La lettre juridique n°359 du 16 juillet 2009 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le cadre, les congés payés et le principe d'égalité de traitement

Réf. : Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, M. Stéphane Pain c/ Société DHL express, FS P+B (N° Lexbase : A5734EI9)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Les cadres seraient-ils en passe de devenir des salariés comme les autres ? C'est en tout cas la question qu'on est en droit de se poser au regard de la jurisprudence relative à l'égalité de traitement entre salariés, singulièrement après un nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 1er juillet 2009. Dans cette décision, la Haute juridiction réaffirme le principe selon lequel "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle-même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence" (I) et censure une cour d'appel qui avait cru que le désir de compenser les responsabilités particulières liées aux fonctions d'encadrement pouvaient justifier l'attribution aux cadres de jours de congés payés annuels supplémentaires (II).
Résumé

La seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle-même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence.

N'est pas justifiée, par des raisons objectives et pertinentes, l'attribution, par un accord collectif, de jours supplémentaires de congés réservés aux cadres destinés à tenir compte de leurs contraintes, notamment, l'importance des responsabilités qui leur sont confiées.

Commentaire

I - Qualité de cadre et justification d'une différence de traitement

  • Reconnaissance d'un principe d'égalité de traitement

La reconnaissance, en 2008, d'un principe d'égalité de traitement a permis à la Chambre sociale de la Cour de cassation d'étendre le champ d'application du principe "à travail égal, salaire égal" à des hypothèses où ne sont en cause ni le salaire, ni, plus largement, la rémunération des salariés de l'entreprise (1) ; cette extension a permis à la Haute juridiction de faire application du principe d'égalité professionnelle dans l'hypothèse de retenues pour fait de grève (2), mais, également, de l'attribution de la médaille du travail ou du bénéfice d'un régime de retraite prévu par accord d'établissement (3).

  • Insuffisance de l'appartenance à la catégorie professionnelle des cadres

La Cour de cassation a refusé, depuis l'arrêt "Bensoussan", de se satisfaire de l'appartenance à la catégorie professionnelle des cadres pour justifier des atteintes au principe "à travail égal, salaire égal", dans une affaire mettant en cause le bénéfice de tickets-restaurant et excluant par principe les cadres (4). Selon une formule désormais de style et reprise, d'ailleurs, dans d'autres arrêts inédits également en date du 1er juillet 2009, "une différence de statut juridique entre des salariés effectuant un travail de même valeur au service du même employeur ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une différence de situation au regard de l'égalité de traitement en matière de rémunération" (5).

Contours du principe d'égalité de traitement

Le principe d'égalité de traitement constitue un principe à mi-chemin entre le principe de non-discrimination et le principe "à travail égal, salaire égal". Ce principe impose, ainsi, à l'employeur de traiter d'une manière identique les salariés de son entreprise qui se trouvent dans une même situation. Face à des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une différence de traitement entre salariés placés dans une même situation, l'employeur devra donc soit contester l'identité des situations, soit l'admettre, mais justifier de la différence de traitement par une juste raison tenant, par exemple, à la volonté de rétablir l'égalité de fait entre salariés.

  • Confirmation en l'espèce

C'est cette orientation générale que confirme ce nouvel arrêt en date du 1er juillet 2009.

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé, le 1er décembre 1991, en qualité de démarcheur livreur par la société DHL. Estimant être moins bien rémunéré que d'autres salariés de l'entreprise, il avait saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes et, notamment, du bénéfice d'indemnités compensatrices de droit à congés payés dans la mesure où les cadres de l'entreprise, avec lesquels il se comparait, se voyaient conventionnellement reconnaître cinq jours annuels supplémentaires.

La cour d'appel l'avait débouté de sa demande, aux motifs qu'aucune disposition légale ou conventionnelle n'interdit aux partenaires sociaux de prévoir un nombre de jours de congés différent selon les catégories professionnelles et que les contraintes spécifiques aux cadres, notamment, l'importance des responsabilités qui leur sont confiées, justifient une différence de traitement.

Cet argument n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation pour qui "la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait, en elle même, justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage".

  • Une solution conforme aux exigences formulées antérieurement

La solution n'est pas surprenante. Non seulement elle confirme les termes de l'arrêt "Bensoussan" rendu en 2008, mais, de surcroît, elle s'inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence constante depuis 2007, qui impose aux juges du fond et aux employeurs de fournir des éléments de justification concrets et de ne pas se contenter d'explications "passe-partout".

Reste à déterminer comment il serait possible de justifier que des cadres puissent bénéficier d'avantages particuliers.

II - Réalité du travail des cadres et justification des différences de traitement

  • Discours de la méthode

La méthode de justification des différences de traitement est, désormais, bien rodée. La bonne justification dépend de deux éléments, l'un tenant à la nature de l'avantage en cause, l'autre à la situation des salariés dont on compare le traitement. L'argumentation de l'employeur fera donc mouche lorsqu'elle fera appel à des justifications professionnelles pertinentes, compte tenu de la fonction particulière de l'avantage en cause.

  • Application aux congés payés annuels

Appliquée aux faits de l'espèce, la solution admise par la cour d'appel pouvait sembler satisfaisante. Celle-ci avait, en effet, considéré que l'octroi de cinq jours de congés payés annuels supplémentaires se justifiait par le fait que les cadres de l'entreprise étaient soumis à des "contraintes spécifiques" tenant "notamment à l'importance des responsabilités qui leur sont confiées". Bref, les cadres avaient besoin de plus de temps pour décompresser, compte tenu de la nature particulière de leurs tâches. En visant, certes implicitement, la charge nerveuse particulière liée au statut et aux fonctions d'encadrement, la cour d'appel s'inscrivait dans la voie tracée par l'article L. 3221-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0803H9M) en matière d'égalité de rémunération entre femmes et hommes.

L'argument n'a pourtant pas convaincu la Haute juridiction, qui censure l'arrêt pour manque de base légale, c'est-à-dire en raison du caractère insuffisant de sa motivation. La lecture de l'arrêt ne nous sera d'aucun véritable secours, puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation se contente de justifier la cassation par le fait que la cour d'appel n'avait pas recherché "si l'octroi de l'avantage accordé aux cadres était justifié par des raisons objectives et pertinentes".

  • Interprétations possibles de l'arrêt

De cette décision deux interprétations peuvent être proposées.

La cassation pourrait, tout d'abord, se justifier au regard d'une motivation réellement insuffisante de l'arrêt d'appel et de l'absence de tout élément sérieux dans le dossier permettant de s'assurer réellement que les cadres de l'entreprise étaient véritablement soumis à des conditions de travail telles qu'ils avaient effectivement besoin de plus de vacances que les autres. La cour d'appel se serait, alors, contentée d'affirmer sans véritablement le démontrer et sans faire d'effort particulier de motivation. Dans ces conditions, l'argument ne serait pas en soi déclaré non pertinent, mais ce serait cet arrêt là rendu par ces juges du fond là qui serait trop lapidaire.

Une seconde explication pourrait être proposée et qui tiendrait au caractère intrinsèquement non pertinent de l'argument tiré des contraintes liées aux fonctions d'encadrement. Dans cette perspective, la Haute juridiction aurait voulu signifier que les congés payés annuels ne sont pas fait (que) pour se reposer des fatigues liés à l'activité professionnelle, mais qu'ils constituent, avant tout, l'occasion d'un partage équitable des temps de vie et le moyen de trouver l'occasion de son épanouissement personnel ; dans ces conditions, l'appartenance à la catégorie des cadres ne serait pas pertinente, car tous les salariés ont très certainement une égale vocation à s'épanouir en dehors de leur travail.

Le caractère lapidaire de la cassation ne permet malheureusement pas de choisir l'une ou l'autre des explications, même s'il est assez vraisemblable que l'arrêt est très certainement cassé en raison d'une motivation insuffisante et non en raison d'une erreur dans l'appréciation de la justification qui aurait plutôt conduit à une cassation pour violation de la loi.

  • Plaidoyer pour une limitation du contrôle judiciaire à l'erreur manifeste d'appréciation commise par les partenaires sociaux

Il n'en demeure pas moins que ce contrôle disciplinaire extrêmement étroit mené par la Haute juridiction sur les juges du fond prolonge des procédures déjà longues et incite finalement les justiciables à tenter leur chance, puisque les règles du jeu ne sont pas définies avec suffisamment de lisibilité.

Nous continuons à militer pour une réduction du contrôle judiciaire sur la justification des différences de traitement lorsque celles-ci résultent d'un accord collectif. Dans cette hypothèse, en effet, non seulement les conditions de validité des accords, singulièrement après la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), donnent des garanties de légitimité et de qualité des textes signés, mais les textes conclus constituent souvent un équilibre global ; s'agissant singulièrement de la question des congés payés, ne pourrait-on pas considérer qu'ils viennent compenser la soumission des cadres en forfait en jours à une durée du travail extrêmement longue, puisqu'ils peuvent légalement travailler 78 heures par semaine (6). Certes, ces cadres doivent bénéficier d'un nombre de jours annuels de travail qui tient compte de ces contraintes et l'attribution de jours de congés payés supplémentaires ne semble pas nécessairement le meilleur moyen de leur accorder cette forme de compensation. Mais, après tout, si un accord qualifié se dégage entre partenaires sociaux, pourquoi le juge devrait-il pouvoir le défaire d'un simple trait de plume ?

Lorsqu'est en cause l'application d'un accord collectif, le contrôle de la pertinence des justifications des différences de traitement introduites, et la possibilité de neutraliser telle ou telle condition d'attribution, devrait donc être réservés à la seule hypothèse d'une erreur manifeste d'appréciation des raisons qui justifient une différence de traitement, et que le juge devrait n'exercer qu'un contrôle minimum, pour reprendre une analyse chère au droit administratif (7).


(1) Application au bénéfice des tickets-restaurants : Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, Société Alain Bensoussan, FP-P+B (N° Lexbase : A0480D7W) et nos obs., Chaud et froid sur la protection du principe "à travail égal, salaire égal", Lexbase Hebdo n° 295 du 6 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3474BEE).
(2) Principe affirmé pour la première fois par Cass. soc., 10 juin 2008, n° 06-46.000, Société Air France c/ Syndicat UGICT CGT Air France, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0540D9U) et nos obs., Le principe d'égalité de traitement, nouveau principe fondamental du droit du travail, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4879BGS). Sur ces retenues, lire nos obs., Grève et retenues sur primes : nouvelles précisions, Lexbase Hebdo n° 358 du 9 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9888BKG ; Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-42.677, FS-P+B N° Lexbase : A4116EIB).
(3) Cass. soc., 27 mai 2009, n° 08-41.391, Société Evonik Rexim, F-D (N° Lexbase : A3968EHG) et nos obs., Egalité de traitement entre salariés : la difficile justification par l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 354 du 10 juin 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N6427BKA).
(4) Cass. soc., 20 février 2008, n° 05-45.601, préc..
(5) Cass. soc., 1er juillet 2009, 2 arrêts, n° 07-44.316, Société Nestlé France, F-D (N° Lexbase : A5743EIK) et n° 07-44.333, Société Nestlé France, F-D (N° Lexbase : A5744EIL).
(6) C. trav., art. L. 3121-48 (N° Lexbase : L3955IB4).
(7) Sur ce contrôle, J. Rivéro et J. Waline, Droit administratif, Précis Dalloz, 19ème éd., 2002, n° 265-1.

Décision

Cass. soc., 1er juillet 2009, n° 07 42.675, M. Stéphane Pain c/ Société DHL express, FS P+B (N° Lexbase : A5734EI9)

Cassation partielle CA Paris, 18ème ch., sect. D, 28 mars 2007, n° 06/11596, M. Stéphane Pain c/ SAS DHL Express (N° Lexbase : A0658DYZ)

Règle visée : le principe d'égalité de traitement

Mots clef : dérogations ; justification ; cadre

Lien base :

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