La lettre juridique n°153 du 3 février 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] La fourniture de repas moyennant une contrepartie inférieure au prix de revient n'est pas une livraison ou un service à soi-même

Réf. : CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/3, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket (N° Lexbase : A3119DGM)

Lecture: 8 min

N4492ABY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La fourniture de repas moyennant une contrepartie inférieure au prix de revient n'est pas une livraison ou un service à soi-même. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207147-cite-dans-la-rubrique-b-fiscalite-des-entreprises-b-titre-nbsp-i-la-fourniture-de-repas-moyennant-un
Copier

par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

La réduction de prix accordée aux membres du personnel d'un hôtel sur la consommation de repas sur les lieux de travail entraîne-t-elle application du régime des prestations à soi-même ? A cette question, la CJCE répond "que les articles 2, 5, paragraphe 6, et 6, paragraphe 2, sous b), de la sixième directive (N° Lexbase : L9279AU9) doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale qui considère comme le prélèvement d'un bien ou la prestation de services pour des besoins privés des opérations pour lesquelles une contrepartie réelle est acquittée même si cette contrepartie est inférieure au prix de revient du bien ou du service fourni" (§ 30).

L'hôtel suédois "Scandic Gåsabäck AB" s'apprêtait à réduire, en deçà du prix de revient, le prix des repas fournis à son personnel. Avant d'y procéder, il a sollicité l'avis de l'administration fiscale suédoise quant aux conséquences de cette réduction au regard du droit suédois. Ce dernier permet d'assimiler aux prestations à soi-même taxables sur le prix de revient les opérations réalisées pour un prix inférieur au prix de revient. D'une part, Scandic s'interrogeait à propos du taux de TVA applicable à cette fourniture de repas à prix réduit, car le taux diffère selon qu'il s'agit de livraisons de biens ou de prestations de services. D'autre part, Scandic se demandait si, du fait du tarif privilégié accordé aux salariés, l'assiette de la TVA devait être le tarif pratiqué, comme s'il s'agissait de prestations fournies aux tiers cocontractants ou, s'il fallait appliquer le régime des prestations à soi-même taxables sur le prix de revient. L'administration interrogée a considéré que les prestations en cause constituaient des services à soi-même relevant de la TVA au taux supérieur et sur la base du prix de revient. Scandic, ne s'avouant pas vaincu, a saisi la Cour administrative suprême suédoise, laquelle, sur la question des prestations à soi-même, a préféré s'en remettre à la CJCE.

Par sa réponse, le juge communautaire fait, naturellement, prévaloir le droit communautaire sur le droit suédois, en sanctionnant une interprétation erronée de la 6ème directive TVA.

1. Les prestations à soi-même selon la 6ème directive TVA

L'article 5, § 6, de la 6ème directive (N° Lexbase : L9279AU9) dispose : "Est assimilé à une livraison effectuée à titre onéreux le prélèvement par un assujetti d'un bien de son entreprise pour ses besoins privés ou ceux de son personnel ou qu'il transmet à titre gratuit ou, plus généralement, qu'il affecte à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien ou les éléments le composant ont ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, ne sont pas visés les prélèvements effectués pour les besoins de l'entreprise pour donner des cadeaux de faible valeur et des échantillons". En cas de prélèvement d'un bien de l'entreprise à des fins non professionnelles, l'article 11, A, § 1, b de la 6ème directive prévoit une règle spécifique de détermination de la base d'imposition. Cette dernière est, en effet, alors constituée "...par le prix d'achat des biens ou de biens similaires ou, à défaut de prix d'achat, par le prix de revient, déterminés au moment où s'effectuent ces opérations".

S'agissant de prestations de services à soi-même, l'article 6, § 2, de la 6ème directive dispose : "Sont assimilées à des prestations de services effectuées à titre onéreux : a) l'utilisation d'un bien affecté à l'entreprise pour les besoins privés de l'assujetti ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise, lorsque ce bien a ouvert droit à une déduction complète ou partielle de la taxe sur la valeur ajoutée ; b) les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti pour ses besoins privés ou pour ceux de son personnel ou, plus généralement, à des fins étrangères à son entreprise". L'assiette de la TVA applicable à ces prestations de services à soi-même résulte de l'article 11 , A, § 1, c), de la 6ème directive : "...le montant des dépenses engagées par l'assujetti pour l'exécution de la prestation de services".

Aucun des textes cités ne fait expressément dépendre l'identification des prestations à soi-même de la pratique de prix inférieurs au prix de revient. Textuellement, la référence au prix n'est qu'implicite car la 6ème directive évoque le bien que l'assujetti "transmet à titre gratuit" et "les prestations de services à titre gratuit effectuées par l'assujetti". Aussi, la fourniture de biens ou de services moyennant une contrepartie inférieure au prix de revient soulève-t-elle la question de savoir si la réduction prive l'échange économique de son caractère onéreux. En d'autres termes, le rabais caractérise-t-il la libéralité ?

Dans la mesure où le caractère onéreux d'une livraison de bien(s) ou d'une prestation de services se manifeste par une contrepartie, il convient de rappeler la jurisprudence communautaire en la matière. Le caractère onéreux d'une livraison ou d'un service résulte du paiement d'une contrepartie. Cette contrepartie identifie l'opération dans le champ d'application de la TVA et mesure son assiette . Selon une jurisprudence communautaire constante, la contrepartie est la valeur subjective voulue par les parties. Peu importe la valeur objective et le mode paiement, en espèces ou en nature (CJCE, 10 avril 1984, aff. C-324/82, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A8682AU4 ; CJCE, 23 novembre 1988, aff. C-230/87, Naturally Yours Cosmetics Limited c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A7745ATZ, spéc. § 16 et 18 ; CJCE, 27 mars 1990, aff. C-126/88, Boots Company plc c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A8609AUE ; CJCE, 9 juillet 1992, aff. C-131/91, "K" Line Air Service Europe BV c/ Eulaerts NV et Etat belge N° Lexbase : A9706AUZ ; CJCE, 2 juin 1994, aff. C-33/93, Empire Stores Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A7746AT3 ; CJCE, 24 octobre 1996, aff. C-317/94, Elida Gibbs Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A0131AWR ; CJCE, 29 mai 1997, aff. C-63/96, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ Werner Skripalle N° Lexbase : A0356AW4 ; CJCE, 16 octobre1997, C-258/95, Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG c/ Finanzamt Neustadt N° Lexbase : A9969AUR ; CJCE, 29 mars 2001, C-404/99, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A9919AS8 ; CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB, précité). La contrepartie traduit l'existence d'un lien entre des contre-prestations précises (CJCE, 5 février 1981, aff. C-154/80, Staatssecretaris van Financiën c/ Association coopérative Coöperatieve Aardappelenbewaarplaats GA, quest. préj. N° Lexbase : A6101AUI ; CJCE, 8 mars 1988, aff. C-102/86, Apple and Pear Development Council c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A7336AH8 ; CJCE, 20 juin 1991, aff. C-60/90, Polysar Investments Netherlands BV c/ Inspecteur der Invoerrechten en Accijnzen N° Lexbase : A7267AHM). L'arrêt "Tolsma" affirme qu'"une prestation de services n'est effectuée à titre onéreux [...] que s'il existe un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre-valeur effective du service fourni au bénéficiaire" (CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93, R. J. Tolsma c/ Inspecteur der Omzetbelasting Leeuwarden N° Lexbase : A7246AHT).

En l'espèce, personne ne conteste que les salariés de Scandic paient une contrepartie. Par ailleurs, la 6ème directive ne prohibe pas les réductions. Elle les admet en prescrivant la diminution de l'assiette à due concurrence (art. 11 A 2 b). Ni la 6ème directive, ni la CJCE n'autorisent un Etat membre à inférer de l'existence d'une réduction de prix la réalité d'une prestation à soi-même. Dès lors, la CJCE ne pouvait que sanctionner une interprétation erronée de la 6ème directive TVA.

2. La sanction d'une interprétation erronée de la 6ème directive TVA

L'arrêt "Scandic", en son point 22, précise fort opportunément que "le fait qu'une opération économique soit effectuée à un prix supérieur ou inférieur au prix de revient est dénué de pertinence lorsqu'il s'agit de qualifier une opération d'opération à titre onéreux. Il poursuit en rappelant que l'opération à titre onéreux "suppose uniquement l'existence d'un lien direct entre la livraison de biens ou la prestation de services et une contrepartie réellement reçue par l'assujetti (voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 1988, Apple and Pear Development Council, point 12, précité).

Le mécanisme des livraisons et services à soi-même taxables ne vise que l'utilisation des moyens de l'entreprise pour satisfaire des besoins non professionnels sans réelle contrepartie (§ 23 et 24). Si les prestations fournies à titre gratuit constituent des prestations à soi-même, tel n'est pas le cas des opérations effectuées pour un prix inférieur au coût de revient. Toute solution contraire nécessiterait une autorisation spécifique accordée par le Conseil sur le fondement de l'article 27 de la 6ème directive TVA, en vue de prévenir la fraude et l'évasion fiscale (§ 26). L'absence de contrepartie, au moins équivalente au prix de revient, ne renvoie pas obligatoirement l'opération en cause au système des prestations à soi-même.

A l'évidence, la législation et l'administration suédoises confondent qualification et régime juridiques. En effet, elles assimilent à des prestations à soi-même les échanges économiques réalisés pour un prix inférieur au prix de revient, au prétexte que l'article 11 A § 1 b de la 6ème directive retient le prix de revient pour fixer l'assiette de la TVA exigible sur de telles prestations (§ 9, 10,14 et 19). De plus, l'administration suédoise considère que, dans la mesure où l'article 11 A § 1 a) inclut les subventions dans l'assiette de la TVA, il faut considérer que la fourniture de prestations au personnel avec réduction de prix caractérise une subvention. La différence entre le coût de revient et le prix demandé serait une subvention en nature (§ 27). En sorte que l'effet déterminerait la cause. Or, en droit, la qualification précède le régime. A cet effet, la CJCE se réfère à l'arrêt "Office des produits wallons" (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ État belge N° Lexbase : A5858AXA ; Les critères d'identification de la subvention à inclure dans l'assiette de la TVA, Y. Sérandour, DF, 2003, n° 3, p. 84). Elle réitère la définition de la subvention à inclure dans l'assiette de la TVA en précisant que la subvention présuppose une situation où "trois parties sont en cause, à savoir celle qui accorde la subvention, le fournisseur du bien ou le prestataire de services qui en bénéficie et l'acheteur du bien ou le preneur du service (§ 29)". En l'espèce, il n'y a que deux parties, fournisseur-employeur et clients-salariés. Manifestement, caractériser l'existence de prestations à soi-même par la fourniture de prestations au personnel à prix de faveur reste à être démontré.

newsid:14492

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.