Réf. : Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-16.886, M. Vincent Mehaute, F-P+B (N° Lexbase : A0358DW8)
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le 07 Octobre 2010
La question de la garde alternée a, durant une vingtaine d'années, suscité de nombreuses polémiques doctrinales et jurisprudentielles. En effet, pour ses partisans, ce mode d'hébergement permettrait à l'enfant de conserver des liens équilibrés et une relation égalitaire avec chacun de ses deux parents (1). En revanche, pour ses adversaires, la résidence alternée serait une formule déstructurante pour l'enfant qui, ballotté d'un parent à l'autre, devient une "chose" (2) que l'on se partage. Ainsi, par deux arrêts du 21 mars 1983 (3) et du 2 mai 1984 (4), la Cour de cassation retint cette analyse en condamnant fermement la garde alternée, confirmée en cela par les lois du 2 juillet 1987 et du 8 janvier 1993 qui inscrivirent dans le Code civil l'exigence d'une "résidence habituelle".
Toutefois, les revendications de certains parents, notamment des associations de pères, ainsi que certaines circonstances (proximité des domiciles des parents, moyens financiers suffisants, etc.) justifièrent l'admission progressive par les juges du fond de diverses formules de garde alternée (5) que la loi du 4 mars 2002 a finalement entérinées et même encouragées.
Aujourd'hui, en effet, le législateur donne sa préférence à la résidence alternée en la mentionnant formellement comme la première des modalités possibles de résidence de l'enfant et en donnant au juge le pouvoir de l'imposer, à titre provisoire, en cas de désaccord des parents. L'article 373-2-9, alinéa 2, du Code civil dispose : "à la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux".
Prescrit dans les cas où l'attitude des parents n'est pas conflictuelle (6), leurs domiciles sont relativement proches et leurs capacités financières suffisantes pour assumer le coût lié au besoin d'espace et à l'acquisition d'effets nécessaires à la vie quotidienne de l'enfant, ce mode d'hébergement favorise incontestablement l'exercice équilibré de la coparentalité. La difficulté est, toutefois, de savoir jusqu'où il est possible d'aller dans l'usage de ce mode de vie, notamment lorsque les modalités de la résidence alternée sont vécues de manière contraignante. L'arrêt signalé en est l'illustration : eu égard à la situation professionnelle du père dont l'emploi le contraint à des rotations de cinq semaines de travail à l'étranger suivies de cinq semaines de repos en France, le juge aux affaires familiales avait ordonné, au titre des mesures provisoires, une durée de séjour des enfants de cinq semaines consécutives chez chacun des parents. Compte tenu du jeune âge des enfants et des troubles réactionnels de ceux-ci attestés par un certificat établi par une psychologue, cette période fût jugée trop longue par les juges du fond et remplacée par une résidence alternée d'une période d'une semaine sur deux chez chacun des parents. Ce que conteste le père dans la mesure où, en raison de ses contraintes professionnelles, le temps de présence de ses enfants chez leur mère est plus important.
Consciente du fait que "la résidence alternée est fondée sur le droit de l'enfant d'entretenir des liens avec chacun de ses parents et non pas le droit des parents de partager l'enfant" (7), la Cour de cassation estime que l'intérêt des enfants auxquels il convient de procurer des repères ne permet pas une alternance de cinq semaines ou plus. L'article 373-2-9 du Code civil n'impose pas, de surcroît, que le temps de présence de chacun des parents auprès des enfants soit de même durée. Coparentalité ne rime donc pas nécessairement avec parité.
Notons, enfin, que la résidence alternée est à nouveau l'objet d'un débat au Sénat qui a organisé, le 23 mai 2007, autour de la commission des Lois et de la commission des Affaires sociales, des auditions publiques d'experts, de juristes, psychologues, sociologues et de représentants d'associations de familles. Un tour de table nécessaire pour réfléchir, cinq ans après sa reconnaissance effective, sur sa mise en pratique, qui aujourd'hui reste somme toute très modeste puisque seules 10 % des procédures donnent lieu à une demande d'alternance (8).
Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'université de Reims Champagne-Ardenne
(1) H. Fulchiron, note sous CA Lyon, 5 octobre 1993, JCP éd. G, 1994, II, 22231 ; J.-C. Kross, De "l'homme orchestre" au "virtuose" ou les impressions subjectives de lecture de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, Gaz. Pal. 1993, 2, p. 1158.
(2) L'idée de partage de l'hébergement accentuerait "la 'chosalité' de l'enfant" : J. Hauser, RTD. civ. 1993, p. 574 et 818.
(3) Cass. civ. 2, 21 mars 1983, M. A. c/ Mme F. (N° Lexbase : A4284C88), JCP. G, 1985, II, 20163, note F. Dekeuwer-Défossez.
(4) Cass. civ. 2, 2 mai 1984, n° 83-11.071, Madame M. c/ Monsieur M. (N° Lexbase : A0757AAB), RTD. civ. 1984, p. 691, obs. J. Rubellin-Devichi.
(5) Certaines juridictions avaient ainsi admis un hébergement alterné. La cour d'appel de Paris, le 10 février 1999 (JCP éd. G, 1999, II, 10170, note T. Garé), concluait que "rien ne permet d'affirmer que l'hébergement partagé soit par principe néfaste à l'intérêt de l'enfant. [...] Il convient donc d'encourager ce type d'organisation de l'hébergement de l'enfant, condition d'une coparentalité réelle et élément fondamental pour lutter contre la précarisation de l'une ou l'autre des fonctions parentales". D'autres juridictions, plus prudentes, avaient admis la résidence en alternance, en attribuant à celui qui n'avait pas la résidence habituelle, un droit de visite et d'hébergement très large, équivalant finalement à un partage de l'hébergement : CA Paris, 24ème ch., sect. C, 25 février 1999, n° 1997/06727, Madame Marie-Chantal D. c/ Monsieur Gilles P. (N° Lexbase : A4739DWG).V. notamment sur cette jurisprudence : P. Hilt, La résidence alternée, AJF 2001, p. 44 ; A. Gabriel et C. Strugala, La résidence alternée, Gaz. Pal., 3 septembre 2005, p. 4.
(6) Si une bonne entente des parents est généralement perçue comme une condition de bon fonctionnement de la résidence alternée, un conflit parental n'exclut pas nécessairement sa mise en place. Le juge peut, en effet, comme le lui permet l'article 373-2-9 du Code civil, imposer cette dernière aux parents en désaccord, pendant une période déterminée.
(7) A. Gouttenoire, La résidence alternée en questions, Dr. fam. 2005, Alerte n° 23.
(8) Rép. min. n° 107379, JOAN Q, 9 janvier 2007, p. 359 (N° Lexbase : L6333HXT) : Le Garde des Sceaux, interrogé par un parlementaire à propos des statistiques liées à la résidence alternée a répondu que "seules les données sur l'année 2005 sont disponibles sur ce sujet. En 2005, la proportion des enfants faisant l'objet d'une résidence en alternance se situe autour de 10,8 %. La résidence est fixée chez la mère dans 78,3 % des cas, chez le père dans 10,3 % et chez un tiers dans 0,6 %".
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