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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine (UFR Droit, économie et administration de Metz), directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique, directeur adjoint de l'IRENEE
le 06 Avril 2017
La loi n° 70-612 du 10 juillet 1970, tendant à faciliter la suppression de l'habitat insalubre ([LXB=L2048A4M)]), dite loi "Vivien", a instauré une procédure simplifiée d'expropriation, sans enquête préalable ni arrêté de cessibilité. Ces dispositions ont été récemment abrogées et recodifiées à droit constant aux articles L. 511-1 (N° Lexbase : L8042I4M) et suivants de Code de l'expropriation par l'ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014, relative à la partie législative du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L7867I47). Ce sont toutefois les dispositions de la loi de 1970 qui sont applicables dans la présente affaire.
Selon ces dispositions, la procédure spéciale d'expropriation en vue de la suppression de l'habitat insalubre est susceptible de concerner principalement deux types d'immeubles : ceux qui sont déclarés insalubres à titre irrémédiable en application de l'article L. 1331-29 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L7787LCE) ; et ceux à usage total ou partiel d'habitation qui ont fait l'objet d'un arrêté de péril en application de l'article L. 511-2 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L3229KWI) et assorti d'une ordonnance de démolition ou d'interdiction définitive d'habiter.
En outre, peuvent aussi être concernés "les immeubles qui ne sont eux-mêmes ni insalubres, ni impropres à l'habitation, lorsque leur expropriation est indispensable à la démolition d'immeubles insalubres ou d'immeubles menaçant ruine, ainsi que des terrains où sont situés les immeubles déclarés insalubres ou menaçant ruine lorsque leur acquisition est nécessaire à la résorption de l'habitat insalubre, alors même qu'y seraient également implantés des bâtiments non insalubres ou ne menaçant pas ruine".
Si ces dispositions, qui figurent aujourd'hui au 3° de l'article L. 511-1 du Code de l'expropriation, sont supposées s'appliquer "à titre exceptionnel", le Conseil d'Etat n'avait jamais eu l'occasion, jusqu'à présent, de se prononcer sur leur champ d'application. Les rares décisions rendues par des juridictions du fond prônent une interprétation plutôt restrictive de ces dispositions. Certes, le tribunal administratif de Paris a eu l'occasion de considérer qu'était légal un arrêté préfectoral autorisant "l'expropriation de toutes les parcelles comprises dans le périmètre d'un îlot d'insalubrité dès lors que les immeubles qui ne sont pas insalubres constituent de par leur situation à l'intérieur dudit îlot un obstacle à la démolition des immeubles insalubres ou à l'aménagement de l'îlot" (1). Les juges vont néanmoins contrôler que les immeubles concernés sont bien "indispensables" à la démolition d'immeubles déclarés insalubres ou menaçant ruine, ce caractère devant être démontré par l'expropriant (2). Il a été jugé sur ce point que le fait qu'un immeuble est enclavé entre deux immeubles insalubres n'est pas lui-même de nature à révéler que son expropriation était indispensable à la démolition des immeubles voisins (3). Notons toutefois, sur ce point, qu'il n'est plus expressément exigé, contrairement à ce que prévoyait la rédaction initiale de la loi "Vivien" que les terrains concernés soient "contigus ou voisins" d'immeubles insalubres ou menaçant ruine. On voit mal, toutefois, comment l'expropriation d'un immeuble ni insalubre, ni impropre à l'habitation, pourrait être indispensable à une opération de résorption de l'habitat insalubre sans être "contigu ou voisin" à ces immeubles.
En l'espèce, le problème soumis au Conseil d'Etat porte sur l'articulation entre les dispositions des actuels 1° et 2°, d'une part, et 3° de l'article L. 511-1 du Code de l'expropriation. La requérante considère que l'immeuble dont elle est propriétaire n'étant pas à usage d'habitation, celui-ci ne saurait être exproprié au titre de la procédure d'expropriation dérogatoire du droit commun visant à la résorption de l'habitat insalubre. De fait, les 1° et 2° de l'actuel article L. 511-1 ne visent que les immeubles à usage d'habitation, ce qui est tout à fait cohérent au regard de l'objet de la procédure. Il restait toutefois à savoir si le 3° du même article, qui permet, comme on l'a vu, d'exproprier des immeubles ni insalubres ni impropres à l'habitation indispensables à l'opération projetée, pouvait s'appliquer également à des immeubles qui ne sont pas à usage d'habitation. Si le texte ne le mentionne pas expressément, les juges du Conseil d'Etat considèrent que le fait que certains des lots concernés par la procédure d'expropriation ne seraient pas à usage d'habitation ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre de la procédure d'expropriation initialement prévue par l'article 13 de la loi du 10 juillet 1970. L'hypothèse aujourd'hui visée par le 3° de l'article L. 511-1 doit donc être envisagée de façon autonome : elle a vocation à permettre -à la marge- d'exproprier des immeubles de toute nature, ni insalubres ni menaçant ruine, dès lors que leur expropriation est une condition nécessaire à la mise en oeuvre de la procédure décrite par les articles L. 511-1 et suivants du Code de l'expropriation.
Dans un arrêt du 19 janvier 2017, la troisième chambre civile de la Cour de cassation revient sur les particularités du contentieux de l'expropriation concernant les règles de péremption de l'instance. Plus précisément, elle détermine le moment à partir duquel les parties ne sont plus tenues d'accomplir de diligences permettant d'éviter l'extinction de l'instance d'appel.
Rappelons tout d'abord que la péremption d'instance, qui est visée par l'article 386 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2277H44), est un mécanisme qui a pour effet d'éteindre l'instance lorsque, pendant un délai de deux ans, les parties n'ont accompli aucune diligence.
En l'espèce, en l'absence d'accord amiable entre une société et une commune, celle-ci avait saisi le juge de l'expropriation en vue de la fixation de l'indemnité d'expropriation dont elle est le bénéficiaire. La commune avait fait appel du jugement le 7 septembre 2010.
L'article R. 13-49 du Code de l'expropriation alors applicable (N° Lexbase : L3177HLA) (4), précisait que l'appelant devait, à peine de déchéance, déposer ou adresser son mémoire et les documents qu'il entend produire au greffe de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel.
Selon ce même article, l'intimé devait, à peine d'irrecevabilité, déposer ou adresser son mémoire en réponse et les documents qu'il entend produire au greffe dans le mois de la notification du mémoire de l'appelant.
Ces dispositions du Code de l'expropriation avaient été respectées en l'espèce. La commune avait en effet déposé son mémoire le 4 novembre 2010, lequel avait été notifié par le greffe le 9 novembre 2010 à la société et au commissaire du Gouvernement. La société, quant à elle, avait posté un mémoire le 3 décembre 2010, enregistré par ce greffe le 6 décembre 2010. La commune avait ensuite posté un deuxième mémoire le 22 décembre 2010 et elle avait accompli ses dernières diligences le 8 novembre 2011 par l'envoi de pièces postées le 9 novembre 2011. L'instance avait ensuite été radiée le 13 décembre 2011, dans l'attente du résultat des procédures en cours devant les juridictions administratives.
Par un mémoire en date du 12 décembre 2013 -soit plus de deux ans après ses dernières diligences- la commune avait sollicité le rétablissement de l'instance. Toutefois, dans l'arrêt attaqué en date du 22 septembre 2015, la cour d'appel de Versailles avait constaté la péremption de l'instance (CA Versailles, 22 septembre 2015, n° 13/09227 N° Lexbase : A4867NPX).
Certes, les mémoires avaient été déposés dans les délais prescrits, et dès lors les parties n'avaient normalement plus à accomplir de diligences de nature à faire progresser l'instance, la direction de celle-ci relevant alors du juge. Il en résultait que l'instance ne pouvait, en principe, faire l'objet d'une péremption pour défaut d'accomplissement de diligences pendant deux ans. Il doit toutefois en aller autrement, selon la cour d'appel, quand une radiation a été prononcée. Celle-ci n'ayant pas d'effet interruptif, la péremption n'avait donc été interrompue que par les dernières diligences de la commune constituées par l'envoi de pièces adressées le 9 novembre 2011. Dés lors, pour la cour d'appel, l'instance était bien périmée, ce qui avait conduit la commune à se pourvoir en cassation.
Le raisonnement de la cour d'appel est censuré par la Cour de cassation qui considère qu'en matière de procédure d'expropriation, dès lors que les parties ont déposé leurs écritures dans les délais, elles n'ont plus à accomplir de diligences pour éviter la péremption de l'instance. Cette solution est conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, qui avait censuré le raisonnement d'une cour d'appel qui avait prononcé la péremption d'instance "alors qu'elle avait constaté que les parties avaient déposé leurs écritures dans les délais impartis par l'article R. 13-49 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, et alors, qu'après l'expiration de ces délais, la direction de la procédure échappait aux parties, qui n'avaient plus à accomplir de diligence de nature à faire progresser l'instance" (5). Notons enfin que si cette solution s'applique dans le cadre d'un premier appel, elle n'a pas vocation à être mise en oeuvre, en revanche, lorsque c'est la cour d'appel de renvoi qui est saisie après cassation du jugement de fixation des indemnités (6).
Dans un arrêt du 23 février 2017, la Cour de cassation effectue un rappel utile des règles applicables au dépôt des mémoires des parties dans le cadre de la procédure d'appel des jugements fixant les indemnités d'expropriation. Comme en première instance, la procédure d'appel sur ces jugements est une procédure écrite, la cour d'appel statuant sur des mémoires.
Ce ne sont pas les dispositions de l'article 954 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0386IGE) qui ont ici vocation à s'appliquer, mais celles spécifiques de l'article R. 13-49 du Code de l'expropriation alors en vigueur qui définissent les conditions d'échange des mémoires. Selon ces dispositions, "l'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser son mémoire et les documents qu'il entend produire au secrétariat de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel". Il s'agit là d'une formalité substantielle dont le non accomplissement doit être relevé d'office par la cour d'appel. Quant à l'intimé, il doit "déposer ou adresser son mémoire en réponse et les documents qu'il entend produire au secrétariat de la chambre dans le mois de la notification du mémoire de l'appelant". Ces dispositions ont été considérées par la Cour de cassation comme n'étant pas incompatibles avec le droit à un procès équitable garanti aux termes de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) (7).
On notera ici que ces dispositions applicables à la présente affaire n'ont pas été reprises exactement à l'identique par le nouvel article R. 311-26 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2157I7Z) entré en vigueur le 1er janvier 2016. En effet, désormais, l'appelant dispose d'un délai de trois mois pour déposer ses conclusions et les documents qu'il entend produire, l'inobservation de ce délai étant désormais sanctionné par la caducité de la déclaration d'appel. Quant à l'intimé, il lui appartient, à peine d'irrecevabilité, de déposer les conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant.
Dans la présente affaire, l'arrêt attaqué avait fixé le prix d'acquisition par une société d'un bien immobilier appartenant à une SCI, sur la cession duquel il avait exercé son droit de préemption. La cour d'appel avait déclaré irrecevables le mémoire de la SCI du 29 septembre 2014, ainsi que son mémoire n° 3 avec les pièces nouvelles jointes au motif qu'ils auraient été présentés hors délai (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 8 octobre 2015, n° 15/01655 N° Lexbase : A8340NSP).
En principe, les développements nouveaux contenus dans un mémoire complémentaire déposé hors délai sont irrecevables alors même que le mémoire principal a été déposé dans les deux mois de l'appel (8). Cependant, alors même qu'ils sont présentés hors délai, les éléments complémentaires soulevés en réplique au mémoire de la partie intimée doivent être examinés par le juge (9). Par ailleurs, après le délai de deux mois, l'exproprié à toujours la possibilité de déposer un mémoire additionnel pour modifier sa demande ou fournir d'autres éléments à la cour (10). Or, en l'espèce, les juges d'appel avaient omis de rechercher si les mémoires litigieux ne contenaient pas des éléments complémentaires, en réplique au mémoire de la commune ou aux conclusions du commissaire du Gouvernement, qui auraient été recevables. Au visa de l'article 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), la Cour de cassation considère que la cour d'appel de Paris à violé le principe du contradictoire en omettant de solliciter les observations préalables des parties sur ce moyen relevé d'office.
(1) TA Paris, 13 juillet 1973, Brion, Tables, p. 667.
(2) CAA Versailles, 9 juin 2011, n° 10VE00176 (N° Lexbase : A7209UWW).
(3) CAA Bordeaux, 5ème ch., 26 janvier 2009, n° 07BX00243 (N° Lexbase : A8189ELU).
(4) Ces dispositions sont actuellement codifiées à l'actuel article R. 311-26 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2157I7Z).
(5) Cass. civ . 3, 26 janvier 2011, n° 09-71.734, FS-P+B (N° Lexbase : A8549GQP), Bull. civ. III, n° 13, AJDI, 2012. 93, chron. S. Gilbert, BICC, 2011, n° 608, AJCT, 2011, p. 197, obs. L. Foresti.
(6) Cass. civ. 3, 25 septembre 2013, n° 12-22.079, FS-P+B (N° Lexbase : A9469KLB).
(7) Cass. civ. 3, 13 avril 2005, n° 04-70.069; FS-P+B (N° Lexbase : A8807DHN), Bull. civ. III, 2005, n° 92, RD imm., 2005, p. 269, chron. C. Morel ; Cass. civ. 3, 19 mai 2015, n° 13-26.879, F-D (N° Lexbase : A5380NI4), Bull. civ. III, 2014, n° 30, AJDA, 2014, p. 1420, Dr. 2014, comm. 124, nos obs..
(8) Cass. civ. 3, 25 novembre 1998, n° 97-70132, publié au bulletin (N° Lexbase : A0111CKC), AJDI, 1999, p. 531, obs. C. Morel, Bull. civ. III, n° 224, RD imm., 1999, n° 1, p. 74, chron. C. Morel et F. Donnat.
(9) Cass. civ. 3, 27 mai 1999, n° 98-70.030, inédit au bulletin (N° Lexbase : A1579C4A), D., 1999, inf. rap. p. 179, RD imm., 1999, n° 3, p. 390, chron. C. Morel, AJDI, 1999, p. 1146, note M. Huyghe, Bull. civ. III, 1999, n° 137 ; Cass. civ. 3, 9 juin 1999, n° 98-70.112, publié au bulletin (N° Lexbase : A7866CGG), Bull. civ. III, 1999, n° 137, AJDI, 1999, p. 1146, obs. M. Huyghe, D., 1999, inf. rap. p. 179, RD imm., 1999, p. 390, chron. C. Morel et B. Ribadeau-Dumas ; Cass. civ. 3, 23 novembre 2005, n° 04-70.101, FS-D (N° Lexbase : A7605DLA).
(10) Cass. civ., 3, 29 janvier 2007, avis n° 0070003 (N° Lexbase : A1143UTI).
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