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N2933AL9
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
L'exercice en la matière d'un recours de plein contentieux en restitution d'impôts, autre qu'un recours purement fiscal, a été confirmé par la Haute juridiction dans différentes affaires.
Ainsi, le Conseil d'Etat, aux termes d'un arrêt de section en date du 1er février 1974, a permis l'introduction d'un recours de plein contentieux en restitution par un tiers qui, indûment invité par les services fiscaux à régler la dette fiscale d'un autre contribuable, l'avait payée (CE, section, 1er février 1974, n° 82229, Dame Huber N° Lexbase : A1044B7S, Dupont 1974, p. 151).
Dans cette affaire, il ressortait "de l'instruction et notamment d'une lettre en date du 4 avril 1968 du receveur-percepteur des finances de Strasbourg que les impositions foncières établies pour les années 1962 à 1966 [...] au nom" d'un contribuable ayant acquis un immeuble et, "qui en était seul personnellement débiteur", avaient été payées par Mme Huber,"sur la sommation qui lui en a été faite" alors qu'elle n'était "ni personnellement débitrice, ni solidairement responsable" en sorte qu'elle "était [...] en droit d'en demander la restitution".
De même dans un autre arrêt, en date du 8 août 1990, le Conseil d'Etat a confirmé cette possibilité (CE, 7° et 9° s-s-r., 9 octobre 1981, n° 26590, Mme Virotte-Ducharme N° Lexbase : A3608AKT ; CE, 7° et 8° s-s-r., 8 août 1990, n° 71821, Mme Fériel N° Lexbase : A5290AQY, Dr. Fisc. 1991, n° 52 comm. 2565).
Dans la première affaire, le litige portait sur des sommes indûment payées par un nu-propriétaire à raison d'un avertissement d'impositions foncières, portant sur des propriétés bâties et non bâties, établies au nom d'un usufruitier qui avait été délivré à tort par le comptable du trésor au nu-propriétaire qui n'en était donc par débiteur, lequel a obtenu restitution de ses versements.
Dans la seconde affaire, le litige portait sur l'appréhension par voie d'avis à tiers-détenteurs par le Trésor d'un reliquat de cautionnement versé par un tiers pour la mise en liberté d'un contribuable, débiteur d'impôts et détenu préventivement à la suite d'une inculpation pour fraude fiscale. Le tiers contestait que le reliquat devenu disponible après condamnation de l'intéressé pour fraude fiscale ait pu être appréhendé par le Trésor pour apurer la dette d'impôt de ce dernier dans la mesure où ce reliquat lui appartenait en sorte qu'il se trouvait autoriser à en réclamer la restitution comme étant sa propriété.
La situation de paiement volontaire de la dette d'un tiers, hors le cas de la mise en jeu de la solidarité, est susceptible de recouvrir trois situations distinctes dont une seule est prise en définitive en compte par la jurisprudence lorsque celui qui a payé la dette d'impôt d'autrui entend en obtenir la restitution.
La première que paraît exclure d'emblée la jurisprudence correspond à la situation pour le moins peu concevable qui est celle du paiement spontané d'impôt d'autrui par des personnes ne disposant d'aucun titre et caractérisant en réalité une libéralité.
Ainsi, une action en restitution a été déclarée irrecevable dès lors qu'elle portait sur des sommes versées à tort spontanément par un tiers de son propre chef sans que l'administration lui ait demandé de les payer ou ait engagé à son encontre des poursuites (CE 8° s-s., 13 juillet 1963, n° 49296 ; CAA Lyon, 2ème ch., 22 avril 2004, n° 01LY01648, SA CVP N° Lexbase : A2017DD3, RJF 7/05 n° 757).
La deuxième correspond à la prise en charge du paiement d'impôts d'un tiers dans le cadre d'accords contractuels auxquels cas les litiges nés de leur prise en charge seront résolus par le juge civil dans le cadre de l'appréciation des obligations contractuelles des parties.
La troisième correspond à la situation ou une personne paie l'impôt d'autrui à tort, mais en raison d'une obligation juridique -à la suite d'un engagement de l'action des comptables du Trésor- à laquelle elle ne pouvait se soustraire. C'est dans cette dernière hypothèse que se trouve admise l'action en restitution d'impôts payés pour autrui par erreur relevant du contentieux de pleine juridiction laquelle doit être exercée dans les délais applicables à cette catégorie de contentieux.
Ainsi dans l'affaire "Mme Huber", selon les conclusions de M. le commissaire du Gouvernement Mandelkern, figurant sous cet arrêt, "le cas de Mme Huber se ramène, d'une façon générale, à celui des contribuables qui, pour une raison ou une autre, possèdent une créance sur le Trésor. Cette créance peut provenir,
- comme en l'espèce, d'une erreur des services du recouvrement ;
- mais elle peut résulter aussi d'autres circonstances ;
- il peut y avoir eu, par exemple, un trop perçu, notamment lorsque l'impôt est payé par voie d'acomptes calculés sur la base de l'impôt dû au cours de l'année précédente; après imputation des excédents sur les autres impôts exigibles, des difficultés peuvent s'élever sur le montant du remboursement à faire au contribuable ;
- on peut imaginer aussi un différent sur l'exécution par le comptable d'une décision de dégrèvement ou de remise prise par le Directeur, ou d'un jugement accordant la décharge".
Selon toujours le commissaire du Gouvernement Mandelkern, "les personnes qui se trouvent dans cette situation se distinguent des autres contribuables en ce sens que leur litige avec l'administration échappe aux procédures selon lesquelles peuvent être contestés l'établissement et le recouvrement de l'impôt. Elles se distinguent aussi des autres créanciers de l'Etat dans la mesure où ce litige a bien l'impôt pour origine et relève par nature du contentieux fiscal. Et il ne peut s'agir que d'un contentieux fiscal administratif [...]".
Il s'ensuit que, "pour en revenir aux restitutions en tant que telles, les demandes en ce sens soulèvent un litige relatif au payement d'une dette de l'Etat née d'une opération de puissance publique de nature fiscale et relevant donc bien du contentieux administratif [CE, 5 octobre 1960, n° 13559, Cie d'assurances générales, Lebon p. 517] et plus précisément du contentieux de l'impôt [...]", et "à défaut de dispositions particulières régissant la procédure à suivre, il y a lieu d'appliquer les règles du plein contentieux" : c'est ce qui a été jugé "[....]à propos des litiges relatifs à la décision d'assujettissement à la redevance instituée par l'article 1er de la loi du 2 août 1960 en matière de construction de locaux à usage de bureau ou à usage industriel dans la région parisienne" (CE Contentieux, 12 janvier 1973, n° 72098, Sieur Anselmo N° Lexbase : A8396B74, Lebon p. 35).
Toutefois, se pose encore le problème de savoir quelle est la procédure d'introduction de l'action ou du recours quels sont les délais applicables à cette procédure, dans la mesure ou l'action en question n'entre pas dans le champ d'application de la procédure fiscale classique.
La réponse à ces interrogations a encore été donnée par M. le commissaire du Gouvernement Mandelkern, dans ses conclusions figurant sous l'arrêt du Conseil d'Etat "Dame Huber" en s'exprimant de la manière qui suit sur le sujet : "C'est dire qu'il faudra que le contribuable lie le contentieux en présentant une demande à l'administration : on retrouve à cet égard la même démarche que celle qu'impose le Code général des impôts sous le nom de réclamation, mais sans les délais dans lesquels la réclamation est enfermée. Très naturellement, dans les situations que nous envisageons, cette démarche sera adressée aux services du recouvrement: mais elle pourra aussi bien l'être aux services d'assiette; c'est vers eux, que Mme Huber s'était d'abord tournée. Les seules restrictions dans le temps susceptibles d'être opposées à de telles demandes sont celles qui résultent de la déchéance quadriennale. Enfin, en ce qui concerne le recours contentieux, le délai de deux mois ne jouera qu'en cas de décision expresse de rejet".
Il sera observé que le délai pour réclamer la restitution d'une imposition d'un tiers payée à tort par une personne s'inscrit dans le cadre de la déchéance quadriennale (loi n° 68-1250, 31 décembre 1968, relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, art. 1er N° Lexbase : L6499BH8).
En effet, aux termes des dispositions régissant ladite déchéance, il est précisé que "sont prescrites, au profit de l'Etat [...], sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis".
C'est donc dans le délai de quatre ans que se trouve enfermé le recours en restitution de plein contentieux dont dispose pour réclamer celui qui a payé à tort l'impôt d'autrui et qui se matérialise avant tout recours devant le juge administratif par le dépôt préalable d'une réclamation devant le comptable ayant exercé le recouvrement forcé de la créance du tiers.
Il sera noté que l'article 6 des mêmes dispositions prévoit que, si les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription susvisée, "toutefois, par décisions de ces mêmes autorités compétentes, les créanciers de l'Etat peuvent être relevés en tout ou partie de la prescription à raison de circonstances particulières et notamment de la situation du créancier".
C'est donc la procédure prévue par l'article R. 421-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L8421GQX) qui trouve à s'appliquer (CE, 7° et 9° s-s-r., 9 octobre 1981, n° 26590, Mme Virotte-Ducharme, précité).
Cet article rappelle que "la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée".
Ainsi, le Conseil d'Etat précise, s'agissant de la particularité de ce type de recours "que l'action formée par le requérant a le caractère d'un litige de plein contentieux auquel sont applicables les dispositions de l'article 1er du décret n° 65-25 du 11 janvier 1965 aux termes duquel la juridiction administrative ne peut-être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée".
Toutefois, l'article R. 421-5 du CJA (N° Lexbase : L3025ALM) précise que "les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision".
Ainsi, le délai de recours contentieux ne commence pas à courir si la décision attaquée ne mentionne pas l'existence et la durée dudit délai de recours.
En l'absence de décision expresse à l'encontre de sa réclamation, l'intéressé devra en toute hypothèse initier son recours en arguant d'une décision implicite de rejet devant la juridiction administrative avant l'expiration du délai de quatre ans décompté à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la créance a été acquise.
En conclusion, dès lors qu'une imposition due par un contribuable a été supportée par un tiers, ce dernier dispose d'un droit à restitution des sommes ainsi indûment acquittées sous la condition qu'il soit en premier lieu véritablement un tiers non débiteur des impositions ou considéré comme tel par le service d'assiette, en second lieu ne pas être susceptible de voir sa responsabilité solidaire être mise en cause et en troisième lieu avoir fait l'objet d'une demande en paiement ou de poursuites de la part des comptables du Trésor (CE, 3° et 8° s-s-r., 25 juin 2003, n° 240817, Correia N° Lexbase : A2044C9L, RJF 10/03 n° 1171).
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