La lettre juridique n°155 du 17 février 2005 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Le versement volontaire d'une indemnité compensatrice de préavis ne prive pas l'employeur du droit d'invoquer la faute grave du salarié

Réf. : Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.748, M. Patrick Rigole c/ Société Immobilière de Mayotte, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A3499DGP)

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par Gilles Auzero, Maître de conférences à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Le droit du travail et, plus spécifiquement, le droit du licenciement connaissent une gradation des fautes auxquelles sont attachées différentes conséquences. Si des dernières sont aisées à identifier, il n'en va pas de même des fautes et, notamment, de la faute grave. Dans le silence de la loi, la jurisprudence a donné une définition de cette dernière, centrée sur l'impossibilité de maintenir le salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis. La faute grave exige, par conséquent, le départ immédiat du salarié de l'entreprise. Il s'en déduit, fort logiquement, que l'employeur qui laisse son salarié accomplir celui-ci perd le droit d'invoquer la faute grave. En revanche, et ainsi que vient le rappeler avec force la Cour de cassation, dans un arrêt du 5 février 2005, le fait que l'employeur, tout en notifiant une rupture avec effet immédiat ait décidé de verser au salarié une somme équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis ne peut le priver du droit de se prévaloir de la faute grave.
Décision

Cass. soc., 2 février 2005, n° 02-45.748, M. Patrick Rigole c/ Société Immobilière de Mayotte, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A3499DGP)

Rejet (tribunal supérieur d'appel de Mamoudzou, 4 juin 2002)

Mots-clefs : licenciement ; faute grave ; versement d'une indemnité compensatrice de préavis ; effets sur le droit d'invoquer une faute grave.

Texte concerné : C. trav., art. L. 122-6 (N° Lexbase : L5556ACR)

Lien bases :

Faits

1. M. Rigole, au service de la société immobilière de Mayotte depuis 1984 en qualité de cadre administratif et financier, a été licencié pour faute grave le 13 novembre 1998. L'employeur lui a cependant versé une somme équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis.

2. Le salarié reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré son licenciement valable, alors que l'employeur qui reconnaît au salarié le droit au préavis se prive du droit d'invoquer la faute grave. Il en va nécessairement de même pour l'employeur qui dispense le salarié d'exécuter le préavis et lui accorde le bénéfice de l'indemnité compensatrice de préavis.

Problème juridique

Le versement d'une indemnité compensatrice de préavis interdit-elle à l'employeur de se prévaloir de la faute grave du salarié ?

Solution

1. "La faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis".

2. "Le seul fait que l'employeur, tout en notifiant une rupture avec effet immédiat, ait décidé de verser au salarié une somme équivalente à l'indemnité compensatrice de préavis ne peut le priver du droit de l'invoquer".

3. Rejet

Commentaire

I. La notion de faute grave

  • Un effort de définition

Si la loi envisage la faute grave du salarié, que ce soit comme cause de rupture anticipée du contrat à durée déterminée (C. trav., art. L. 122-3-8 N° Lexbase : L5457AC4) ou pour fixer ses conséquences quant aux droits du salarié licencié (C. trav., art. L. 122-6 N° Lexbase : L5556ACR et L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU), elle n'en donne aucune définition. C'est donc la jurisprudence qui a pris le relais du législateur, afin de déterminer les contours de cette importante notion.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a défini la faute grave du salarié comme "un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié pendant la durée du préavis" (Cass. soc., 26 février 1991, n° 88-44.908, M. Vaz c/ Compagnie d'armatures préfabriquées industrielles, publié N° Lexbase : A9347AAG).

Dans un second temps, la Chambre sociale a adopté une démarche plus directe, en affirmant qu'elle est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis (v. par ex., Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.383, M. X c/ Société Mille, société anonyme, inédit N° Lexbase : A2726CUI).

L'arrêt commenté se situe, sans conteste, dans cette veine, la Cour de cassation rappelant que "la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée même limitée du préavis".

  • Une mise en oeuvre délicate

L'effort de conceptualisation ainsi accompli par la Cour de cassation ne saurait être minimisé. Cela étant, on est bien obligé de constater que la notion de faute grave reste floue et est, de ce fait, de nature à entraîner certaines hésitations et dérives (v., sur cette question, M. Poirier, La gradation des fautes en droit du licenciement : Mélanges, Lapoyade-Deschamps, Presses Universitaires de Bordeaux 2003, p. 515).

Au chapitre des certitudes, on peut cependant avancer qu'il n'existe pas un catalogue de fautes qui seraient, par nature, des fautes graves. Il appartient par suite au juge d'apprécier, dans chaque litige, si la faute invoquée par l'employeur à l'appui du licenciement est ou n'est pas grave. Il en résulte, en outre, que les juges doivent, en principe, se livrer à une appréciation in concreto du fait fautif (v., en ce sens, F. Favennec-Héry, Vers la relativité de la notion de faute grave ? : RJS 9-10/00, p. 603, spéc., p. 605) (1).

Toute la difficulté réside alors dans l'appréciation de la gravité de la faute commise par le salarié. Plus précisément, et si on laisse de côté les hypothèses les plus extrêmes, il apparaît pour le moins délicat de tracer une frontière très nette entre la faute sérieuse et la faute grave (2). Le critère de distinction, qui reste d'un maniement délicat, réside dans la nécessité de rompre immédiatement le contrat de travail du salarié.

II. L'exigence d'une rupture immédiate du contrat de travail

  • La nécessité d'éloigner le salarié de l'entreprise

Lorsque la Cour de cassation indique que la faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, elle signifie qu'une telle faute exige le départ immédiat du salarié. En d'autres termes, ce qui caractérise la faute grave, c'est la nécessité d'éloigner physiquement le salarié de l'entreprise dans l'intérêt de celle-ci.

La Cour de cassation a su tirer toutes les conséquences de cette exigence. Ainsi, l'employeur qui fait exécuter le préavis se prive du droit d'invoquer la faute grave du salarié (Cass. soc., 15 mai 1991, n° 87-42.473, M. Jilcot c/ Société Dunkerque Expansion, publié N° Lexbase : A3867ABT). Il en va de même de l'employeur qui attend plusieurs semaines avant d'engager la procédure de licenciement (Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-41.326, F-D N° Lexbase : A9584AYM) ou qui considère comme constitutif d'une faute grave des faits qu'il a tolérés pendant plus de trois mois sans y puiser motif à sanction (Cass. soc., 24 mars 2004, n° 02-41.117, F-D N° Lexbase : A6358DB4).

  • Le caractère indifférent du versement d'une indemnité compensatrice de préavis

On aura compris que ce qui importe, en matière de faute grave, c'est la rupture immédiate du contrat, c'est-à-dire l'éloignement du salarié de l'entreprise. Par suite, la perte du droit au préavis constitue moins une sanction qu'une conséquence nécessaire de cet éloignement. Il s'en déduit, et nous rejoignons là la position adoptée par la Cour de cassation dans la présente espèce, que le versement volontaire (3) d'une indemnité compensatrice de préavis ne peut priver l'employeur du droit d'invoquer la faute grave du salarié.

On doit noter qu'une telle solution avait antérieurement été retenue par la Chambre sociale (Cass. soc., 29 octobre 1996, n° 93-44.113, M. François Brunstein c/ Société Cadres Béco, inédit N° Lexbase : A1605C7L ; Cass. soc., 8 janvier 1997, n° 95-40.320, Mme Catherine Vincent c/ Mme Anne Fleury, inédit N° Lexbase : A8768AGT).

Toutefois, et de manière curieuse, cette même Chambre sociale avait retenu une solution opposée dans un arrêt rendu le 14 juin 1995 (Cass. soc., 14 juin 1995, n° 93-42.551, M. Hervé Girault c/ M. Alain Ferragu, inédit N° Lexbase : A8644AGA : "l'employeur avait payé l'indemnité compensatrice de préavis, ce dont il résultait qu'il avait renoncé à se prévaloir d'une faute grave du salarié"). La position de la Cour de cassation ne prête plus à discussion au vu de cet arrêt du 2 février 2005 qui, il faut le noter, aura les honneurs du rapport annuel. Seule importe la rupture immédiate du contrat de travail, peu important que l'employeur ait volontairement versé une indemnité compensatrice de préavis.

On précisera, pour terminer, que le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le temps nécessaire à l'employeur pour apprécier le degré de gravité des fautes commises n'est pas exclusif du droit pour celui-ci d'invoquer l'existence d'une faute grave (Cass. soc., 19 juin 2002, n° 00-41.326, F-D N° Lexbase : A9584AYM). Plus largement, le délai nécessaire à la mise en oeuvre de la procédure de licenciement ne saurait être retenu contre l'employeur. L'exigence d'une rupture immédiate doit s'entendre dans cette mesure. En conséquence, et contrairement à ce que pensent beaucoup d'employeurs, la faute grave ne rend pas nécessaire le prononcé d'une mise à pied conservatoire. Il faut, et il suffit, que l'employeur ne tarde pas dans sa réaction.


(1) Il convient également de rappeler que les juges ne sont nullement liés par les clauses contenues dans une convention collective, un règlement intérieur ou un contrat de travail qui qualifieraient un comportement ou une abstention de "faute grave". De plus, la Cour de cassation se réserve la faculté de contrôler la qualification retenue par les juges du fond, qui n'ont ici aucun pouvoir souverain.

(2) La faute lourde nous paraît moins difficile à caractériser en ce qu'elle exige l'intention de nuire du salarié à l'égard de l'entreprise ou de l'employeur.

(3) Seul le versement volontaire faisait encore difficulté. La Cour de cassation a décidé, de manière tout à fait logique, que l'employeur n'est pas privé du droit d'invoquer la faute grave du salarié lorsqu'il verse une indemnité compensatrice de préavis en application d'une disposition conventionnelle ou contractuelle ou encore en vertu du règlement intérieur (v. par ex., Cass. soc., 18 avril 2000, n° 98-42.803, M. Chaumont c/ Société Meubles Morin, publié N° Lexbase : A9900CH7).

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