Réf. : Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.444, M. Yannick Mandin, FS-P+B (N° Lexbase : A5667DWS)
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé Dès lors que le procès-verbal de carence établi par l'employeur n'a pas été contesté dans le délai de quinze jours à compter de la date à laquelle les parties intéressées en ont eu connaissance, les salariés ne peuvent prétendre au paiement d'une indemnité pour licenciement économique irrégulier en application de l'article L. 321-2-1 du Code du travail. |
1. De l'intérêt pour l'employeur de dresser un procès-verbal de carence
Lorsque les conditions posées par la loi sont réunies, l'employeur est tenu d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise. Il est évident que le respect de cette obligation n'a pas nécessairement pour effet d'entraîner la mise en place de représentants du personnel. A défaut, par exemple, de candidats, l'entreprise, ou plus exactement la collectivité du personnel, peut parfaitement rester sans représentant.
Ainsi que l'énonce le Code du travail, lorsque l'institution du personnel n'a pas été mise en place ou renouvelée (par absence de candidature ou de quorum au premier tour et absence de candidature au second tour), un procès-verbal de carence est établi par le chef d'entreprise. Celui-ci l'affiche dans l'entreprise et le transmet dans les quinze jours à l'inspecteur du travail, qui en envoie copie aux organisations syndicales de salariés du département concerné (C. trav., art. L. 423-18 N° Lexbase : L7795HBC et L. 433-13 N° Lexbase : L7722HBM). Si la rédaction de ce procès-verbal de carence n'est pas sanctionnée en tant que telle (si ce n'est par le biais du délit d'entrave), ce document n'en revêt pas moins une importance considérable dans la mesure où il constitue au fond, pour l'employeur, la justification de l'exécution de son obligation de mise en place des institutions représentatives du personnel.
La jurisprudence a su en tirer toutes les conséquences dans un important arrêt du 7 décembre 1999. Etait en cause, en l'espèce, l'article L. 122-32-5 du Code du travail (N° Lexbase : L5523ACK) prescrivant à l'employeur de consulter les délégués du personnel avant de s'acquitter de son obligation de reclassement à l'égard d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. On aurait pu penser que l'employeur était dispensé de cette obligation lorsque l'entreprise est dépourvue de délégués du personnel. Une telle interprétation était pour le moins simpliste et a été contredite par la Cour de cassation affirmant, dans l'arrêt en cause, que "l'employeur ne saurait s'y soustraire au motif de l'absence de délégués du personnel dans l'entreprise dès lors que leur mise en place était obligatoire et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi" (Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.106, Société d'exploitation Le Floch c/ M. Cabon, publié N° Lexbase : A4787AGE ; Dr. soc. 2000, p. 226, obs. J. Savatier ; pour une confirmation, v. Cass. soc., 2 avril 2003, n° 01-41.782, M. Ahmed Kourimate c/ Association aide aux travailleurs migrants, inédit N° Lexbase : A6619A7B).
Cette solution doit être pleinement approuvée dans la mesure où elle incite les employeurs à s'acquitter de leur obligation au regard de la mise en place des représentants du personnel. L'absence de procès-verbal de carence fait, au fond, présumer que l'employeur n'a pas respecté cette obligation. On peut d'ailleurs se demander si cette "présomption" peut être renversée par la preuve contraire. Sans pouvoir faire preuve de certitude ici, il serait cependant excessif d'interdire à un employeur ayant bel et bien organisé les élections professionnelles d'en rapporter la preuve autrement qu'au moyen du procès-verbal de carence.
Introduit dans le Code du travail par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), l'article L. 321-2-1 dispose que "dans les entreprises employant au moins cinquante salariés où le comité d'entreprise n'a pas été mis en place alors qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi et dans les entreprises employant au moins onze salariés où aucun délégué du personnel n'a été mis en place alors qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi, tout licenciement pour motif économique s'effectuant sans que, de ce fait, les obligations d'information, de réunion et de consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel soient respectées est irrégulier. Le salarié ainsi licencié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis qui lui sont par ailleurs dues".
Cette disposition, dont on ne saurait dire avec certitude qu'elle a été inspirée par la décision susmentionnée du 7 décembre 1999 (v., en ce sens, M. Cohen, Les nouvelles attributions des comités d'entreprise depuis la loi de modernisation sociale, Dr. soc. 2002, p. 298), participe du même objectif : inciter les employeurs à la mise en place des institutions représentatives du personnel lorsqu'elle est obligatoire, en tirant une conséquence rigoureuse de l'absence de procès-verbal de carence. Il va de soi que l'article L. 321-2-1, qui en constitue par là même une garantie de mise en oeuvre, est à mettre en relation avec les multiples textes du Code du travail exigeant l'information et la consultation des représentants du personnel lors d'un licenciement pour motif économique.
Pour en venir au cas d'espèce qui nous intéresse et pour aller à l'essentiel, 19 salariés licenciés pour motif économique avaient réclamé en justice le paiement d'une indemnité pour licenciement économique irrégulier en application, précisément, de l'article L. 321-2-1. Les juges du fond leur avaient donné satisfaction en considérant que l'entreprise ne comportait pas de représentant du personnel et que le procès-verbal de carence, qui avait été dressé par l'employeur antérieurement aux licenciements, était contesté par les salariés soutenant que toutes les organisations syndicales représentatives n'avaient pas été invitées à négocier le protocole et, qu'en outre, il n'était pas établi que ce procès-verbal de carence avait été communiqué à l'inspecteur du travail.
2. La contestation du procès-verbal de carence
En matière de contentieux électoral, on sait que la loi invite à distinguer les contestations visant l'électorat et celles relatives à la régularité des opérations électorales. Les premières concernent l'inscription des salariés sur la liste électorale, tandis que les secondes recouvrent tous les litiges pouvant surgir au cours du déroulement du processus électoral. Ainsi que l'exigent les articles R. 423-3 (N° Lexbase : L0331ADM) et R. 433-4 (N° Lexbase : L0354ADH) du Code du travail, les contestations relatives à l'électorat doivent être introduites dans les trois jours suivant la publication de la liste électorale, tandis que les contestations sur la régularité des élections doivent être introduites dans les quinze jours suivant cette élection.
La remise en cause du procès-verbal de carence relevant des contestations relatives à la régularité des opérations électorales, il convenait encore de déterminer quel était le point de départ du délai de quinze jours, en l'absence de toute élection. Faisant preuve de pragmatisme, la Cour de cassation a considéré que "le procès-verbal de carence peut être contesté dans le délai de quinze jours à compter de celui où la partie intéressée en a eu connaissance" (Cass. soc., 17 mars 2004, n° 02-60.699, Société Norsud éditions c/ Union locale des syndicats CGT d'Amiens ville, publié N° Lexbase : A6077DBP).
Si elle reprend cette solution dans l'arrêt rapporté, la Chambre sociale relève surtout que le procès-verbal de carence n'avait fait l'objet d'aucune contestation dans le délai considéré. Elle censure, par suite, la décision des juges d'appel qui, nous l'avons vu, avaient octroyé aux salariés licenciés une indemnité sur le fondement de l'article L. 321-2-1 du Code du travail. Ce faisant, la Cour de cassation considère que cette dernière disposition avait, en l'espèce, été respectée. Il est difficile de ne pas se ranger à cet avis. Conformément aux prescriptions légales, l'employeur avait effectivement procédé à l'établissement d'un procès-verbal de carence qui n'avait pas été contesté dans les temps et était, de ce fait et en quelque sorte, purgé de tout vice.
Cela étant, il faut aussi comprendre que dès lors que le procès-verbal de carence est contesté dans les délais prescrits et que cette contestation aboutit, la violation de l'article L. 321-2-1 est constituée et les salariés licenciés pour motif économique peuvent prétendre à l'indemnité prévue. Une telle issue constitue certainement une nouvelle incitation pour les employeurs à mettre en oeuvre scrupuleusement leur obligation d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise.
Décision
Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.444, M. Yannick Mandin, FS-P+B (N° Lexbase : A5667DWS) Cassation partielle sans renvoi (CA Versailles, 15ème chambre, 16 février 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 321-2-1 (N° Lexbase : L0548AZC) ; C. trav., art. R. 423-3 (N° Lexbase : L0331ADM) ; C. trav., art. R. 433-4 (N° Lexbase : L0354ADH). Mots-clefs : représentants du personnel ; élection ; consultation ; procès-verbal de carence ; licenciement économique ; irrégularité. Lien bases : |
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