La lettre juridique n°706 du 13 juillet 2017 : Contrats administratifs

[Jurisprudence] Contestation par un tiers d'une décision refusant de mettre fin à l'exécution du contrat : irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - conclusions du Rapporteur public (première partie)

Réf. : CE Sect., 30 juin 2017, n° 398445, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1792WLX)

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N9330BWH

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[Jurisprudence] Contestation par un tiers d'une décision refusant de mettre fin à l'exécution du contrat : irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - conclusions du Rapporteur public (première partie). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/41727645-jurisprudence-contestation-par-un-tiers-dune-decision-refusant-de-mettre-fin-a-lexecution-du-contrat
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par Gilles Pellissier, Rapporteur public au Conseil d'Etat

le 13 Juillet 2017

Dans un arrêt rendu le 30 juin 2017, la Haute juridiction a dit pour droit que, si un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Gilles Pellissier (voir la seconde partie N° Lexbase : N9331BWI). Votre décision d'Assemblée du 4 avril 2014, "Département de Tarn-et-Garonne" (CE Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6449MIP), a réalisé une profonde recomposition des voies de recours ouvertes aux tiers à un contrat administratif à l'encontre de ce dernier. Revenant sur une jurisprudence plus que séculaire qui ne leur permettait que de demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes détachables du contrat (CE, 4 août 1905, n° 14220 N° Lexbase : A2989B7T, p. 749), vous avez jugé qu'ils pouvaient désormais, par un recours de plein contentieux, contester directement la validité du contrat. Cette évolution, précisons-le d'emblée pour ne plus y revenir, dans le sillage de laquelle s'inscrit celle que nous allons vous proposer aujourd'hui, ne concerne pas les contrats de recrutement d'agents publics, qui peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir depuis votre décision de Section du 30 octobre 1998, "ville de Lisieux" (CE, n° 149662 N° Lexbase : A8279ASG, Recueil. p. 375, ccl. Stahl, solution confirmée par la décision CE, 2 février 2015, n° 373520 N° Lexbase : A1440NBX, Recueil).

La conséquence de l'ouverture aux tiers d'une voie de recours directe contre le contrat est la fermeture de la voie de contournement que représentait le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables de la conclusion du contrat. Elle ne demeure que de manière marginale, dans des cas et dans des conditions qui garantissent contre toute velléité des tiers de l'utiliser pour s'affranchir des règles régissant la voie nouvelle qui leur a été ainsi ouverte : les actes concourant à la conclusion du contrat et tant que celui-ci n'est pas conclu restent détachables pour le représentant de l'Etat qui peut les contester par la voie de l'excès de pouvoir, dans le cadre du contrôle de légalité ; l'acte administratif portant approbation du contrat par une autorité qui n'en est pas partie, certes postérieur à sa conclusion mais nécessaire à son exécution, est également détachable du contrat pour les tiers qui sont recevables, sous certaines conditions, à en contester la légalité devant le juge de l'excès de pouvoir (CE, 23 décembre 2016, n° 392815 N° Lexbase : A8794SXY, aux T. sur ce point) ; enfin, restent justiciables du recours pour excès de pouvoir les actes administratifs détachables de la formation des contrats de droit privé (CE Sect., 26 novembre 1954, Syn de la raffinerie du soufre française, p. 620 ; CE, 27 octobre 2015, n° 386595 N° Lexbase : A5334NU4, aux T. sur ce point).

La recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires du contrat (CE Ass., 10 juillet 1996, n° 138536 N° Lexbase : A0215APN, p. 274, solution étendue à la décision de refus de les modifier : CE, 15 janvier 1999, n° 188588 N° Lexbase : A3139ARP, DA, 1999, n° 67), que la décision "Département de Tarn-et-Garonne" maintient expressément (1), participe d'une logique différente puisqu'elle vise à permettre aux tiers de saisir une norme de portée générale, non contractuelle bien que contenue dans le contrat et de ce fait détachable de celui-ci.

Si nous avons employé le terme de recomposition pour décrire la portée de votre décision "Département de Tarn-et-Garonne", c'est parce qu'elle ne se contente pas de faire passer un recours d'une branche du contentieux à une autre mais que, d'une part, elle en redéfinit substantiellement les modalités, d'autre part, elle l'insère dans l'ensemble plus vaste des contentieux contractuels, en permettant aux tiers de saisir un juge du contrat dont l'office a été également profondément redéfini au cours de la dernière décennie (sur l'office du juge du contrat saisi par les parties : CE Ass., 28 décembre 2009, n° 304802 N° Lexbase : A0493EQC, p. 509). Aujourd'hui, le tableau des contentieux contractuels hors fonction publique offre un paysage qui se rapproche d'un jardin à la française : les différents recours dont disposent les tiers et les parties sont autant de voies aboutissant au juge du contrat doté des mêmes pouvoirs de donner au litige une solution qui représente le meilleur équilibre entre les exigences de la légalité, de l'intérêt général et de la stabilité des relations contractuelles, dans le respect des droits créés.

Cette recomposition n'est cependant pas encore complètement achevée. La jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne" ne concerne que la contestation du contrat et les actes détachables antérieurs à sa conclusion qui permettaient auparavant aux tiers d'en contester indirectement la validité. Si, en dehors des voies de recours spécialement destinées à permettre aux candidats évincés d'obtenir le respect des règles de mise en concurrence, la contestation du contrat concentre l'essentiel des recours des tiers en matière contractuelle, ceux-ci ont également la possibilité de contester certains actes détachables relatifs à l'exécution du contrat. Cette faculté leur a été ouverte, et à eux seuls (2) , par la décision de Section du 24 avril 1964 "SA de Livraisons industrielles et commerciales (LIC)" (CE, n° 53518 N° Lexbase : A1792WLX, p. 239, AJDA, 1964, p. 308, concl. Combarnous) (3) dont la formulation très générale mérite d'être citée : la société requérante est, "en sa qualité de tiers par rapport à ladite convention, recevable à déférer au juge de l'excès de pouvoir, en excipant de leur illégalité, tous les actes qui bien qu'ayant trait soit à la passation soit à l'exécution du contrat, peuvent néanmoins être regardés comme des actes détachables dudit contrat". Est ensuite qualifiée de détachable du contrat la décision de la personne publique cocontractante refusant d'en prononcer la résiliation, c'est à dire d'y mettre unilatéralement fin avant sa complète exécution.

Les décisions par lesquelles vous avez fait application de cette jurisprudence sont infiniment moins nombreuses que celles ayant appliqué la jurisprudence "Martin". Elles se comptent sur les doigts d'une main : outre la décision de principe que nous venons de citer, vous avez statué sur des refus de résiliation à deux reprises par des décisions "Fayard" du 11 janvier 1984, (CE, n° 30250 N° Lexbase : A2568ALP p. 4) et "société Eiffel-Distribution" du 8 décembre 2004 (CE, n° 270432 N° Lexbase : A3501DEE, aux T.), cette dernière dans le cadre d'un référé suspension. Vous avez ensuite étendu cette solution au recours de tiers contre la décision de résiliation elle-même (CE Ass., 2 février 1987, n° 81131 N° Lexbase : A3244APT, p. 29, RFDA, 1987, p. 29, ccl. M. Fornacciari).

La présente affaire, qui s'inscrit dans un litige comparable à celui de la décision "SA LIC", vous donne l'occasion, et nous venons de voir qu'elle est rare, de poursuivre votre oeuvre de recomposition des recours en matière contractuelle en réexaminant les modalités, les conditions de recevabilité et les effets des recours des tiers contre certaines décisions prises au cours de l'exécution du contrat, à savoir les décisions de refus d'en prononcer la résiliation. Mais, sauf à vouloir en profiter pour traiter l'ensemble des recours des tiers contre des mesures d'exécution du contrat, ce que nous ne vous proposerons pas, votre décision complétera l'édifice, sans l'achever.

Nous commencerons par vous exposer les raisons qui justifient à nos yeux de revoir les modalités des recours des tiers auxquels a été opposé un refus de résilier le contrat.

Contrairement à l'usage, nous ne ferons valoir aucun argument en faveur du maintien sous l'empire de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne" d'un recours pour excès de pouvoir ouvert aux tiers à l'encontre de cette décision car nous n'en avons tout simplement pas trouvé. Non seulement les justifications de la reconnaissance de cette voie de droit n'existent plus, mais son maintien serait à la fois incohérent au regard des nouvelles règles régissant les actions des tiers en contestation de la validité du contrat et de nature à en compromettre les finalités.

En premier lieu, les mêmes raisons qui vous avaient conduits à ouvrir aux tiers le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables de l'exécution du contrat plaident aujourd'hui pour redéfinir ce recours par référence à la voie principale de la contestation de la validité du contrat ouverte aux tiers par la décision "Département de Tarn-et-Garonne".

Ces recours sont en effet proches par leurs objets et par leurs fins, la contestation du contrat dans un cas, de son maintien dans l'autre, à tel point que la décision "SA LIC" fait en quelque sorte masse des deux en décrivant l'objet de la demande présentée au tribunal administratif comme tendant "à contester le droit du ministre [...] de passer et de maintenir avec la société SVP un accord [...]". Comme le faisait observer le président Combarnous dans ses conclusions sur cette décision, dans le cas du recours contre le refus de résilier "comme dans le cas du recours dirigé contre l'acte de passation, le requérant conteste, suivant l'expression même de vos arrêts, le droit pour l'administration de passer certaines conventions".

Cette proximité des objet et finalité des recours est la raison invoquée par le commissaire du gouvernement de l'affaire "SA LIC" pour étendre aux refus de résiliation la jurisprudence "Martin" : "dès lors que vous admettez le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de l'acte de passation du contrat, il faudrait de très fortes raisons pour admettre que le recours tendant au retrait total ou partiel de cet acte n'est pas possible". La circonstance que l'acte soit postérieur à la conclusion du contrat ne justifie pas, à elle seule, de lui réserver un sort différent dès lors, expliquait-il, que le critère de la détachabilité n'est pas le moment auquel l'acte intervient mais son objet : sont détachables "les actes par lesquels l'administration décide de contracter" ; ne le sont pas "les actes pris en vertu du contrat et dans le cadre de celui-ci". Cette distinction, nous le verrons, demeure parfaitement valable.

Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui vous ont conduit à ouvrir aux tiers un accès direct au juge du contrat pour contester la validité de celui-ci. Disons simplement que, loin de remettre en cause la possibilité de cette contestation, vous avez voulu la rendre à la fois plus simple dans son usage, plus efficace et plus équilibrée dans ses effets. Dès lors que l'ouverture du recours pour excès de pouvoir contre le refus de résiliation constituait la suite logique de l'ouverture de ce recours contre les actes de passation, la transformation du recours contre le contrat doit s'étendre au recours contre le refus de le résilier.

En second lieu, le maintien d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision de refus de résiliation, compte tenu précisément de la proximité de cette décision avec celle de passer le contrat, compromettrait l'équilibre entre légalité et stabilité contractuelle que poursuit la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne".

Cet équilibre résulte à la fois des conditions encadrant le recours des tiers contestant la validité du contrat, conditions relatives au délai pour agir, de deux mois à compter des mesures de publicité adéquates du contrat, à leur intérêt pour agir, qui doit, sauf exceptions, être suffisamment direct et certain et aux moyens qu'ils peuvent invoquer qui doivent, en règle générale, être en rapport avec leur intérêt, et des pouvoirs étendus reconnus au juge du contrat saisi du recours pour déterminer les conséquences sur le contrat de l'irrégularité qu'il constate. Or le recours pour excès de pouvoir n'offre pas les mêmes possibilités d'ajustement des modalités du recours. L'intérêt pour agir est traditionnellement apprécié de manière plus libérale ; plus encore, il est difficile de limiter les moyens susceptibles d'être invoqués par le requérant; enfin, l'office du juge de la légalité est beaucoup plus contraint que celui du juge du plein contentieux contractuel. Ces raisons sont celles qui vous ont conduits à ouvrir aux tiers un recours de pleine juridiction devant le juge du contrat plutôt que d'étendre aux contrats le recours pour excès de pouvoir.

Par conséquent, maintenir le recours pour excès de pouvoir contre le refus de résilier le contrat, dont la légalité dépend notamment, ainsi que cela ressort expressément de la décision "SA LIC", de celle du contrat, et dont l'annulation implique en principe la résiliation du contrat, revient à permettre à n'importe quel tiers y trouvant quelque intérêt de remettre en cause à tout moment l'existence du contrat alors même qu'il ne serait pas ou plus recevable à en contester directement la validité, contrairement à l'objectif de sécurisation du contrat dans ses éléments constitutifs après l'expiration des délais de recours à son encontre visé par la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". L'éventualité de ce recours fait ainsi peser sur le contrat la même menace que celle que faisait peser l'annulation de l'acte détachable relatif à sa passation à partir du moment où le développement des pouvoirs d'injonction du juge administratif lui a fait perdre son effet platonique.

Les circonstances de la présente affaire illustrent parfaitement ce risque : le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) a été constitué en 2000 entre plusieurs collectivités et établissements publics de coopération intercommunale des départements de la Seine-Maritime et de la Somme pour poursuivre l'exploitation de la liaison maritime entre Dieppe et Newhaven, à la suite du départ de la société A. Après l'avoir exploitée en régie, le syndicat en a confié l'exploitation à la société B, par une convention du 29 décembre 2006, pour une durée de 8 ans, ultérieurement prolongée pour trois ans. En novembre 2010, les sociétés C et D, qui exploitent, à presque 200 kilomètres de Dieppe, sous la dénomination Eurotunnel, le tunnel sous la Manche, ont demandé au Syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche de résilier cette convention. N'ayant pas obtenu de réponse, ils ont contesté cette décision implicite de rejet devant le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté leur demande, puis devant la cour administrative de Douai qui y a fait droit au motif que le contrat était en réalité un marché public qui ne pouvait être légalement passé selon les règles applicables aux délégations de service public. Elle a enjoint au Syndicat mixte de résilier la convention dans un délai de six mois. Vous avez, à la demande du Syndicat requérant, ordonné le sursis à exécution de cet arrêt.

Si la qualification juridique de la convention sur laquelle repose l'arrêt est critiquée par le syndicat requérant, il ne conteste aucunement le principe même d'une appréciation de la légalité de la décision de refus de résilier la convention à l'aune de la régularité de cette dernière. Un tel contrôle résulte de la décision "SA LIC" qui assimile décision de conclure et décision de maintenir le contrat et dont les motifs sont entièrement consacrés au droit du ministre de le conclure.

Or le moyen que la cour a retenu pour annuler le refus de résilier le contrat et enjoindre à la personne publique de le faire aurait été écarté comme inopérant par le juge du contrat saisi d'un recours des mêmes requérants en contestation de la validité du contrat, dans le cadre de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". A supposer même que l'intérêt exclusivement commercial de ces requérants ait pu être regardé comme suffisamment direct et certain, l'irrégularité de la procédure de passation du contrat est sans rapport avec leur intérêt, dès lors qu'ils n'étaient ni candidats à l'attribution de la convention ni n'allèguent avoir été dissuadés de l'être du fait de l'irrégularité qu'ils invoquent. Par ailleurs, vous savez que l'application d'une procédure de sélection inapplicable n'est pas, sauf circonstances très particulières qui ne sont pas réunies en l'espèce, une irrégularité d'une gravité telle que le juge doive la relever d'office (voyez notamment CE, 12 janvier 2011, n° 332136 N° Lexbase : A8756GPY, aux T. sur ce point).

Il est vrai que la cour n'était pas tenue d'enjoindre au Syndicat de résilier la convention. Le juge de l'exécution dispose, selon la grille établie à propos de l'office du juge chargé de déterminer les effets de l'illégalité de l'acte détachable du contrat sur ce dernier (CE, 21 février 2011, n° 337349 N° Lexbase : A7022GZ4, p. 54), d'une certaine marge d'appréciation des conséquences à tirer de l'annulation qu'il a prononcée : aucune régularisation n'étant en l'occurrence envisageable, il pouvait décider qu'un intérêt général faisait obstacle à la résiliation du contrat. Mais ces considérations d'intérêt général doivent être particulièrement fortes pour faire échec à un effet intrinsèque de l'annulation d'une décision, qui implique en principe qu'elle ne soit pas maintenue. La conséquence normale de la constatation que la personne publique ne pouvait légalement refuser de résilier est bien qu'elle doit le faire.

Même s'il ne se concrétise pas souvent, le risque que la jurisprudence "SA LIC" ne devienne une voie de contournement des règles de recevabilité du recours en contestation de la validité du contrat est certain et vous devez le conjurer, comme vous l'avez fait lorsque vous avez jugé que le refus de la personne publique de saisir le juge du contrat d'une action en nullité du contrat n'était pas détachable des relations contractuelles, afin que les tiers ne puissent utiliser cette voie pour obtenir l'annulation du contrat, qui n'était alors accessible qu'aux parties et aux candidats évincés (CE, 17 décembre 2008, n° 293836 N° Lexbase : A8807EBS, au rec).

Nous ne vous proposerons pas, pour ce faire, de supprimer ce recours, mais de l'adapter. En effet, l'ouverture aux tiers d'un recours contre le contrat lui-même ne nous paraît pas conduire à leur fermer toute possibilité de contester le refus de le résilier. A cet égard, si un contrat administratif est évidemment source de droits, il n'est pas assimilable à un acte individuel créateur de droits, ni par conséquent sa résiliation à une abrogation. Ne serait-ce que parce qu'un acte individuel créateur de droits devenu définitif ne peut être abrogé, y compris s'il est illégal ou si un changement des circonstances de droit et de fait l'a rendu tel (CE Sect., 30 novembre 1990, n° 103889 N° Lexbase : A5713AQN, p. 339 ; CE, 26 mars 2001, n° 202209 N° Lexbase : A2296AT9, aux T., concernant un acte d'approbation d'un contrat), alors que la personne publique cocontractante peut toujours, à tout moment, décider la résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général ou à titre de sanction des fautes graves commises par le cocontractant dans l'exécution du contrat. Vous savez qu'il s'agit d'une prérogative de puissance publique dont elle dispose indépendamment des clauses du contrat et à laquelle elle ne peut contractuellement renoncer (CE, 6 mai 1985, n° 41589 N° Lexbase : A3186AMX, p. 141).

Dès lors que la personne publique dispose d'un pouvoir de résiliation unilatérale des contrats auxquels elle est partie pour des motifs qui, pour certains, dépassent la conduite des relations contractuelles et ne sont ni nécessairement ni généralement tirés de l'irrégularité du contrat, il apparaît à la fois légitime que l'exercice de ce pouvoir puisse être contrôlé par un juge, même si ce contrôle sera le plus souvent très distancié, et qu'il puisse l'être à la demande d'un tiers. Comme nous l'avons dit, et votre décision "SA LIC" est fondée sur cette idée, le refus de résilier un contrat exprime une décision de même nature que celle de le conclure, mais dont l'objet, qui porte sur la poursuite de l'exécution du contrat, et les circonstances de droit et de fait dans lesquelles elle est prise, sont différents, de sorte que les motifs qui justifiaient la conclusion d'un contrat ne sont pas toujours ceux qui justifient son maintien. Dès lors, les tiers peuvent avoir tout autant intérêt à contester la poursuite de l'exécution du contrat que sa conclusion et le recours contre le contrat ne permet pas de contrôler le choix postérieur de la personne publique d'en poursuivre l'exécution.

Si vous partagez cet avis, il vous reviendra de définir les règles applicables au recours des tiers auxquels aura été opposé un refus de la personne publique cocontractante de résilier les contrats administratifs auxquels elles sont parties. Le refus de résilier un contrat de droit privé demeure quant à lui détachable de l'exécution de ce contrat, dont le juge n'est pas le juge administratif, et susceptible de recours pour excès de pouvoir.

La nécessité d'insérer harmonieusement ce recours dans l'ensemble du contentieux contractuel conduit à en définir les règles par référence au recours des tiers en contestation de la validité du contrat, puisqu'il porte sur une décision dont l'objet est substantiellement proche et concerne une même catégorie de requérants, tout en les adaptant à la spécificité de son objet qui porte sur la décision de poursuivre l'exécution du contrat.

Comme vous l'avez fait pour le recours en contestation de la validité du contrat, il convient de diriger ce recours vers le juge du contrat, qui est le mieux outillé pour y statuer, et de le recentrer sur l'objectif recherché par le requérant, qui est d'obtenir la cessation de l'exécution du contrat.

Le tiers requérant devra d'abord la demander à la personne publique cocontractante, afin de lier le contentieux, mais la décision de refus qui lui aura été opposée ne sera pas l'objet de son recours contentieux, comme lorsqu'il s'agissait de parvenir à la résiliation du contrat par la voie détournée de l'annulation de l'acte détachable suivie d'une injonction de résilier le contrat. La contestation du refus de résiliation qui aura été opposé au tiers ne sera que le vecteur de conclusions qui tendront à ce que le juge du contrat, juge de pleine juridiction qui dispose de ce pouvoir, prononce la résiliation du contrat. Ce ne sera pas la première fois que vous fusionnerez ainsi des conclusions aux fins d'annulation et d'injonction pour définir, dans le cadre d'un contentieux devenu de pleine juridiction, l'office du juge en fonction de ces dernières (voyez, par exemple, en matière de démolition d'ouvrage public mal planté : CE, 13 février 2009, n° 295885 N° Lexbase : A1148EDU, aux T.). Mais ce schéma est surtout celui que vous avez élaboré par votre décision de Section du 21 mars 2011 (CE, n° 304806 N° Lexbase : A5712HIE) pour le recours d'une partie au contrat contre une décision de résiliation : la contestation de la validité de la mesure de résiliation n'est que l'occasion d'un recours qui tend à la reprise des relations contractuelles. Nous dirons donc en paraphrasant notre collègue Emmanuelle Cortot-Boucher dans ses conclusions sur cette décision, que le coeur de l'office du juge est ici de se prononcer sur le point de savoir si les relations contractuelles doivent ou non se poursuivre.

Comme vous l'avez admis dans le cadre de la contestation de la validité du contrat, les tiers pourront demander en référé, à l'occasion du refus qui leur aura été opposé de résilier le contrat, la suspension de l'exécution du contrat. Le référé pourra produire ici plus d'effets que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, où il ne pouvait conduire qu'à suspendre l'exécution du refus de résiliation et à obliger l'administration à réexaminer la demande de résiliation (CE, 8 décembre 2004, précitée). La suspension de l'exécution du contrat peut avoir des conséquences importantes sur les droits des parties et sur la gestion du service à laquelle il concourrait. La perturbation qu'elle cause dans les relations contractuelles est même presque plus forte lorsque leur interruption est temporaire. Mais ces effets ne sont cependant pas substantiellement différents de ceux qu'entraîne la suspension de l'exécution du contrat dans le cadre de l'application de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". Dans tous les cas, il appartiendra au juge des référés d'en tenir compte dans l'appréciation de l'urgence qui, comme vous le savez, consiste à mettre en balance les différents intérêts en présence. Il le fera dans le cadre de son office particulier qui est de décider si la résiliation s'impose. Nous ne pensons pas que leur éventualité doive, par elle-même, conduire à exclure cette décision du champ du référé suspension, ce que vous n'avez jamais fait pour aucune décision.

Enfin, le requérant pourra présenter des conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice que lui causerait le maintien du contrat au cas où le juge le déciderait malgré l'illégalité de la décision de refus de le résilier.

S'agissant des conditions de recevabilité du recours en résiliation du contrat, le parallélisme entre ce recours et le recours en contestation de la validité du contrat qui résulte de ce qu'ils tendent tous deux à remettre en cause un contrat conclu conduit à transposer au premier les conditions tenant à l'intérêt pour agir dégagées pour le second. En effet, l'exigence, selon les termes de votre décision "Département de Tarn-et-Garonne", que le tiers requérant justifie "être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine" par le contrat est une composante essentielle de l'équilibre entre la légalité et la stabilité des relations contractuelles, qui ne doivent pas être placées sous la menace permanente d'un recours contentieux. Cet équilibre s'impose également voire de encore plus fortement au cours de l'exécution du contrat, qui n'a pas été contesté en temps utile ou l'a été sans succès, et dont les parties doivent pouvoir compter sur un environnement juridique qui garantisse qu'il sera normalement conduit à son terme. Il convient donc de réserver aux seuls tiers justifiant d'une atteinte directe à des intérêts suffisamment sérieux la possibilité d'en perturber le cours. Cette exigence s'appréciera au regard des conséquences pour les intérêts dont se prévaut le tiers de la poursuite de l'exécution d'un contrat. Ces intérêts ne seront donc pas nécessairement les mêmes que ceux susceptibles d'être lésés par la conclusion du contrat.

Comme vous l'avez fait pour la contestation de la validité du contrat, vous devrez faire une exception à cette exigence particulière en ce qui concerne l'intérêt pour agir du représentant de l'Etat, qui doit lui être reconnu du seul fait de sa mission constitutionnelle de contrôle de la légalité des actes des collectivités territoriales.

L'extension de cette exception aux membres des organes délibérants des collectivités territoriales pourrait être davantage discutée. Vous l'avez prévue s'agissant du recours en contestation de la validité du contrat car l'assemblée délibérante se prononce toujours sur la conclusion du contrat et que vous reconnaissez de manière générale aux membres des assemblées délibérantes un intérêt pour agir contre leurs délibérations. Or le refus de résilier le contrat ne donne pas toujours lieu à une délibération de l'assemblée de la collectivité. Cette différence ne nous paraît cependant pas de nature à prévaloir sur la similitude d'objet des recours et à introduire une distinction source de complexité.

La mise en oeuvre du délai de recours de deux mois, règle d'application désormais générale , ne présente aucune difficulté en présence d'une décision provoquée : il courra à compter de la notification d'une décision expresse ou de la naissance d'une décision implicite, dans les conditions du droit commun.

Conformément à l'objet du recours, qui ne porte plus sur la légalité d'une décision et à l'office du juge qui en découle, les moyens qui pourront être utilement invoqués seront ceux tendant à établir non seulement que la personne publique ne pouvait refuser de mettre fin à l'exécution du contrat mais encore et surtout que le juge doit décider de le faire. La fusion des conclusions en annulation et aux fins d'injonction dans ce nouveau recours en résiliation du contrat ne rend utiles que les moyens qui antérieurement auraient justifié une injonction de résilier le contrat.

Ainsi, et en premier lieu, seront inopérants les moyens relevant de la régularité externe de la décision de refus de résiliation.

En deuxième lieu, seules les irrégularités du contrat initial qui font en principe obstacle à la poursuite de son exécution devraient pouvoir être invoquées à l'appui d'une demande tendant à sa résiliation. Les vices ayant un tel effet tiennent, selon les formulations de vos décisions les plus récentes, au caractère illicite du contenu du contrat, à l'existence d'un vice du consentement ou à une irrégularité d'une particulière gravité. Précisons qu'ils ne doivent pas avoir été régularisés et que les manquements aux règles de passation ne font pas partie de ces irrégularités, sauf, pour le dire rapidement, au cas tout à fait exceptionnel où ils seraient susceptibles de recevoir une qualification pénale. Ces vices d'une particulière gravité -pensons par exemple à une convention qui déléguerait des missions de police administrative- font en principe obstacle l'exécution du contrat, tant pour la personne publique que pour le juge. La première est fondée à résilier le contrat qui serait entaché d'une telle irrégularité. Vous avez ainsi jugé que la nécessité de mettre fin à une délégation de service public dont la durée dépassait la durée légale constituait un motif d'intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale (CE, 7 mai 2013, n° 365043 N° Lexbase : A1556KDY, Recueil) et que ne commettait aucune faute la personne publique qui résiliait un contrat reconduit en exécution d'une clause de tacite reconduction illicite (CE, 17 octobre 2016, n° 398131 N° Lexbase : A9438R7P, aux T. sur ce point). De son côté, le juge ne peut appliquer un contrat entaché d'une telle irrégularité, quel que soit le cadre dans lequel il est saisi : ces irrégularités sont d'ordre public tant pour le juge saisi d'un recours en contestation de la validité du contrat par un tiers ("Département de Tarn-et-Garonne") ou par une partie (CE Ass., 28 décembre 2009, précitée) que pour le juge saisi par une partie d'un litige relatif à l'exécution du contrat, qui doit alors écarter le contrat et régler le litige sur un terrain non contractuel (même décision). Un tel vice fait également obstacle à ce que le juge du contrat ordonne la reprise des relations contractuelles, quels que soient les vices entachant la mesure de résiliation (CE, 1er octobre 2013, n° 349099 N° Lexbase : A3383KMA, aux T. sur ce point). Le juge du contrat ne pouvant prendre une décision ayant pour effet le maintien d'un contrat entaché d'un tel vice, il doit pouvoir, à l'occasion d'un recours contre le refus de le résilier, soulever d'office ce moyen qui conduira en principe à y mettre un terme. Dès lors que le juge peut se saisir d'office d'un tel moyen, il en devient nécessairement opérant pour le requérant.

En dehors de ces vices d'ordre public, les autres irrégularités dont celui-ci serait entaché ne devraient pas pouvoir être utilement invoquées à l'appui d'un recours en contestation du refus de résiliation. En effet, ces irrégularités, qui ne font donc pas obstacle à l'exécution du contrat, ont pu être invoquées à l'occasion du recours en contestation de la validité du contrat, désormais ouverte aux tiers. Dès lors qu'il existe une voie de recours qui permet à ces derniers de remettre directement en cause le contrat lors de sa conclusion et pendant un certain délai, c'est cette voie qui doit être utilisée pour contester l'existence même du contrat et les modalités de sa conclusion. La possibilité de faire valoir les mêmes irrégularités du contrat à l'occasion de la contestation de différents actes détachables ne présentait, à l'époque de la jurisprudence "SA LIC", guère d'inconvénients, la sécurité juridique du contrat étant garantie par l'effet platonique de l'éventuelle annulation de l'acte détachable. Mais permettre aujourd'hui aux tiers d'invoquer toute irrégularité du contrat à tout moment de son exécution présenterait exactement les mêmes inconvénients que le maintien du recours pour excès de pouvoir contre l'acte détachable.

Ce sont en troisième lieu et essentiellement les changements de circonstances de droit ou de fait survenus au cours de l'exécution du contrat qui pourront être invoqués à l'occasion du recours contre le refus d'en faire usage. En effet, c'est parce qu'ils modifient les conditions d'exécution du contrat ou ses finalités, ils sont susceptibles de conduire la personne publique à faire usage de son pouvoir de résiliation unilatérale. Et c'est parce que la poursuite de l'exécution du contrat dans ces circonstances nouvelles peut compromettre des intérêts généraux qui dépassent ceux des parties contractantes et que les liens contractuels ne sauraient empêcher la personne publique de satisfaire, qu'une voie de recours doit être ouverte aux tiers pour leur permettre de les faire valoir et, s'ils apparaissent prééminents, prévaloir sur la volonté de la personne publique de poursuivre l'exécution du contrat.

L'objet du débat contentieux étant la nécessité de mettre un terme à l'exécution du contrat, la personne publique pourra invoquer de nouveaux motifs justifiant sa poursuite, comme elle peut le faire pour justifier une mesure de résiliation contestée par le cocontractant en application de la jurisprudence "Béziers II".

Des modifications du droit applicable au contrat, légalement conclu, peuvent tout d'abord faire obstacle à la poursuite de son exécution : les exemples sont rares car en principe la règle nouvelle ne s'applique pas aux contrats en cours (CE Sect., 29 janvier 1971, n° 73932 N° Lexbase : A9608B8D, p. 80 ; CE Ass., 8 avril 2009, n° 271737 N° Lexbase : A9541EE4, p. 116). Mais vous savez que cela peut arriver lorsque le législateur, seul compétent pour porter atteinte à la liberté contractuelle, l'a expressément ou implicitement prévu en raison d'impératifs d'ordre public (Cons. const., décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998 N° Lexbase : A8747ACX ; CE, Ass, 8 avril 2009, précitée). Vous avez jugé par votre décision du 8 avril 2009, précitée, que l'application immédiate aux délégations de service public de la loi limitant leur durée avait pour conséquence de rendre irrégulière la poursuite de l'exécution de ces conventions au-delà de la durée maximale fixée par la loi, calculée à compter de son entrée en vigueur. Le même effet pourrait par exemple résulter de l'application immédiate d'une loi qui interdirait pour des motifs supérieurs de santé publique ou d'ordre public l'utilisation d'un produit ou l'exercice d'une activité.

Votre décision ne qualifie pas l'effet de l'application immédiate de la loi nouvelle sur les contrats, indiquant simplement que leur exécution régulière devient impossible, contrairement à votre rapporteur public qui évoquait leur caducité, qualification reprise par la majorité de la doctrine. La caducité se distinguerait de la résiliation en ce qu'elle ne résulte pas d'une décision de la personne publique mais du constat que les obligations contractuelles ont été en quelque sorte dissoutes du fait d'un événement extérieur. Il s'agit le plus souvent de la non réalisation d'une condition suspensive. Nous ne sommes persuadés ni que cette notion puisse rendre compte de la totalité des hypothèses d'impossibilité de poursuivre régulièrement l'exécution d'un contrat du fait de l'application immédiate d'une loi nouvelle ni qu'il soit véritablement utile d'y recourir. Même si la rupture des relations contractuelles est imposée par l'application immédiate d'une loi nouvelle, il nous semble que la personne publique doit toujours prendre la décision de l'appliquer en mettant fin au contrat. Cette décision, qu'elle soit prise pour ce motif ou pour tout autre, a pour effet la résiliation du contrat; il s'agit donc dans tous les cas d'une décision de résiliation, ce qui n'implique pas nécessairement, puisque tel est l'enjeu principal de la qualification, qu'elle ouvre droit à indemnisation du titulaire par la personne publique cocontractante. Ce droit ne dépend pas de la dénomination de l'acte qui formellement met fin aux relations contractuelles mais de sa cause. Au regard du régime contentieux de la contestation d'un refus de mettre unilatéralement fin au contrat, il n'y a donc pas lieu de réserver un sort particulier, parmi les motifs qui peuvent ou doivent conduire la personne publique à le faire, à l'application immédiate de la loi nouvelle.

Les modifications des circonstances de fait, qui peuvent d'ailleurs parfois être mêlées de droit, susceptibles de rendre l'exécution du contrat contraire à des intérêts généraux, sont plus variées. Votre jurisprudence comporte de nombreux exemples d'intérêts généraux justifiant que la personne publique prononce la résiliation unilatérale du contrat : la pollution d'un captage d'eau potable qui rend excessivement onéreuse la poursuite d'une concession (ce qui constitue un cas de force majeure justifiant sa résiliation : CE, 14 juin 2000, n° 184722 N° Lexbase : A9265AGA, Recueil) ; des modifications dans la répartition du capital social du concessionnaire entraînant des risques de conflit d'intérêts avec le concédant (CE, 31 juillet 1996, n° 126594 [LXB=], Recueil) ; la disparition de la cause du contrat (CE, 27 février 2015, n° 357028 [LXB=], Recueil) ; la volonté d'assurer une meilleure exploitation du service ou du domaine public (CE, 23 mai 2011, n° 328525 N° Lexbase : A5816HS9, aux T.). On peut également imaginer un contrat dont la poursuite de l'exécution apparaîtrait, à la lumière des développements technologiques ou scientifiques, très néfastes pour la santé ou l'environnement.

Nous n'avons cité ces décisions qu'à titre d'illustrations d'intérêts généraux qui, parce qu'ils sont de ceux qui justifient que la personne publique résilie la convention, pourront être invoqués par des tiers si elle refuse de le faire. Mais il est bien évident qu'il ne suffira pas d'invoquer un intérêt général qui aurait permis à la personne publique de résilier le contrat pour que le juge décide de cette résiliation contre la volonté de la personne publique. Il y a entre le contrôle de ce que la personne publique peut faire dans l'intérêt général et de ce qu'elle doit faire pour le même motif une distance importante qui est celle de la marge de manoeuvre que vous laissez à la personne publique dans l'appréciation de l'intérêt général qui guide l'action publique. D'autant que pour décider la résiliation, le juge ne devra pas seulement tenir compte de la raison qui peut la rendre nécessaire ; il devra aussi vérifier qu'elle s'impose immédiatement, c'est-à-dire que la personne publique ne dispose, au regard des impératifs de l'intérêt général, d'aucune possibilité, matérielle et temporelle, de poursuivre l'exécution du contrat.

La résiliation unilatérale du contrat peut enfin également être prononcée à titre de sanction d'une faute commise par le cocontractant dans l'exécution de ses obligations contractuelles. Cette résiliation procède d'un pouvoir de la personne publique qui tient moins à sa nature publique, contrairement au pouvoir de résiliation dans l'intérêt général, qu'à sa qualité de cocontractante. La particularité des contrats administratifs sur ce point ne réside d'ailleurs pas tant dans le fait que la personne publique dispose d'un tel pouvoir de sanction que dans ce qu'elle est en principe (5) la seule à en bénéficier. Dès lors qu'il s'agit d'une mesure intimement liée à l'exécution du contrat, les tiers, qui n'ont pas à s'immiscer dans la conduite des relations contractuelles et qui ne pouvaient d'ailleurs se prévaloir à l'encontre de l'acte détachable que de moyens de légalité (6), à l'exclusion de toute inexécution contractuelle, ne devraient pas pouvoir invoquer des fautes du cocontractant dans l'exécution du contrat au soutien de la contestation du refus de la personne publique de le résilier. Cette inopérance préservera également la marge de manoeuvre de la personne publique dans la conduite du contrat, qui n'intéresse pas les tiers lorsqu'elle n'affecte pas l'intérêt général.

On ne peut cependant exclure l'hypothèse d'inexécutions d'une gravité ou d'une portée telle qu'elles compromettent l'intérêt général. Mais c'est sous ce prisme que l'inexécution devra être invoquée et qu'il appartiendra au juge saisi par le tiers d'un refus de résiliation de l'appréhender et d'apprécier, toujours compte tenu de la marge d'appréciation dont bénéficie la personne publique sur ce point, si la sauvegarde d'un intérêt général impose la résiliation du contrat. Votre décision n° 401321 du 16 novembre 2016 (N° Lexbase : A3375SIT) en offre une illustration dans le cas inverse d'une résiliation pour faute contestée par le cocontractant, délégataire d'un service public de camping, auquel étaient reprochées de nombreuses défaillances, notamment en matière de sécurité, d'entretien et de nettoyage, de collecte de la taxe de séjour, de réalisation des investissements, etc. : vous avez jugé que, "si la société requérante soutient que les fautes commises n'auraient pas atteint un degré de gravité tel qu'il justifiât une résiliation à ses torts exclusifs, une reprise des relations contractuelles à titre provisoire serait, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général".


(1) Voir, pour une application postérieure : CE, 30 juin 2016, n° 393805 (N° Lexbase : A9991RUL), aux T.
(2) Contrairement aux actes antérieurs à la conclusion du contrat qui étaient également détachables pour les parties au contrat (CE, 11 décembre 1903, Commune de Gorre, p. 770).
(3) Abandonnant le principe de l'irrecevabilité d'un tel recours : CE, 6 mai 1955, Société des grands travaux de Marseille, AJDA 1955, II, p. 327.
(4) Depuis que l'article 10 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, portant modification du Code de justice administrative (N° Lexbase : L9758LAN), a supprimé l'exception à cette règle en matière de travaux publics (CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L9936LAA).
(5) Nous réservons le cas particulier de la jurisprudence CE, 8 octobre 2014, n° 370644 (N° Lexbase : A0011MY3), Recueil.
(6) Jurisprudence constante : CE, 10 mai 1901, Aubert, p. 459 ; CE, 20 octobre 1950, Stein, p. 505 ; CE, 4 juillet 1962, Untersinger, p. 445 ; CE Sect., 11 février 1977, n° 97781 (N° Lexbase : A7804B78), p. 85.

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