La lettre juridique n°161 du 31 mars 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] L'amarrage et l'hivernage des bateaux soumis au régime du stationnement des véhicules

Réf. : CJCE, 3 mars 2005, aff. C-428/02, Fonden Marselisborg Lystbådehavn c/ Skatteministeriet (N° Lexbase : A1775DH9)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Offrir aux propriétaires de bateaux la possibilité, moyennant contrepartie, d'utiliser une partie délimitée d'un port ou d'un terrain constitue-t-il une activité immobilière soumise à la TVA ? A cette question, la CJCE apporte une réponse positive. En effet, le 3 mars 2005, le juge communautaire a dit pour droit que :

"1) L'article 13, B, sous b), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la directive 92/111/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (N° Lexbase : L9279AU9), doit être interprété en ce sens que la notion de location de biens immeubles englobe la location d'emplacements prévus pour l'amarrage de bateaux sur l'eau, ainsi que d'emplacements pour l'entreposage de ces bateaux à terre dans l'aire portuaire.

2) L'article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive 77/388, telle que modifiée par la directive 92/111, doit être interprété en ce sens que la notion de "véhicules" englobe les bateaux".

Fonden Marselisborg Lystbådehavn (FML) est une fondation danoise qui entretient et gère un port de plaisance. Dans le cadre de cette activité, elle loue des emplacements sur l'eau pour bateaux et des places à terre pour l'hivernage de ces mêmes bateaux. L'administration fiscale danoise entendait soumettre à la TVA toutes les locations de FML. Cette dernière opposait l'exonération de la location de biens immeubles prévue par l'article 13 B, b de la 6ème directive-TVA, tout en ignorant la taxation du stationnement des véhicules découlant du paragraphe 2 de ce texte. Le premier juge danois saisi a considéré que l'amarrage ne constituait pas une location immobilière et que les bateaux n'étaient pas des véhicules. En conséquence, la location d'emplacements sur l'eau relevait de la TVA, mais l'hivernage y échappait. Le second juge danois a préféré solliciter la cour de Luxembourg dans les termes suivants : "1) L'article 13, B, sous b), de la sixième directive-TVA [...] doit-il être interprété en ce sens que la notion de "location de biens immeubles" comporte la location d'un emplacement pour bateaux, qui consiste en une partie à terre de l'aire portuaire, ainsi qu'un emplacement délimité et identifiable sur l'eau ? 2) L'article 13, B, sous b), point 2, de la sixième directive doit-il être interprété en ce sens que la notion de "véhicules" couvre les bateaux ?".

En bon civiliste, le juge communautaire range la mer dans la catégorie des immeubles et les bateaux dans celle des véhicules.

1. La mer est un immeuble

L'article 2, § 1, de la 6ème directive-TVA soumet à cet impôt les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel. Il en résulte que la location habituelle d'emplacements de stationnement pour bateaux est taxable, sauf à considérer que la mise à disposition d'une fraction d'un port s'analyse en une location d'immeuble visée par l'exonération prévue par l'article 13 B, b de la directive précitée.

En France, la nature mobilière ou immobilière d'un bien dépend essentiellement de la question de savoir si la chose peut se déplacer ou être déplacée. Aux termes de l'article 518 du Code civil (N° Lexbase : L3092AB7), le sol et tout ce qui en dépend appartiennent à la catégorie des immeubles. A l'évidence, la mer, un port de plaisance et ses aménagements sont fixes. L'administration fiscale danoise et la première juridiction saisie paraissent avoir réduit la notion d'immeuble au bâtiment érigé sur un fonds de terre. Sans doute ont-elles été troublées par l'élément liquide de l'affaire. S'il est exact que l'eau recouvrant le terrain servant de support à un bassin portuaire peut être déplacée, il n'en demeure pas moins que des bateaux ne peuvent flotter et, partant, stationner dans un port sans eau. En sorte que le sol et l'eau nécessaires à l'existence d'un port ne font qu'un. De plus, la terre étant immeuble par nature, le fait qu'il soit recouvert d'eau ne le renvoie pas à la catégorie des meubles.

Cette analyse ne s'imposait pas à la CJCE. L'interprétation du droit communautaire relève exclusivement de la compétence du juge communautaire . Il lui appartient de dire le sens des termes et notions utilisés par le droit communautaire. Ce serait nier l'existence du droit commun voulu par tous les Etats membres que de permettre à chacun d'eux d'interpréter le droit communautaire par référence à ses propres classifications et définitions. Marché unique et interprétation distincte du droit le régissant apparaissent contradictoires. Surtout, dans la mesure où la directive du 17 mai 1977 s'intitule "6ème directive en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur la valeur ajoutée : assiette uniforme", les mêmes situations de fait doivent recevoir la même qualification et relever du même régime.

A juste titre, le point 28 de l'arrêt "Harbs" (CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-321/02, Finanzamt Rendsburg c/ Detlev Harbs N° Lexbase : A0927DDP), en date du 15 juillet 2004, souligne qu'"il découle des exigences tant de l'application uniforme du droit communautaire que du principe d'égalité que les termes d'une disposition du droit communautaire, qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des Etats membres pour déterminer son sens et sa portée, doivent normalement trouver, dans toute la Communauté, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l'objectif poursuivi par la réglementation en cause" (voir, notamment, CJCE, 18 janvier 1984, aff. C-327/82, Ekro BV Vee- en Vleeshandel c/ Produktschap voor Vee en Vlees, point 11 N° Lexbase : A8684AU8 ; CJCE, 19 septembre 2000, aff. C-287/98, Grand-Duché de Luxembourg c/ Berthe Linster, Aloyse Linster et Yvonne Linster, point 43 N° Lexbase : A1857AWP ; CJCE, 9 novembre 2000, aff. C-357/98, The Queen c/ Secretary of State for the Home Department, ex parte Nana Yaa Konadu Yiadom, point 26 N° Lexbase : A0294AWS ; CJCE, 27 février 2003, aff. C-373/00, Adolf Truley GmbH c/ Bestattung Wien GmbH, point 35 N° Lexbase : A3332A7K ; CJCE, 27 novembre 2003, aff. C-497/01, Zita Mode s Sàrl c/ Administration de l'enregistrement et des domaines, point 34 N° Lexbase : A2992DA3). L'arrêt "Temco" (CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA N° Lexbase : A9123DDA), en date du 18 novembre 2004, rappelle, en son point 16, que "selon une jurisprudence constante, les exonérations prévues à l'article 13 de la sixième directive constituent des notions autonomes du droit communautaire et doivent, dès lors, recevoir une définition communautaire" (voir CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97, Commission des Communautés européennes c/ Irlande, point 51 [lXB=A1931AWG] ; CJCE, 16 janvier 2003, aff. C-315/00, Rudolf Maierhofer c/ Finanzamt Augsburg-Land, point 25 N° Lexbase : A7026A4Y ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, point 22 N° Lexbase : A7807C8N).

La CJCE réitère cette position au point 27 de l'arrêt FML, pour justifier la définition nécessairement communautaire de la location de biens immeubles. En l'espèce, le juge communautaire procède, à nouveau, par rappel en affirmant que "dans de nombreux arrêts, la cour a défini la location de biens immeubles, au sens de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive, comme le droit donné par le propriétaire d'un immeuble au locataire, contre rémunération et pour une durée convenue, d'occuper cet immeuble et d'exclure toute autre personne du bénéfice d'un tel droit" (voir, en ce sens, CJCE, 12 septembre 2000, aff. C-358/97, Commission des Communautés européennes c/ Irlande, précité, points 52 à 57 ; CJCE, 9 octobre 2001, aff. C-409/98, Commissioners of Customs & Excise c/ Mirror Group plc., point 31 N° Lexbase : A4484AWY ; CJCE, 4 octobre 2001, aff. C-326/99, Stichting "Goed Wonen" c/ Staatssecretaris van Financiën, point 55 et CJCE, 18 novembre 2004, aff. C-284/03, Etat belge c/ Temco Europe SA, précité, point 19) (adde, CJCE, 8 mai 2003, aff. C-269/00, Wolfgang Seeling c/ Finanzamt Starnberg, § 49 N° Lexbase : A9186B4Y, Yolande Sérandour, obs., L'année fiscale 2004, p. 227 ; CJCE, 12 juin 2003, aff. C-275/01, Sinclair Collis Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 25 N° Lexbase : A7807C8N, Yolande Sérandour, obs., L'année fiscale 2004, p. 229).

Il ne restait plus qu'à constater que FML, propriétaire de terrains aménagés, octroyait, soit pour l'hivernage de bateaux, soit pour l'amarrage, le droit exclusif d'occuper un espace délimité, pour une durée limitée et moyennant une rémunération certaine. L'exploitation habituelle d'un ensemble de moyens en vue d'en retirer des recettes à caractère de permanence plaçait l'exploitant dans le champ d'application de la TVA. Cependant, dans la mesure où l'article 13 B, b de la 6ème directive-TVA exonère la location immobilière, il convenait de se demander si le paragraphe 2 de ce texte excluant l'exonération des locations d'emplacements pour le stationnement des véhicules s'appliquait. La CJCE n'hésite pas : le bateau est un véhicule.

2. Le bateau est un véhicule

Selon FML, ces opérations d'amarrage et d'hivernage de bateaux appartenaient à la catégorie des locations de biens immeubles exonérées de TVA, et non à celle des locations d'emplacements pour le stationnement des véhicules effectivement taxables. Au soutien de cette affirmation, elle avançait une prétendue différence de sens entre l'article 13 B, b § 2 utilisant le terme "véhicules" et les articles 28 bis § 2 a et 28 quindecies § 4 b employant l'expression "moyens de transport". Cette dernière désignant tous les engins de transport de personnes, il faudrait réserver le mot "véhicules" aux seuls engins de transport terrestre de personnes.

Vehiculum, de vehere signifie, notamment, transporter. Le terme véhicule désigne, alors, tout moyen de transporter des biens ou des personnes. Il reste à vérifier si ce sens communément admis par les linguistes et les citoyens rencontre l'assentiment du juge. Le tribunal des conflits considère comme des véhicules un bulldozer (TC, 2 juillet 1962, Rec. CE, p. 825), un chasse-neige (TC, 20 novembre 1961, voir A. de Laubadère, note sous l'arrêt, AJDA 1962, n° 100, p. 230), un mécanisme d'arrosage, dont est muni un engin de nettoiement (TC, 11 mai 1964), une pelleteuse mécanique (TC, 16 novembre 1964, J. Moreau, note sous l'arrêt, AJDA, 1965, n° 77, p. 276 ; TC, 2 décembre 1968, F. Dufau, note sous l'arrêt, JCP 1969.11.15908). Le juge judiciaire adopte, également, une définition extensive de la notion de véhicules en y assimilant une pelleteuse mécanique (Cass. civ., 1ère, 8 juillet 1968), une cabine de télé-benne (CA Chambéry, 24 mars 1981), un engin de remontée mécanique (CA Pau, 21 novembre 1980), une benne de camion-benne (Cass. civ., 2ème, 24 juin 1998, n° 96-17.678, Commune de Gamaches c/ Mme Gife et autres N° Lexbase : A5125ACS) et une tondeuse à gazon auto-portée (Cass. civ. 2, 24 juin 2004, n° 02-20.208, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A8044DCW).

Manifestement, pour le tribunal des conflits et le juge judiciaire, le seul fait qu'un engin permette de transporter d'un point à un autre une personne caractérise un moyen de transport ou un véhicule. Peu importe que l'engin soit ou non spécialement conçu pour transporter des personnes. A propos des véhicules dédiés au transport de personnes et exclus en France du droit à déduction de la TVA , le juge administratif et/ou l'administration fiscale considèrent que ce texte ne vise pas, quoiqu'ils constituent des véhicules, les engins qui ont, en raison des caractéristiques de leur conception, une autre fonction que celle d'assurer le transport de personnes. Ainsi en va-t-il de la montgolfière publicitaire (CE Contentieux, 21 décembre 1994, n° 135211, Ministre du Budget c/ Société anonyme Soger N° Lexbase : A4220AS4), du voilier de compétition (CE Contentieux, 21 décembre 1994, n° 134131, Ministre délégué au Budget c/ SARL Coursocéan et autres N° Lexbase : A4212ASS), du quad présentant les caractéristiques techniques propres aux véhicules agricoles (instruction du 30 mai 2000, BOI n° 3 D-1-00 N° Lexbase : X7878AAZ) et du triporteur ou du 4 x 4 pick-up conçu pour le transport de marchandises (QE n° 00750 de M. Jean-Louis Masson, JOSEQ 18 juillet 2002, p. 1600, min. Eco., réponse publ. 19 septembre 2002, p. 2087, 12ème législature N° Lexbase : L1054G8K).

Pour les raisons déjà indiquées à propos de la notion de location de biens immeubles, la CJCE a compétence exclusive pour dire le sens communautaire du terme "véhicules" employé par l'article 13 B, b § 2 de la 6ème directive-TVA. Nous avons, toutefois, constaté que la définition retenue ne se distinguait pas de celle adoptée en droit français. Il en va de même de la notion de véhicules.

La CJCE aboutit à ce résultat en suivant une méthode d'interprétation connue des juristes français. En effet, elle s'inspire de l'esprit du texte et de sa finalité en se référant à ses précédentes décisions (CJCE, 27 mars 1990, aff. C-372/88, Milk Marketing Board of England and Wales c/ Cricket St. Thomas Estate, § 19 N° Lexbase : A8668AUL ; CJCE, 14 septembre 2000, C-384/98, D. c/ W., § 16 N° Lexbase : A2011AIC). La 6ème directive-TVA soumet à cet impôt toute consommation de biens ou de services sur le territoire de l'Union européenne. Seule une exonération expresse permet d'y échapper. Comme toute exception, l'exonération doit recevoir une interprétation stricte et la dérogation à l'exception ne doit pas se traduire par une extension de l'exception, cela, dans la mesure où l'exclusion de l'exception ne vise qu'à l'application de la règle générale. En excluant de l'exonération applicable aux locations immobilières la location d'emplacement pour stationnement des véhicules, la 6ème directive revient au principe d'imposition de toutes les activités indépendantes habituelles. Ne pas assimiler un bateau à un véhicule reviendrait à étendre le champ d'application de l'exonération des locations immobilières malgré la limitation voulue par le législateur communautaire (§ 43). De plus, distinguer selon que le moyen de transport est un véhicule automobile ou maritime reviendrait à distinguer là où le texte ne distingue pas. Enfin, le champ d'application d'une exonération dépend de ses motifs. Or, en matière immobilière, l'exonération s'explique par la volonté d'éviter une augmentation des loyers. Ce motif d'ordre social faisant défaut en matière de stationnement de véhicules, la 6ème directive s'en tient à la règle générale d'imposition. A fortiori, cette absence de motivation sociale justifie la non exonération de la location d'emplacements pour l'amarrage et l'hivernage des bateaux (§ 45).

La CJCE aurait pu écarter l'argumentation de FML en lui objectant que les articles 28 bis et suivants de la 6ème directive concernent les échanges entre les Etats membres, et non les exonérations à l'intérieur du pays soumises à l'article 13, dont FML réclamait le bénéfice. A l'évidence, la différence d'objet des textes invoqués interdisait d'en confondre le contenu.

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