La lettre juridique n°676 du 17 novembre 2016 : Avocats/Déontologie

[Jurisprudence] Le champ des correspondances couvertes par le secret professionnel de l'avocat

Réf. : Cass. civ. 3, 13 octobre 2016, n° 15-12.860, F-P+B (N° Lexbase : A9626R7N)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

le 17 Novembre 2016

Dans une formule restée célèbre, Monsieur le Bâtonnier Yves Avril écrivait que "le secret professionnel de l'avocat fait partie des trois grands secrets protégés par la société libérale du monde occidental. Il voisine avec le secret médical et le secret de la confession" (Y. Avril, Le secret professionnel de l'avocat, force ou alibi ?, Note sous Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.219, F-P+B+I N° Lexbase : A9493HXU, D., 2011, p. 2979 et s.). Consacré par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ), le secret professionnel de l'avocat est strictement encadré par les dispositions de cette loi et la Cour de cassation ne semble pas avoir l'intention, au vu de sa jurisprudence récente, d'en faire application extensive. L'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 octobre 2016 s'inscrit dans cette mouvance jurisprudentielle. Il convient de rappeler que, pour leurs besoins personnels, un avocat et son épouse avaient confié, d'une part à la société générale sanitaire chauffage (la SGSC), l'installation d'un système de chauffage ainsi que la pose d'un adoucisseur d'eau et, d'autre part à un entrepreneur, des travaux de marbrerie. La réalisation du chantier ayant provoqué un mécontentement général, l'entrepreneur avait assigné l'avocat et son épouse en paiement tandis que ces derniers, se prévalant de malfaçons sur le chantier, avaient saisi le juge des référés en vue de la désignation d'un expert et ensuite assigné les deux entreprises en résiliation des contrats et indemnisation. Les deux affaires avaient été jointes.

Devant la cour d'appel de Nancy, les parties discutaient évidemment de la responsabilité civile contractuelle des différentes parties au chantier, mais il existait également une contestation sur la recevabilité de certaines correspondances versées aux débats. En effet, plusieurs correspondances avaient été échangées par l'avocat, ayant contracté avec les entrepreneurs, et celui de ces entrepreneurs, de même que certaines correspondances avaient été adressées au Bâtonnier de l'Ordre des avocats. Par un arrêt en date du 17 novembre 2014, la cour d'appel de Nancy (CA Nancy, 17 novembre 2014, n° 13/02938 N° Lexbase : A8957M37) a condamné la société générale sanitaire chauffage à payer à l'avocat et son épouse à payer la somme de 3 712,56 euros et elle a condamné, in solidum, l'avocat et son épouse à payer à l'entrepreneur, qui avait réalisé les travaux de marbrerie, la somme de 15 452,67 euros. Elle a aussi écarté des débats les correspondances litigieuses en faisant valoir que l'avocat et son épouse auraient produit des courriers échangés entre avocats et le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Metz. Sur le pourvoi en cassation, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est amenée à prononcer une double cassation. D'une part, et cela ne nous retiendra pas plus longuement, elle censure la cour d'appel de Nancy pour s'être contredite et pour avoir omis de procéder à une vérification demandée par l'une des parties en méconnaissance des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B). D'autre part, et c'est ce point qui nous retiendra, elle casse également l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté des débats plusieurs pièces produites par les appelants, au visa de l'article 66-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Après avoir rappelé "qu'en vertu de ce texte, seules sont couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre avocats ou entre l'avocat et son client", la troisième chambre civile de la Cour de cassation en déduit que "n'entrent pas dans les prévisions de l'article précité les correspondances adressées directement par une partie, quelle que soit sa profession, à l'avocat de son adversaire ni celles échangées entre un avocat et une autorité ordinale". En conséquence, les juges du fond n'auraient pas dû écarter les correspondances litigieuses des correspondances faisant intégralement partie des débats. La Cour de cassation rappelle ainsi que le champ du secret des correspondances est strictement limité. Ne peuvent ainsi en bénéficier les correspondances adressées par une partie à l'avocat adverse (I), ni les correspondances adressées par un avocat à l'autorité ordinale (II).

I - Exclusion de la correspondance à l'avocat adverse

Dans un premier temps, l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle une limite du champ du secret des correspondances en indiquant que "n'entrent pas dans les prévisions de l'article [66-5 de la loi du 31 décembre 1971] les correspondances adressées directement par une partie, quelle que soit sa profession, à l'avocat de son adversaire". A première vue, cette position s'inscrit dans l'exacte continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation. Déjà, par un arrêt en date du 31 janvier 2008, la première chambre civile de la Cour de cassation avait considéré que "n'entrent donc pas dans les prévisions de ce texte les correspondances adressées directement par une partie à l'avocat de son adversaire" afin d'approuver une cour d'appel ayant retenu la responsabilité civile d'un justiciable en se fondant exclusivement sur les termes d'un courrier que celui-ci avait adressé à l'avocat de son adversaire (Cass. civ. 1, 31 janvier 2008, n° 06-14.303, F-D N° Lexbase : A5991D4N). On notera, d'ailleurs, que l'arrêt commenté reprend, presque à l'identique, la formule déjà aperçue dans l'arrêt rendu le 31 janvier 2008... A une nuance près.

En effet, l'arrêt rendu le 13 octobre 2016 précise que la correspondance adressée par une partie à l'avocat de son adversaire est exclue du secret des correspondances et cela, "quelle que soit sa profession". Les faits de l'espèce posaient une véritable difficulté supplémentaire puisque c'est un avocat, probablement inscrit au barreau de Metz, qui avait contracté avec une société commerciale et avec un entrepreneur individuel pour la réalisation de travaux à son domicile. Or, celui-ci avait écrit, sous l'entête de son propre cabinet, des courriers à l'avocat de l'entrepreneur individuel. La cour d'appel de Nancy -dont les motifs sont rappelés au moyen annexé- avait donc relevé que cet avocat s'était présenté "en sa double qualité de partie au litige et avocat plaidant". La Cour de cassation était donc saisie de la difficulté : lorsqu'un écrit pour ses propres besoins à un confrère, la correspondance est-elle couverte par le secret des correspondances ? On dit souvent que le cordonnier est le plus mal chaussé... Les confrères qui auraient à connaître de difficultés personnelles prendront évidemment garde de ne pas adresser, eux-mêmes, des courriers à l'avocat de leur adversaire. Considéré comme partie au litige et non comme avocat, la correspondance de l'avocat ne pourra, même sous en-tête de son cabinet, bénéficier du secret institué par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Comme tout justiciable, ils saisiront un avocat qui pourra correspondre, dans le secret le plus absolu, avec le conseil de son adversaire.

II - Exclusion de la correspondance au Bâtonnier

Dans un deuxième temps, l'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation est également d'une particulière importance car il vient exclure du champ du secret professionnel, les correspondances adressées à l'autorité ordinale. Ainsi, l'arrêt relève dans son attendu conclusif que "n'entrent pas dans les prévisions de l'article précité les correspondances [...] échangées entre un avocat et une autorité ordinale". Force est alors de constater que la troisième chambre civile de la Cour de cassation aligne sa position sur celle qui avait déjà été retenue, il y a quelques années, par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Par son arrêt en date du 22 septembre 2011 précité, la Cour de cassation avait été amenée à se prononcer sur la légalité du règlement intérieur du barreau de Paris qui, à une époque, étendait le secret des correspondances au-delà des termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Alors que le texte ne couvre du secret que "les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention 'officielle'", le règlement intérieur du barreau de Paris avait également couvert du secret professionnel "les communications et correspondances entre l'avocat et toute autorité compétente de l'Ordre". Selon la Cour de cassation, "le règlement intérieur d'un barreau ne [pouvait], sans méconnaître ces dispositions législatives, étendre aux correspondances échangées entre l'avocat et les autorités ordinales le principe de confidentialité institué par le législateur pour les seules correspondances échangées entre avocats ou entre l'avocat et son client". La correspondance de l'Ordre des avocats n'est pas couverte par le secret professionnel, ce qui avait naturellement ému une partie de la doctrine (v. sur ce point, Y. Avril, Le secret professionnel de l'avocat, force ou alibi ?, préc., spéc. n° 5).

En définitive, la décision rendue par la Cour de cassation, en date du 13 octobre 2016, témoigne d'une conception stricte du secret des correspondances consacrée par la jurisprudence. Il conviendra donc de s'en tenir à la lettre exacte de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 : le secret ne couvre que "les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères" et point de salut au-delà des prévisions du texte...

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