ d'application de l'article 432-15 du Code pénal et, d'un autre côté, invoquent une tradition non écrite ou font un raisonnement par analogie à l'article L. 110 du Code électoral pour justifier cette soi-disant pause judiciaire. C'est en quelque sorte raisonner de manière rétrospective en partant du résultat recherché (la trêve judiciaire).
C'est, par ailleurs, oublier un objectif à valeur constitutionnelle : la bonne administration de la justice (même s'il est vrai, comme pour le principe de la séparation des pouvoirs, que l'on peut lui faire dire tout et son contraire).
C'est, de plus, oublier que cette pause juridictionnelle ne se vérifie ni chez le juge administratif ni chez le juge judiciaire. S'agissant du juge administratif, le procès de certaines affaires a certes pu, par le passé, être différé en raison d'échéances électorales. Mais d'une part, cela n'a jamais empêché la phase d'instruction de se dérouler normalement ; et d'autre part, il semble qu'aujourd'hui, cette retenue ne soit plus guère envisageable (62). S'agissant du juge judiciaire, le juge pénal est tenu évidemment de respecter les dispositions protectrices visant chefs d'Etat, ministres, parlementaires, dans la limite de ce qui est imposé par les textes. Peut-il aller au-delà en suspendant la procédure ? Nullement. Premièrement, on ne manquerait pas alors de lui reprocher de chercher à protéger tel ou tel candidat. Deuxièmement, en l'absence de règles écrites, cela susciterait des difficultés pratiques : pour quelles élections respecter cette trêve ? Européennes, présidentielles (en comptant les primaires ?), législatives, sénatoriales, régionales, municipales,... ? Cette pause constituerait-elle une cause de suspension de l'action publique ? La réponse est négative au regard de la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription. A partir de quelle date dans le processus électoral la justice doit-elle suspendre son action ? (63)
En vérité, il est à l'heure actuelle difficile de justifier cette prétendue tradition républicaine (64). Les exemples de mises en cause de candidats à l'élection présidentielle sont -heureusement- rarissimes mais ils montrent que l'instruction et le procès peuvent se dérouler même en période électorale. Ainsi, au cours de la campagne présidentielle de 1974, un candidat écologiste avait cité à comparaître deux autres candidats, Jacques Chaban-Delmas et Valéry Giscard d'Estaing et un premier procès avait bien eu lieu au tribunal de grande instance de Paris le 3 mai 1974, soit juste avant le premier tour (5 et 19 mai 1974).
15. S'il n'y a pas de trêve judiciaire aujourd'hui, l'affaire "Fillon" doit tout de même faire réfléchir sur la mise en place d'une telle trêve. Est-elle nécessaire ? La réponse est délicate.
Une pause judiciaire peut se justifier au regard de l'association, dans l'opinion publique, "mis en examen = coupable", ce qui perturbe assurément la campagne électorale (en revanche, les condamnations d'hommes politiques ne jouent plus, par la suite, de rôle aussi négatif auprès des électeurs (65) ; en somme, en politique, il vaut mieux être condamné pénalement que mis en examen !). Elle doit alors être prévue et encadrée. Une trêve judiciaire ne doit pas entraîner l'arrêt des enquêtes ou de l'instruction (ou alors, il faut en prévoir les conséquences afin d'éviter tout risque de prescription) ; elle peut en revanche signifier la suspension des actes mettant sérieusement en cause la personne soupçonnée candidate à une élection (mise en examen, placement en garde à vue, en détention provisoire...). Elle doit être limitée dans le temps, à certaines infractions (liées aux activités politiques) et ne s'appliquer qu'aux élections publiques.
A l'inverse, il est compréhensible qu'une pause judiciaire heurte certains principes. Le principe de l'égalité de tous devant la loi pénale ne serait probablement pas atteint, en raison du statut particulier de candidat à une élection. Le principe de célérité pas davantage : une trêve en raison d'un calendrier électoral ne peut être que de courte durée et n'affectera pas le train de sénateur de la justice pénale. En revanche, celui de la bonne administration de la justice serait malmené. Sans doute le principe de séparation des pouvoirs serait une nouvelle fois invoqué puisque "c'est au nom même de la séparation des pouvoirs que la justice ne doit pas être entravée" (66).
Finalement, outre le respect des principes de bonne administration de la justice et de la séparation des pouvoirs, puisque les candidats mis en cause n'ont de cesse de rappeler qu'ils sont présumés innocents, de dénoncer un gouvernement des juges, un complot ourdi par des magistrats politisés, et finalement, qu'ils font confiance, non en la justice de leur pays, mais au vote de leurs électeurs qui, seuls, jugeront, on peut s'interroger sur la nécessité d'instaurer une pause judiciaire.
III - La compétence du juge judiciaire
16. Un juge judiciaire incompétent ? Le juge judiciaire serait incompétent pour contrôler les contrats de collaboration parlementaire. Deux raisons à cela.
D'une part, le principe de la séparation des pouvoirs interdit tout contrôle -de l'exécutif comme de l'autorité judiciaire- sur l'exercice même du mandat parlementaire (67), lequel inclut la relation collaborateur-parlementaire et dont le contrôle dépend du bureau de l'assemblée parlementaire dont il relève.
Afin de conforter cette incompétence du juge judiciaire, plusieurs auteurs citent un arrêt de la Chambre criminelle rendu le 15 mars 2016 (68), estimant que cette décision rappelle que le juge judiciaire ne peut pas porter une appréciation sur les éléments faisant partie du statut du parlementaire et participant comme tels à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement, principe constitutionnel garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D).
Cette décision concernait le placement en garde à vue d'un député, réalisé au terme de la procédure de levée d'inviolabilité parlementaire. Le député soulevait la nullité de la garde à vue fondée sur l'inconventionnalité de la procédure de levée d'inviolabilité. Le moyen de nullité est écarté, l'arrêt de la chambre de l'instruction indique que "l'autorité judiciaire ne saurait porter une appréciation sur la conformité aux exigences de la Convention européenne des droits de l'Homme de la procédure suivie au sein d'une assemblée parlementaire, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs". La Chambre criminelle rejette le moyen du pourvoi : "dès lors que l'inviolabilité comme les modalités de sa levée font partie du statut du parlementaire et participent comme telles à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application d'un principe constitutionnel garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789". Il paraît difficile de déduire de cet arrêt l'impossibilité pour le juge judiciaire de contrôler le lien entre le parlementaire et son collaborateur.
Surtout, c'est oublier toutes les décisions reconnaissant cette compétence, sans qu'elles n'heurtent le principe de la séparation des pouvoirs.
Nombreuses sont en effet les décisions judiciaires en ce domaine, qu'elles concernent les assistants parlementaires européens (69) ou les assistants parlementaires nationaux, qu'il s'agisse de l'appréciation du licenciement (70), du paiement des heures supplémentaires (71) ou du remboursement, par le député, des indemnités versées à trois assistants parlementaires en réalité affectés à des fonctions sans lien avec l'activité parlementaire (72).
Il y a, par ailleurs, une certaine incohérence à insister, d'un côté, sur le lien de droit privé qui unit l'assistant à son député pour tenter d'expliquer que ce dernier n'est pas une personne chargée d'une mission de service public (73) -et donc éviter l'incrimination de détournement de fonds- et, d'un autre côté, à arguer de ce que la relation du député avec son collaborateur relève du droit parlementaire pour écarter toute immixtion du juge judiciaire.
D'autre part, la nature du contrat liant le député à son assistant, fortement marqué d'intuitu personae, empêcherait le juge de contrôler ce contrat. Ainsi P. Avril et J. Gicquel ont "du mal à imaginer la pertinence du contrôle que la justice pourrait exercer sur l'effectivité d'une collaboration qui est, dans sa nature même, personnelle, et dont le contenu a priori indéterminé dépend exclusivement de relations contractuelles entre l'employeur et l'employé" (74).
Il est certes délicat de contrôler concrètement l'effectivité du contrat (75) et d'apporter la preuve d'un fait négatif (l'absence de travail) (76) mais cela ne remet pas en cause la compétence du juge pénal dès lors qu'il y a suspicion d'infraction, même dans le cadre de l'exercice du contrat entre le parlementaire et son collaborateur. "La séparation des pouvoirs vise seulement à interdire aux juges toute intervention dans le coeur de l'activité parlementaire que sont le vote de la loi et le contrôle du gouvernement. Elle ne s'applique en aucun cas aux infractions pénales détachables de la fonction législative. Au contraire, la séparation des pouvoirs devrait être invoquée pour permettre au juge judiciaire d'exercer sa mission dans la sérénité, sans être poursuivi par des propos haineux qui l'accusent de procès staliniens', alors même qu'aucun procès n'est encore prévu" (77).
Les juridictions répressives sont bien compétentes pour apprécier l'existence d'un travail fictif, lequel ne constitue pas une infraction en soi mais permet de caractériser un certain nombre d'infractions tels que l'abus de biens sociaux (78), la prise illégale d'intérêts (79) ou le détournement de biens publics (80). Le juge pénal peut caractériser l'existence d'un emploi de complaisance pour retenir un détournement de fonds publics. Ainsi, dans un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 5 novembre 1999 (81), le détournement de fonds publics a été retenu à l'encontre d'un président de conseil général en raison du travail fictif de sa femme. Le juge pénal peut rechercher l'existence d'un emploi fictif dans la relation entre un parlementaire et son collaborateur. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre sociale du 29 septembre 2010 (82), une assistante parlementaire avait informé le procureur de la République du caractère fictif de l'emploi de sa fille par un député : si l'affaire a été classée sans suite, ce n'est pas à raison d'une incompétence des juridictions répressives mais pour "infraction insuffisamment caractérisée".
Hors les hypothèses d'immunités (présidentielle, parlementaire) qui, dans cette affaire, ne s'appliquent pas, le juge pénal est compétent pour instruire et juger des infractions commises même à l'occasion du mandat parlementaire. L'article 4 de l'actuel projet de loi le confirme, en dressant une liste des personnes qui ne pourront plus être employées comme collaborateur (conjoints, partenaires liés par un pacte civil de solidarité, concubins, enfants...) (83) et en sanctionnant le non-respect de cette interdiction d'une peine de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende, dont le prononcé relève bien de la compétence des juridictions répressives.
17. Conclusion. Finalement, le principe de la séparation des pouvoirs n'est pas malmené : l'autorité judiciaire a respecté sa mission sans s'immiscer au sein du pouvoir législatif. La justice fait son travail (84), ce qui doit sûrement rassurer ces hommes politiques qui dénoncent régulièrement le laxisme des juges.
Désormais mis en examen, le candidat malheureux à la présidentielle a maintenant les moyens d'exercer pleinement les droits de la défense. Et face au "quatrième pouvoir", il est déjà parti à "la chasse au Canard" (85), sur le fondement de l'article L. 97 du Code électoral (N° Lexbase : L8399DYQ) ("ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manoeuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 euros"). De manière générale, l'acharnement médiatique dont peuvent faire l'objet les hommes politiques peut être combattu sur différents fondements (dénonciation calomnieuse, diffamation, injure, violation du secret de l'enquête, de l'instruction et du secret professionnel, non-respect du principe de présomption d'innocence (86)). Juridiquement, François Fillon a donc les moyens de se défendre.
Sur le plan politique, revenons à Montesquieu. Ce dernier distinguait trois types de gouvernements : despotique, monarchique et républicain, considérant que chacun obéit à un principe spécifique : le gouvernement despotique repose sur la crainte ; le monarchique sur l'honneur ; le républicain sur la vertu. A propos du gouvernement républicain, et plus spécialement du démocratique, il écrit : "Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu'un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintiennent ou se soutiennent. La force des lois dans l'un, le bras du prince toujours levé dans l'autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un Etat populaire, il faut un ressort de plus, qui est la VERTU" (87). Plus loin, on lit : "dans les républiques, les crimes privés sont plus publics, c'est-à-dire choquent plus la constitution de l'Etat, que les particuliers ; et, dans les monarchies, les crimes publics sont plus privés, c'est-à-dire choquent plus les fortunes particulières que la constitution de l'État même" (chap. V).
Comme l'écrit un normand célèbre, "la bêtise consiste à vouloir conclure" (88)...
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:459786