La lettre juridique n°158 du 10 mars 2005 : Social général

[Jurisprudence] Contrats de travail conclus avec une association intermédiaire : action en requalification et défense des intérêts collectifs de la profession

Réf. : Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-40.913 et 02-41.075 (jonction), M. Jacques Pawloff c/ Union locale CFDT d'Aubenas et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8587DG7)

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le 07 Octobre 2010

L'arrêt rendu le 23 février 2005 par la Chambre sociale de la Cour de cassation est riche d'enseignements, à au moins deux égards. Celui-ci donne, en premier lieu, l'occasion à cette dernière de préciser les relations juridiques qui se nouent entre une association intermédiaire et les salariés qu'elle embauche. Selon la Cour de cassation, la violation des articles L. 124-1 (N° Lexbase : L8979G7P), L. 124-3 (N° Lexbase : L9647GQD) et L. 124-4 (N° Lexbase : L5620AC7) du Code du travail n'est pas susceptible d'entraîner la requalification des contrats de travail temporaires en contrat de travail à durée indéterminée. Ensuite, et en second lieu, la Chambre sociale vient préciser que l'action d'un syndicat en dommages-intérêts, du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec une association intermédiaire en contrat à durée indéterminée, est recevable. Si la solution retenue par la Cour de cassation est, de ce dernier point de vue, parfaitement justifiée, elle laisse pour le moins perplexe s'agissant de la qualification de la relation juridique qui se noue entre un salarié et une association intermédiaire.
Décision

Cass. soc., 23 février 2005, n° 02-40.913 et 02-41.075 (jonction), M. Jacques Pawloff c/ Union locale CFDT d'Aubenas et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8587DG7)

Cassation partielle sans renvoi (CA Nîmes, Chambre sociale, 13 décembre 2001)

Textes concernés : C. trav., art. L. 322-4-16-3 (N° Lexbase : L6153ACU) ; C. trav., art. L. 411-11 (N° Lexbase : L6313ACS)

Mots-clefs : association intermédiaire ; contrats de mission ; irrégularités ; requalification en contrat à durée indéterminée (non) ; syndicats ; action en justice ; intérêt collectif de la profession.

Lien bases :

Faits

1. M. Pawloff a été engagé à compter du mois de janvier 1995 par l'association Intermaide 07 pour effectuer des missions chez divers utilisateurs. Le salarié a, par la suite, saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification des contrats conclus par l'association en un contrat de travail à durée indéterminée. L'Union locale CFDT d'Aubenas est intervenue volontairement à l'instance.

2. Le salarié reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en requalification, alors que "la violation des textes du Code du travail invoquée, en l'occurrence, l'existence d'irrégularités affectant les contrats de mission comme l'absence de signature, de mention du salaire horaire et de la durée du contrat, permettait au salarié de revendiquer la requalification du contrat de travail".

2. L'Union locale CFDT d'Aubenas reprochait, quant à elle, à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son intervention irrecevable en considérant que les intérêts collectifs de la profession n'étaient pas menacés et qu'il n'y avait pas lieu, en conséquence, de faire application de l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS).

Problème juridique

1. Les irrégularités affectant le contrat de mission conclu entre une association intermédiaire et un salarié doivent-elles entraîner la requalification de ces contrats en un contrat de travail à durée indéterminée ?

2. L'action en justice d'un syndicat est-elle recevable du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec une association intermédiaire en contrat de travail à durée indéterminée ?

Solution

1. Cassation partielle sans renvoi.

2. "La cour d'appel, qui a retenu que l'association Intermaide 07 était une association intermédiaire soumise aux dispositions de l'article L. 322-4-16-3 du Code du travail, a exactement décidé que la violation des articles L. 124-1, L. 124-3 et L. 124-4 du Code du travail n'était pas susceptible d'entraîner la requalification des contrats de travail temporaires en contrat de travail à durée indéterminée".

3. "L'action du syndicat en dommages-intérêts du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec l'association en un contrat de travail à durée indéterminée est recevable".

Commentaire

1. Interrogations quant aux relations juridiques entre une association intermédiaire et ses salariés

  • Une relation triangulaire

Les associations intermédiaires sont des associations ayant pour objet l'embauche de demandeurs d'emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières afin de faciliter leur insertion professionnelle, en les mettant à titre onéreux à disposition de personnes physiques ou morales (C. trav., art. L. 322-4-16-3 N° Lexbase : L6153ACU). Quoique l'on ne saurait ici opérer une quelconque assimilation, il apparaît que l'association intermédiaire agit, en quelque sorte, comme une entreprise de travail temporaire : elle embauche des salariés afin de les mettre à disposition d'utilisateurs. On est ainsi en présence, ici comme là, d'une relation triangulaire.

Les relations entre l'association intermédiaire et l'utilisateur s'établissent sur la base d'un contrat de mise à disposition dont un décret du 18 février 1999 a fixé, en son article 5, le contenu minimum (décret n° 99-109 du 18 février 1999, relatif aux associations intermédiaires N° Lexbase : L8369AIS). On doit relever que le texte en question ne prévoit aucune sanction s'agissant de l'absence de ces mentions ou même de l'absence pure et simple d'un tel contrat.

  • Les relations contractuelles entre les salariés et les associations intermédiaires

S'agissant des relations entre les salariés et les associations intermédiaires c'est, il faut l'avouer, un certain flou qui prévaut. Selon l'article L. 322-4-16-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6146ACM), les contrats conclus entre les entreprises d'insertion et les salariés concernés sont des contrats à durée déterminée soumis aux dispositions de l'article L. 122-2 du même code (N° Lexbase : L5454ACY).

On apprend cependant, à la lecture de l'article D. 121-2 (N° Lexbase : L8259ADA), que des contrats à durée déterminée d'usage peuvent être conclus pour "les activités mentionnées à l'article L. 128 du Code du travail". Cet article, aujourd'hui abrogé, avait précisément trait aux associations intermédiaires. La référence à l'article L. 128 (N° Lexbase : L4311DCN) doit donc s'entendre désormais, certainement, de la référence à l'article L. 322-4-16-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6153ACU).

Il faut donc comprendre que les salariés peuvent conclure avec l'association intermédiaire un contrat à durée déterminée d'usage en application de l'article D. 121-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8259ADA) (Circ. DGEFP, n° 99-17, du 26 mars 1999, Réforme de l'insertion par l'activité économique N° Lexbase : L0840G8M) (1).

  • Le régime juridique du contrat conclu entre le salarié et l'association intermédiaire

Toutefois, ainsi que l'affirme la Cour de cassation dans l'arrêt commenté, "la cour d'appel, qui a retenu que l'association Intermaide 07 était une association intermédiaire soumise aux dispositions de l'article L. 322-4-16-3 du Code du travail, a exactement décidé que la violation des articles L. 124-1, L. 124-3 et L. 124-4 du Code du travail n'était pas susceptible d'entraîner la requalification des contrats de travail temporaires en contrat à durée indéterminée".

Cette solution laisse pour le moins dubitatif. En effet, on aurait pu s'attendre à ce que la Chambre sociale déclare purement et simplement que les dispositions relatives au travail temporaire sont inapplicables aux associations intermédiaires. Or, à lire le motif retenu, il semble que, pour la Cour de cassation, celles-ci, ou du moins certaines d'entre elles, doivent être appliquées mais, que leur violation ne peut entraîner la requalification des "contrats de travail temporaires" (sic) en contrat de travail à durée indéterminée. On pensait pourtant, ainsi qu'il l'a été vu, que ces contrats étaient plutôt des contrats à durée déterminée d'usage.

En outre, et en tant que tels, ces contrats devraient suivre le régime juridique qui leur est attribué par le Code du travail à savoir, notamment, l'exigence d'un écrit et de mentions obligatoires sous peine d'une requalification en contrat à durée indéterminée. Or, la solution retenue par la Cour de cassation, en l'espèce, peut en faire douter si l'on considère que celle-ci entend conférer au contrat conclu entre l'association intermédiaire et le salarié un régime dérogatoire.

Le problème est que celui-ci n'est nullement organisé par les textes. Doit-on, dès lors, au vu de l'arrêt commenté, admettre que ces contrats sont soumis au régime juridique du travail temporaire et qualifiés de contrats de mission ? La question reste malheureusement entière et conduit à conclure que l'arrêt commenté pose plus de questions qu'il n'en résout.

2. Action en requalification et défense de l'intérêt collectif de la profession

  • La défense de l'intérêt collectif de la profession

Titulaires de la personnalité juridique, les syndicats ont le droit d'ester en justice, ainsi que le reconnaît expressément l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS). Cette disposition fondamentale précise, en outre, que ceux-ci "peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent".

Le législateur a, ainsi, conféré aux syndicats une prérogative essentielle : assurer la défense de l'intérêt collectif de la profession (2). Le champ d'application de la règle énoncée est large puisque le préjudice peut être direct ou indirect, matériel ou moral. 

Un syndicat est recevable à intervenir dans une instance soulevant une question de principe dont la solution est susceptible d'être étendue à toutes les entreprises y adhérant et de porter un préjudice au moins indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente (Cass. soc., 2 juin 1983, n° 81-4010381-40489, Fédération Française des Organismes de Prévention et Sécurité, Syndicat National des Entreprises de Prévention et Sécurité c/ Consorts Legendre, publié N° Lexbase : A6429C8M).

De même, il a été décidé qu'un syndicat professionnel est en droit d'engager une action qui tend à faire constater le caractère illicite et préjudiciable aux intérêts des salariés des contrats de travail à durée déterminée conclus au sein d'une entreprise, et de faire ainsi trancher par la juridiction saisie une question de principe susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble d'une profession dont, en vertu de ses statuts, il assure la défense (CA Versailles, 22 mars 1991, Dr. soc. 1991, p. 706, concl. J. Duplat).

  • Intérêt collectif et requalification du contrat de travail

En l'espèce, les juges d'appel avaient déclaré irrecevable l'intervention de l'Union locale de la CFDT, considérant que les intérêts collectifs de la profession n'étaient pas menacés et qu'il n'y avait donc pas lieu de faire application de l'article L. 411-11 du Code du travail (N° Lexbase : L6313ACS).

La décision des juges du fond est cassée, de ce point de vue, par la Chambre sociale au visa de ce texte. Pour la Cour de cassation, en effet, l'action du syndicat en dommages-intérêts du fait de la requalification d'un contrat de travail conclu avec l'association intermédiaire était, au contraire, recevable. La cour d'appel pouvait seulement la dire non-fondée.

Cette solution doit être entièrement approuvée. Il s'agissait, pour le syndicat, de faire trancher une question de principe susceptible d'entraîner des conséquences pour l'ensemble de la profession. Au-delà du cas particulier du salarié concerné, le problème était, en effet, de savoir si les irrégularités affectant les contrats conclus avec une association intermédiaire pouvaient entraîner leur requalification en contrat en durée indéterminée. On mesure ainsi toute l'importance de la question. La réponse étant négative, l'action du syndicat, par hypothèse recevable, aurait ainsi été déclarée non fondée.

Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il est important de souligner qu'en matière de travail temporaire, l'article D. 124-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8286ADA) fixe une liste identique, à l'exception précisément des associations intermédiaires et de services aux particuliers.

(2) Il convient de ne pas confondre cette action en justice dans l'intérêt collectif de la profession avec la possibilité pour le syndicat d'exercer des actions individuelles propres aux salariés avec ou sans mandat des intéressés, lorsque la loi l'autorise pour ce dernier cas. Il en va notamment ainsi en matière de contrats à durée déterminée et de travail temporaire (C. trav., art. L. 125-3-1 N° Lexbase : L5643ACY).

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