La lettre juridique n°249 du 22 février 2007 : Éditorial

Plaute, Molière, Hugo et les autres : de la marmite au prétoire

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014


Neuf personnes ont, sur les recommandations d'une société exerçant l'activité de conseil financier, acquis des parts de deux sociétés luxembourgeoises, auprès de ses deux associés. Ces opérations s'accompagnaient d'un rachat immédiat de ces parts à un prix supérieur payable à terme. Postérieurement à ces mêmes opérations, certaines de ces personnes ont aussi remis à l'un des associés cédant des sommes moyennant des reconnaissances de dettes signées par ce dernier. Les vendeurs, ayant détourné les fonds confiés dans ce cadre, ont fait l'objet de diverses condamnations civiles et pénales, et les investisseurs, constatant l'insolvabilité des auteurs de l'infraction, se sont retournés alors contre la société intermédiaire qui les avait conseillés. Or, cette dernière était assurée auprès d'une compagnie d'assurance qui refusait sa garantie au motif que les opérations réalisées ne correspondaient pas à l'activité assurée. Et Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan et Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), de citer avec facétie, dans le commentaire que nous vous proposons de lire cette semaine, Précisions de la Cour de cassation sur la qualification du contrat de portage : prêter n'est pas porter, Plaute : "Si vous redemandez l'argent que vous avez prêté, vous trouverez souvent que d'un ami votre bonté vous a fait un ennemi". En fait d'amis, nos investisseurs étaient plutôt confrontés à des "fesse-mathieu" ! Entendons-nous bien, la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 23 janvier dernier, estime qu'en qualifiant de portage des opérations par lesquelles les cessionnaires revendaient, le jour même de leur acquisition, les actions de deux sociétés, à celles-ci ou à leurs représentants, sans qu'aucune stipulation ne vienne retarder le transfert de propriété, de telle sorte que les donneurs d'ordre ne perdaient pas la propriété des actions cédées et les cessionnaires n'en devenaient pas propriétaires, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil. Par suite, le juge du droit rend sa décision au visa des dispositions de l'article 1892 du Code civil, en concluant que le contrat par lequel une somme est mise à disposition afin de la restituer à une échéance, et moyennant une rémunération, ne saurait être analysé que comme une opération de prêt. L'absence de transfert véritable de propriété, témoignage d'une absence d'investissement réel, et la revente immédiate des actions en cause, laissent plus à penser à une spéculation financière sans contrepartie véritable ou proportionnée, proche de ce qu'au XVIIe siècle l'on condamnait avec véhémence : l'usure. Le mot est, ici, et bien entendu, provocateur ; mais, si l'Harpagon de Molière augmente son capital, il ne produit rien. Il rend éventuellement service... et, quel qu'il soit, "un service vaut ce qu'il coûte" concluait Hugo.

Hugo, le même, qui ne pensait pas voir si juste, lorsqu'il clamait : "Créer, c'est se souvenir". C'est ce qu'a fait François Ceresa en publiant, aux éditions Plon, deux ouvrages Cosette ou le temps des illusions et Marius ou le fugitif, présentés comme la suite du "véritable monument de la littérature mondiale", oeuvre "à jamais achevée" procédant "d'une démarche philosophique et politique", Les Misérables. Crime de lèse-majesté (pardon Hugo), pour la cour d'appel ! La Cour de cassation, en revanche, plus soucieuse du bon droit que du bon goût littéraire, a considéré, le 30 janvier dernier, qu'une telle suite, qui se rattache au droit d'adaptation, relève, en outre, de la liberté de création, laquelle "sous réserve du respect du droit au nom et de l'intégrité de l'oeuvre adaptée", peut s'exercer à l'expiration du monopole d'exploitation dont l'auteur ou ses héritiers ont bénéficié. Et Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, de rappeler, au sein de ses observations, Suite et fin (?) des Misérables, que le droit moral de l'auteur, sorte de "cordon ombilical" qui lie le créateur à son oeuvre, entre parfois en conflit avec le progrès artistique et les intérêts de la collectivité, notamment à mesure que le temps passé érode ce lien personnel.

Doit-on jeter la première pierre à François Ceresa coupable de se souvenir pour créer ? Rappelons que le 18 juillet 1668, Molière, lui-même, s'était hautement inspiré de Plaute et plus particulièrement de l'Aularia ou La comédie de la marmite, pour créer L'avare. Au héros de Plaute, Euclion, Molière emprunte son caractère soupçonneux, sa méfiance maladive à l'égard de la servante Staphyla (devenue le valet La Flèche), et le monologue après le vol de son trésor. Et pourtant, L'avare n'est-il pas un "véritable monument de la littérature mondiale", une oeuvre "à jamais achevée" procédant "d'une démarche philosophique et politique" ? Et nous-même, manquant de suite dans les idées, n'avons-nous pas emprunté, la semaine dernière à La comtesse d'Escarbagnas, pour mieux rendre la monnaie, cette semaine, au père de la Comédie Française... bon droit a besoin d'aide ou d'inspiration.

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