La lettre juridique n°249 du 22 février 2007 : Entreprises en difficulté

[Chronique] La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre

Lecture: 20 min

N0608BAR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3208937-chronique-la-chronique-mensuelle-de-pierremichel-le-corre
Copier

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouvent, au premier plan de cette actualité, la question de l'application dans le temps de la loi de sauvegarde en matière d'extensions sanctions, ainsi que le régime de la réclamation à l'état des créances et, enfin, l'obligation qui pèse sur le créancier, auquel la forclusion est inopposable, d'avoir à déclarer sa créance pour pouvoir agir contre la caution.
  • De nouveau la suppression des extensions sanctions et l'application de la loi de sauvegarde dans le temps (Cass. com., 30 janvier 2007, n° 05-17.125, F-D N° Lexbase : A7809DTE)

Il était à peu près évident que les premières grandes difficultés d'application de la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845, 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) se situeraient sur le terrain des dispositions transitoires. Une jurisprudence déjà importante s'est formée sur la question des sanctions, car ce pan de la loi de sauvegarde des entreprises comporte des règles particulières au regard de l'application de la loi dans le temps, dans lesquelles n'ont pas hésité à s'engouffrer les plaideurs, pour éviter, par un véritable effet d'aubaine dont la constitutionnalité peut être discutée pour les sanctions patrimoniales tout au moins (V. notre article, Les dispositions transitoires de la loi de sauvegarde, la suppression des extensions sanctions et l'application de l'obligation aux dettes sociales, D. 2006, p. 2737), telle ou telle sanction recherchée contre eux.

Au rang de ces dispositions, figurent celles qui régissent la question de la disparition des extensions sanctions. La législation du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98, relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises N° Lexbase : L7852AGW) en contenait spécialement deux : le redressement et la liquidation judiciaires à titre personnel, soit pour inexécution de la condamnation à combler le passif, soit pour les faits visés à l'article L. 624-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7044AIQ). L'article 191 de la loi du 26 juillet 2005 commence par poser un principe de survie de la loi ancienne pour les procédures engagées avant le 1er janvier 2006 en disposant que, "lors de son entrée en vigueur, la présente loi n'est pas applicable aux procédures en cours". Il faut évidemment entendre par "procédure" celle engagée contre la personne morale qui va permettre le jeu de la sanction contre son dirigeant. Ce même article 191 poursuit en indiquant que, toutefois, s'appliqueront aux procédures en cours "5° Les chapitres Ier et II du titre V, à l'exception de l'article L. 651-2 (N° Lexbase : L3792HB3)". Cela signifie, notamment, qu'il sera possible d'appliquer aux procédures en cours au 1er janvier 2006, la sanction de l'obligation aux dettes sociales prévues par l'article L. 652-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3796HB9). L'article 192 de cette loi, pour sa part, indique que "les procédures ouvertes en vertu des articles L. 621-98 (N° Lexbase : L6950AIA), L. 624-1 (N° Lexbase : L7040AIL), L. 624-4 (N° Lexbase : L7043AIP) et L. 624-5 du Code de commerce, dans leur rédaction antérieure à la présente loi, ne sont pas affectées par son entrée en vigueur". Il faut donc comprendre que les procédures de redressement et de liquidation judiciaires ouvertes à titre de sanction sur le fondement de l'article L. 624-5 avant le 1er janvier 2006 ne sont pas affectées par l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.

Ainsi deux situations doivent-elles être distinguées : celle dans laquelle la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à titre de sanction a été ouverte avant le 1er janvier 2006 et celle dans laquelle, à cette même date, la procédure n'a pas été ouverte. Mais il peut exister une situation intermédiaire, qui n'est pas celle de la procédure "entr'ouverte" car la procédure est ouverte ou ne l'est pas, mais celle de la procédure ouverte qui est suivie d'une décision de cour d'appel la mettant à néant, alors que la Cour de cassation est amenée à statuer après le 1er janvier 2006. C'est précisément la situation de l'espèce ici commentée.

Après la mise en liquidation judiciaire d'une société, le tribunal prononce, à titre de sanction, la liquidation judiciaire de son dirigeant. En avril 2005, la décision du tribunal est annulée par la cour d'appel. Le liquidateur de la société forme un pourvoi en cassation. La question qui se pose est de savoir si, après l'annulation du jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire à titre personnel et l'intervention de la loi de sauvegarde des entreprises, il est encore possible après le 1er janvier 2006, date d'entrée en vigueur de cette loi, de prononcer un redressement ou une liquidation judiciaire à titre personnel.

A cette question, la Chambre commerciale de la Cour de cassation répond négativement en énonçant qu'"il résulte de la combinaison des articles 190 et 192 de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises que les instances aux fins de sanctions engagées à l'égard des dirigeants des personnes morales sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à cette loi, ne peuvent plus être poursuivies si la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire n'a pas été ouverte avant le 1er janvier 2006 ; que M. Bernard ayant été remis à la tête de ses biens avant cette date, jour de l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, le pourvoi est devenu sans objet".

Il résulte clairement de l'article 192 de la loi du 26 juillet 2005 que, si la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire à titre personnel a été ouverte avant le 1er janvier 2006, sur le fondement de l'article L. 624-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005, le 1er janvier 2006, est sans incidence et la sanction reste valablement prononcée (Cass. com., 4 janvier 2006, n° 04-19.868, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1224DMB, D. 2006, AJ p. 142, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2006, chron. 1569, p. 669, n° 1, obs. P. Pétel ; JCP éd. E, 2006, 1570, p. 675, note J.-P. Legros ; Act. proc. coll. 2006/2, n° 20, note C. Régnaut-Moutier ; Gaz. proc. coll. 2006/2, p. 52, obs. T. Montéran ; RJC 2006/1, p. 55, note J.-P. Sortais ; Defrénois 2006/11, p. 931, chron. 38407, n° 3, note D. Gibirila ; P.-M. Le Corre, Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - janvier/février 2006 (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 203 du 23 février 2006 - édition affaires N° Lexbase : N4683AKN ; Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-16.668, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A3948DPW, D. 2006, AJ p. 1149, obs. A. Lienhard ; Rev. proc. coll. 2006/3, p. 257, n° 8, obs. Ph. Roussel Galle). La Cour de cassation a, en outre, précisé qu'il importait peu que la saisine de la juridiction ayant conduit à la sanction soit intervenue d'office (Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-16.668, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A3948DPW, D. 2006, AJ p. 1149, obs. A. Lienhard), alors même que ce mode de saisine a été supprimé par la loi de sauvegarde des entreprises, non seulement pour l'action en obligation aux dettes sociales, mais encore pour l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif. Il importe également peu que la décision d'ouverture ait été frappée d'appel et que l'exécution provisoire de la décision ait été arrêtée. La solution a été posée à propos de l'ouverture de la procédure contre les associés ou membres du groupement dont ils sont solidairement et indéfiniment responsables du passif en application de l'article L. 624-1 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 (Cass. com., 27 juin 2006, n° 05-16.200, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A1171DQG, D. 2006, AJ p. 1890, obs. A. Lienhard ; Gaz. proc. coll. 2006/4, p. 11, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 2007, chron. 1004, p. 23, n° 9, obs. Ph. Pétel). Elle est évidemment transposable à la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ouverte à titre de sanction puisque, comme cette dernière, la pseudo extension aux membres et associés a été supprimée par loi de sauvegarde des entreprises et que l'article 192 de la loi de sauvegarde lui est identiquement applicable.

Si la procédure à titre de sanction n'est pas ouverte contre le dirigeant avant le 1er janvier 2006, elle ne peut l'être après cette date (Cass. com., 7 mars 2006, n° 04-20.252, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A4796DNX, D. 2006, AJ p. 856, obs. A. Lienhard ; D. 2006, pan. comm. p. 2252, obs. F.-X. Lucas ; JCP éd. E, 2006, chron. 2331, p. 1530, n° 1, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2006/8, n° 95, note C. Régnaut-Moutier ; Dr. sociétés 2006, n° 88, obs. J.-P. Legros ; P.-M. Le Corre, Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mars/avril 2006 (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 212 du 27 avril 2006 - édition affaires N° Lexbase : N7539AKG ; Cass. com., 30 mai 2006, n° 05-12.311, M. Gilles Gauthier c/ M. Antoine Piromalli, F-D N° Lexbase : A7578DPD, Gaz. proc. coll. 2006/4, p. 37, note Th. Montéran). Le raisonnement a contrario à partir de l'article 192 de la loi du 26 juillet 2005 conduit à cette solution.

L'intérêt de l'arrêt rapporté est de préciser que cette dernière solution, qui consiste à rendre impossible l'ouverture de la procédure sanction après le 1er janvier 2006 s'applique si, à cette même date, la décision qui avait accepté l'ouverture de la procédure à titre de sanction a été annulée ou réformée par la cour d'appel. La solution s'impose puisque, au 1er janvier 2006, ne subsiste plus de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ouverte à titre de sanction. Ainsi, la situation intermédiaire que nous présentions en tête de ces lignes est imaginaire. La procédure à titre de sanction est, au 1er janvier 2006, ouverte ou ne l'est pas ou ne l'est plus.

Terminons en indiquant que la loi nouvelle a créé l'action en obligation aux dettes sociales, en substitut au redressement et à la liquidation judiciaires personnels pour faits visés à l'article L. 624-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005. Cette sanction pourra seule être prononcée en remplacement de la "procédure sanction" à l'encontre des dirigeants à compter du 1er janvier 2006, et cela même pour les procédures ouvertes contre les personnes morales avant l'entrée en vigueur de la loi du 26 juillet 2005 (loi du 26 juillet 2005, art. 191-5°), si à cette même date la "procédure sanction" n'a pas été ouverte (Circ. min., n° CIV 2006-02, du 9 janvier 2006, relative aux mesures législatives et réglementaires applicables de la loi de sauvegarde des entreprises applicables aux procédures en cours N° Lexbase : L3711HP7, Gaz. Pal. 22-24 janvier 2006, p. 38. Service de documentation et d'études de la Cour de cassation, Q/R n° 2). Cela ne sera toutefois pas sans faire naître de sérieuses difficultés. L'occasion nous sera prochainement donnée, à n'en pas douter, d'approfondir cette question. Aussi gardons pour l'instant le suspens pour nos lecteurs fidèles.

P.-M. Le Corre

  • La réclamation à l'état des créances, une voie de recours ouverte aux personnes "intéressées" qui ne sont pas les parties (Cass. com., 30 janvier 2007, n° 06-10.707, F-D N° Lexbase : A7905DTX)

Le juge-commissaire est amené, au cours d'une procédure collective, à rendre un certain nombre de décisions, des ordonnances, qui ont par principe une valeur juridictionnelle et relèvent tantôt de la matière gracieuse -les habilitations- tantôt de la matière contentieuse, lorsqu'il tranche un litige. Rentrent dans cette deuxième catégorie les ordonnances par lesquelles il statue sur l'admission et le rejet des créances déclarées au passif.

A l'encontre de telles décisions, la voie de recours de principe ouverte aux parties est l'appel, tant sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 que sous celui de la loi du 26 juillet 2005. Par exception, la voie de recours sur ces décisions sera le pourvoi en cassation, lorsque le juge-commissaire aura statué en dernier ressort (C. com., art. L. 621-106 N° Lexbase : L6958AIK [anct L. 25 janv. 1985, art. 105], devenu C. com., art. L. 624-4, depuis la loi de sauvegarde N° Lexbase : L3850HB9). Il en sera ainsi si la valeur de la créance en principal n'excède pas le taux de compétence en dernier ressort du tribunal qui a ouvert la procédure, lequel est déterminé par l'article R. 411-4 du Code de l'organisation judiciaire (N° Lexbase : L9550G89). Ce taux est fixé à 4 000 euros depuis le décret du 13 mai 2005 (décret n° 2005-460, relatif aux compétences des juridictions civiles, à la procédure civile et à l'organisation judiciaire N° Lexbase : L4764G8X). L'appel serait donc irrecevable (CA Rennes, 15 juillet 1987, Gaz. Pal. 16-17 septembre 1987, p. 10).

Les personnes qui ne sont pas les parties, et qui sont appelées les "personnes intéressées" autres que les parties, sont évidemment irrecevables à former appel. Elles ne peuvent davantage former une tierce opposition, mais disposent, pour contester les décisions rendues par le juge-commissaire sur les créances déclarées, d'une voie de recours particulière, la réclamation à l'état des créances, variété de tierce opposition -qui, sous l'empire de la législation antérieure, devait être formée dans la quinzaine de la publication au Bodacc d'un avis d'insertion émanant du greffier du tribunal de la faillite indiquant que l'état des créances a été déposé au greffe-. L'article 109, alinéa 4, du décret du 28 décembre 2005 (N° Lexbase : L3297HET), tout en conservant le point de départ, allonge le délai de réclamation pour le porter à un mois.

Il reste, et c'est la question posée dans l'arrêt, de savoir ce qu'est une personne intéressée recevable à former réclamation à l'état des créances.

En l'espèce, une société est déclarée en redressement judiciaire. Un créancier chirographaire déclare une créance au passif et est admis audit passif. Le tribunal arrête un plan de continuation au profit de la société débitrice. Le gérant de la société, après s'être fait céder une créance détenue contre la société débitrice par un autre créancier, entend contester l'admission de celle-ci et forme une réclamation à l'état des créances. La question essentielle soulevée par l'arrêt est de savoir si le cessionnaire d'une créance chirographaire a qualité et intérêt à agir en réclamation à l'encontre de l'état des créances.

La Cour de cassation répond à cette question en énonçant que, "si un créancier autre que celui dont la créance est en cause a la faculté, comme toute personne intéressée au sens de l'article 103 de la loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L6481AHI), de former une réclamation contre les décisions du juge-commissaire portées sur l'état des créances, c'est à la condition d'invoquer un intérêt personnel et distinct de celui des autres créanciers pour discuter de l'existence, du montant ou de la nature de la créance, que le représentant des tranchées soit ou non toujours en fonction ; que l'arrêt relève que M. K. ne peut exciper que d'un intérêt à voir réduit le passif de la société B. D. et augmenter ses chances d'être réglé de la créance dont il est le cessionnaire, intérêt qui n'est rien d'autre que l'intérêt collectif des créanciers sans aucun caractère propre ou indépendant des autres créanciers".

La réclamation à l'état des créances est une variété de tierce opposition (Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-00.860, F-D N° Lexbase : A6170DB7). Les conditions de recevabilité de toute tierce opposition doivent, en conséquence, être réunies. Le réclamant doit donc, d'une part, avoir qualité à agir et, d'autre part, intérêt à agir.

La qualité à agir n'était pas, en l'espèce, contestable. La réclamation à l'état des créances est ouverte à toute personne qui n'est pas une partie. Il en est ainsi, comme le rappelle ici la Cour de cassation et ainsi quelle l'avait déjà jugé (Cass. com., 16 juin 2004, n° 02-18.470, Mme Marie-Léa Calsac, épouse Mouton c/ Société civile professionnelle (SCP) Crozat-Barault Maigrot, F-D N° Lexbase : A7356DCG ; Cass. com., 16 juin 2004, n° 02-18.472, Mme Marie-Léa Calsac, épouse Mouton c/ Société civile professionnelle (SCP) Crozat-Barault-Maigrot, F-D N° Lexbase : A7358DCI), d'un créancier autre que celui dont la créance est discutée.

Ce qui faisait difficulté était l'autre condition de recevabilité de la réclamation, à savoir l'intérêt à agir. Il importe au demeurant de remarquer que l'article 103 de la loi du 25 janvier 1985 évoque les personnes intéressées, cependant que l'article 109, alinéa 4, du décret du 28 décembre 2005 vise l'intéressé.

On comprend bien la stratégie du dirigeant social. Il s'est fait céder pour un certain prix une créance et, en essayant de remettre en cause l'admission d'un autre créancier, il espère pouvoir obtenir plus. Le gâteau est inchangé, mais le nombre de convives autour du gâteau ayant diminué, la part de chacun devrait s'en trouver augmentée. Malheureusement, en procédant de la sorte, ainsi que l'analyse la Cour de cassation, il ne fait que défendre l'intérêt collectif des créanciers. C'est bien d'ailleurs pour cela que la vérification des créances est toujours l'oeuvre de l'organe ayant en charge l'intérêt collectif des créanciers. En contestant la créance de l'un des créanciers, l'organe qui assure la défense de l'intérêt collectif des créanciers contribue à augmenter les droits des autres créanciers.

Un créancier chirographaire, fut-ce par subrogation ou, comme en l'espèce, à la suite d'une cession de créance, n'a par principe aucun intérêt distinct de celui de la collectivité des créanciers. Le fait qu'il remette en cause une créance n'entraîne aucune modification de sa situation particulière par rapport à la collectivité des créanciers.

Il en ira tout différemment si le créancier réclamant change sa situation particulière en contestant par la voie de la réclamation une créance. Il en sera, par exemple, ainsi d'un créancier hypothécaire de second rang qui aura intérêt à faire réclamation à l'encontre de la décision d'admission d'un créancier hypothécaire de premier rang, puisqu'il pourra alors venir en premier rang. Il pourrait encore en être ainsi, depuis l'ordonnance du 23 mars 2006 portant réforme des sûretés (ordonnance n° 2006-346, relative aux sûretés N° Lexbase : L8127HHH), pour un créancier gagiste en possession, qui serait entré en possession après l'inscription d'un gage sans dépossession prise par un autre créancier. Le premier aurait intérêt à contester la créance du second pour pouvoir opposer son droit de rétention.

De même, il a pu être jugé qu'un banquier actionné en responsabilité avait un intérêt distinct de celui des autres créanciers à former réclamation à l'état des créances puisque, en faisant diminuer le passif, il diminue par là même le montant de sa condamnation.

Il a encore été jugé qu'un créancier nanti a intérêt et qualité à former réclamation à l'état des créances lorsque sa créance est portée sur l'état avec la précision qu'elle est primée par d'autres créances, alors que le prix de vente du fonds de commerce avait été séquestré avant le jugement d'ouverture, de sorte que le prix de vente ne pouvait être appréhendé et donc réparti par le liquidateur. Ce créancier se trouvait dans l'obligation de former réclamation pour éviter que l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions du juge-commissaire ne l'oblige à respecter le classement effectué par le juge-commissaire, alors même que ce dernier avait excédé ses pouvoirs à classer les créanciers dans sa décision d'admission, le privant ainsi de son droit exclusif sur le prix du fait du séquestre (Cass. com., 26 septembre 2006, n° 05-14.487, F-D N° Lexbase : A3482DRE, D. 2007, pan. comm., p. 47, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll. 2007/1, p. 34, note M. Sénéchal).

Mais, émanant d'un créancier chirographaire, par principe, la réclamation sera irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

Un argument intéressant avait été soulevé par le réclamant. Il tenait au fait que le représentant des créanciers n'était plus en fonction. Il n'y avait donc plus d'organe de défense de l'intérêt collectif des créanciers. Cela ne doit pas conduire, selon la Cour de cassation, à modifier la solution posée. S'il n'y a plus d'organe de défense de l'intérêt collectif des créanciers, en revanche, cet intérêt collectif des créanciers demeure. Or, si le réclamant ne fait qu'invoquer un préjudice commun à la collectivité des créanciers, l'obstacle à la recevabilité de la réclamation subsiste.

Profitons des présentes lignes pour attirer l'attention de nos lecteurs sur une précision importante apportée par le décret du 23 décembre 2006, qui a modifié le décret du 28 décembre 2005 (décret n° 2006-1709, 23 décembre 2006, pris en application de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises et portant diverses dispositions relatives aux administrateurs judiciaires et aux mandataires judiciaires N° Lexbase : L9070HT4). Dans la version d'origine, nous avions signalé (V. Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action 2006/2007, n° 683.23) une difficulté sur la voie de recours ouverte sur l'ordonnance du juge-commissaire qui statue sur la réclamation. Sous l'empire de la législation du 25 janvier 1985, la voie de recours est expressément prévue : l'appel. Cette précision avait disparu sous l'empire de la législation de sauvegarde. Le décret du 23 décembre 2006, d'une manière que nous considérons interprétative, prévoit explicitement que la voie de recours sur la décision vidant la réclamation sera l'appel (décret du 28 décembre 2005, art. 111, al. 3, réd. décret 23 décembre 2006, art. 50-2°).

Remarquons, pour terminer, que cette notion d'intérêt distinct du créancier, qui est une condition de recevabilité de la réclamation, laquelle rappelons-le est une variété de tierce opposition, conditionne aussi la recevabilité de la tierce opposition d'un créancier à l'encontre du jugement d'ouverture de la procédure et il n'est pas étonnant qu'elle soit centrale dans le cadre de l'analyse de la recevabilité des tierces opposition à l'encontre des jugements d'ouverture des procédures de sauvegarde (pour illustration, CA Lyon, 3ème ch., 31 mai 2006, n° 06/02245, Société Euler Hermes SFAC SA c/ Société Intexa SA N° Lexbase : A9343DQ4, Gaz.proc. coll. 2006/4, p. 5, note Ch. Lebel ; JCP éd. E, 2006, 379, p. 1509, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll. 2006, p. 253, obs. Ph. Roussel Galle ; RTD com. 2006/3, p. 675, n° 12, obs. J.-L. Vallens ; CA Versailles, 13ème ch., 15 juin 2006, n° 06/01994, SA Euler Hermes SFAC c/ Maître Patrick Canet mandataire judiciaire de SA Photo Service N° Lexbase : A9344DQ7, JCP éd. E, 2006, 2440, p. 1693 ; JCP éd. E, 2006, 379, p. 1510, note Ph. Roussel Galle ; JCP éd. E, 2007, chron. 1004, p. 19, n° 1, obs. Ph. Pétel ; Rev. proc. coll. 2006/3, p. 225, obs. J.-J. Fraimout et Ph. Roussel Galle ; LPA 22 décembre 2006, n° 255, p. 14, note S. Prigent ; Defrénois 2006/24, chron. 38507, p. 1917, n° 7, note D. Gibirila).

P.-M. Le Corre

  • L'obligation pour le créancier auquel la forclusion est inopposable de déclarer sa créance pour agir contre la caution (Cass. com., 30 janvier 2007, n° 05-13.751, FS-P+B N° Lexbase : A7795DTU)

Si la forclusion n'est pas opposable au créancier titulaire d'un contrat de crédit-bail publié dès lors qu'il n'a pas été averti personnellement d'avoir à déclarer sa créance, celui-ci reste néanmoins tenu de déclarer sa créance pour agir contre la caution. Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou d'un contrat de (crédit-) bail publié devaient être rendus destinataires d'un avertissement d'avoir à déclarer leurs créances émanant du représentant des créanciers (C. com., art. L. 621-43, al. 1 anc. N° Lexbase : L6895AI9). L'article L. 621-46, alinéa 2, du Code de commerce  (N° Lexbase : L6898AIC) prévoyait qu'en l'absence d'avertissement, ces créanciers n'ayant pas déclaré leur créance ne pouvaient se voir opposer la forclusion. Fallait-il en déduire que le créancier visé par ces textes qui n'avait pas déclaré sa créance dans la procédure collective du débiteur -mais à l'égard duquel la forclusion était inopposable- pouvait néanmoins poursuivre la caution ? C'est à cette intéressante question que la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue apporter une réponse dans un arrêt du 30 janvier 2007.

En l'espèce, un crédit-bailleur avait accordé un contrat à une société ultérieurement mise en liquidation judiciaire. Le créancier titulaire d'un contrat publié n'avait pas été averti d'avoir à déclarer sa créance dans la procédure collective de l'entreprise débitrice. Bien que n'ayant, en conséquence, procédé à aucune déclaration de créance, le crédit-bailleur sollicitait néanmoins de la caution qu'elle exécute son engagement. La Chambre commerciale de la Cour de cassation, rejetant le pourvoi formé par le crédit-bailleur à l'encontre de l'arrêt d'appel (CA Versailles, 10 février 2005 ; dans le même sens CA Paris, 15ème ch., sect. A, 2 avril 2002, n° 2000/14556, Banque Populaire Nord de Paris c/ Monsieur Jaoui Philippe N° Lexbase : A9786AY4, RD Banc. et fin. 2002/3, n° 95, p. 130, note F.-X. Lucas) ayant rejeté la demande du créancier, énonce de façon parfaitement claire le principe selon lequel, "si la forclusion n'est pas opposable au créancier titulaire d'un contrat de crédit-bail publié dès lors qu'il n'a pas été averti personnellement d'avoir à déclarer sa créance, celui-ci reste néanmoins tenu de le faire pour agir contre la caution". Ainsi, même si la forclusion lui est inopposable, il n'en demeure pas moins que le créancier doit déclarer sa créance au passif pour agir contre la caution.

La solution est rendue dans des termes généraux qui concernent tant la caution simple que la caution solidaire. La position adoptée par la Cour de cassation est tout à fait logique au regard des termes de l'ancien article L. 621-46, alinéa 4, du Code de commerce applicable en l'espèce, disposant que "les créances qui n'ont pas été déclarées et n'ont pas donné lieu à relevé de forclusion sont éteintes". Le texte ne s'est pas contenté d'indiquer que les créanciers forclos voient leurs créances éteintes. Il a, au contraire, précisé que les créances non déclarées sont éteintes. Sans cette précision, il aurait pu être soutenu, dans le contexte qui nous intéresse ici, que le crédit-bailleur à l'égard duquel la forclusion aurait été inopposable n'aurait pas davantage pu se voir opposer l'extinction de sa créance. Mais au regard de la lettre du texte, c'est l'absence de déclaration de la créance qui entraîne son extinction, peu important que la forclusion soit ou non opposable au créancier. En l'absence d'avertissement, grâce au jeu de l'inopposabilité de la forclusion, le créancier n'est en théorie soumis à aucun délai pour déclarer sa créance... mais encore faut-il qu'il la déclare avant la clôture de la procédure. En effet, faute de pouvoir déclarer dans une procédure qui n'existe plus du fait de sa clôture, le créancier verra sa créance éteinte, avec les conséquences salvatrices qui en découlent, par voie d'accessoire, pour la caution.

Qu'en est-il sous l'empire de la législation nouvelle ? Sous empire de la loi de sauvegarde des entreprises, le créancier -en l'occurrence le crédit-bailleur-, doit-il avoir impérativement déclaré sa créance pour poursuivre la caution ? Deux modifications législatives conduisent à répondre à cette dernière question par la négative.

D'une part, on cherchera, en vain, dans la loi de sauvegarde des entreprises, toute référence à une "inopposabilité de la forclusion". Cela est fort logique : puisque le point de départ du délai de déclaration des créanciers titulaires d'une sûreté ou liés au débiteur par un contrat publié est désormais celui du jour de l'avertissement (C. com., art. L. 622-24, al. 1 N° Lexbase : L3744HBB), aucune forclusion ne peut venir atteindre ces créanciers tant qu'ils n'ont pas été avertis, de sorte qu'a fortiori aucune inopposabilité de celle-ci ne peut être prévue par le texte.

D'autre part, et surtout, le défaut de déclaration de la créance ne peut plus être sanctionné par l'extinction de celle-ci. L'article L. 622-26 du Code de commerce (N° Lexbase : L3746HBD) précise, désormais, que les créanciers n'ayant pas déclaré leur créance "ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes [...]". La sanction proposée par la doctrine est celle de l'inopposabilité de la créance à la procédure collective (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2006/2007, n° 665.75). Il en résulte que, désormais, la caution pourra être poursuivie par le créancier nonobstant l'absence de déclaration par ce dernier de sa créance. Pour tenter de résister, la caution pourra-t-elle, tout au plus, reprocher au créancier le fait qu'il n'ait pas déclaré sa créance pour se prétendre déchargée à hauteur des sommes que le créancier aurait pu prétendre percevoir dans le cadre des répartitions. Mais encore faudra-t-il que le créancier ait commis une faute. Or, la démonstration d'une telle faute du créancier sera sans doute difficile à rapporter par la caution dès lors que le mandataire judiciaire n'aura pas rempli l'obligation qui est la sienne d'adresser au créancier titulaire d'une sûreté ou d'un contrat publié l'avertissement d'avoir à déclarer sa créance...

E. Le Corre-Broly

Pierre-Michel Le Corre
Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, CERDP
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Enseignante du Master 2 Banque de la Faculté de droit de Toulon

newsid:270608

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.