La lettre juridique n°425 du 27 janvier 2011 : Contrats administratifs

[Doctrine] Chronique de droit interne des contrats publics - Janvier 2011

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par François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis

le 20 Octobre 2011

Le contentieux des contrats administratifs occupe l'actualité de cette nouvelle chronique de droit interne des contrats publics. Le Conseil d'Etat a, en effet, précisé l'office du juge du contrat saisi par les parties d'une action visant à régler un litige né de l'exécution d'un contrat administratif. Il a, tout d'abord, indiqué qu'une irrégularité entachant la procédure de passation d'un tel contrat ne justifiait pas, par principe, la mise à l'écart du contrat et le règlement du litige s'y rapportant sur un terrain extracontractuel, et cela au nom de l'exigence de loyauté des relations contractuelles. Ce principe comporte, cependant, une exception lorsque ladite irrégularité est particulièrement grave et a été commise dans des circonstances particulières (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 338551, publié au recueil Lebon). Un arrêt rendu le même jour applique cette nouvelle grille d'analyse et confirme bien que les irrégularités relatives à la passation des contrats administratifs ne sont pas systématiquement à l'origine d'une mise à l'écart du contrat (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 332136, mentionné aux tables du recueil Lebon). Une solution voisine est retenue au sujet d'une irrégularité touchant, non pas à la procédure de passation du contrat, mais à son contenu (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 334320, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, un dernier arrêt vient préciser la notion d'offre incomplète au sens de l'article 53 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2765ICE) et rappelle que le juge du référé précontractuel ne doit annuler que la partie de la procédure de passation entachée par l'irrégularité relevée, et non toute la procédure (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 343324, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Précision importante de la jurisprudence "Commune de Béziers" (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 338551, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8777GPR)

Le contentieux des contrats administratifs continue sa profonde mutation, et le moins que l'on puisse dire est que l'année 2011 commence en fanfare avec l'intervention de l'arrêt "Manoukian" par lequel le Conseil d'Etat vient utilement préciser la jurisprudence "Commune de Béziers" du 28 décembre 2009 (1). Dans la lignée de la jurisprudence "Société Tropic travaux signalisations services" (2) qui avait permis aux concurrents évincés d'exercer une action en contestation de validité devant le juge de plein contentieux, l'arrêt "Commune de Béziers" a précisé l'office de ce même juge en distinguant deux hypothèses.

La première hypothèse concerne l'action en contestation de validité du contrat que peuvent exercer les parties. Lorsqu'il est saisi d'un tel recours, il appartient au juge qui constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui. Après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, le juge du contrat peut alors décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties. Il peut aussi prononcer la résiliation du contrat, le cas échéant avec un effet différé, et après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général. Il peut, enfin, annuler le contrat en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui et tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

La seconde hypothèse, plus fréquente en pratique et qui était l'objet de l'arrêt "Manoukian" rendu le 12 janvier 2011, concerne l'action portée par les parties devant le juge de plein contentieux et visant au règlement d'un litige relatif à l'exécution du contrat. Par principe, et eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, il appartient au juge du contrat de régler le litige qui lui est soumis dans un cadre contractuel, c'est-à-dire qu'il lui revient alors de faire application du contrat et de statuer en se plaçant du point de vue de la responsabilité contractuelle. Celui-ci comporte, cependant, une exception qui autorise, et même oblige, le juge de plein contentieux à se prononcer sur un terrain extracontractuel. C'est le cas lorsqu'il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement. Cette seconde hypothèse a immédiatement suscité le questionnement (3). S'est posée la question de savoir s'il fallait assimiler les irrégularités entachant la procédure de passation du contrat à des irrégularités susceptibles de permettre au juge de plein contentieux de sortir du cadre contractuel pour régler le litige dont les parties l'on saisi.

L'arrêt "Commune de Béziers" ne permettait pas à lui seul de répondre à cette question car l'emploi de l'adverbe "notamment" ("vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement") pouvait plaider dans le sens de la mise à l'écart du contrat en cas d'irrégularité au cours de la procédure de passation. En sens inverse, on pouvait tout à fait soutenir que le juge n'avait pas pu ne pas envisager le cas de telles irrégularités au moment de rendre l'arrêt "Commune de Béziers", et que s'il avait entendu les ériger en irrégularités susceptibles de provoquer la mise à l'écart du contrat, il l'aurait sans doute fait explicitement. Dans le même sens, ce n'est qu'au prix d'un réel effort d'interprétation que l'on pouvait assimiler une irrégularité survenue au cours de la procédure de passation du contrat à un vice relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

A cette première interrogation s'en est ajoutée une seconde relative à la conciliation, et même à l'impossible conciliation, entre certains moyens d'ordre public relevés d'office par le juge et le respect de l'exigence de loyauté des relations contractuelles. Concrètement, si l'exigence de loyauté des relations contractuelles fait obstacle à ce qu'une partie puisse invoquer sa propre turpitude (autrement dit une irrégularité qu'elle aurait commise) pour provoquer la mise à l'écart du contrat, il semblait difficile d'interdire au juge de soulever d'office un moyen d'ordre public alors même "qu'un tel moyen [...] risque de servir les intérêts de la partie à qui le vice est imputable" (4). Le danger était, en effet, que le juge joue, bien malgré lui, le rôle de perturbateur du loyalisme contractuel.

C'est à ces deux interrogations que répond l'arrêt rendu le 12 janvier 2001 en ne retranchant rien à la jurisprudence "Commune de Béziers" (5) et en lui ajoutant des précisions essentielles. Il est, désormais, acquis que les parties ayant saisi le juge de plein contentieux d'un litige relatif à l'exécution du contrat ne peuvent invoquer un manquement aux règles de passation aux fins d'écarter le contrat pour le règlement des litiges. Clairement, les vices relatifs au déroulement de la procédure de passation ne sont donc pas assimilés à des vices d'une particulière gravité relatifs aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement.

C'est assurément une sage décision compte tenu de l'extrême complexité qui caractérise le processus de passation des contrats publics, la loyauté des relations contractuelles s'en trouvant, ainsi, renforcée. La solution est, d'ailleurs, d'autant plus sage que le juge ne peut pas non plus relever d'office un moyen tiré d'un manquement aux règles de passation. Le litige contractuel doit donc être réglé sur le terrain contractuel, même lorsque le contrat a été conclu sur le fondement d'une procédure irrégulière. L'arrêt réserve, cependant, une exception notable, qui présente tous les traits d'une soupape de sécurité. Les parties et le juge pourront, "par exception", invoquer ou soulever d'office un tel moyen lorsque, "eu égard, d'une part, à la gravité de l'illégalité et, d'autre part, aux circonstances dans lesquelles elle a été commise, le litige ne peut être réglé sur le fondement de ce contrat". S'il est encore trop tôt pour savoir quelles hypothèses recouvrira à l'avenir cette exception, il semble bien que la volonté du juge soit de n'écarter le contrat que dans des conditions très restrictives. Une irrégularité entachant la procédure de passation, si grave soit-elle, ne permettra pas, à elle seule, de parvenir à un tel résultat puisqu'il faudra, en plus, qu'elle soit survenue dans des circonstances particulières.

Force est de constater qu'il est aujourd'hui difficile de déterminer avec certitude les irrégularités qui satisferont à cette double condition de gravité et de circonstances. Les faits en cause dans l'arrêt "Manoukian" ne permettent même pas de le préciser, car le Conseil d'Etat sanctionne la cour administrative d'appel (6) pour avoir constaté la nullité d'un marché public conclu entre le Crédit municipal de Paris et le requérant, architecte, au motif qu'il avait été conclu en méconnaissance du seuil de 700 000 francs fixé par l'article 104 du Code des marchés publics alors en vigueur (N° Lexbase : L4329DAL), sans rechercher si les deux conditions précitées étaient réunies (cette solution n'étant que la conséquence du caractère rétroactif de la précision jurisprudentielle apportée par le Conseil d'Etat). D'autres arrêts rendus le même jour permettent, cependant, d'apporter quelques éléments de réponse.

  • Irrégularité affectant la procédure d'attribution d'un marché public ne constituant pas un vice d'une gravité telle que le juge doive écarter le contrat (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 332136, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8756GPY)

Le présent arrêt, dit "Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France", présente un double intérêt portant, tout à la fois, sur la qualification administrative d'un contrat conclu entre deux personnes privées et sur l'application de la jurisprudence "Commune de Béziers", telle qu'amendée par l'arrêt "Manoukian".

Sur le premier point, le Conseil d'Etat applique en l'espèce la jurisprudence "Peyrot" (7), selon laquelle un contrat conclu entre deux personnes privées peut être administratif lorsque l'un des contractants a agi pour le compte d'une personne publique, ce qui est le cas lorsque le contrat porte, par son objet, sur des travaux relevant par nature de l'Etat. Tel était le cas en l'espèce, puisque le Conseil d'Etat rappelle que la construction des routes nationales a le caractère de travaux publics et appartient par nature à l'Etat, et qu'en conséquence, les contrats conclus par une société concessionnaire d'autoroutes avec un groupement solidaire d'entreprises et ayant pour objet l'étude, la fourniture, la réalisation la recette et la garantie d'un réseau de fibres optiques à haut débit le long des autoroutes A2, A4 et A 26 sont des contrats administratifs.

Sur le second point, l'arrêt "Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France" affirme clairement que l'existence d'une irrégularité affectant la procédure de passation d'un contrat administratif n'entraîne pas automatiquement et nécessairement la mise à l'écart du contrat. En l'espèce, le Conseil d'Etat juge "qu'aucune des irrégularités susceptibles d'affecter la procédure d'attribution du marché à son titulaire [...] et tirées soit de l'inapplication par elle-même des dispositions du Code des marchés publics, des dispositions du décret n° 93-584 du 26 mars 1993 (N° Lexbase : L2095IPB), relatif aux contrats visés au I de l'article 48 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 (N° Lexbase : L8653AGL), relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, de prescriptions du droit communautaire au contenu équivalent ou de principes généraux relatifs à la présentation des candidatures à l'attribution du marché, soit de manquements de sa part au principe d'égalité entre les candidats au cours de la consultation, ne saurait être regardée comme un vice d'une particulière gravité telle que le juge doive écarter le contrat et que le litige qui oppose les parties ne doive pas être tranché sur le terrain contractuel".

  • Le fait de prévoir une date de commencement d'exécution du marché avant sa conclusion et sa notification ne justifie pas, à lui seul, la mise à l'écart du contrat et le règlement du litige sur le terrain extracontractuel (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 334320, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8768GPG)

Tout comme l'arrêt "Manoukian" rendu le même jour, l'arrêt "Société Léon Grosse" du 12 janvier 2011 vient utilement préciser la jurisprudence "Commune de Béziers". N'était, cependant, pas en cause dans cette affaire une irrégularité relative à la procédure de passation d'un contrat public mais un vice de nature à entacher d'illicéité le contenu du contrat. Il n'était donc pas directement question d'appliquer la nouvelle grille d'analyse développée dans l'arrêt "Manoukian", mais de déterminer les conséquences à tirer d'une grave irrégularité touchant au contenu du contrat sur le contrat lui-même. En effet, les juges du fond avaient constaté la nullité du contrat litigieux, un marché de travaux de rénovation et d'entretien d'un lycée, au motif qu'un document contractuel intitulé "Phasage prévisionnel des travaux" prévoyait que les travaux de rénovation devaient débuter avant la conclusion et la notification du marché, et cela en violation des dispositions de l'article 250 du Code des marchés publics alors en vigueur (N° Lexbase : L1232ANX), et imposant précisément la notification du marché avant tout commencement d'exécution.

Si le Conseil d'Etat reconnaît bien, en l'espèce, qu'une telle stipulation "pourrait être de nature à entacher d'illicéité le contenu du contrat et à justifier, en conséquence, qu'il n'en soit pas fait application", il se refuse à établir toute automaticité entre le constat d'une telle irrégularité et la mise à l'écart du contrat. Il examine, en effet, cette irrégularité en tenant compte du contexte dans lequel elle est intervenue pour juger au final et en l'espèce qu'elle ne justifiait pas l'annulation du contrat, contrairement à ce qu'avait jugé la cour administrative d'appel de Douai (8). En effet, le Conseil d'Etat relève que, si l'existence de ce document contractuel n'était pas contestable, il s'avérait à l'analyse qu'il intervenait en troisième place dans la liste des documents contractuels du marché, soit après l'acte d'engagement qui stipulait que le marché prendrait effet à compter de sa date de notification.

Cette solution appelle plusieurs observations. La première est que le Conseil d'Etat n'invoque pas, en l'espèce, l'exigence de loyauté des relations contractuelles au soutien de son raisonnement. Cela peut se comprendre dès lors que l'irrégularité en cause avait été relevée d'office par lui et qu'une partie n'avait donc pas cherché à débusquer une irrégularité pour se délier de ses obligations contractuelles. Il n'en demeure pas moins que la loyauté des relations contractuelles sous-tend bien la solution du Conseil d'Etat car en soulevant d'office le moyen en question, le juge du fond avait indirectement, mais nécessairement, servi les intérêts de la personne publique contractante qui ne souhaitait pas indemniser son cocontractant pour les travaux supplémentaires qu'il avait effectué. C'est pour préserver la loyauté des relations contractuelles que le Conseil d'Etat exige que l'irrégularité touchant au contenu du contrat soit examinée in concreto et non pas in abstracto. La seconde observation est relative au rapport entre la décision ici annotée et la solution "Manoukian" rendue le même jour. Les deux ne traitent pas de la même question (illicéité du contenu du contrat dans la première, irrégularité de la procédure de passation dans la seconde) mais finissent pas se rejoindre autour de l'idée que le juge du contrat doit moduler ses pouvoirs au regard de la gravité de l'illégalité commise et des circonstances dans lesquelles elle est intervenue.

  • Précisions sur la notion d'offre incomplète et sur le pouvoir d'annulation du juge des référés précontractuels (CE 2° et 7° s-s-r., 12 janvier 2011, n° 343324, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8781GPW)

La présente décision "Département du Doubs" du 12 janvier 2011 précise utilement la notion d'offre incomplète au sens de l'article 53-III du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2765ICE) et indique quelles conséquences il appartient au juge des référés précontractuels de tirer de l'existence d'une telle offre incomplète sur la procédure de passation du marché public. Dans la présente espèce, un département avait lancé dès le printemps 2010 un avis d'appel public à la concurrence pour un marché ayant pour objet le salage et le déneigement des routes départementales. Ce marché avait été divisé en 56 lots géographiques. La société X avait présenté une offre pour le lot n° 43, laquelle n'avait, cependant, été classée qu'en deuxième position au regard des critères de sélection des offres qui portaient sur le prix et la valeur technique. Saisi par ladite société, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a annulé l'intégralité de la procédure de passation au motif que la société lauréate avait présenté une offre incomplète. En effet, alors que le règlement de consultation prévoyait que les offres seraient examinées au regard des indications fournies par les candidats et portant précisément sur les véhicules employés pour la mission de salage et de déneigement, la société lauréate avait produit un simple devis et non un bon de commande signé. Pour le juge du référé précontractuel, l'offre retenue était donc incomplète et aurait dû être rejetée.

Le Conseil d'Etat valide ce raisonnement et précise la notion d'offre incomplète. On sait que l'article 53-III du Code des marchés publics dispose que "les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées. Les autres offres sont classées par ordre décroissant. L'offre la mieux classée est retenue". Alors que le Code des marchés publics de 2004 se référait à la seule notion d'offre non conforme à l'objet du marché, le Code des marchés publics de 2006 se réfère, désormais, à trois catégories distinctes d'offres. Les offres inappropriées sont celles qui sont incomplètes ou ne respectent pas les exigences des documents de consultation. Les offres inacceptables sont celles dont les conditions d'exécution méconnaissent la législation en vigueur ou excèdent les crédits budgétaires. Enfin, les offres inappropriées sont sans rapport avec le besoin du pouvoir adjudicateur et assimilables à une absence d'offre. Le présent litige se résumait donc à une question simple : le fait de fournir un simple devis accompagné de la mention "lu et approuvé" et émanant d'une société vendant des poids lourds suffisait-il à établir la preuve que l'entreprise lauréate disposait du matériel demandé par le pouvoir adjudicateur pour exécuter les prestations de salage et de déneigement ? Le Conseil d'Etat répond par la négative après avoir défini la notion d'offre incomplète et estimé que le juge du référé précontractuel n'avait pas dénature les pièces du dossier (9).

L'offre incomplète est ici définie comme celle "qui ne contient pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation". Le règlement de consultation du marché public litigieux imposait aux candidats de renseigner l'annexe 1 au cahier des clauses techniques particulières relative, notamment, aux caractéristiques du véhicule de salage et de déneigement qu'ils se proposaient de mettre à disposition pour exécuter les prestations du marché et prévoyait que la valeur technique des offres s'apprécierait au regard de ces renseignements. Prenant acte des contraintes matérielles qui peuvent être celles des entreprises candidates, le Conseil d'Etat n'exige pas qu'elles justifient de la possession du matériel requis à la date de la remise de leur offre. Il exige, en revanche, qu'elles apportent la preuve du fait qu'elles seront en possession de ce matériel pour l'exécution du marché. De ce point de vue, il est tout à fait possible de produire une attestation telle qu'un bon de commande signé mais il est, en revanche, impossible et inutile de produire un document indicatif ou préparatoire, tel un devis signé par le vendeur et non par l'acquéreur.

Si le Conseil d'Etat approuve la solution retenue par le juge du référé précontractuel quant au caractère incomplet de l'offre, il s'en sépare, toutefois, sur les conséquences qu'il faut en tirer. Le juge du fond avait, en effet, annulé l'intégralité de la procédure de passation, obligeant, ainsi, le département à reprendre toute la procédure alors que le manquement censuré ne la concernait qu'au stade de l'examen des offres. Cette solution ne peut qu'être approuvée même si elle conduit la collectivité publique à reprendre la procédure à un stade où il n'y aura plus qu'un seul candidat, la société requérante, qui a donc de grandes chances de devenir attributaire du marché public de salage et de déneigement. Relevons, toutefois, avec M. Bertrand Dacosta (10) que c'est finalement le scénario qui aurait dû se produire initialement si le département en cause avait, comme il le devait, écarter l'offre incomplète de la société finalement retenue. Surtout, cette solution confirme que les larges pouvoirs du juge du référé précontractuel doivent être modulés en fonction de la nature du manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, et du stade auquel il a été commis.

François Brenet, Professeur de droit public à l'Université Paris VIII Vincennes Saint-Denis et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition publique


(1) CE, Ass, 28 décembre 2009, n° 304802 (N° Lexbase : A0493EQC), AJDA, 2010, p. 142, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, RFDA, 2010, p. 506, concl. E. Glaser, p. 519, note D. Pouyaud, etc...
(2) CE Ass., 16 juillet 2007, n° 291545 (N° Lexbase : A4715DXW).
(3) Voir chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, AJDA, 2010, p. 142, et spéc. p.144.
(4) F. Llorens et P. Soler-Couteaux, Vers une harmonisation du contentieux administratif des contrats ?, Contrats Marchés publ., 2010, repère 6.
(5) On retrouve dans l'arrêt du 12 janvier 2011 le considérant de principe de l'arrêt "Commune de Béziers" relatif à l'action en règlement du litige relatif à l'exécution du contrat : "Considérant que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat [...] toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contrat [l'arrêt Commune de Béziers employait la formule "du contenu du contrat "] ou à un vice d'une particulière gravité relatif, notamment, aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel".
(6) CAA Paris, 4ème ch., 9 février 2010, n° 08PA03473 (N° Lexbase : A3794ETP).
(7) T. confl., 8 juillet 1963, n° 01804 (N° Lexbase : A8175BD7), Rec. CE, 1963, p. 787, AJDA, 1963, p. 463, chron. M. Gentot et J. Fourré, D. 1963, jurispr. p. 543, concl. C. Lasry, note P.-L. Josse, JCP éd. G, 1963, II, 13375, note J.-M. Auby, RD publ., 1963, p. 766, concl. C. Lasry, RD publ., 1964, p. 767, note Fabre et Morin.
(8) CAA Douai, 2ème ch., 20 octobre 2009, n° 07DA00376 (N° Lexbase : A7132EM4).
(9) Ce qui est une autre façon de dire que le Conseil d'Etat n'exerce pas un contrôle de la qualification juridique sur la notion d'offre incomplète. Le caractère complet ou incomplet d'une offre relève de l'appréciation souveraine des juges du fond : CE 2° et 7° s-s-r., 22 décembre 2008, n° 314244 (N° Lexbase : A1483ECW), Rec. CE, Tables, p.808.
(10) Que nous remercions pour l'aimable communication de ses conclusions.

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