La lettre juridique n°709 du 31 août 2017 : Procédure civile

[Jurisprudence] Bagatelles pour un appel : la tradition manuelle et la dématérialisation de l'appel devant les juridictions prud'homales

Réf. : CA Paris, Pôle 6, 6ème ch., 5 juillet 2017, deux arrêts, n° 16/11362 (N° Lexbase : A2199WME) et n° 16/11363 (N° Lexbase : A2080WMY)

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par Pierre-Louis Boyer, Maître de conférences HDR, UCO Angers - IODE Rennes 1

le 31 Août 2017

La chambre sociale de la cour d'appel de Paris semble hériter des premières, voire des toutes premières, décisions qui suivent les avis du 5 mai 2017 de la Cour de cassation en matière d'appel devant les juridictions prud'homales (Cass. avis, 5 mai 2017, deux avis, n° 17006 N° Lexbase : A9752WBS et n° 17007 N° Lexbase : A9753WBT ; lire le commentaire de Maître Emmanuel Raskin, intitulé Pas de postulation territoriale devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale, Lexbase, éd. prof, n° 241, 2017 N° Lexbase : N8496BWL) sans pour autant y faire référence... Elle s'est, en effet, prononcée par deux décisions en date du 5 juillet 2017 sur une question d'ordre procédural, touchant tant à la postulation devant les chambres sociales qu'à la remise au greffe de la déclaration d'appel. Il est nécessaire de rappeler ici que le décret dit "Macron" (1) du 20 mai 2016 modifiait l'article R. 1461-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2664K88) (sans doute une réforme déjà en marche...) qui, désormais, était ainsi rédigé : "l'appel est porté devant la chambre sociale de la cour d'appel. Il est formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire".

La représentation obligatoire nouvellement imposée, avec application au 1er août 2016, entraînait une question toute simple : doit-on transposer les règles communes de la postulation devant les cours d'appel aux chambres desdites cours jugeant en matière prud'homale ? La postulation allait-elle devenir obligatoire en matière prud'homales ou allait-on assister à la création d'une nouvelle procédure, spécifique aux affaires prud'homales ? On notera que la spécificité de cette matière résidait déjà dans la possibilité que les parties avaient, depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (N° Lexbase : L4876KEC), au regard de l'article L. 1453-4 du Code du travail (N° Lexbase : L5961KGU), d'être représentées par un avocat ou un défenseur syndical devant les chambres sociales.

Sur la question de la postulation devant les chambres sociales, les juridictions du second degré étaient divisées, certaines refusant la nécessité de la postulation (2), quand d'autres l'imposaient (3).

L'incertitude régnait cependant et la Cour de cassation, dans son rôle de juridiction unificatrice de la jurisprudence française, a émis deux avis identiques le 5 mai 2017 (n° 17006 et n° 17007), dont la conclusion était sans appel... : "les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) modifiée ne s'appliquent pas devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire".

Il fallait y voir, déjà et en continuité de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 (N° Lexbase : L2387IP4), l'amorce de la fin de la postulation, le commencement de l'explosion de la territorialité, la fin des deux étendards des ressorts des tribunaux de grande instance et des cours d'appel : l'entrée, par la voie détournée de la modification de la procédure d'appel devant les chambres sociales, de la modification à venir de la postulation devant l'ensemble des juridictions françaises.

Mais venons-en aux affaires qui nous préoccupent, à savoir deux affaires similaires portées devant la chambre sociale de la cour d'appel de Paris (n° 16/11362 et n° 16/11363), car les avis de la Cour de cassation du 5 mai 2017 viennent éclairer les deux décisions qui font l'objet de cette note en précisant que la procédure devant la cour d'appel en matière sociale se fait sans postulation et donc sans territorialité de l'avocat.

L'avis de la Cour de cassation ne répond certes pas directement aux demandes établies au sein des conclusions d'appelant dans les deux affaires susvisées, ce qui paraît bien normal quand l'on sait que la cour n'a pas jugé nécessaire de transmettre ces demandes d'avis... mais lesdites demandes demeurent toutefois intéressantes, et étaient ainsi rédigées : "dans le cadre du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 (N° Lexbase : L2693K8A) qui prévoit une procédure spécifique de représentation obligatoire à la matière prud'homale l'appel qui ne peut-être formé par voie électronique, et qui doit donc prendre la forme de la remise au greffe de l'acte d'appel peut-il être formé par voie de lettre recommandée adressée au greffe de la cour d'appel ?".

Le cas d'espèce qui nous intéresse concerne deux salariés d'une SAS R. qui ont interjeté appel d'une décision rendue par le conseil des prud'hommes de Bobigny, et ce par lettre recommandée avec accusé de réception... c'est-à-dire d'une manière quelque peu curieuse si l'on se conforme à la procédure d'appel, du moins celle qui s'appuie sur les dispositions en vigueur jusqu'au 1er septembre 2017.

En effet, on sait bien que toute déclaration d'appel doit (encore) être transmise par voie électronique, sauf s'il y a "une cause étrangère" qui empêche cette transmission par le RPVA, auquel cas un dépôt physique, auprès du greffe, est nécessaire. Ce sont les dispositions de l'article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9) qui ne sauraient être plus claires que cela : "Lorsqu'un acte ne peut être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l'accomplit, il est établi sur support papier et remis au greffe. En ce cas, la déclaration d'appel est remise au greffe en autant d'exemplaires qu'il y a de parties destinataires, plus deux. La remise est constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l'un est immédiatement restitué".

Les parties au litige ont été alors invitées à communiquer leurs observations sur la recevabilité de l'appel, la déclaration ayant été transmise au greffe par LRAR (4).

L'intimé a profité de cette invitation pour solliciter, sur le fondement de l'article 117 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1403H4Q) la nullité de l'appel, l'avocat de l'appelant n'étant pas inscrit dans l'un des barreaux du ressort de la cour d'appel de Paris. Curieusement, alors que la Cour de cassation a déjà répondu à cette question, question qui avait été laissée en suspens tant par le législateur que par la jurisprudence de la Cour suprême, dans les avis du 5 mai 2017, la cour d'appel de Paris prend soin de faire à nouveau la démonstration de l'absence de nécessité d'appliquer les règles de postulation en matière prud'homale : "La représentation devant les cours d'appel statuant en matière prud'homale demeure ouverte à partir du 1er août 2016 à tout avocat, sans postulation obligatoire". Inutile de le rappeler : de Lamanère à Bray-Dunes, et de Lauterbourg à Plouarzel, tous les avocats peuvent plaider devant toutes les chambres sociales de toutes les cours d'appel de France.

L'intimé a donc été débouté de sa demande de nullité, et la cour d'appel de Paris, après s'être conformée aux avis de la Cour de cassation, a pu se pencher sur la question de la fin de non-recevoir relative à la transmission de la déclaration d'appel par LRAR.

Le syndicat des avocats de France, dans le rôle qu'on lui connait, concluait en intervention volontaire et sollicitait que soit déclarée recevable la déclaration d'appel transmise par LRAR, au motif que les termes "remise au greffe" ne sont pas si précis... et que, au fond, il serait stupide de "demander à un avocat niçois de se rendre dans les locaux de la cour d'appel de Paris, pour déposer sa déclaration d'appel puis de revenir pour déposer ses conclusions d'appelant, puis de revenir une nouvelle fois pour ses conclusions d'intimé à titre incident" (5), pointant ainsi du doigt quelques incohérences de l'absence de postulation...

En effet, en cas d'impossibilité de transmission de la déclaration d'appel par RPVA, la remise physique de cette dernière au greffe n'est pas très pratique et demeure quelque peu chronophage. C'est là tous les bienfaits -malheureusement critiqués- de la postulation : un contact direct et humain entre les services judiciaires et les acteurs locaux de la justice.

Si les appelants étaient, jusque là, heureux du raisonnement de la cour qui rejetait la demande de nullité, leur déception allait être grande... car la cour a finalement déclaré irrecevable la déclaration transmise au greffe par LRAR : "faute d'une telle transmission via le Réseau privé virtuel des avocats, la déclaration d'appel devait être remise par tradition manuelle au greffe de la cour et non envoyée par lettre recommandée avec accusé de réception". La fameuse "tradition manuelle"...

On notera que la cour d'appel de Paris n'est pas la première à trancher en ce sens. A titre d'exemple, la cour d'appel de Douai, dans une ordonnance d'irrecevabilité de l'appel en date du 30 septembre 2016, s'était déjà prononcé de cette manière : "attendu que Me X a interjeté appel du jugement du conseil de prud'hommes [...] par LRAR reçue au greffe le 23 septembre 2016 ; qu'en conséquence il y a lieu de déclarer la déclaration d'appel remise au greffe irrecevable".

Les raisons de cette position sont doubles. Dans un premier temps, les textes qui régissent la procédure d'appel, y compris en matière prud'homale, disposent parfaitement qu'un exemplaire de la déclaration d'appel déposée au greffe est restitué immédiatement à la partie déposante, ou à son représentant, avec visa du greffe. Or, une restitution immédiate ne saurait s'opérer en cas d'envoi par lettre recommandée.

Dans un second temps, le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile (N° Lexbase : L2696LEL), dans son article 30, vient modifier l'article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L7249LE9), précisant que les déclarations d'appel pourront désormais se faire, à compter du 1er septembre 2017, en cas d'impossibilité de transmission par le RPVA par "lettre recommandée avec demande d'avis de réception". La suite de l'article 930-1 modifié vient appuyer l'idée d'immédiateté, relative cependant en cas d'envoi postal, puisqu'il est ainsi mentionné que "lorsque la déclaration d'appel est faite par voie postale, le greffe enregistre l'acte à la date figurant sur le cachet du bureau d'émission et adresse à l'appelant un récépissé par tout moyen".

C'est donc que cette possibilité n'était pas et n'est pas licite avant le 1er septembre 2017, et que l'idée d'immédiateté entraînait, jusqu'à ce que ne soit permis l'envoi par LRAR, la restitution immédiate et en main propre, selon la "tradition manuelle", de la déclaration d'appel avec apposition du visa du greffe de la cour. Les avocats sont prévenus : qu'il y ait ou non territorialité de la postulation, la transmission des actes par RPVA reste et restera la norme, ce même après le 1er septembre 2017. Toutefois, le nouveau décret applicable à compter de cette date laisse encore plus entrevoir, dans les années à venir, la fin des règles de la postulation devant les cours d'appel. En effet, la remise au greffe en main propre en cas d'impossibilité technique de transmission dématérialisée couplée à cette atténuation créée par la possibilité offerte d'envoi par LRAR à compter de cette date, fait que les avocats n'auront aucune nécessité de se déplacer physiquement au greffe, l'envoi postal suffisant en cas d'impossibilité de transmission par le RPVA. Cette modification procédurale propre à la matière prud'homale ne saurait être chose qu'un cheval de Troie au sein de la procédure d'appel commune, visant à supprimer les règles générales de postulation et accentuant la libéralisation de la justice et la fin de "l'appel" tel que nous le connaissons.

On voit donc, dans les deux arrêts du 5 juillet 2017, que la cour a, avant que cela ne lui soit plus possible, rappelé l'importance du lien physique existant entre les parties -ou leurs représentants- et les services de la justice, mais a aussi suivi les avis de la Cour de cassation du 5 mai 2017, révélant une nouvelle fois cette idée que les "avis" de la Cour de cassation, bien qu'ils demeurent théoriquement un "droit mou" sans valeur normative particulière sont toutefois revêtus d'une force normative qui fait d'eux une norme à part entière, appliquée de fait par les juridictions inférieures.


(1) Décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail (N° Lexbase : L2693K8A). Voir, entre autres, G. Balavoine et B. David, Réforme de la procédure d'appel en matière prud'homale : la dualité de représentation, Lexbase, éd. prof., n° 665 du 28 juillet 2016 (N° Lexbase : N3890BWY) ; J. Bellichach, Multipostulation et représentation des parties devant les chambres sociales de la cour d'appel à la suite du décret du 20 mai 2016, D., 2016, pp. 1508 et s..
(2) CA Aix-en-Provence, 27 février 2017, n° 16/20624 (N° Lexbase : A2592T3E) : "Si les dispositions issues des articles 28 à 30 du décret du 20 mai 2016 ont pour objet, à compter du 1er août 2016 de rendre obligatoire en appel la représentation des parties par tout avocat ou par un défenseur syndical, elles n'ont ni pour objet ni pour effet d'étendre, à compter de cette date, les règles de postulation prévues par l'article 5 de la loi du 31 décembre 1971 aux procédures d'appel devant la chambre sociale de la cour. [...] L'exception de nullité de la déclaration d'appel sera rejetée".
(3)CA Montpellier, 10 novembre 2016, n° 15/01877 (N° Lexbase : A3990SGU), ordonnance d'irrecevabilité du juge de la mise en état : "Attendu que l'article 5 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que les avocats peuvent postuler devant l'ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d'appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d'appel, que le tempérament au principe de la représentation obligatoire par avocat en cause d'appel issu de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, n'entraine pas la dérogation au principe de la postulation en l'absence de toute disposition législative ; que l'article 930-1 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0362ITL) dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par la voie électronique ; que la déclaration d'appel formée par LRAR de Me Y est donc irrecevable, prononçons l'irrecevabilité de l'appel formalisé par M Y.".
(4) Sans doute faut-il rappeler ici que l'article 930-2 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6687LEE) qui dispose, depuis le décret du 10 mai 2017, que les déclarations d'appel peuvent être remises au greffe par LRAR ne concerne nullement le cas d'espèce, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, à la date de l'établissement des déclarations d'appel dans les affaires qui nous concernent, à savoir le 30 juin 2016, l'article 930-2 ne mentionnait aucunement la remise au greffe par LRAR. Enfin, l'article 930-2 ne concerne que les défenseurs syndicaux, et nullement les avocats, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
(5) cf. les concusions.

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