La lettre juridique n°266 du 28 juin 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Clause limitative de responsabilité et obligation essentielle : la Chambre commerciale enfonce le clou !

Réf. : Cass. com., 5 juin 2007, n° 06-14.832, Société Thales communications, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A5608DWM)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Alors que l'on enseigne, traditionnellement, que, au nom de la liberté contractuelle, le principe est celui de la validité des clauses exclusives et, a fortiori, simplement limitatives de responsabilité (1), le principe n'étant assorti que de quelques tempéraments, l'examen du droit positif conduit à se demander, depuis quelques années, et plus encore depuis quelques mois, s'il ne faut pas plutôt aujourd'hui considérer que le principe est celui de l'inefficacité de ces clauses, les exceptions portées à leur efficacité devenant, en effet, de plus en plus importantes. Pour preuve, une fois encore, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 5 juin dernier, à paraître au Bulletin, en ligne sur le site de la Cour et annoncé comme devant figurer dans son prochain Rapport annuel, confirmant, pour une large part, l'orientation la plus récente de la jurisprudence et, notamment, en dernier lieu, la solution posée par un important arrêt de la même Chambre commerciale du 13 février dernier signalé ici même dans le cadre de cette chronique (2). Les faits à l'origine de l'arrêt du 5 juin dernier étaient assez classiques : une société avait, en effet, confié à une autre, commissionnaire de transport, le soin d'acheminer des colis vers deux de ses sites où, finalement, ils n'étaient jamais arrivés. Ayant naturellement recherché la responsabilité du transporteur, l'expéditeur contestait l'application de la clause de limitation d'indemnisation stipulée au contrat, réclamant au transporteur défaillant le paiement d'une indemnité égale au prix des marchandises. Mais, pour débouter le créancier de sa demande, les premiers juges avaient fait valoir qu'aucune faute lourde susceptible de paralyser le jeu de la clause litigieuse ne pouvait être imputée au débiteur, étant, d'une part, rappelé que la faute lourde s'entend d'une négligence d'une extrême gravité confinant au dol et dénotant l'inaptitude du transporteur, maître de son action, à l'accomplissement de sa mission contractuelle et, d'autre part, précisé que la perte de la marchandise n'est pas considérée comme une faute lourde, spécialement lorsque aucune des parties n'est en mesure de déterminer les conditions de la perte.

Il faut bien comprendre que, sur le terrain de la faute lourde, la solution des juges du fond était sans doute justifiée, et ce pour deux séries de raisons : d'abord, en effet, les arrêts les plus récents de la Cour de cassation attestent de la volonté de la Haute juridiction de retenir une approche subjective de la faute lourde (3), rejetant ainsi une approche plus objective consistant à déduire la faute lourde non pas de la gravité du comportement du débiteur, mais de l'importance de l'obligation inexécutée, en l'occurrence essentielle ou fondamentale (4) ; ensuite, on se souvient, sans doute, que deux arrêts du 22 avril 2005 rendus en Chambre mixte (5) avaient décidé que l'existence d'une faute lourde imputable au transporteur, en l'occurrence la société Chronopost, ne pouvait résulter du seul retard de livraison dans un cas ou du fait que le transporteur ne pouvait fournir d'éclaircissements sur la cause du retard dans l'autre. Il reste qu'une autre voie était envisageable pour priver d'efficacité la clause limitative de responsabilité stipulée au contrat, celle du manquement à une obligation essentielle, et c'est bien précisément le fait de ne pas avoir examiné cette possibilité que la Cour de cassation, dans l'arrêt du 5 juin dernier, reproche aux juges du fond : sous le visa des articles 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) du Code civil, elle énonce "qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'impossibilité de localiser les marchandises remises à la société [de transport] pendant leur acheminement ne constituait pas un manquement de celle-ci à une obligation essentielle permettant de réputer non écrite la clause limitative d'indemnisation, contenue non dans un contrat-type, s'agissant d'un commissionnaire de transport, mais dans la convention liant les parties, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

Comme dans l'arrêt de la Chambre commerciale du 13 février dernier, la Cour censure donc les juges du fond pour ne pas avoir recherché si un manquement à une obligation essentielle ne pouvait pas être imputé au débiteur, manquement qui conduirait alors à priver d'efficacité la clause litigieuse, étant entendu que, dans cette logique, c'est le manquement à l'obligation essentielle qui, en tant que tel, suffit à neutraliser la clause, sans qu'il soit besoin pour cela de faire un détour par la faute lourde. Au reste, la même Chambre commerciale a nettement affirmé que la faute lourde "ne saurait résulter du manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur" (6). L'arrêt du 5 juin 2007 conforte encore cette position : dans l'hypothèse où aucune réglementation spéciale ne trouverait à s'appliquer (7), l'inexécution par le débiteur d'une obligation essentielle doit conduire à écarter le jeu d'une clause limitative -ou exclusive- de responsabilité, et ce sur le fondement de l'article 1131 du Code civil (8). La solution mérite selon nous, après d'autres (9), d'être approuvée : il est, en effet, des cas dans lesquels une clause du contrat, en l'occurrence une clause limitative ou exclusive de responsabilité, rend illusoire ou dérisoire la contrepartie convenue, si bien qu'il est légitime, en se fondant sur la cause, de réputer la clause litigieuse non écrite afin de rétablir l'existence de ladite contrepartie.


(1) P. Durand, Des conventions d'irresponsabilité, Paris, 1931 ; P. Robino, Les conventions d'irresponsabilité dans la jurisprudence contemporaine, RTDCiv. 1951, p. 1 ; B. Starck, Observations sur le régime juridique des clauses de non-responsabilité ou limitative de responsabilité, D. 1974, Chron., p. 157 ; Ph. Delebecque, Les clauses allégeant les obligations dans les contrats, thèse Aix, 1981 ; Ph. Delebecque et D. Mazeaud, Les clauses de responsabilité : clauses de non-responsabilité, clauses limitatives de réparation, clauses pénales, in Les sanctions de l'inexécution des obligations contractuelles, Etudes de droit comparé, LGDJ, 2001.
(2) Cass. com., 13 février 2007, n° 05-17.407, Société Faurecia sièges d'automobiles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1894DUP), et nos obs., Obligation essentielle et clause limitative de responsabilité, Lexbase Hebdo n° 250 du 1er mars 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0986BAR).
(3) Cass. com., 26 février 1985, n° 83-10.811, Société Anonyme Soditrans c/ Société Anonyme Groupe des Assurances Nationales GAN Incendie Accidents et autres (N° Lexbase : A2391AAS), RTDCiv. 1986, p. 773, obs. J. Huet ; Cass. com., 5 janvier 1988, n° 86-14.735, Assurances générales de France et autres (N° Lexbase : A0022AA3), Bull. civ. IV, n° 8 ; Cass. com., 3 avril 1990, n° 88-14.871, Ateliers et chantiers de la Manche (ACM) et autres c/ Société Océanique de pêche et d'armement (SOPAR) et autres (N° Lexbase : A3713AHY), Bull. civ. IV, n° 108 ; Cass. com., 17 novembre 1992, n° 91-12.223, Société Allemand et Cie c/ Compagnie Le Continent (N° Lexbase : A4821AB8), Bull. civ. IV, n° 366.
(4) Cass. civ. 1, 18 janvier 1984, n° 82-15.103, Centre départemental du Loto (N° Lexbase : A0333AAL), Bull. civ. I, n° 27, JCP éd. G, 1985, II, 20372, note J. Mouly, RTDCiv. 1984, p. 727, obs. J. Huet ; Cass. com., 9 mai 1990, n° 88-17.687, Société Office d'annonces c/ M. Leroux (N° Lexbase : A3982AHX), Bull. civ. IV, n° 142, RTDCiv. 1990, p. 666, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 30 novembre 2004, n° 01-13.110, Société France Télécom c/ M. Bernard Brousse, F-P+B (N° Lexbase : A1143DE3), Bull. civ. I, n° 295 ; comp. Cass. civ. 1, 2 décembre 1997, n° 95-21.907, Union des Assurances de Paris (UAP) et autre c/ Monsieur Baudin (N° Lexbase : A0795ACG), Bull. civ. I, n° 349, D. 1998, Somm. p. 200, obs. D. Mazeaud, pour le cas du non-respect d'une clause constituant une "condition substantielle" du contrat, bien que l'obligation transgressée n'ait pas été essentielle.
(5) Cass. mixte, 22 avril 2005, deux arrêts, n° 02-18.326, Chronopost SA c/ KA France SARL (N° Lexbase : A0025DIR) et n° 03-14.112, SCPA Dubosc et Landowski c/ Chronopost SA (N° Lexbase : A0026DIS), Bull. civ. IV, D. 2005, p. 1864, note J.-P. Tosi, JCP éd. G, 2005, II, 10066, note G. Loiseau, RDC 2005, p. 673, obs. D. Mazeaud, ibid., p. 753, obs. Ph. Delebecque, RTDCiv. 2005, p. 604, obs. P. Jourdain.
(6) Cass. com., 21 février 2006, n° 04-20.139, Société Chronopost, venant aux droits de la société SFMI c/ Société Etablissements Banchereau, F-P+B (N° Lexbase : A1807DNA) et nos obs., La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le recul de l'objectivation de la faute lourde, Lexbase Hebdo n° 206 du 16 mars 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N5618AKB), et Cass. com., 13 juin 2006, n° 05-12.619, Société Chronopost, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9281DPG).
(7) Dans l'hypothèse d'on contrat-type soumis à une réglementation spéciale (contrat-type messagerie par exemple), voir not. Cass. com., 9 juillet 2002, n° 99-12.554, Société Chronopost c/ Société Banchereau, FP-P (N° Lexbase : A0766AZE), Bull. civ. IV, n° 121, D. 2002, Somm. p. 2836, obs. Ph. Delebecque, D. 2003, Somm. p. 457, obs. D. Mazeaud.
(8) Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632, Société Banchereau c/ Société Chronopost (N° Lexbase : A2343ABE), Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, p. 77 et s., et les références citées ; Cass. com., 17 juillet 2001, n° 98-15.678, Société Securinfor c/ Société AC Timer (N° Lexbase : A2026AUL), JCP éd. G, 2002, I, 148, n° 17, obs. G. Loiseau ; Cass. com., 13 février 2007, préc..
(9) Voir not., en dernier lieu, J. Ghestin, Cause de l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 265 et s..

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