La lettre juridique n°234 du 1 novembre 2006 : Sociétés

[Le point sur...] Les conventions de trésorerie intra-groupe et leurs risques en matière de droit des sociétés

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par Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon, Consultant auprès du cabinet Bignon, Lebray & Associés

le 07 Octobre 2010

Parmi les différentes conventions internes qui permettent à un groupe de sociétés d'optimiser sa gestion, la convention de trésorerie tient une place de choix. De pratique courante au sein des groupes, elle a vocation à réduire leurs frais financiers et à renforcer leur autonomie financière. Pour autant, la mise en place d'une convention de trésorerie et son fonctionnement au sein du groupe peuvent poser de sérieuses difficultés dans plusieurs domaines du droit (cf. pour une étude récente des risques en matière de législation bancaire, de droit des sociétés et de redressement et liquidation judiciaire Centralisation de trésorerie dans les groupes, MM. Jean Claude Hallouin et Patrice Bouteiller, Actes Pratiques n° 88, juillet-août 2006). En matière de droit des sociétés, ces difficultés peuvent surgir durant la vie habituelle du groupe, mais aussi plus particulièrement à l'occasion de Leverage Buy Out (LBO) où une société holding de reprise est constituée pour acquérir les titres d'une société cible et finance cette acquisition grâce aux fonds provenant de cette dernière (opération de rachat d'une société avec effet de levier). L'idée de base qui préside à la mise en place d'une convention de trésorerie au sein d'un groupe est d'utiliser les excédents de trésorerie d'une société pour financer les déficits de trésorerie des autres.

Il s'agit, ainsi, de réduire la dépendance du groupe envers les banques pour diminuer les frais financiers et peser davantage dans les négociations avec elles.

La convention organise une centralisation de la trésorerie à un degré plus ou moins poussé et intégré, selon les options retenues en matière, plus particulièrement, de rôle dévolu à la société centralisatrice dite aussi "société pivot", de gestion des comptes de chaque filiale, de nombre de banques intervenantes (cf. pour plus de détails, MM. Hallouin et Bouteillier, art. préc.).

Ces "pools de trésorerie" ou "prêts inter-groupe" sont expressément autorisés par les dispositions de l'article L. 511-7 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6371DIS) qui permettent à une entreprise de "procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres".

Cette dérogation au monopole des établissements de crédit qui concerne des opérations variées (prêts, avances en compte courant, crédit cautionnement, mobilisation de créance...), quelles que soient leurs durées, nécessite une relation de capital entre les sociétés concernées avec "un pouvoir de contrôle effectif" de l'une d'elles.

Si aucun seuil précis de détention n'est requis, en revanche, une société échappant au contrôle effectif ne peut être partie à la convention.

Entre les sociétés parties, contrôlées et contrôlantes, la circulation des flux de trésorerie est déterminée librement, la société pivot pouvant être plus ou moins impliquée dans la gestion des flux de trésorerie.

Ces conventions sont, en principe, des conventions libres et ne sont considérées comme réglementées au sens des dispositions des articles L. 225-38 ([LXB=L5909AIP ]) et L. 225-86 (N° Lexbase : L5957AIH) du Code de commerce que si elles ne sont pas conclues à des conditions normales, compte tenu des montants en cause, des possibilités financières de la société prêteuse, et des taux pratiqués (CA Versailles, ch. com. réunies, 2 avril 2002, n° 00/03930, Société Clos du Prieuré c/ Me Souchon N° Lexbase : A3692A4I, Bull. CNCC septembre 1990, p. 289 ; et pour une opinion contraire, voir Lamy, Sociétés commerciales, éd. 2006, n° 2004).

Elles sont nécessairement le lieu où s'affrontent des intérêts distincts, voire opposés entre sociétés contrôlantes et sociétés contrôlées, partie emprunteuse et partie prêteuse, actionnaires majoritaires et actionnaires minoritaires, intérêt social et intérêt du groupe, holding de reprise et société cible...

C'est la raison pour laquelle tant leur fonctionnement sur la durée que leur mise en place initiale, à l'occasion d'opération de LBO particulièrement, doivent éviter de rompre les délicats équilibres à maintenir en permanence au sein d'un groupe.

Et ce, d'autant que les possibles déséquilibres sont susceptibles d'engager la responsabilité civile, voire pénale, de leurs auteurs selon des qualifications juridiques progressives allant du plus général vers le particulier : l'abus de majorité (I), l'abus de pouvoirs et de biens sociaux (II), l'interdiction de l'article L. 225-216 du Code de commerce (N° Lexbase : L8274GQI) (III).

I - Abus de majorité

C'est d'abord du fait des actionnaires majoritaires que pourront naître des déséquilibres dans une convention de trésorerie, pour autant qu'elle relèverait de décisions prises sans égard pour l'intérêt social et dans le but d'avantager les majoritaires au détriment des minoritaires (cf. Cass. com., 18 avril 1961, n° 59-11.394, Société des anciens Etablissements Picard et Durey-Sohy et autres c/ Paul Schumann et autres N° Lexbase : A2561AUE, Bull. civ., IV, n° 175 ; D. 1961, jurisp. p. 661, S. 1961, p. 257, note Dalsace).

Il a, en effet, été jugé que l'abus de majorité pouvait être le fait de décision des dirigeants sociaux, et non de la seule assemblée générale, lorsque ces derniers, par ailleurs, majoritaires, disposent du fait du contrôle effectif de la société (cf. affaire "Delattre-Levivier" analysée ci-après).

Tel serait manifestement le cas si, au vu de leur analyse globale et de leur succession, les flux de trésorerie profitaient aux majoritaires au détriment des minoritaires, sur la base de prélèvements excessifs du holding sur la trésorerie de la filiale, insuffisamment rémunérés par le premier (cf. pour des exemples concrets, Cass. com., 21 octobre 1974, n° 73-12.937, Leijbus dit Frydman, de Beaumais, Jullien, Richer, Nougue c/ Consorts Canthelou N° Lexbase : A6998AGB, RJ com. 1975, p. 387, note Chartier ; Cass. com., 12 novembre 1973, n° 72-12.881, Dame Grassion c/ Société Pierre Lacure et Cie, Consorts Lacure, Varaigne, Védrine N° Lexbase : A6935AGX, Bull. civ. IV, n° 322, p. 287 ; et Cass. com., 29 mai 1972, n° 71-11.739, SA Ets Pernot c/ Epoux Krucker, époux Guerry et époux Peltier N° Lexbase : A6784AGD, JCP éd. G 1973, II, n° 17337, note Guyon)

Pour autant que la société comporte des minoritaires, ceux-ci pourraient user de leur droit d'action à l'encontre des majoritaires et engager leur responsabilité civile tout en demandant l'annulation de l'acte abusif.

II - Abus de pouvoirs, abus de biens sociaux

A défaut de l'existence de minoritaires, susceptibles de demander réparation de leur préjudice d'actionnaires lésés, les mêmes types d'abus relatifs à une convention de trésorerie pourraient être qualifiés, dans la personne des dirigeants sociaux et/ou administrateurs, d'abus de pouvoirs ou d'abus de biens ou du crédit de la société, prévus et réprimés par les dispositions des articles L. 241-3 (N° Lexbase : L6408AI8) et L. 242-6 3° et 4° (N° Lexbase : L6420AIM) du Code de commerce.

Du fait de son caractère plus général, le seul délit d'abus de pouvoir n'est pas venu sanctionner, en jurisprudence, des abus relatifs à des opérations de trésorerie (alors qu'il a, en revanche, été retenu en cas de "fusion rapide", cf. note J. Paillusseau, citée ci-après), ces derniers étant habituellement qualifiés d'abus de bien sociaux.

Dans le contexte d'un groupe, il s'agira de savoir si "l'intérêt du groupe" peut être pris en compte pour rendre la décision conforme à "l'intérêt social" et éviter, ainsi, cette qualification pénale.

La jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a dégagé trois conditions cumulatives (cf. Cass. crim., 4 février 1985, n° 84-91.581, Rozenblum, Allouche N° Lexbase : A3881AGT, D. 1985, p. 478, note Ohl ; et Cass. crim., 13 février 1989, n° 88-81.218, Duval Victor N° Lexbase : A4183AGZ, Rev. Sociétés 1989, p. 692, note Bouloc) :

- les deux sociétés doivent appartenir au même groupe, ce qui suppose l'existence de liens structurels entre les sociétés membres du groupe et la mise en oeuvre d'une stratégie commune en vue de la réalisation d'un objectif commun (cf. Cass. crim., 23 avril 1991, n° 90-81.444, Broche Daniel N° Lexbase : A3369ACR, Bull. crim. n° 193 ; et Cass. crim., 24 juin 1991, n° 90-86.584, Sibaud Fernand N° Lexbase : A6917AYT, RJDA 11/91, n° 926) ;

- l'opération doit être dictée par un intérêt économique, social ou financier commun, apprécié au regard d'une politique élaborée pour l'ensemble du groupe (cf. Cass. crim., 2 juillet 1998, n° 97-81.268, Henri Didier N° Lexbase : A8968AGA, RJDA 1/ 99, n° 352) ;

- le concours financier ne doit pas être dépourvu de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les engagements respectifs des diverses sociétés concernées, ni excéder les possibilités financières de celle qui en supporte la charge.

Des condamnations ont pu intervenir lorsque les trois critères n'ont pas été réunis.

A été condamné pour abus de biens sociaux le président de deux sociétés mère et filiale en raison d'avances de trésorerie consenties par la première à la seconde, dès lors que la société mère, soumise par la suite à une procédure de redressement judiciaire, avait accordé sans contrepartie une aide financière dépassant ses possibilités et donc contraire à son intérêt (Cass. crim., 18 janvier 1993, n° 92-80.153, Viel Jacques N° Lexbase : A2481AGY, RJDA 6/93 n° 515).

Dans l'affaire "SIFB-Delattre-Levivier" (Cass. crim., 10 juillet 1995, n° 94-82.665, Pendaries Jacques et autres N° Lexbase : A8822ABD, JCP éd. E 1996, II, 780 n° 6, p. 32 note J. Paillusseau ; et RJDA 1996, n° 5, p. 432, note H. Le Nabasque) où convergeait un ensemble de procédés pour transférer les fonds de la cible vers le holding (convention de trésorerie, convention d'assistance, convention de sous-location de locaux de la cible et gestion d'un compte bancaire suisse de la cible, et fusion), la qualification d'abus de biens et du crédit de la société cible a pu être retenue en ce qui concerne la convention de trésorerie, sur les bases suivantes : l'expert, ayant relevé la réalité d'un groupe de sociétés, (unité de direction et complémentarité d'activités) a, par contre, relevé que les sacrifices consentis par la cible :

- n'avaient pas été faits dans l'intérêt du groupe, mais seulement pour permettre au holding d'acquérir les actions de la cible ;
- qu'ils présentaient des risques trop importants compte tenu de la fragilité financière du holding, dont l'endettement dépassait 82 millions de francs (12 500 819 euros) en 1988 ;
qu'ils avaient empêché la cible de procéder aux investissements nécessaires, qui ont considérablement diminué pendant cette période, et que les résultats s'en sont trouvés obérés ;
- qu'ils étaient dépourvus d'une contrepartie suffisante, les intérêts servis étant inférieurs au taux de base bancaire ainsi qu'aux intérêts versés par le holding à la banque.

III - L'interdiction pour une société d'avancer des fonds en vue de l'acquisition de ses propres actions

Sur la base d'un texte encore plus précis, qui a transposé en 1981 la deuxième Directive européenne du 13 décembre 1976 (Directive 77/91, du 13 décembre 1976, tendant à coordonner pour les rendre équivalentes les garanties qui sont exigées dans les Etats membres des sociétés au sens de l'article 58 deuxième alinéa du Traité, en vue de la protection des intérêts tant des associés que des tiers, en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital N° Lexbase : L9266AUQ), la mise en place d'une centralisation de trésorerie peut se heurter à l'interdiction générale formulée par les dispositions de l'article L. 225-216 du Code de commerce : "Une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers".

La violation de ces dispositions impératives expose leurs auteurs dirigeants à une amende de 9 000 euros (cf. articles L. 248-1 N° Lexbase : L4009HB4 et L. 242-24, al. 3 N° Lexbase : L6438AIB du Code de commerce) et à l'annulation de la mesure accordée illicitement.

Le champ d'application de ces dispositions, réservées aux sociétés par actions, doit être bien précisé puisque le second alinéa de l'article L. 225-216 du Code de commerce précise qu'elles ne s'appliquent :

- ni aux opérations courantes des entreprises de crédit,
- ni aux opérations effectuées en vue de l'acquisition par les salariés d'actions de la société, d'une de ses filiales ou d'une société comprise dans le champ d'un plan d'épargne de groupe prévu à l'article L. 444-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6526ACP).

L'objectif de cette interdiction, qui s'applique aux achats et souscriptions effectués par des personnes étrangères à la société mais aussi à ses actionnaires (holding de contrôle), est d'éviter qu'une société n'engage son actif pour des opérations portant sur son capital.

Il s'agit de protéger le capital social, l'interdiction des avances étant le prolongement de l'interdiction pour une société de racheter ses propres actions.

Elles traduisent un principe fondamental du droit des sociétés selon lequel la responsabilité des actionnaires et associés n'est engagée qu'à hauteur de leurs apports en capital, ce qui implique que les créanciers de la société et les tiers n'ont pour gage que les actifs de la société.

Dans des opérations de LBO deux logiques s'affrontent nécessairement : celle de l'opération de rachat qui vise à permettre au holding de reprise de financer son acquisition grâce aux fonds provenant de la société cible et la logique de cette dernière, comme de toute autre société, qui vise à la protection de l'entreprise et de son patrimoine pour une bonne sauvegarde des intérêts qu'elle supporte, en particulier, créanciers, tiers, personnel, minoritaires... (cf. les développements à ce sujet dans la note de Paillusseau précitée, chapitre "Le conflit entre la logique des LBO et celle de la construction sociétaire").

Cela dit, en pratique, l'intérêt exclusif du holding actionnaire majoritaire et celui de la société d'exploitation qu'il détient, non seulement, ne sont pas antagonistes, mais convergent souvent au contraire, puisqu'au-delà de la seule phase de rachat, le majoritaire aura toujours intérêt, en termes strictement patrimoniaux, à disposer d'une société fortement valorisée et capable de distributions.

Les dispositions de l'article L. 225-216 du Code de commerce, comme celles de l'article L. 242-6 3° et 4°, sanctionnent pénalement les écarts trop marqués à cet équilibre délicat, qu'une entreprise doit s'efforcer d'assurer en permanence.

Et, de fait, des "avances", "prêts" et "sûretés" comportent le risque, en cas de défaillance de la société bénéficiaire des fonds, accordant une sûreté, d'exposer la société rachetée à supporter le poids de son acquisition.

Si ces fonds sont normalement remboursés et si les garanties ne sont pas mises en jeu, le risque disparaît et la société a pu, au contraire, dégager un produit financier en facturant à l'emprunteuse l'excédent de trésorerie mis à disposition, qu'une banque ne lui aurait pas rémunéré.

La voie normale et licite pour que la société holding finance ses dettes bancaires est la remontée de dividendes versés par la société cible, voire une réduction ou un amortissement régulier du capital social (cf. sur ce sujet, A. Viandier, L'article 217-9 et les rachats d'entreprise, JCP éd. E 1990, II, n° 15821 ; H. Le Nabasque, A propos de l'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966, JCP éd. E 1992, I, n° 107 ; Bull. CNCC 1993, n° 89, p.147 ; note J. Paillusseau préc.).

En pratique, et à l'occasion d'opération de LBO, domaine visé par les dispositions de l'article L. 225-216 qui vise "l'achat d'actions", la mise en place d'une convention de trésorerie pourra être susceptible de relever de la prohibition posée par cet article tout en s'inscrivant, néanmoins, dans une démarche licite et régulière de distribution de dividendes.

Prenons l'exemple classique d'une société holding de reprise constituée pour acquérir une société cible en deuxième partie de l'exercice social N de celle-ci, ayant eu recours à des emprunts bancaires, toutes les deux ayant exercé l'option pour l'intégration fiscale à compter de l'exercice N+1.

Bien souvent les remboursements d'emprunt arriveront à échéance dès l'exercice N, alors que les premiers dividendes ne pourront être mis en paiement qu'à compter de la seconde moitié de l'exercice N+1.

De plus, ces distributions en N+1 seront susceptibles d'entraîner une déperdition fiscale dans la mesure où la loi de finances pour 2006 (loi n° 2005-1719, du 30 décembre 2005, art. 112 N° Lexbase : L6429HET) a prévu que, désormais, la quote-part de frais et charges de 5 % sur dividende versés à l'intérieur du groupe (en application du régime fiscal des sociétés mères et filiales) ne serait plus neutralisée au niveau du résultat d'ensemble au cours du premier exercice d'appartenance au périmètre d'intégration, mais serait donc imposable au niveau du résultat d'ensemble pour ce premier exercice (et non plus, comme dans le régime antérieur à cette loi, lors de la sortie du groupe).

Certes, les acomptes sur dividendes prélevés sur le résultat de l'exercice N+1 et servis au cours de cet exercice échappent à cette imposition (CGI, art. 223 B N° Lexbase : L2659HNS).

Pour autant, et même indépendamment de ces considérations fiscales, les procédures d'acompte sur dividendes présentent une certaine lourdeur : nécessité d'établir un bilan intermédiaire, certifié par le commissaire aux comptes de la société, faisant apparaître un bénéfice distribuable au moins égal à celui des acomptes (C. com., art. L. 232-12, al. 2 N° Lexbase : L6292AIU).

Dans une telle situation et dans l'attente des premières remontées de dividendes en N+2, le recours à des avances de fonds accordées par la société cible contrôlée à la société holding contrôlante, dans le cadre de la convention de trésorerie mise en place au sein du groupe et relevant, par ailleurs, des objectifs d'optimisation de la trésorerie signalés plus haut, pourrait-il relever des avances de fonds proscrits par les dispositions de l'article L. 225-216 du Code de commerce ?

La réponse à cette question devrait passer par l'interprétation à donner aux termes "en vue", puisque l'interdiction vise les fonds avancés par la société "en vue de l'achat de ses propres actions".

L'élément intentionnel de l'infraction paraît fondamental dans ce texte, à l'instar de la "mauvaise foi" comme élément constitutif des délits d'abus des biens ou de crédit de la société et d'abus de pouvoir.

L'expression "en vue", impliquant un acte préalable à l'acquisition, certains auteurs avaient pu admettre la licéité d'opérations financières postérieures à l'acquisition, tout en réservant l'existence "d'accords préalables" ou le jeu d'une éventuelle fraude (cf. H. Le Nabasque, note préc.).

Il semble, à présent, admis que l'expression "en vue" ne signifie pas une antériorité chronologique de l'avance de fonds par rapport à l'achat des actions. En effet, la première question à régler dans le montage d'une opération complexe comme celle d'un LBO, qui forme un tout, est bien celle du financement, la date exacte de mise à disposition des fonds par la cible important peu, et il serait difficile d'admettre qu'un "prêt relais" puisse tourner la sanction légale (cf. Mémento F. Lefebvre, Sociétés commerciales, 2006, et note Paillusseau, préc.).

Ce qui doit primer c'est la véritable finalité de l'opération. Comme le souligne M. J. Paillusserau (cf. note préc.), "l'interprétation téléologique d'un texte a plus de sens que son interprétation littérale".

L'acquisition des actions est elle ou non la finalité réelle de l'avance des fonds ?

Même si la lettre du texte ne vise aucune exclusivité dans l'intention, il paraîtra difficile d'admettre, surtout dans un contexte pénal, que le lien de finalité puisse être distendu par trop d'éléments : postériorité de l'avance, intermédiation de la banque prêteuse, autres objectifs de la centralisation de trésorerie, réalité des dividendes...

Or, dans cet exemple, force est de constater que si l'avance de fonds participe certes au processus d'acquisition, le lien de finalité demeure bien indirect : l'opération de trésorerie autorisée par la convention, légitimée par ailleurs par ses propres objectifs d'optimisation, permet le remboursement des premières échéances bancaires, mais ce sont l'emprunt bancaire et les dividendes qui financent le rachat, l'avance de trésorerie ponctuelle devant être remboursée dès que possible par la première remontée de dividendes.

L'opération qui permet le rachat des actions, ce n'est pas tant la remontée de trésorerie, mais l'emprunt bancaire, celui-ci étant financé par la voie licite des distributions de dividendes. Ce n'est que leur possible décalage dans le temps qui conduira à une avance de trésorerie ponctuelle.

Dès lors qu'une distribution de dividendes régulière en prend rapidement le relais pour financer le remboursement des emprunts bancaires, pourra-t-on raisonnablement parler d'intention frauduleuse ?

Au-delà de l'élément matériel de l'avance de fonds, du prêt relais, visé par l'élément légal, certes constitué, l'intention réelle des dirigeants n'aura-t-elle pas tout simplement été d'éviter certaines contraintes fiscales et juridiques d'une remontée trop rapide des dividendes dont ils ont bien prévu, néanmoins, que c'est bien elle qui financerait l'acquisition ?

Lors de la mise en place et durant l'exécution d'une convention de trésorerie centralisée, les dirigeants et administrateurs, par ailleurs souvent actionnaires majoritaires, afin d'éviter de donner prise à une mise en cause de leur responsabilité civile voire pénale, devront s'attacher à faire application appliquer de manière adaptée à la situation de leur groupe des éléments pratiques suivants :
- fixation d'un taux d'intérêt de marché de préférence au moins égal au taux du prêt d'acquisition et au taux de base bancaire ;
- remontée des seuls excédents de trésorerie non nécessaires à l'exploitation courante et laissant à la société prêteuse les montants nécessaires au financement de ses besoins d'investissements et de développement ;
- remboursement rapide par voie de remontées de dividendes des avances consenties par une filiale dont les titres ont été acquis par la société emprunteuse ;
- existence de flux de trésorerie multilatéraux entre les différentes sociétés parties à la convention, non limités aux seules remontées vers la société contrôlante, par ailleurs endettée (même si c'est par la société contrôlante centralisatrice que doivent transiter tous les flux financiers) ;  

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