La lettre juridique n°204 du 2 mars 2006 : Baux commerciaux

[Evénement] Application du statut des baux commerciaux

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N5208AK4

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par Compte-rendu réalisé par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

le 07 Octobre 2010

Le 27 février dernier, les Editions Dalloz ont organisé une journée d'études portant sur l'actualité des baux commerciaux, présidée par Jean-Pierre Blatter, avocat à la Cour, professeur à l'ICH, directeur de la revue AJDI. A cette occasion, ont été abordés les sujets suivants : "application du statut", "loyer renouvelé ou révisé : fixation", "les changements d'affectation après l'ordonnance du 8 juin 2005", "obligation de délivrance et d'entretien du bailleur", "cession de bail", "incidence de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT) sur le régime des baux commerciaux" et, enfin, "actualité jurisprudentielle 2005". Nous nous attacherons, dans le présent compte-rendu, à traiter de l'intervention de Jérôme Betoulle, Conseiller référendaire à la Cour de cassation, sur l'application du statut. L'article L. 145-1-I du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ) énonce que "les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, et en outre :
1° Aux baux de locaux ou d'immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal. En cas de pluralité de propriétaires, les locaux accessoires doivent avoir été loués au vu et au su du bailleur en vue de l'utilisation jointe ;

2° Aux baux des terrains nus sur lesquels ont été édifiées -soit avant, soit après le bail- des constructions à usage commercial, industriel ou artisanal, à condition que ces constructions aient été élevées ou exploitées avec le consentement exprès du propriétaire".
Cette disposition a suscité un très abondant contentieux. Aussi, récemment, ce texte a donné lieu à une jurisprudence riche et complexe en matière de conditions de l'immatriculation du preneur (I) et de l'application du statut en présence de commerces intégrés (II).

I - Les conditions d'immatriculation du preneur

Comme l'a souligné Jérôme Betoulle, l'on enseigne généralement les conditions d'immatriculation en trois parties : d'une part, les personnes assujetties à l'immatriculation, d'autre part, les locaux concernés par l'immatriculation et, enfin, la date à laquelle la condition d'immatriculation doit être remplie.
L'actualité jurisprudentielle conduit, cependant, à ne s'intéresser qu'aux personnes assujetties (A), à la date d'immatriculation (B) et au cas particulier de l'extension volontaire du statut des baux commerciaux (C).

A - Personnes assujetties à l'immatriculation

L'actualité en la matière a été essentiellement marquée par deux arrêts de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, respectivement du 18 mai et du 15 juin 2005.

1. Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.349, M. Eric Fraizier c/ Société civile immobilière (SCI) Les Braies, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3028DIY) : immatriculation et droits de l'homme

Il est de jurisprudence constante que le défaut d'immatriculation d'un cotitulaire du bail commercial prive l'ensemble des copreneurs du statut des baux commerciaux. Cette jurisprudence est très rigoureuse et il n'y est fait exception que dans deux cas :
- lorsque les cotitulaires sont des héritiers indivis, seul l'exploitant effectif du fonds doit justifier de l'immatriculation (Cass. civ. 3, 3 juillet 1979, n° 77-11.445, Société immobilière Ivry-sur-Seine c/ Consorts Katz N° Lexbase : A3321AG4, Bull. civ. III, n° 148) ;
- lorsque les cotitulaires du bail commercial sont époux communs en biens, seul celui qui exploite le fonds dans l'intérêt commun doit justifier de l'immatriculation (Cass. civ. 3, 8 mai 1979, n° 77-15.885, Missirli c/ Terzo N° Lexbase : A3327AGC, Bull. civ. III, n° 102). Notons que cette solution n'a pas été étendue aux époux séparés en biens qui doivent, lorsqu'ils sont cotitulaires d'un bail de locaux à usage commercial, être inscrits l'un et l'autre au registre du commerce pour bénéficier du droit au renouvellement du bail (Cass. civ. 3, 1er juin 1994, n° 92-11.232, Mme Chapelle c/ M. X et autre N° Lexbase : A6778ABN et Cass. civ. 3, 24 mai 2000, n° 98-22.732, Epoux Hulin c/ Mme Deluard N° Lexbase : A8752AHM).

S'agissant de l'arrêt du 18 mai 2005, le moyen soutenait que constitue une atteinte disproportionnée portée au droit à la "propriété commerciale" reconnue au preneur par les articles L. 145-1 et suivants du Code commerce et par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (N° Lexbase : L1625AZ9) le fait, pour un bailleur, de dénier le bénéfice de ce droit -en dépit de l'immatriculation régulière de l'un des époux séparés de biens au registre du commerce à la date de la demande de renouvellement du bail formée par les deux époux, cotitulaires du bail- sur le seul fondement du défaut d'immatriculation (non susceptible de lui causer grief et bientôt régularisé) de l'autre époux à cette date.
En effet, aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, portant sur la protection de la propriété, "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes
". Par le terme de "biens" sont ici visés aussi bien les biens matériels que les biens incorporels. Par ailleurs, la notion d'utilité publique est une notion assez imprécise, d'autant plus que la Cour européenne des droits de l'homme s'interdit de substituer son appréciation des impératifs d'utilité publique à celle des Etats membres.

Jérôme Betoulle souligne, cependant, que l'objet même de l'immatriculation est un objet de publicité et de contrôle, dans le but, notamment, de protéger les tiers (créanciers inscrits, acteurs des procédures collectives, etc.).
Néanmoins, l'on peut se demander si le défaut d'immatriculation d'un copreneur peut lui faire perdre son droit au renouvellement, mais laisser ce droit aux autres copreneurs. D'où la question d'une atteinte disproportionnée -à ce titre, il est à préciser que l'époux commun en biens d'un commerçant ou d'un artisan peut vouloir aider son époux dans son activité sans pour autant forcément vouloir adopter son statut.

2. Cass. civ. 3, 15 juin 2005, n° 04-11.322, M. Hamed Essalah, dénommé Elitim c/ Société Central Bastille, FS-P+B (N° Lexbase : A7578DII) : l'immatriculation du copreneur non-exploitant

La Cour de cassation s'est prononcée, le 15 juin 2005, sur la condition d'immatriculation des copreneurs en présence d'un preneur non-exploitant.
Dans cette affaire, par acte des 14 et 21 juin 1993, une société C., preneur à bail de locaux à usage d'hôtel, a sous-loué une partie de ces locaux, à compter du 1er octobre 1990, à quatre personnes pour l'exercice exclusif dans les lieux d'un commerce de restaurant, salon de thé et pâtisserie. Invoquant le défaut d'immatriculation d'un des copreneurs au registre du commerce et des sociétés, la société C. leur a fait délivrer, le 26 mars 1999, un congé portant refus de renouvellement et de paiement d'une indemnité d'éviction. Les sous-locataires ont assigné leur bailleur en nullité de ce congé. La cour d'appel a validé le congé avec refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction délivré aux preneurs par la société C., aux motifs que les quatre sous-locataires, copropriétaires indivis du fonds de commerce, justifient être immatriculés au registre du commerce et des sociétés, que l'extrait K bis concernant l'un d'eux le mentionne en qualité de copropriétaire non exploitant mais que, si ce dernier justifie de son statut de retraité depuis le 1er juillet 1994, il n'établit nullement qu'à une époque il ait eu la qualité de commerçant et que, dès lors, le défaut d'immatriculation de l'un des titulaires privant l'ensemble des copreneurs du bénéfice du statut des baux commerciaux, la société C. était en droit de refuser le renouvellement du sous-bail en déniant aux preneurs le bénéfice de ce statut. La Haute cour cassa l'arrêt d'appel pour violation de l'article L. 145-1 I du Code de commerce, estimant que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, ayant relevé, en effet, que ledit copreneur était immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité de propriétaire non exploitant.

Il est donc permis de penser que la cotitularité du bail n'implique pas que tous les cotitulaires soient commerçants, c'est-à-dire que l'immatriculation en qualité de propriétaire non exploitant du fonds de commerce d'un des copreneurs suffit pour remplir l'exigence d'immatriculation et permettre, ainsi, le renouvellement du bail commercial. Toutefois, cette question n'a pas encore été posée en termes explicites à la Cour de cassation.

B - Date d'immatriculation

Dans une décision du 18 mai 2005, la Cour de cassation a précisé que la condition d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés doit être remplie à la date de la demande de renouvellement et à la date d'expiration du bail, mais non pendant le cours de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé (Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, M. Philippe Degrugillier c/ Société civile immobilière (SCI) La Rotonde de Béthune, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9).

Aussi, la Cour de cassation avait, dans un arrêt du 19 septembre 2004, exclu l'exigence d'immatriculation pour la période postérieure au renouvellement dans l'attente du paiement d'une indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE).

Or, selon Jérôme Betoulle, l'immatriculation ne doit pas seulement être une condition du droit au renouvellement, mais doit être, également, une condition d'application du statut. Ainsi, cette exigence d'immatriculation devrait être remplie à chaque fois que le preneur revendique un droit statutaire, ce qui, certes, remettrait en cause un certain nombre de jurisprudences.

C - Cas particulier de l'extension volontaire du statut

Il doit, tout d'abord, être rappelé que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 mai 2002, avait expressément décidé qu'en cas de soumission conventionnelle au statut des baux commerciaux, sont nulles les clauses contraires aux dispositions impératives relatives à la forme du congé (Ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, M. Hervé Caporal c/ Société Groupe Ribourel, P N° Lexbase : A6534AYN).
Or, Jérôme Betoulle estime que, s'agissant de personnes ne remplissant pas les conditions d'immatriculation, l'ordre public avait perdu sa raison d'être, de sorte qu'il n'y a aucune raison de "s'accrocher" à cet ordre public de protection.
L'une des conséquences majeures de cet arrêt d'Assemblée plénière est, ainsi, que, si les parties adoptent conventionnellement le statut des baux commerciaux, le droit au renouvellement s'applique et le statut s'appliquera alors, non pas seulement pour un bail, mais pour tous les baux conclus successivement.

C'est ensuite que la Cour de cassation, dans une décision du 9 février 2005 -dont l'importance est relatée par la présence d'un chapeau dans cet arrêt de rejet-, a affirmé que, "en cas de soumission volontaire au statut des baux commerciaux, l'immatriculation du preneur au registre du commerce et des sociétés n'est pas une condition impérative de son droit au renouvellement" (Cass. civ. 3, 9 février 2005, n° 03-17.476, FS-P+B N° Lexbase : A6927DGN).
La Haute cour "coupe" donc la solution antérieure qui ne peut plus dénier le droit au renouvellement sous prétexte d'absence d'immatriculation. Par conséquent, la soumission volontaire au statut des baux commerciaux donne lieu à l'existence d'un droit inhérent au renouvellement.

II - Commerce intégré et application du statut des baux commerciaux

La troisième chambre civile de la Cour de cassation (V. Cass. civ. 3, 5 février 2003, n° 01-16.672, FS-P+B N° Lexbase : A9070A4P) jugeait traditionnellement que le statut des baux commerciaux est applicable en présence d'un commerce intégré, nonobstant la qualification que les parties ont donné au contrat, à trois conditions :
1. l'existence d'un local stable et permanent,
2. disposant d'une clientèle personnelle et régulière (c'est-à-dire l'exploitation du fonds),
3. et jouissant d'une autonomie de gestion.

La notion d'autonomie de gestion ayant fait l'objet de nombreuses critiques, notamment sur l'application qui en est faite par la Cour de cassation, cette dernière a infléchi sa position dans un arrêt du 19 janvier 2005 (Cass. civ. 3, 19 janvier 2005, n° 03-15.283, FS-P+B+R N° Lexbase : A0837DG4). Il s'agit, là encore, d'un arrêt important, comme en témoigne la présence d'un chapeau dans un arrêt de rejet, et sa publication au Rapport annuel de la Cour de cassation. La Cour de cassation affirme, dans cette décision, que "le statut des baux commerciaux s'applique aux baux de locaux stables et permanents dans lesquels est exploité un fonds de commerce ou un fonds artisanal, ces fonds se caractérisant par l'existence d'une clientèle propre au commerçant ou à l'artisan, que, toutefois, le bénéfice du statut peut être dénié si l'exploitant du fonds est soumis à des contraintes incompatibles avec le libre exercice de son activité".
La Haute juridiction, en reprenant les termes de l'article L. 145-1 I du Code de commerce, rappelle que la loi exige l'existence d'un local stable et permanent et l'existence d'une clientèle propre. Elle n'ajoute donc pas au texte l'autonomie de gestion, mais considère que l'absence totale d'autonomie de gestion entraînerait l'absence d'exploitation du fonds par le preneur, auquel cas c'est, en réalité, la deuxième condition du texte qui ferait défaut.

Cette solution emporte deux conséquences : la première conséquence se manifeste dans un durcissement statutaire qui pourrait conduire à un refus d'application du statut des baux commerciaux. La seconde conséquence consiste en un renversement de la charge de la preuve -dans la mesure où ce n'est pas au preneur de prouver qu'il exploite le fonds-.

Cette solution, souligne Jérôme Betoulle, semble s'accorder parfaitement avec la jurisprudence "Trévisan" du 27 mars 2002 rendue sur le droit au renouvellement du franchisé, et selon laquelle un franchisé est, en principe, propriétaire du fonds de commerce exploité dans les lieux qui ont fait l'objet d'un bail commercial et il peut, de ce fait, prétendre à un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-20.732, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3899AY3).

Il reste, cependant, à définir quelles sont ces contraintes incompatibles.
Dans l'arrêt du 19 janvier 2005, le bailleur faisait valoir que le commerçant exploitait la boutique de l'hôtel conformément au règlement intérieur de l'hôtel qui lui imposait, non seulement les horaires d'ouverture et de fermeture de cette boutique mais, également, les prestations qu'elle devait fournir à la clientèle. Toutefois, l'on estime que la simple intervention du bailleur est légitime dans ce type de commerce intégré.
Par ailleurs, il n'y a pas de marque d'approbation de la Cour de cassation dans cet arrêt. En effet, elle énonce seulement que la cour d'appel a fait "ressortir ainsi l'absence de contraintes incompatibles avec le libre exercice de" l'activité commerciale. L'absence de contraintes incompatibles sera donc un élément que les juges du fond devront caractériser.

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