La lettre juridique n°334 du 22 janvier 2009 : Éditorial

Actualité pénale : "le pire des malheurs en prison, c'est de ne pouvoir fermer sa porte"*

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Actualité pénale : "le pire des malheurs en prison, c'est de ne pouvoir fermer sa porte"*. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211437-actualite-penale-i-le-pire-des-malheurs-en-prison-cest-de-ne-pouvoir-fermer-sa-porte-i-
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Lex moneat priusquam feriat
("La loi doit avertir avant de frapper"), tel est sans doute l'adage inscrit au frontispice de la loi du 25 février 2008, relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, Acte I de la prévention contre le risque de récidive criminelle.

On se souvient que cette la loi créait, principalement, et ce même si cogitationis poenam nemo patitur ("Nul ne peut être puni pour de simples pensées"), deux nouvelles mesures : la surveillance de sûreté et la rétention de sûreté. La surveillance de sûreté prolonge les obligations de la surveillance judiciaire et du suivi socio-judiciaire du condamné. La rétention de sûreté s'applique aux personnes condamnées à une peine de prison de 15 ans ou plus et prévoit que celles-ci puissent être retenues dans des centres fermés à l'expiration de leur peine si elles sont considérées comme toujours dangereuses.

Mais, le Conseil constitutionnel a jugé que cette loi ne pouvait s'appliquer aux criminels condamnés avant sa date de promulgation et l'a, donc, limitée aux personnes qui, après leur libération, violeraient les obligations auxquelles elles sont soumises dans le cadre d'une surveillance de sûreté (port du bracelet électronique, obligation de soins médicaux...).

Qu'à cela ne tienne : le Président de la République confiait, aussitôt, une mission à Vincent Lamanda, Premier Président de la Cour de cassation, afin de rédiger un rapport visant à "Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux". Le rapport, remis le 30 mai 2008, au travers 23 propositions relevant tantôt de la loi, tantôt de la gestion pénitentiaire, évita l'écueil de "la rétroactivité de la loi pénale plus sévère", pour se consacrer à la prévention des risques et à l'encadrement psychologique et médical des détenus, avant d'envisager toute mesure de sûreté complémentaire. On notera ainsi les recommandations n° 6 (faire figurer la prévention de la récidive dans les missions des services pénitentiaires d'insertion et de probation), n° 12 (prévoir, en cas de violation des obligations de la surveillance de sûreté, la possibilité, de soumettre l'intéressé à de nouvelles obligations de contrôle, la rétention de sûreté demeurant l'ultime recours), ou encore, la recommandation n° 14 (mettre en place, sans délai, une prise en charge médico-sociale, psychologique et éducative des condamnés dangereux, si possible, dès le début de leur détention).

Si tôt dit, si tôt repris : le Garde des sceaux présentait, en novembre dernier, un projet de loi tirant les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, et prenant en compte les préconisations de ce rapport, projet de loi sur lequel revient, cette semaine, Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois.

De l'aveu même du Gouvernement, le texte vise à assurer un contrôle aussi longtemps que nécessaire dans le cadre d'une surveillance de sûreté. Il permet de prendre en compte l'évolution du comportement de la personne sous surveillance de sûreté en adaptant les obligations auxquelles elle est tenue. Ces obligations pourront être allégées, ou renforcées par des mesures de contrôle supplémentaires. Toutefois, si les personnes ne s'y plient pas, elles pourront être placées en rétention de sûreté pour permettre une prise en charge plus adaptée. Le projet de loi précise, également, que les mesures de surveillance et de rétention peuvent être de nouveau appliquées si la personne venait à être de nouveau condamnée à une peine de prison. Enfin, il ouvre le bénéfice de l'aide juridique aux personnes placées en rétention, afin qu'elles aient l'assistance d'un avocat.

La loi du 25 février 2008 avait été adoptée contre l'avis même de la plupart des syndicats de magistrats et d'avocats. Même repensée, afin de réaffirmer le caractère exceptionnel de la sûreté, le projet de loi intervient dans un contexte pénitentiaire difficile qui laisse augurer une incompréhension sur l'ordonnancement des mesures urgentes qu'il convient d'adopter en matière pénale, aujourd'hui ; "le directeur de l'Administration pénitentiaire [ayant] qualifié [...], de préoccupante la vague de suicides enregistrée depuis le début de l'année 2009 dans les prisons françaises, alors que l'Observatoire international des prisons (OIP) a demandé au Parlement de créer une nouvelle commission d'enquête pour prendre la mesure de la profonde dégradation survenue sur nombre d'aspects de la situation carcérale' depuis les derniers rapports parlementaires en 2000" (communiqué AP du 15 janvier 2009).

En dehors des moyens financiers qu'il conviendrait de mettre en oeuvre afin de répondre à cette situation "préoccupante", et sans tomber dans les préconisations de La Tête des autres de Marcel Aymé, pour lequel "les hommes appelés à en juger d'autres devraient avoir fait un stage de deux ou trois mois en prison", l'on peut, toutefois, se réjouir que trois arrêts rendus le 17 décembre 2008 par le Conseil d'Etat consacrent le contrôle croissant de l'administration pénitentiaire par le juge administratif. Dans une première décision (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 292088), le Conseil d'Etat confirme qu'en cas de décès accidentel d'un détenu, une faute simple dans l'organisation ou le fonctionnement des services pénitentiaires engage leur responsabilité. Deux détenus ayant trouvé la mort à la suite d'un incendie volontaire provoqué par l'un de leurs co-détenus, l'enchaînement de plusieurs circonstances, dont aucune ne pouvait être considérée comme une faute "lourde" a suffi à engager la responsabilité de l'Etat. Dans la deuxième affaire (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 293786), le Conseil juge que les décisions de placement d'un détenu à l'isolement peuvent être contestées devant le juge administratif. Ces décisions ne peuvent intervenir que lorsqu'aucune autre solution ne permet d'assurer la sécurité de l'établissement pénitentiaire ou des personnes. Cette décision constitue donc une évolution importante par rapport à la jurisprudence antérieure, qui considérait que le juge n'était pas compétent pour se prononcer sur les mesures de placement. Enfin, dans la dernière affaire (CE 1° et 6° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 305594), le Conseil indique que, si les directeurs des établissements pénitentiaires, en tant que chefs de service, sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour protéger la vie des détenus, compte tenu de leur vulnérabilité et de leur situation d'entière dépendance vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, en revanche, le refus du ministre de la Justice de remplacer tous les matelas en mousse, rapidement combustible, à housse amovible par des matelas aux housses inamovibles, ne méconnaissait pas les obligations de protection de la vie des détenus incombant à l'administration.

Malgré les garde-fous, chacun conviendra, toutefois, que nulla certior custodia innocentia ("nulle sauvegarde n'est plus sûre que l'innocence").


* Stendhal, Le rouge et le noir

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