La lettre juridique n°671 du 6 octobre 2016 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Date de la résiliation judiciaire du contrat de travail : la malheureuse résurrection du critère du "service de" l'employeur

Réf. : Cass. soc., 21 septembre 2016, n° 14-30.056, FS-P+B (N° Lexbase : A0136R4S)

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par Sébastien Tournaux, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux

le 06 Octobre 2016

Contrairement aux juridictions civiles, les juges prud'homaux disposaient jusqu'à ce jour de directives relativement claires en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail. Depuis 2007, la date de la résiliation doit être fixée par le juge au jour du jugement la prononçant à moins que le contrat de travail ait été rompu antérieurement. C'est cette jurisprudence que la Chambre sociale de la Cour de cassation aménage par un arrêt rendu le 21 septembre 2016. La Chambre sociale juge que la date de la rupture peut également être anticipée si le salarié n'était plus "au service de son employeur" (I). Elle exhume ici un critère qu'elle avait autrefois utilisé et qui semblait pourtant fort peu maniable. Le malaise reparaît donc puisque l'on ne peut pas déterminer avec certitude les cas dans lesquels le salarié est toujours au service de l'employeur (II).
Résumé

En matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur.

Commentaire

I - L'aménagement des conditions de détermination de la date de la résiliation judiciaire à la date du jugement

La détermination de la date d'effet de la résiliation judiciaire. Après avoir longtemps laissé aux juges du fond une large marge de manoeuvre dans la détermination de la date de la rupture d'un contrat de travail par résiliation judiciaire, la Chambre sociale de la Cour de cassation a choisi, en 2007, de poser une règle générale et d'harmoniser les solutions rendues au fond (1).

Depuis lors, la prise d'effet de la résiliation judiciaire "ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant" (2). La motivation de la Chambre sociale a rapidement évolué après cette décision. Alors qu'elle jugeait en 2007 que la rupture produisait ses effets au jour de la décision judiciaire "dès lors qu'à cette date le salarié est toujours au service de son employeur" (3), cette formule disparut des arrêts postérieurs qui conditionnèrent cette date au fait que "le contrat de travail n'a pas été rompu" (4).

Ce changement de formule n'est pas tout à fait anodin. Faire dépendre la date d'effet de la résiliation judiciaire de l'absence de rupture antérieure du contrat de travail est logique selon l'idée courante, en droit du travail, que rupture sur rupture ne vaut. Un contrat de travail déjà rompu ne peut matériellement pas l'être une seconde fois. La règle est également plus facile à appréhender sur le plan juridique : il suffit de déterminer si aucun des modes de rupture habituels n'a été utilisé, ni à l'initiative de l'employeur, ni à l'initiative du salarié, ni d'un commun accord (5).

Au contraire, identifier si un salarié est toujours "au service" de l'employeur semble bien davantage relever de considérations factuelles et évoque la "rupture de fait" du contrat de travail que la Chambre sociale de la Cour de cassation semble, par ailleurs, réticente à admettre (6).

L'affaire. Après dix-huit années de travail en qualité de responsable réseau au sein d'une société exploitant des boutiques aéroportuaires, une salariée ne perçoit plus aucun salaire au motif que son contrat de travail devait être transféré à des sociétés ayant repris les activités commerciales desdits commerces. Elle saisit le juge prud'homal pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur sortant.

L'employeur tente de démontrer que le contrat de travail de la salariée avait été transféré si bien qu'il ne pouvait être tenu responsable du non-paiement des salaires. Sur cette question, que nous n'étudierons pas, les juges du fond, confortés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, considèrent qu'aucun transfert ne devait avoir lieu. La société sortante était donc tenue de continuer à payer les salaires et son manquement est caractérisé.

Jugeant que ce manquement est d'une suffisante gravité, le conseil de prud'hommes prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail par jugement rendu le 14 février 2013. Toutefois, constatant que la salariée avait bénéficié d'un contrat de travail auprès d'un nouvel employeur à compter du 30 mai 2011, la cour d'appel d'Aix-en-Provence fait produire les effets de la résiliation judiciaire de manière rétroactive à cette date (7).

La salariée forme un pourvoi en cassation en invoquant la règle prétorienne classique selon laquelle la résiliation judiciaire produit ses effets au jour de la décision judiciaire, à moins que le contrat de travail ait été rompu antérieurement, ce qui n'était pas le cas. Par un arrêt rendu le 21 septembre 2016, la Chambre sociale rejette le pourvoi. Elle énonce par un chapeau interne "qu'en matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'effet ne peut être fixée qu'à la date de la décision judiciaire la prononçant, dès lors qu'à cette date le contrat de travail n'a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur". Elle en conclut que, puisque la salariée bénéficiait d'un contrat de travail au-delà du 30 mai 2011, elle "n'était plus à la disposition de l'employeur". Les juges d'appel pouvaient donc faire produire à la rupture ses effets à cette date.

Une nouvelle exception à la date de la rupture fixée au jour de la décision judiciaire. On constate immédiatement que la formule employée par la Chambre sociale varie à la fois de celle établie en 2007 lorsque la règle a été initialement posée et de celle employée depuis lors dans les nombreuses décisions rendues à ce propos.

La date à laquelle la résiliation judiciaire produit ses effets reste, par principe, la date de la décision judiciaire. Toutefois, cette date peut être anticipée soit parce que le contrat de travail a été rompu avant le jugement, soit parce que le salarié n'était plus au service de son employeur.

II - L'impossible identification des conditions de détermination de la date de la résiliation judiciaire

L'absence de rupture antérieure du contrat de travail : une limite insuffisante ? La tardiveté de la décision judiciaire prononçant la rupture, deux ans après l'interruption du paiement des salaires et vingt-et-un mois après que la salariée ait trouvé un autre emploi aurait eu pour conséquence d'allonger substantiellement l'ancienneté de la salariée et, mécaniquement, d'augmenter le montant de ses indemnités. Surtout, d'importants rappels de salaire auraient pu lui être octroyés à condition bien sûr qu'elle se soit tenue à la disposition de l'entreprise.

Pour limiter l'étendue de ces condamnations dont la charge aurait sans doute reposé essentiellement sur l'AGS, puisque la société sortante faisait l'objet d'une liquidation amiable au moment du procès, les juges d'appel ne pouvaient recourir à l'exception tenant à la rupture antérieure du contrat de travail. Sans aucun doute, aucun accord de rupture ni aucun licenciement n'avaient rompu le contrat de travail (8). Restait l'hypothèse d'une rupture à l'initiative de la salariée qui semblait tout aussi improbable. Il ne pouvait s'agir d'une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, procédure que la salariée aurait parfaitement pu employer mais qui nécessite une initiative qui ne semble pas avoir été prise. Il ne pouvait pas non plus s'agir d'une démission puisque cet acte unilatéral exige l'émission d'une volonté claire et non équivoque de rompre le contrat de travail. La Chambre sociale jugeait d'ailleurs, il y a peu encore, qu'"en l'absence de démission claire et non équivoque" de la part du salarié, il n'était pas possible de considérer que celui-ci "n'était plus au service de son employeur" (9). La Chambre sociale refusait également, jusqu'ici, que le contrat de travail soit considéré comme ayant été rompu "de fait", par exemple parce que l'employeur n'avait pas fourni de travail au salarié (10).

La délicate qualification du fait de rester "au service" de l'employeur. Pour restreindre l'ampleur de la condamnation, la Chambre sociale sort donc l'exigence que le salarié soit toujours au service de l'employeur du vieux placard où elle l'avait remisée (11). Or, la formule "au service de" l'employeur est fort mal connue en droit du travail. Sur un plan symbolique, le fait d'être "au service" rappelle un temps où le droit du travail encore balbutiant s'appliquait aux parties au contrat de louage de services des articles 1779 (N° Lexbase : L1748IEH) et 1780 (N° Lexbase : L1031ABS) du Code civil dont on sait qu'ils se sont précisément effacés devant l'émergence du contrat de travail et le développement corollaire du droit du travail. En forçant le trait, cette notion de "service de" l'employeur appartient à un temps où le droit du travail n'existait pas.

Ce constat se vérifie d'ailleurs à la lecture du Code du travail où la formule "au service de l'employeur" n'est que très rarement employée. Lorsque le législateur l'utilise, c'est pour viser les cas dans lesquels un salarié est simultanément "au service" d'un autre employeur (12), pour calculer l'ancienneté d'un salarié "au service" de l'entreprise (13) ou en matière de temps de travail où elle semble alors s'apparenter à la tenue du salarié à la disposition de l'employeur (14), assimilation qui semblait également être à l'esprit des magistrats de la Chambre sociale jusqu'à aujourd'hui (15). Il ne s'agit en tous cas jamais de viser des cas dans lesquels le contrat de travail a été rompu.

Quand bien même on rapprocherait le fait d'être "au service" de l'employeur de celui de se "tenir à disposition" de celui-ci, le raisonnement de la Chambre sociale n'en serait pas moins critiquable. D'abord parce que le fait que la salariée se soit engagée auprès d'un nouvel employeur ne suffit clairement pas à démontrer qu'elle ne peut plus être au service du premier ni même à disposition de celui-ci. Le nombre sans cesse croissant de salariés pluriactifs, titulaires simultanément de plusieurs contrats de travail, devrait suffire à s'en convaincre. On se souviendra ensuite que le juge judiciaire prête une grande importance à l'obligation du salarié de se tenir à disposition de l'employeur pour condamner celui-ci à des rappels de salaire alors même que le salarié n'a pas travaillé. Ainsi par exemple, dans un arrêt jugé seulement une semaine plus tôt, la Chambre sociale condamnait le raisonnement de juges du fond qui, pour limiter le montant des sommes dues par l'employeur au titre d'un rappel de salaire, retenaient que la salariée avait exercé pendant la même période un autre emploi et n'était ainsi pas restée à la disposition de l'employeur (16). A moins que cette jurisprudence soit sur le point d'être remise en question, il est donc difficile d'identifier le fait d'être "au service" de l'employeur au fait de se tenir à sa disposition.

L'identification de ce que recouvre la situation d'un salarié "au service" de l'employeur s'avère donc très périlleuse. Alors qu'on aurait tendance spontanément à la rapprocher de la titularité d'un contrat de travail, elle s'en distingue pour la Chambre sociale sans que l'on puisse l'assimiler à la tenue du salarié à disposition de l'entreprise. Peut-être s'agit-il d'une situation intermédiaire auquel cas l'on espère que la Chambre sociale pourra en préciser les contours. On peine toutefois à chasser l'idée selon laquelle les fondements de la solution sont à rechercher dans des considérations peu juridiques...


(1) Cass. soc., 11 janvier 2007, n° 05-40.626, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4828DTY) et les obs. de G. Auzero, Lexbase, éd. soc., 2007, n° 245 (N° Lexbase : N7973A98) ; Dr. soc., 2007, p. 498, note J. Savatier ; RDT, 2007, p. 237, note J. Pélissier.
(2) Cette date peut toutefois varier si un appel est interjeté et que le contrat de travail n'a pas été effectivement rompu, v. Cass. soc., 13 novembre 2014, n° 13-17.595, F-D (N° Lexbase : A3070M34) ; Cass. soc., 3 février 2016, n° 14-17.000, FS-P+B (N° Lexbase : A3059PKI) et nos obs., Lexbase, éd. soc., 2016, n° 644 (N° Lexbase : N1373BWR).
(3) V. également un arrêt isolé et inédit, rendu en 2013, qui reprenait cette condition de maintien du salarié "au service" de l'employeur, Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-22.119, F-D (N° Lexbase : A0802I34).
(4) V. Cass. soc., 14 octobre 2009, n° 07-45.257, FP-P+B (N° Lexbase : A0819EMB) : "en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d'effet de la résiliation ne peut être fixée qu'au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n'a pas été rompu avant cette date". V. également Cass. soc., 26 septembre 2012, n° 10-24.286, F-D (N° Lexbase : A6315IT3) ; Cass. soc., 24 avril 2013, n° 11-28.629, FS-P+B (N° Lexbase : A6850KCP) ; Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-18.584, F-D (N° Lexbase : A6147M7S) ; Cass. soc., 12 juillet 2016, n° 14-26.374, F-D (N° Lexbase : A1876RXR).
(5) Pour reprendre les modes de rupture énoncés, pour le contrat à durée indéterminée, par l'article L. 1231-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8654IAR).
(6) V. toutefois, Cass. soc., 18 juin 2014, n° 13-10.204, FS-P+B (N° Lexbase : A5821MRZ) et nos obs., Lexbase, éd. soc., 2014, n° 577 (N° Lexbase : N2960BU8).
(7) CA Aix-en-Provence, 30 octobre 2014, n° 13/06502 (N° Lexbase : A3465MZD).
(8) La liquidation de la société ne pouvait servir à caractériser la rupture du contrat de travail, v. Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-18.584, F-D (N° Lexbase : A6147M7S) ; Cass. soc., 26 novembre 2015, n° 14-19.263, F-D (N° Lexbase : A0919NYP).
(9) Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-22.119, F-D (N° Lexbase : A0802I34).
(10) Cass. soc., 4 mars 2015, n° 13-27.126, F-D (N° Lexbase : A8978NCI) ; Cass. soc., 20 janvier 2016, n° 14-10.134, F-D (N° Lexbase : A5715N4G).
(11) La Chambre sociale cassait par exemple, en 2013, une décision des juges du fond qui avaient estimé que le salarié n'était plus au service de l'employeur au moment du jugement, v. Cass. soc., 4 décembre 2013, n° 12-25.016, F-D (N° Lexbase : A8283KQT).
(12) Par ex., C. trav., art. L. 1226-6 (N° Lexbase : L1017H9K) s'agissant de l'application des règles relatives à la suspension du contrat de travail pour risque professionnel ; C. trav., art. L. 1231-5 (N° Lexbase : L1069H9H) et art. L. 1532-1 (N° Lexbase : L2099H9M) à propos du salarié mis "au service" d'une filiale étrangère par la société mère.
(13) Par ex., C. trav., art. L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK) pour le calcul de l'indemnité de licenciement.
(14) Par ex., C. trav., art. L. 3121-9 (N° Lexbase : L6904K9L) en matière d'astreintes.
(15) Cass. soc., 9 janvier 2013, n° 11-22.119, préc..
(16) Cass. soc., 14 septembre 2016, n° 15-15.944, FS-P+B (N° Lexbase : A2419R3Y).

Décision

Cass. soc., 21 septembre 2016, n° 14-30.056, FS-P+B (N° Lexbase : A0136R4S).

Rejet (CA Aix-en-Provence, 30 octobre 2014, n° 13/06502 N° Lexbase : A3465MZD).

Mots-clés : résiliation judiciaire ; date de la rupture ; salarié au service de l'employeur.

Liens base : (N° Lexbase : E2954E48).

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