La lettre juridique n°333 du 15 janvier 2009 : Rémunération

[Jurisprudence] Egalité salariale entre les femmes et les hommes : la difficile justification des différences de traitement

Réf. : Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 06-45.262, Association formation professionnelle des adultes (AFPA), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8957EBD)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Même si le principe de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes s'est imposé depuis plus de trente ans, la persistance d'un contentieux latent dans les entreprises montre que l'objectif espéré est loin d'être retenu et que de nombreuses femmes continuent de payer, notamment, leur désir d'enfant. Dans un arrêt en date du 16 décembre 2008, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle les principes qui gouvernent le principe de non-discrimination et l'administration de la preuve en justice (I), pour sanctionner un employeur qui n'était pas parvenu à prouver devant le juge les raisons pour lesquelles il avait finalement choisi de promouvoir un homme et ce, alors qu'il avait, dans un premier temps, envisagé de choisir une femme pour accéder à un poste d'encadrement (II).
Résumé

Il résulte des dispositions de l'article L. 123-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3115HI9), devenu L. 1142-1 du même code (N° Lexbase : L0696H9N), interprété à la lumière des articles 2, paragraphe 3, et 5 paragraphe 1, de la Directive 76/207 CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail (N° Lexbase : L9232AUH), qu'une salariée, pour laquelle une promotion a été envisagée par l'employeur, ne peut se voir refuser celle-ci en raison de la survenance d'un congé de maternité.

La cour d'appel, qui a retenu, d'une part, que l'employeur ne fournissait aucun élément pour expliquer les raisons pour lesquelles la nomination de la salariée à un poste de responsable de division n'était pas intervenue à son retour de congé de maternité, alors qu'elle avait exercé seule l'ensemble des fonctions correspondant à ce poste pendant dix-sept mois dans la continuité de sa candidature retenue en 1994, et, d'autre part, que le salarié masculin nommé à ce poste venait d'un autre secteur et, qu'à son départ à la retraite, un autre collègue masculin avait été préféré, a exactement décidé que celle-ci était fondée en sa demande de dommages-intérêts pour discrimination.

L'arrêt, qui constate que l'employeur s'est borné à alléguer que les autres salariés hommes, auxquels la salariée se comparait, sont issus de la filière informatique, recrutés à des niveaux de compétence et de salaire de leur spécialité en fonction de l'état du marché du travail, sans en rapporter la preuve, a pu valablement donner raison à la salariée.

Commentaire

I - La justification des différences de traitement entre les femmes et les hommes

  • Rappel des principes

L'article L. 1142-1 du Code du travail pose le principe selon lequel, "sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut [...] prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment, en matière de [...] promotion professionnelle".

Une salariée, qui s'estime victime d'une discrimination dans le déroulement de sa carrière, peut saisir le juge prud'homal pour faire établir cette discrimination et obtenir réparation des préjudices qui en ont résulté. Elle devra, alors, présenter "des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte". Si ces éléments sont avérés et suffisamment pertinents pour créer une apparence de discrimination, l'employeur devra "prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination". C'est, alors, l'employeur qui sera le débiteur de la preuve et qui succombera, s'il ne parvient pas, soit à prouver que la différence de traitement constatée se justifie par le fait que les salariés dont on compare le traitement se trouvent placés dans une situation différente, soit qu'il a fondé sa décision sur un motif légitime étranger à la prise en considération du sexe des salariés, soit, encore, que les différences de traitement "répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée" (C. trav., art. L. 1133-1 N° Lexbase : L0682H97)

Ce sont ces principes, et les difficultés rencontrées par les employeurs pour tenter de justifier une différence de traitement avérée, qu'illustre ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 16 décembre 2008.

  • Illustration, en l'espèce, pour un refus suspect de promotion professionnelle

Dans cette affaire, une salariée avait été engagée comme sténographe. Elle avait, par la suite, exercé des fonctions de responsable d'unité, avec un statut cadre. Son employeur lui avait promis ce poste, qui avait finalement été attribué à un collègue. En dépit de ses recours, elle n'avait jamais obtenu l'emploi de responsable unité gestion qu'elle souhaitait et se plaignait de ce que sa rémunération ait toujours été inférieure aux salariés des autres services. Elle avait, alors, saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir, sur le fondement de l'article L. 122-45 du Code du travail (N° Lexbase : L3114HI8, C. trav., art. L. 1132-1, recod. N° Lexbase : L6053IAG), la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts pour discrimination. La cour d'appel ayant fait droit à ses demandes, l'employeur tentait d'obtenir la cassation de l'arrêt.

L'employeur contestait le fait que la salariée ait eu à souffrir d'un retard dans sa carrière, refusait de considérer qu'il se fut engagé à la promouvoir et justifiait la promotion d'un candidat de sexe masculin par un certain nombre d'éléments tenant à son expérience professionnelle, à son profil issu de la filière informatique, plus en phase avec le poste litigieux, à ses compétences, à son parcours professionnel et à l'état du marché du travail.

Conformément à une jurisprudence bien établie, désormais, de la Cour de cassation, ces éléments semblaient de nature à établir la différence de situation entre les salariés et, partant, à combattre les arguments de la salariée (1). Pourtant, la condamnation de l'employeur se trouve confirmée par le rejet du pourvoi.

Se fondant sur les "dispositions de l'article L. 123-1 du Code du travail, devenu L. 1142-1 du même code, interprété à la lumière des articles 2, paragraphe 3, et 5 paragraphe 1, de la Directive 76/207 CEE du Conseil du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle et les conditions de travail", la Cour de cassation affirme "qu'une salariée, pour laquelle une promotion a été envisagée par l'employeur, ne peut se voir refuser celle-ci en raison de la survenance d'un congé de maternité".

Par ailleurs, selon la Haute juridiction, "l'employeur ne fournissait aucun élément pour expliquer les raisons pour lesquelles la nomination de la salariée à un poste de responsable de division n'était pas intervenue à son retour de congé de maternité alors qu'elle avait exercé seule l'ensemble des fonctions correspondant à ce poste pendant dix-sept mois dans la continuité de sa candidature retenue en 1994", et "le salarié masculin nommé à ce poste venait d'un autre secteur et [...] à son départ à la retraite, un autre collègue masculin avait été préféré". Enfin, la Cour relève que, si l'employeur prétendait "que les autres salariés hommes, auxquels la salariée se comparait, sont issus de la filière informatique, recrutés à des niveaux de compétence et de salaire de leur spécialité en fonction de l'état du marché du travail", il n'en rapportait pas la preuve.

II - La justification des différences de traitement à l'épreuve de la double obligation de justification

  • L'importance des données factuelles

Ces éléments sont particulièrement intéressants dans la mesure où ils montrent que la solution retenue se justifie, non pas par des considérations générales, la Cour de cassation se référant à des principes dont elle ferait, ici, application, mais bien par les données propres de l'espèce et par le souci de répondre concrètement à des situations pratiques.

  • L'importance des intentions déclarées de l'employeur

En premier lieu, la Cour prend le soin de relever que l'employeur avait, dans un premier temps, envisagé de confier le poste à la salariée, avant de changer d'avis et de choisir un collègue de sexe masculin et ce, alors que la salariée revenait d'un congé de maternité. Cette circonstance particulière avait suffit à laisser supposer que la salariée avait été victime d'une discrimination dans la mesure où la première intention de confier le poste à la salariée se fondait sur une analyse de ses qualités professionnelles, qualités qui semblaient donc acquises, ce qui laissait supposer que le revirement de l'employeur devait vraisemblablement être imputable à d'autres considérations, singulièrement, au fait que la salariée avait eu le "mauvais goût" de partir en congé de maternité alors qu'elle revendiquait une promotion professionnelle.

Il ne faudrait pas déduire de cette solution qu'en l'absence de promesse de promotion, l'employeur pourra, à sa guise, promouvoir librement un candidat de sexe masculin sans être suspect de discrimination. On sait, en effet, que, dans le cas de figure où une salariée découvre la promotion de l'un de ses collègues alors qu'elle rentre de congé de maternité, la Cour de cassation est extrêmement méfiante à l'égard de l'employeur. Même si ce dernier justifie le choix d'un candidat masculin par le fait que la salariée, en congé, n'avait pu, par la force des choses, participer au processus de promotion organisé sur la base d'entretiens individuels d'évaluation et de motivation, cette justification, en apparence "neutre", sera écartée, dans la mesure où elle conduit à écarter, de fait, les candidates en congé de maternité, constituant, ainsi, une discrimination indirecte (2).

  • L'importance des éléments de fait étayant les allégations de l'employeur

En second lieu, l'employeur avait été condamné parce qu'il n'était pas parvenu à prouver la véracité de ses justifications. Il prétendait, en effet, que la promotion du candidat masculin répondait à des motivations professionnelles de nature à justifier son choix (expérience professionnelle, candidat issu de la filière informatique, qualités professionnelles, compétences, parcours professionnel, état du marché du travail), et que ces critères avaient été déterminants dans son choix. Or, comme l'avait relevé la cour d'appel, l'employeur n'avait versé au débat aucun élément étayant valablement ces allégations. Ce n'est donc pas parce que ces éléments ne seraient pas de nature à établir que les salariés dont on compare le traitement se trouvent dans une situation différente, car nous savons qu'ils le sont, mais bien parce que l'employeur n'avaient tout simplement pas prouvé, notamment, en produisant des justifications écrites extraites, par exemple, des dossiers professionnels des candidats masculins, qu'il a été condamné.

  • Le double visage de l'obligation de justification

Cet arrêt montre donc bien la double nature de l'obligation de justification qui pèse sur les employeurs. Non seulement cette obligation porte sur la pertinence des justifications avancées, mais elle s'accompagne d'une obligation probatoire exigeante, l'employeur devant être en mesure de produire, en cas de contentieux, des éléments matériels tangibles, vérifiables par le juge. Or, comme la salariée qui prouve l'existence de faits qui laissent supposer qu'elle a été victime d'une discrimination renverse la charge de la preuve et contraint l'employeur à se justifier, ce dernier, qui supporte le risque de la preuve de la justification des différences de traitement alléguées, perdra son procès dès lors qu'il ne parviendra pas à prouver les justifications alléguées. Les employeurs et les directions des ressources humaines sont donc avertis : ils doivent garder trace, dans les dossiers professionnels des salariés, de toutes les pièces qui permettront, en cas de litige, de justifier les décisions prises et d'établir que ce sont bien les qualités professionnelles des salariés, ou les besoins de l'entreprise, qui ont emporté la décision, et rien d'autre.


(1) Pour une analyse de ces justifications, nos obs., Non-discrimination et égalité salariale : mode d'emploi, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N2171BIA) et les références citées.
(2) En ce sens, Cass. soc., 28 octobre 2008, n° 07-41.856, Société Bouygues Télécom, F-D (N° Lexbase : A0686EBZ) : "la cour d'appel qui a constaté que [la salariée] avait subi un retard dans sa promotion au statut de cadre pour ne pas avoir eu la faculté de participer, comme les autres candidats en activité dans l'entreprise, aux entretiens institués à cet effet, en raison de son absence due à un congé de maternité, a pu décider, sans encourir les griefs du moyen, qu'elle avait été l'objet d'une mesure discriminatoire".


Décision

Cass. soc., 16 décembre 2008, n° 06-45.262, Association formation professionnelle des adultes (AFPA), FS-P+B+R (N° Lexbase : A8957EBD)

Rejet, CA Paris, 22ème ch., sect. B, 5 septembre 2006

Textes concernés : C. trav., art. L. 1142-1 (N° Lexbase : L0696H9N)

Mots clef : non-discrimination ; femmes ; homme ; présomption ; renversement.

Lien base :

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