La lettre juridique n°700 du 1 juin 2017 : Avocats/Publicité

[Jurisprudence] La notation et la comparaison des avocats

Réf. : Cass. civ. 1, 11 mai 2017, n° 16-13.669, FS-P+B+I (N° Lexbase : A4627WCD)

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par Virginie Bensoussan-Brulé, Avocat au barreau de Paris, Directeur du pôle contentieux numérique, Alain Bensoussan-avocats

le 25 Octobre 2017

Les sites de notation et de comparaison ne cessent de se développer et les avocats ne sont pas épargnés. C'est, en effet, sur la délicate question de l'existence de sites de notation et de comparaison des avocats qu'a dû se prononcer la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 11 mai 2017. Les faits de l'espèce sont les suivants : la société Jurisystem a créé en 2012 le site avocat.net, devenu alexia.fr, se présentant comme le "comparateur d'avocats n° 1 en France", pour mettre en relation des particuliers avec des avocats inscrits sur le site.

Le Conseil national des barreaux (CNB) avait assigné la société Jurisystem en interdiction de telles pratiques portant atteinte à l'intérêt collectif de la profession parce qu'il considérait qu'en exploitant son site, la société :

- faisait un usage prohibé du titre d'avocat pour proposer des services juridiques ;

- accomplissait des actes de démarchage interdits ;

- se livrait à des pratiques trompeuses ;

- contrevenait aux règles de la profession prohibant toute mention publicitaire comparative, ainsi que la rémunération de l'apport d'affaires et le partage d'honoraires.

Par arrêt du 18 décembre 2015, la cour d'appel de Paris (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 décembre 2015, n° 15/03732 N° Lexbase : A7083NZD) avait considéré que la société Jurisystem proposait un comparateur des avocats référencés "en dépit des règles déontologiques prohibant toute mention comparative et qu'elle a mis en place sur son site une notation des avocats contraire à leur déontologie".

Elle avait alors, entre autres, interdit à la société Jurisystem de procéder et d'établir des sites de comparaison et de notation d'avocats.

Un pourvoi a été formé et la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé l'arrêt rendu en appel au visa de l'article 15 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA), ensemble l'article L. 121-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L2457IBM), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR) aux motifs que : "si l'article 15, alinéa 1er, du décret susvisé interdit à tout avocat d'intégrer, à l'occasion d'opérations de publicité ou de sollicitation personnalisée, tout élément comparatif ou dénigrant, cette restriction a pour objectif d'assurer le respect des règles professionnelles visant à l'indépendance, la dignité et l'intégrité de la profession d'avocat ; que les tiers ne sont pas tenus par les règles déontologiques de cette profession, et qu'il leur appartient seulement, dans leurs activités propres, de délivrer au consommateur une information claire et transparente".

Par cet arrêt, la Cour de cassation autorise donc la comparaison et la notation des avocats sur des sites internet tenus par des tiers en précisant, toutefois, que ces sites devront délivrer au consommateur "une information loyale, claire et transparente".

I - Quelques précisions sur la notion d'e-réputation

A - La notion d'e-réputation

L'e-réputation des avocats correspond à l'image que les internautes peuvent se faire des avocats à partir des informations trouvées notamment sur internet et sur les réseaux sociaux.

Cette e-réputation peut être construite à partir des éléments donnés sur les sites spécifiques de comparaison et de notation des avocats, tel que celui ayant donné lieu à l'arrêt commenté.

Le site avocat.net, devenu alexia.fr, a été créé spécifiquement pour comparer et noter les avocats inscrits sur le site et permettre aux justiciables de laisser des commentaires. Il propose un forum de discussions gratuit portant sur des sujets juridiques et une plateforme d'intermédiation entre des particuliers qui cherchent des conseils juridiques et des avocats qui se sont préalablement inscrits sur cette plateforme (1).

Toutefois, la société Jurisystem ne répond à aucune question juridique et ne peut pas réaliser de consultation juridique.

Ces sites se sont développés (avostart.fr, mon-avocat.fr, etc.), de la même façon que ceux en matière de restauration ou d'hôtellerie.

B - Les enjeux de l'e-réputation

Face au développement de ces sites, l'e-réputation est devenue un véritable enjeu pour les avocats qui doivent la maîtriser et la protéger.

En effet, l'e-réputation est un outil essentiel puisque les démarches physiques s'accompagnent nécessairement d'une démarche numérique (recherches d'avis et de notation, mise en perspective avec d'autres avocats).

Par ailleurs, une protection de l'image des avocats sur internet est nécessaire puisque tout ce qui est posté sur les réseaux sociaux et internet reste sur le Web, dans la mesure où sa mémoire et les capacités d'y poster des données accessibles à tous sont virtuellement infinies.

La question de l'e-réputation des avocats se pose d'une manière particulière puisqu'une prestation immatérielle ne saurait être notée comme un restaurant ou un hôtel ; les internautes ne publient généralement, par ailleurs, un avis que lorsqu'ils sont mécontents d'un produit ou d'un service et rarement dans le cas contraire.

Le CNB a, en outre, considéré, à la fin de son avis déontologique du 18 mai 2015 (2), que le droit n'est "pas assimilable à une banale activité de prestation de service".

B - Une révolution pour l'e-réputation des avocats

1 - L'apport de l'arrêt du 11 mai 2017

La cour d'appel de Paris s'était fondée sur l'article 10.2 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) pour estimer que toute mention comparative entre avocats était interdite. Cette interdiction avait été étendue à la notation des avocats comme étant contraire aux principes de délicatesse, de modération et de courtoisie.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt et a apporté une interprétation différente sur l'application des règles déontologiques.

L'article 15, alinéa 1er, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 dispose : "la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession. Elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant".

La Cour de cassation prend appui sur cet article pour préciser, contrairement à la cour d'appel, qu'il ne s'applique qu'entre avocats et que les tiers ne peuvent être soumis aux règles déontologiques.

Cet arrêt est rendu dans un contexte particulier car la loi "Hamon" autorise la publicité et la sollicitation personnalisée (3) alors que celles-ci avaient longtemps été interdites.

Ces sites vont sans aucun doute se développer mais ne pourront pas être tenus par des avocats puisqu'ils sont soumis aux règles déontologiques prohibant "tout élément comparatif ou dénigrant" en vertu de l'article 10.2 du RIN.

Les tiers seront tenus, par ailleurs, de délivrer au consommateur "une information loyale, claire et transparente".

2 - Une révolution bienvenue mais qui a des limites

L'existence de sites de notation et de comparaison des avocats peut permettre de résoudre en partie le problème d'accès aux avocats. En effet, une grande partie des avocats n'a pas de visibilité sur internet, ce qui ne permet pas aux justiciables de prendre connaissance de leurs compétences et de leurs honoraires.

Grâce à ces sites, les justiciables peuvent être mis en relation avec des avocats spécialement compétents pour une demande juridique spécifique.

Néanmoins, le risque de dépendance des avocats à ces plateformes est patent ; à mesure que ces sites vont se développer, les avocats vont de facto être contraints de s'y inscrire.

Concernant les commentaires de clients sur les sites des avocats, le CNB, dans son avis précité, a considéré que :

- les commentaires laudatifs de clients sont constitutifs de publicité pour les avocats ;

- les commentaires ou témoignages de clients en ligne posent déjà le problème du risque des faux avis ;

- la publicité de l'avocat n'est permise que si elle procure une information au public.

Le CNB conclut son avis en précisant que :

- l'avocat est auxiliaire de justice et doit alors faire preuve de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence, ainsi que de dignité, d'indépendance et de délicatesse ;

- le droit n'est "pas assimilable à une banale activité de prestation de service" (4) donc son exercice par l'avocat ne doit pas être pratiqué comme un commerce.

Aussi, ces sites doivent être suffisamment encadrés et contrôlés pour vérifier la provenance des commentaires pour faire face au risque des faux avis.

Par conséquent, l'arrêt rendu par la Cour de cassation est une véritable révolution en ce qui concerne l'e-réputation des avocats et va entraîner, selon nous, un développement de ces sites pouvant faire craindre que les prestations réalisées par les avocats soient considérées comme de classiques prestations de services, contrairement à l'avis déontologique du CNB.


(1) Conditions générales d'utilisation Alexia.fr.
(2) CNB, avis déontologique n° 2015-019 du 18 mai 2015.
(3) Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, relative à la consommation (N° Lexbase : L7504IZX).
(4) CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 18 septembre 2013, n° 10/25413 ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 9562315, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "CA Paris, 2, 1, 18-09-2013, n\u00b0 10/25413, Confirmation partielle", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A2930KL4"}}).

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