La lettre juridique n°151 du 20 janvier 2005 : Bancaire

[Le point sur...] Démarchage bancaire et financier par Internet : propos autour d'un droit récent et à venir

Lecture: 9 min

N4291ABK

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Le point sur...] Démarchage bancaire et financier par Internet : propos autour d'un droit récent et à venir. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207118-le-point-sur-demarchage-bancaire-et-financier-par-internet-propos-autour-dun-droit-recent-et-a-venir
Copier

par Marie-Elisabeth Mathieu, Jeantet Associés, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val d'Essonne

le 07 Octobre 2010


La réforme du démarchage bancaire et financier par la loi de sécurité financière n° 2003-706 du 1er août 2003 (N° Lexbase : L3556BLB) (1) s'est achevée par les décrets n° 2004-1018 (N° Lexbase : L7841GTL) et n° 2004-1019 (N° Lexbase : L7842GTM) du 28 septembre 2004 et par la circulaire ministérielle n° 04-14/G3 du 14 septembre 2004 (2).

Se prépare, cependant, de nouveau, une modification du titre IV du Code monétaire et financier sur le démarchage : le projet d'ordonnance de transposition -dont la dernière version date du 29 octobre 2004- de la directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance des services financiers auprès des consommateurs (N° Lexbase : L9628A4D) prévoit de modifier les articles L. 341-11 à L. 341-15 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2571DKG) de façon à créer des dispositions spécifiques au démarchage à distance des services financiers. Ce sont donc les règles de bonne conduite pesant sur les démarcheurs lors de l'acte de démarchage qui seront ainsi adaptées à la sollicitation nominative sans présence physique et simultanée des parties à la prospection et à l'acte. La seule modification notable, apportée par le projet d'ordonnance touche à l'obligation d'information du démarcheur. Il est censé transmettre les informations "avant que la personne démarchée ne soit liée par un contrat" et en "temps utile" (3) ; la liste des informations s'étant allongée en vue d'une parfaite connaissance par le client du produit ou service ainsi proposé.

Mais, la difficulté est autre.

La loi n° 2004-575, du 26 juin 2004, pour la confiance en l'économie numérique (LCEN) (N° Lexbase : L2600DZC), a modifié l'article L. 33-4-1 du Code des postes et télécommunications électroniques  (devenu L. 34-5 N° Lexbase : L8790GQM aux termes de l'article 22 de la loi n° 2004-669 du 21 juin 2004 relative aux communications électroniques N° Lexbase : L9189D7H) et, a interdit la prospection directe "au moyen d'un automate d'appel, d'un télécopieur ou d'un courrier électronique" sans le consentement préalable du destinataire personne physique. Aucune prospection commerciale électronique ne peut être dirigée vers des "non-clients" sans que le destinataire du message ait exprimé son acceptation à la réception d'une telle sollicitation - système de l'"opt-in" -.

Le démarchage tel qu'il résulte du Code monétaire et financier semble justement relever d'une prospection directe ainsi définie. A la lecture de l'article L. 341-1 du Code monétaire et financier "constitue un acte de démarchage bancaire ou financier toute prise de contact non sollicitée, par quelque moyen que ce soit, avec une personne physique ou une personne morale déterminée, en vue d'obtenir, de sa part, un accord" sur un certain nombre de services ou d'opérations visés par ce texte (4) : feront ainsi l'objet de démarchage, les opérations sur instruments financiers, les opérations de banque, connexes, les services d'investissement et services connexes et les opérations sur les biens divers.

Par conséquent, lorsque le moyen utilisé par le démarcheur pour prospecter sa clientèle est un courrier électronique, tombe t-il alors sur le coup de la prohibition posée par l'article L. 33-4-1 du Code des postes et télécommunications électroniques ? Le démarchage suppose t-il le consentement du client ? Faut-il revoir, à nouveau, la définition du démarchage issue de l'article L. 341-1 du Code monétaire et financier ? Faut-il plutôt faire prévaloir le droit spécial du Code monétaire et financier sur le droit commun ? ou enfin faut-il créer une définition propre au démarchage en ligne des services financiers ? Enfin, à quel moment en ligne, le prestataire quitte le domaine de la publicité pour réaliser un acte de démarchage ?...

Ces interrogations répondent à un besoin concret.

Le "net" est un des outils offerts aux professionnels pour démarcher les investisseurs. Ces derniers sont régulièrement mis en garde par l'AMF lorsque sur la toile sont identifiés des actes de démarchage concernant des produits dont la commercialisation est interdite en France (5). Il est donc nécessaire et ce, même si le cadre juridique propre au démarchage en ligne en est à ses débuts, de définir le champ d'application respectif des différentes réglementations en présence (I) et de distinguer en ligne, le démarchage de la publicité (II).

I - La primauté du droit spécial du Code monétaire et financier sur le droit commun de la publicité en ligne

Le projet d'ordonnance de transposition de la directive "commercialisation à distance" ne s'est pas soucié du paradoxe existant, à notre avis, entre d'une part l'interdiction de la prospection directe sans le consentement du client et d'autre part la notion de prise de contact non sollicitée constitutive de démarchage telle qu'elle résulte de l'article L.341-1 du Code monétaire et financier. Pourtant, le démarchage en ligne n'est autre que l'envoi d'une communication commerciale non sollicitée à un client potentiel qui n'a pas, au préalable, donné son consentement à cette prospection puisqu 'elle est, par nature, non sollicitée.

Le débat est réel :

  • Si l'internaute a donné son consentement à la prospection nominative, la prise de contact est alors sollicitée. Elle n'est donc plus un acte de démarchage tel que défini par le Code monétaire et financier puisque la présence d'un tel acte suppose "une prise de contact non sollicitée". Le consentement du client à la réception de la prospection directe rend sa démarche active. La notion même de démarchage n'existe plus.
  • Si l'internaute n'a pas donné son consentement préalable à la prospection nominative, la prise de contact est non sollicitée et le prestataire réalise un acte démarchage licite au regard du Code monétaire et financier mais prohibé par les nouvelles dispositions de la LCEN sur la publicité en ligne. Faut-il alors concevoir qu'un démarchage en ligne serait non pas une prise de contact non sollicitée mais une prise de contact avec l'accord préalable du client ? Il y aurait deux démarchages possibles en ligne et hors ligne, le premier exigeant comme condition de validité l'accord préalable du client du fait de l'existence d'un support virtuel.

Ne faut-il pas plutôt considérer qu'une prise de contact en ligne et nominative portant sur les opérations énumérées par le Code monétaire et financier est un acte de démarchage licite, qui échappe à la prohibition posée par l'article L. 33-4-1 du Code des postes et des télécommunications, car constitutive d'une activité réglementée par le Code monétaire et financier.

La voix de la sagesse suggère cette dernière interprétation. Si le projet d'ordonnance ne crée pas une définition autre du démarchage que celle issue de la réforme initiée par la loi sécurité financière du 1er août 2003, c'est probablement parce que le démarchage bancaire et financier en ligne n'est pas concerné par la prohibition de la prospection directe non sollicitée. Le droit spécial prime alors sur le droit commun en cette matière.

II - Les critères de distinction possibles entre démarchage et publicité

La nouvelle définition du démarchage, issue de la loi du 1er août 2003, se veut extensive (6). Elle est le reflet de l'évolution jurisprudentielle antérieure (7) et de la position des autorités compétentes : le démarchage se rapportait aux actes effectués au domicile, sur les lieux de travail, dans les lieux publics mais aussi à toutes les visites, appels téléphoniques et circulaires (8).

L'article L. 341-1 du Code monétaire et financier intègre donc le démarchage par tous moyens et donc via un support virtuel. Ce type de démarchage électronique n'est pas visé expressément par l'article L. 341-1 du Code monétaire et financier mais il est un démarchage à distance équivalent à l'envoi de lettres ou de circulaires

Cette définition légale appelle certaines observations.

La notion centrale est celle de prise de contact non sollicitée. Cette prise de contact suppose une démarche active de la part du démarcheur et passive de l'internaute (9). Tous les moyens sont envisagés (10) : déplacement physique, envoi de courrier, appel téléphonique (11), courrier électronique et tous ceux qui pourront être utilisés à l'avenir (12). Le démarchage se caractérise par l'existence d'un contact direct et personnalisé. Le démarcheur s'adresse donc à une personne dont il connaît préalablement l'identité. Dans le cas du démarchage en ligne, il y aurait acte de démarchage en cas "d'envoi sporadique d'un courrier non sollicité à un client potentiel" (13). En revanche, toute démarche active du fait de l'internaute emporte exclusion du champ d'application du démarchage : abonnement volontaire à une lettre électronique, utilisation d'un lien hypertexte vers un site marchand, etc.

Nonobstant ces précisions, la difficulté, en ligne, est d'identifier un acte de démarchage sous couvert d'une simple publicité. La frontière est ténue. Mais, cette identification est d'importance : l'acte de démarchage sera, s'il est identifié, réglementé par le Titre IV du Code monétaire et financier. Tel n'est pas le cas de la simple sollicitation de clientèle constitutive d'une publicité et soumise suivant le produit ou le service concerné à d'autres législations sectorielles.

Dans l'attente de décisions jurisprudentielles précises, il est permis de se fonder sur différents critères émis par les autorités compétentes pour distinguer en ligne le démarchage de la publicité.

La Banque de France (14) a, d'ailleurs, émis des opinions sur les différences possibles entre démarchage et publicité; la publicité se caractérisant principalement par l'absence de contact personnalisé puisqu'elle est par nature adressée au public alors que le démarchage est nominatif puisque personnalisé.

La Commission des opérations de bourse, quant à elle, proposait de distinguer les sites actifs des sites passifs pour identifier le démarchage de la publicité (15).

  • Les sites "passifs" : ils diffusent de simples informations et il n'y a donc pas, en ces circonstances, acte de démarchage. Si ces sites proposent un lien hypertexte vers un site transactionnel de produits ou services bancaires et/ou financiers, c'est l'internaute qui volontairement passe du site initial informatif vers un site transactionnel en cliquant sur une icône. Il n'y a pas pour autant acte de démarchage de la part du professionnel : il dépend exclusivement d'un comportement actif de l'investisseur internaute qui clique sur l'icône pour aller vers le site ciblé par le lien (16). Sur ce site, peuvent apparaître des publicités du fait du professionnel (bannières ou bandeaux commerciaux, inscription d'un signe commercial sur le site) : elles ne sont pas constitutives d'un acte de démarchage.
  • Les sites "actifs" : si les méthodes de sollicitation utilisées par ce biais sont nominatives, elles constituent un acte de démarchage (17). Tel est le cas de l'envoi d'un courrier électronique à un client potentiel. Celui-ci, certes connecté, est alors démarché. Le démarchage est donc un acte personnalisé et donc nominatif (même s'il s'adresse à plusieurs internautes (18)) vers un internaute passif, client potentiel. Si les offres commerciales par l'intermédiaire de ces sites sont faites au public, elles ne sont pas personnalisées et seront qualifiées de publicité. En effet, elles s'adressent à des personnes indéterminées et qu'elles s'entendent d'un procédé collectif de sollicitation.

Par conséquent et pour l'heure, en l'absence de précisions législatives ou jurisprudentielles, les praticiens se référeront à l'ensemble de ces critères ainsi posés. Le droit sur ce point est encore à venir...


(1) O. Bertin-Mourot et B. Fatier, Les apports de la réforme du démarchage bancaire et financier, Banque magazine, avril 2003, p. 56.
(2) V. sur ce point, Ph. Portier, Démarchage, RD bancaire et financier, nov.-déc. 2004, p. 424.
(3) Modification affectant la première phrase de l'article L. 341-12 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2572DKH).
(4) C. mon. fin., art. L. 341-1 (N° Lexbase : L6389DIH).
(5) Communiqué de presse AMF du 1er juin 2004, Mise en garde de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L3016DYD).
(6) Rapport Sénat, Sécurité financière, n° 206, 2002-2003, p. 291.
(7) V. par exemple : Cass. crim., 11 février 1985, n° 83-91.556, Besson c/ Aknin (N° Lexbase : A0073CH8), Bull. crim. p. 174, n° 62.
(8) Bull. Cob, juillet 1979, n° 117 et n° 119.
(9) V. supra (I).
(10) Th. Bonneau, Démarchage et Internet, RD bancaire et financier 2001, p. 271.
(11) Sur ce point : CJCE, 10 mai 1995, aff. C-384/93, Alpine Investments BV c/ Minister van Financiën (N° Lexbase : A0073CH8), Bull. Joly Bourse 1995, p. 297.
(12) Rapport. Sénat, op. cit., p. 203.
(13) Rapport Sénat, op. cit, p. 294.
(14) V. J.-C. Trichet, Livre blanc, Internet, quelles conséquences prudentielles ?, 30 janvier 2001.
(15) Bull. COB, n° 329, nov. 1998 ; Rapport COB 2002.
(16) En ce sens T. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, éd. Economica, p. 809.
(17) V. Th. Bonneau, Démarchage et Internet, RD bancaire et financier 2001 p. 271.
(18) V. Th. Bonneau, Démarchage et Internet, op. cit.

newsid:14291

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus