La lettre juridique n°331 du 18 décembre 2008 : Sociétés

[Questions à...] Impact de la crise financière sur le private equity : le "sain(t)" retour aux fondamentaux - entretien avec Jean-Patrice Labautière, Avocat associé du cabinet Allen & Overy

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[Questions à...] Impact de la crise financière sur le private equity : le "sain(t)" retour aux fondamentaux - entretien avec Jean-Patrice Labautière, Avocat associé du cabinet Allen & Overy. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210734-questions-a-impact-de-la-crise-financiere-sur-le-i-private-equity-i-le-saint-retour-aux-fondamentaux
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques

le 07 Octobre 2010

Dès la fin de l'année 2007, face à la crise des subprimes et au marasme économique que celle-ci laissait déjà présager, les experts en fusion et acquisition d'entreprises s'interrogeaient sur le devenir de ce marché, et, plus particulièrement, sur sa composante la plus lucrative : les LBO (leverage buy out). Leurs inquiétudes, confirmées en partie depuis lors, se justifiaient, en ce que cette technique d'acquisition repose sur un financement constitué majoritairement sous forme d'emprunt. Or, les liquidités se raréfient et les banques redoutent que l'histoire se répète par des échéances de remboursement non honorées. Ces spécialistes n'étaient toutefois pas si pessimistes, puisqu'ils pronostiquaient, d'une part, que seuls les "jumbos LBO" (supérieurs à 500 millions d'euros) seraient significativement touchés par la crise, et, d'autre part, un retour aux fondamentaux qui assainirait certaines dérives intervenues dans l'euphorie de la réalisation de plus-values mirobolantes, "certains acteurs commen[çant] à imaginer un monde sans risque, où il suffisait de jouer pour gagner" (1). Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré l'un des spécialistes de cette matière, Jean-Patrice Labautière, Avocat associé du cabinet international Allen & Overy. Celui-ci a acquis une expertise juridique pointue en matière de fusions, cessions et acquisitions de sociétés cotées et non cotées -par voie de LBO, notamment-, depuis dix ans qu'il exerce au sein du département M&A du cabinet. Cet entretien a été l'occasion de faire un point sur l'état réel du marché, moins d'un an après les premières analyses et prédictions, et surtout, sur son impact quant à la négociation et la structure contractuelle des opérations. Selon lui, si on assiste, effectivement, à un retour des fondamentaux du private equity, le retour des corporates dans le capital des entreprises constitue une autre facette du standard des deals actuels, dont on ne sait pas encore pour combien de temps il s'imposera.

Lexbase : Quel premier bilan pouvez-vous dresser de l'impact général de la crise financière sur le marché des acquisitions et cessions d'entreprises ?

Jean-Patrice Labautière : La crise financière a, évidemment, impacté le marché des cessions et acquisitions d'entreprises, notamment celui des LBO, imposant un changement certain des standards pratiqués ces dernières années. Si les opérations de leverage ont explosé par leur nombre et leur rentabilité jusqu'en 2007, la crise des subprimes et ses conséquences sur l'économie mondiale rendent la recherche de liquidités ardue, tant auprès des banques, de plus en plus réticentes à consentir de la dette, que des fonds, qui, pour certains, sortent progressivement du marché. Pour rassurer les banquiers, le capital social est, désormais, intégralement libéré et les rachats d'entreprises sont financés en plus grande partie par des fonds propres et des quasi-fonds propres, afin de diminuer le ratio debt/equity. Ceci explique que les montages superposés aux LBO primaires (2) et les "jumbos LBO" -qui impliquent une dette plus importante- soient touchés de plein fouet, à la différence des opérations mid cap et small cap (3). Ces segments restent attractifs, d'autant que les opportunités sont nombreuses pour les acteurs qui disposent de ressources financières propres. Sur ce point, face à la frilosité des banquiers et des fonds, les industriels forts d'une structure financière solide, en retrait depuis ces dernières années, reviennent massivement dans le capital des entreprises. Ils apportent, avec eux, leur projet, planifié sur du long terme.

De façon plus générale, les deals récemment conclus ou en cours de conclusion présentent le "même visage" rassurant pour les différents intervenants des acquisitions d'entreprises, inquiets du contexte actuel. Il s'agit, d'ailleurs, moins d'un nouveau schéma que du retour de celui d'origine, avant que l'aspiration des uns et des autres à créer une valeur "record" en un minimum de temps ne réduise les négociations à leur plus simple expression, n'enterre, notamment, les due diligences et les garanties de passif, et requiert l'utilisation de produits financiers structurés de plus en plus complexes. L'heure est, désormais, à la sécurité, même si le rendement pour les acteurs financiers est forcément plus faible. Les banques sécurisent, à présent, autant que faire se peut, leurs investissements, refusant de prêter sans l'accomplissement d'un audit approfondi des cibles, même dans le cadre d'un LBO secondaire, alors qu'en principe, elles connaissent bien les sociétés en cause. En conséquence de leur vigilance, le rythme de conclusion des transactions s'amenuise. Les garanties de passif accompagnent à nouveau la cession de l'entreprise -ce qui n'est pas anormal, comme tout le monde en convient-. La notion de "retour sur investissement" prédomine plus que jamais, tant sur le "coté" que sur le "non coté", alors même que l'equity (4), dont la part augmente, est très onéreux.

Lexbase : Par le jeu de quelles clauses contractuelles les acteurs des acquisitions d'entreprises tentent-ils d'optimiser la protection de leurs investissements ?

Jean-Patrice Labautière : Tout d'abord, il arrivera beaucoup plus rarement que le prix soit payé en cash en intégralité au jour du closing. Sa structure sera plus complexe et s'étalera dans le temps, par le jeu de clauses telles que celles d'earn out, de ratchet ou de complément de prix, dont la négociation et la rédaction se révèlent très complexes.

L'earn out est une clause d'ajustement du prix de cession d'une société en fonction des résultats futurs de celle-ci, selon qu'ils atteignent ou non les objectifs préalablement fixés par le cédant et le cessionnaire. Dans un tel schéma, le prix est payable en partie le jour de la cession, le complément intervenant ultérieurement -en une seule ou plusieurs fois, si la valorisation espérée est atteinte. Une telle clause permet donc d'intéresser le cédant aux performances futures de la société cédée. Elle constitue, notamment, une garantie pour le cessionnaire de ne pas acquérir une société surévaluée, ceci d'autant plus, qu'elle ne fait quasiment plus l'objet de débats juridiques sur le risque de requalification en condition potestative ou en clause léonine et que l'on sait, désormais, traiter celui de l'indétermination du prix.

[NDLR : La question de la requalification de l'earn out en condition potestative (sanctionnée par la nullité de la clause) a, en effet, été posée, puisque la réalisation des objectifs dépend du cessionnaire, aux commandes (en tant qu'actionnaire et, parfois également, en tant que manager) de la société cédée. Elle a, toutefois, été tranchée par la négative dans un premier arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 juin 1982 (5), rendu dans un contexte un peu différent mais transposable à ce cas de figure, puis, de façon plus explicite, dans un arrêt de cette même chambre du 10 mars 1998 (6). Les juges ont retenu qu'une telle condition n'est pas "purement potestative" (seule une telle condition étant sanctionnée), en ce qu'elle ne dépend pas entièrement de l'acquéreur, mais, également, de contraintes extérieures échappant à son contrôle. Le débat sur le caractère léonin n'est, en revanche, pas totalement clos entre la première chambre civile (7) et la Chambre commerciale de la Cour de cassation (8), la première n'étant pas favorable, sur ce terrain, aux clauses d'earn out. La question se pose dans le cadre du fractionnement dans le temps de la cession des actions, entraînant un fractionnement du prix, lorsqu'un prix plancher est fixé au bénéfice du cédant, encore actionnaire de la société. En effet, un actionnaire ne pouvant s'exonérer des pertes, certains se demandent dans quelle mesure cette obligation est respectée, lorsque le cédant, quels que soient les résultats de la société, a l'assurance de toucher un montant minimum, lorsqu'il cédera les actions restantes.]

En outre, certains mécanismes qui étaient devenus désuets se retrouvent à nouveau dans les transactions. Il en va ainsi des clauses dites de "Market MAC" ("material adverse change clauses"), dont l'objet est de régir les risques susceptibles de survenir entre le signing (signature du deal) et le closing (réalisation de l'opération). Par cette clause, l'acquéreur se réserve le droit de baisser le prix ou de sortir du deal en cas de survenance d'un événement négatif majeur impactant les marchés financiers et/ou provoquant une crise de liquidités. Les acquéreurs ont, en outre, beaucoup plus souvent recours aux clauses dites de "business MAC", qui n'ont, elles, jamais disparues. Ces clauses imposent le maintien d'une gestion normale par les dirigeants pendant la période intercalaire. Enfin, alors qu'auparavant, le défaut d'accomplissement des CP's (conditions suspensives préalables auxquelles la réalisation de l'opération est subordonnée) n'était que très rarement susceptible de "casser" un deal, il est fort à parier qu'il remette aujourd'hui en cause, de façon beaucoup systématique, les transactions.

Lexbase : Certains scandales financiers survenus parallèlement à la crise des marchés ont mené à une grande réflexion sur la dépénalisation du droit des affaires (9), dont la pertinence est mise à mal aujourd'hui. Pensez-vous que la protection des investisseurs réside en partie dans l'existence de sanctions pénales ?

Jean-Partrice Labautière : Il me semble que la situation actuelle est sans rapport avec la question de la dépénalisation ou non du droit des affaires, dans le sens où l'élaboration de produits financiers difficilement accessibles ne fait pas du trader un délinquant. Ce faisant, celui-ci ne fait qu'exercer son métier, la spéculation, qui se traduit par une prise de risques moyennant rémunération. Il s'agit, donc, à mes yeux, beaucoup plus d'une problématique de macro-économie et d'organisation du système bancaire et monétaire, dont la réglementation nécessite très certainement d'être renforcée.


(1) Cf. Nouvelle donne ou retour aux fondamentaux pour le "private equity", J. Boschat, vice président d'A. T. Kearney, et J. Souied, directeur chez A. T. Kearney, La Tribune, 6 novembre 2008.
(2) Le LBO secondaire est réalisé à la suite d'une première opération de LBO, dite primaire, au cours de laquelle un investisseur financier a acquis sa participation. Il la cède, dans le cadre du LBO secondaire, à un autre financier qui met, alors, en place, son propre montage LBO. Il existe, également, les LBO tertiaires ou quartenaires.
(3) Le mid cap et le small cap visent les sociétés dont la capitalisation boursière (c'est-à-dire la valeur de marché de ses capitaux propres, résultant de la multiplication du nombre d'actions composant le capital de la société par le cours de bourse) se situe entre 250 millions d'euros et 1 milliard d'euros pour le premier et est inférieure à 250 millions euros pour le deuxième.
(4) L'equity étant le capital social.
(5) Cass. com., 15 juin 1982, n° 79-13.367, Lemesre c/ Société Louis Lemesre Meubles Pilote, Pitoun, Brunschwig (N° Lexbase : A3516AGC).
(6) Cass. com., 10 mars 1998, n° 96-10.168, Epoux Lenzer et autres c/ M. Mayer et autres (N° Lexbase : A2599ACA) : "mais attendu que l'acte faisait référence, pour la fixation du prix des actions restant à acquérir, à la valeur réelle de l'entreprise et à l'évolution des résultats et que ces éléments sont indépendants de la seule volonté des parties".
(7) Cass. civ. 1, 16 décembre 1992, n° 90-12.914, SCP So Pro Ge Pa I, société civile professionnelle et autres c/ M. Jacques Levêque-Houist (N° Lexbase : A2091AGK).
(8) Cass. com., 19 octobre 1999, n° 97-12.705, M. de Fontagalland c/ Consorts Hale et autre (N° Lexbase : A8109AGG).
(9) Cf. le rapport remis au Garde des Sceaux le 20 février 2008, sur la dépénalisation du droit des affaires, dit rapport "Coulon".

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