La lettre juridique n°233 du 26 octobre 2006 : Marchés publics

[Jurisprudence] Le paiement des travaux supplémentaires dans le cadre d'un marché conclu à prix global et forfaitaire

Réf. : CAA Bordeaux 2ème ch., 6 juin 2006, n° 03BX02384, Société MAS Venant aux droits de la société Bigorre Construction (N° Lexbase : A4150DQR)

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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne

le 07 Octobre 2010

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 6 juin 2006 a été rendu dans une matière où les contentieux sont nombreux. En effet, cet arrêt aborde le sujet épineux de la charge financière des travaux non prévus par le marché. Malgré le caractère constant des conclusions rendues par la jurisprudence administrative, le nombre d'arrêts reste très important. Ce phénomène est très certainement dû à la complexité que revêt, pour les parties au litige, la qualification juridique des faits, qualification conduisant au paiement, ou non, au profit du titulaire, du montant des travaux litigieux. Les réponses devant être apportées (aux fins de déterminer à qui revient la charge financière des travaux) à certaines questions déterminantes peuvent, en effet, être divergentes : les travaux étaient-ils indispensables ? Simplement utiles ? Etaient-ils prévus par le cahier des charges ou, à défaut, les clauses contractuelles les rendaient-ils, a minima, prévisibles ? L'arrêt ici étudié, bien que sans grande originalité au regard de l'état constant de la jurisprudence, nous donne cependant l'occasion de refaire le point sur ce vaste sujet ainsi que sur les décisions récentes rendues en la matière.

Nous allons donc, dans un premier temps, rappeler brièvement la distinction entre un marché conclu à prix unitaires et un marché conclu à prix forfaitaire (I). Puis, après avoir tenté de définir les contours de la notion de "travaux supplémentaires" (II), nous analyserons les hypothèses dans lesquelles le paiement desdits travaux, par le maître d'ouvrage, est de droit (III).

I. Marché conclu à prix unitaires et marché conclu à prix forfaitaire : un partage de risques différent entre les cocontractants

Les marchés conclus à prix unitaires sont ceux au sein desquels le (les) prix sur lequel (lesquels) le maître d'ouvrage et le titulaire se sont entendus, est (sont) appliqué(s) aux quantités effectivement livrées (marchés de fournitures) ou effectivement exécutées (marchés de service ou de travaux).

Le prix unitaire est généralement prévu quand le volume n'est pas connu lors du lancement de la consultation. Le marché prend généralement la forme d'un marché à bons de commande avec ou sans indication de minimum et maximum (déterminés en valeur ou en quantité).

Ce type de marché est plus rarement prévu dans le cadre des marchés publics de travaux, marchés qui sont les plus susceptibles, eu égard aux aléas existants (climat, nature du sol ou des bâtiments réhabilités), de réserver de mauvaises surprises au maître d'ouvrage et donc d'engendrer des surcoûts financiers non budgétés par ce dernier. Ainsi, le marché à prix forfaitaire est plus protecteur du maître d'ouvrage.

Le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés de travaux (dit CCAG Travaux) précise, à cet effet, que les marchés à prix unitaires, "s'appliquent à une nature d'ouvrage ou à un élément d'ouvrage dont les quantités ne sont indiquées dans le marché, qu'à titre prévisionnel" (article 10.2 N° Lexbase : L6908G8D).

Ainsi, de manière assez fréquente, lors de l'établissement de son marché public de travaux, le maître d'ouvrage prévoit que la réalisation dudit marché, se fera à prix global et forfaitaire tant parce que ce type de prix est plus adapté à la réalisation d'une opération de travaux que pour, comme précisé antérieurement, couvrir un maximum de risques, notamment, de dérapage financier de l'opération.

Le prix forfaitaire est donc appliqué, quelles que soient les quantités exécutées, quels que soient les travaux à exécuter pour aboutir au résultat. A ce titre, la circulaire du 5 octobre 1987 relative à la détermination des prix initiaux et des prix de règlement, dispose, rappelons-le, que le prix forfaitaire "rémunère le titulaire pour une prestation, indépendamment des quantités mises en oeuvre pour sa réalisation". Cette définition est précisée par le CCAG Travaux dans son article 10.2 précité et ce, dans les termes suivants : "tout prix qui rémunère l'entrepreneur pour un ouvrage, une partie d'ouvrage ou un ensemble de prestations défini par le marché et qui ou bien est mentionné explicitement dans le marché comme étant forfaitaire ou bien, ne s'applique dans le marché qu'à l'ensemble de prestations qui n'est pas de nature à être répété".

Cette forme de prix implique donc, comme nous allons le voir plus précisément, tout au long de cette étude, que les soumissionnaires apportent une attention particulière tant à l'étude du dossier de consultation qu'à l'établissement de leur offre financière afin d'y inclure, non seulement, les travaux (dans notre cas d'espèce) prévus par le cahier des charges, mais aussi, rendus prévisibles par les clauses y figurant, par un professionnel averti.

II. La notion de "travaux supplémentaires"

Afin de déterminer si les travaux réalisés par l'entrepreneur, titulaire du marché, et dont ce dernier demande le paiement, sont des travaux supplémentaires, la jurisprudence procède à l'analyse des faits aux fins de les qualifier juridiquement. Ainsi, cette dernière vérifie si les travaux concernés étaient prévus par le cahier des charges ou si, alors même qu'ils n'y figuraient pas expressément, pouvaient valablement être prévus par le titulaire lors de l'établissement de son offre. Ainsi, au-delà des termes mêmes des clauses contractuelles et (plus particulièrement celles figurant dans le cahier des clauses techniques particulières), la juridiction administrative vérifie si à défaut d'être prévus, les travaux pouvaient être prévisibles.

L'étude de la jurisprudence, notamment récente, dont la ligne de conduite ne faillit pas, permet d'avancer les pistes suivantes.

Ne sont pas considérés comme des travaux supplémentaires :

- de manière évidente, les travaux prévus dans le cahier des charges (arrêt ici analysé du 6 juin 2006) ;
- les travaux nécessités par des circonstances prévues par le cahier des charges, celui-ci les ayant considérées comme prévisibles (ex : conditions climatiques définies par les clauses contractuelles et considérées comme prévisibles donc, par conséquent, comme devant être incluses dans le prix du marché) ;
- les travaux qui auraient dû être prévus par le titulaire eu égard aux visites et études devant, selon les prescriptions du cahier des charges, être effectuées par l'entrepreneur aux fins d'évaluation, par ce dernier, de l'étendue de ses obligations (CAA Versailles, 4ème ch., 4 juillet 2006, n° 04VE01249, SARL Gilet N° Lexbase : A2505DR9) ;
- les travaux dont la nécessaire réalisation ne pouvait échapper au titulaire compte tenu des compétences professionnelles attachées à sa profession et le cas échéant, de sa spécialisation dans le domaine concerné (arrêt précité du 4 juillet 2006).

Plus généralement, dans tous les cas où le titulaire disposait, notamment via le cahier des charges (mais pas seulement), d'une information suffisante, compte tenu de ses compétences, pour lui permettre d'envisager les travaux futurs à réaliser et par conséquent, pour les inclure dans le prix forfaitaire constitutif de son engagement. Ainsi les travaux exécutés dans le cadre d'un marché à prix forfaitaire, sont loin d'être systématiquement considérés comme des travaux supplémentaires et ce au regard du principe rappelé, maintes fois, par la juridiction administrative, cette dernière considérant que dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, l'entreprise doit "mesurer elle-même, l'étendue des obligations auxquelles elle accepte de souscrire" (CAA Nancy, 3ème ch., n° 98NC02633, 30 mars 2006, Société SPAPA N° Lexbase : A1898DPY confirmant une jurisprudence constante établie notamment par la Haute juridiction : CE, 10 mai 1974, n° 83364 et 83371, Commune de San-Gavine-di-Fiumorbo (Corse) et Groupement des entrepreneurs de Bâtiment et Travaux Publics de la Corse N° Lexbase : A7243B7E).

Comme précisé ci-dessus, dans notre cas d'espèce (arrêt de la cour administrative d'appel étudié), les travaux ne sont pas considérés comme supplémentaires car définis, par le cahier des charges, comme potentiellement réalisables, au regard d'études antérieurement réalisées par le maître d'ouvrage et dont les conclusions figurent au sein dudit cahier des charges.

III. Le paiement des travaux supplémentaires

Cependant, nonobstant le fait que les travaux n'ont pas, dans notre cas d'espèce, été qualifiés de "travaux supplémentaires", la cohérence de l'analyse et la volonté de tracer les contours de la problématique avec un maximum d'exhaustivité, nous conduisent à rappeler les principes applicables en matière de paiement des travaux supplémentaires.

En effet, alors même que les travaux sont considérés comme supplémentaires, la jurisprudence peut considérer que le maître d'ouvrage n'est pas tenu de les rémunérer. A l'instar de ce qui fut dit concernant la notion de "travaux supplémentaires", les principes, établis par la jurisprudence sont constants.

A. Travaux supplémentaires donnant lieu à rémunération ou à indemnisation

Peuvent être rémunérés par le maître d'ouvrage, alors même que le marché a été conclu à prix global et forfaitaire, les travaux entrant dans l'une des trois catégories suivantes :

- premier cas de figure : les travaux sont indispensables afin que le marché puisse être exécuté, dans les règles de l'art. Dans l'hypothèse d'une telle qualification, ces travaux devront donc être pris en charge, d'un point de vue financier, par le maître d'ouvrage, alors même que leur exécution n'aurait pas fait l'objet d'un ordre de service de sa part. La notion de "travaux indispensables" peut couvrir un champ d'application relativement large. Ainsi, un arrêt récent de la cour administrative d'appel de Nancy, en date du 17 octobre 2005, a considéré que les travaux mis en oeuvre par le titulaire, sur sa propre initiative, étaient indispensables dans la mesure où la solution prévue par le cahier des charges était irrégulière au regard des règles existant en la matière (CAA Nancy, 4ème ch., 17 février 2005, n° 00NC00598, Commune de Still N° Lexbase : A7234DLI). Le maître d'ouvrage devait donc en assurer le paiement.

Le règlement des dits travaux, par l'administration, est rappelé constamment par le juge administratif :

- récemment, cour administrative d'appel de Versailles (CAA Versailles, 4ème ch., 4 juillet 2006, n° 04VE01249, SARL Gilet, précité), cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 3ème ch., 30 mars 2006, n° 98NC02633, Société SPAPA N° Lexbase : A1898DPY) ;
- pour d'autres arrêts permettant d'appréhender cette notion : cour administrative d'appel de Nancy (CAA Nancy, 3ème ch., 10 novembre 2004, n° 98NC02495, Commune de Pont-de-Roide c/ Sarl menuiserie Mettey N° Lexbase : A9787DHX) ; cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 4ème ch., 9 avril 2004, n° 01NT02276, M. Philippe Jean et Hôpital local de Lesneven N° Lexbase : A3622DDI) ; cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 17 février 2004, n° 01DA00448, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK) ; Conseil d'Etat (CE 1° et 2° s-s-r., 14 juin 2002, n° 219874, Ville d'Angers N° Lexbase : A9177AYK) ; cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 4ème ch., 6 février 2001, n° 96PA00869, SEMAEC - Commune de Créteil N° Lexbase : A8314BHE : refus, dans ce dernier cas, de travaux comme indispensables).

- deuxième cas de figure : les travaux supplémentaires ayant pour origine une décision modificative ou une faute du maître d'ouvrage, ayant engendré des coûts non prévus lors de l'établissement, par le titulaire, de son offre. Ces travaux doivent faire l'objet d'un règlement par le maître d'ouvrage.

Le principe a été rappelé récemment dans l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Nancy du 30 mars 2006.

Pour d'autres arrêts rendus en la matière : cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 4ème ch., 9 avril 2004, n° 01NT02276, M. Philippe Jean et Hôpital local de Lesneven N° Lexbase : A3622DDI) ; cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, n° 01DA00448, 17 février 2004, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK) ; Conseil d'Etat (CE 1° et 2° s-s-r., 14 juin 2002, n° 219874, Ville d'Angers N° Lexbase : A9177AYK ; CE 2° et 6° s-s-r., 12 octobre 1988, n° 56690, Société anonyme "Entreprise Olin" N° Lexbase : A9951APA).

- troisième cas de figure : les travaux entrant dans le champ d'application "des sujétions techniques imprévues". Une distinction doit d'ores et déjà être soulignée. Dans cette hypothèse, il ne s'agira pas d'un règlement mais d'une indemnisation impliquant donc, le cas échéant, une prise en charge partielle du surcoût par le titulaire du marché.

L'application de la théorie des sujétions imprévues suppose la réunion des conditions cumulatives suivantes :

- extériorité ;
- imprévisibilité des circonstances ;
- surcoût exceptionnel ;
- caractère matériel du fait imprévisible (à la différence des conditions de mise en oeuvre de la théorie de l'imprévision).

Le juge administratif mettra en oeuvre la théorie des sujétions techniques imprévues, sous réserve que l'économie du marché soit bouleversée.

L'arrêt récent de la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 6ème ch., 3 mai 2006, n° 02MA00386, Société Carillion BTP N° Lexbase : A8789DP9) a accepté l'indemnisation du titulaire en considérant que ce dernier n'aurait pu, même à l'aide de sondages, anticiper "la particulière résistance d'une marge de zone rocheuse" qui avait engendré des coûts supplémentaires.

Pour d'autres arrêts concernant la mise en oeuvre de la théorie des sujétions techniques imprévues :

sur l'acceptation de mise en oeuvre de cette théorie : Conseil d'Etat 28 février 1979 (CE contentieux, n° 5952, M. Voisin N° Lexbase : A0267AK4) ; cour administrative d'appel de Douai du 12 février 2004 (CAA Douai, 1ère ch., n° 02DA00230, M. Etienne Tête c/ communauté urbaine de Lyon N° Lexbase : A6762DB3) ; Conseil d'Etat, 13 décembre 1961 (CE contentieux, n° 50341, Ministre des Travaux Publics c/ Société nationale de construction N° Lexbase : A8008DRZ) ;
sur le refus d'application de mise en oeuvre de cette théorie : cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 2ème ch., 11 juin 2001, n° 97BX30587, Centre hospitalier de Cayenne N° Lexbase : A1846BE4 ; 2ème ch., 16 février 1998, n° 94BX01791, Société Sade-Compagnie Générale de travaux d'hydraulique N° Lexbase : A3357BE3) ; cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 2ème ch., 21 novembre 2000, n° 98MA00892, Département du Var N° Lexbase : A3884BMS).

B. Travaux supplémentaires ne donnant pas lieu à rémunération ou à indemnisation

Certains travaux peuvent revêtir la qualification de travaux supplémentaires, c'est-à-dire considérés comme non prévus ou comme prévisibles (cf. supra). Pour autant, le juge administratif considère, en vue notamment de contrôler les dérapages d'entrepreneurs peu soucieux des procédures relatives aux ordres de service et donc en vue de protéger les deniers publics, que le maître d'ouvrage n'aura pas à rémunérer ou à indemniser certains travaux supplémentaires.

Ainsi, faute de décision expresse prise par le maître d'ouvrage, les travaux réalisés sur simple initiative de l'entrepreneur, devront rester à la charge de ce dernier si lesdits travaux étaient simplement utiles et non indispensables (CAA Versailles, n° 04VE01249 du 4 juillet 2006, précité).

Le fait que lesdits travaux aient été exécutés correctement importe peu (même arrêt).

D'autres circonstances telles que le fait que les travaux supplémentaires viennent compenser des travaux prévus par le marché mais non réalisés, permettent le règlement du marché (CAA Douai, 2ème ch., 20 décembre 2001, n° 99DA00320, Maison de retraite du pays de Condé-sur-Escaut N° Lexbase : A1028BMZ).

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