La lettre juridique n°148 du 23 décembre 2004 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] TVA à taux réduit : taxation du "dernier voyage"

Réf. : CE, 9° et 10° s-s., 10 novembre 2004, n° 260343, SA Omnium de gestion financière c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A8977DDT)

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N4029ABT

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010


L'article 279, b quater, du CGI fixe à 5,5 % le taux de TVA applicable aux transports de voyageurs. La mort exclut-elle la qualité de voyageur ? Non, selon le Conseil d'Etat, dès lors que l'administration fiscale a formellement admis l'application du taux réduit en faveur du transport de corps.

En l'espèce, la SA Omnium de gestion financière a été assujettie, pour la période du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1994, à des compléments de TVA résultant de l'application du taux de 18,6 % à la place du taux réduit de 5,5 % aux transports de corps par porteurs lors des cérémonies funéraires. Le 22 juillet 2003, la cour administrative d'appel de Douai a jugé que la société SA Omnium de gestion financière était en droit, sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du LPF (N° Lexbase : L8568AE3), d'invoquer, à son profit, l'instruction n° 3 C-6-83 du 8 avril 1983 (N° Lexbase : X6744ACR) selon laquelle les transports de corps réalisés par les prestataires agréés (exploitants d'ambulances, embaumeurs, services des pompes funèbres...) relèvent de la TVA au taux réduit. En revanche, elle a jugé que cette instruction avait été rapportée par la documentation administrative de base 3 C 226 en date du 15 mai 1991. Aussi, le taux de TVA de 5,5 % ne pouvait-il plus s'appliquer pour la période litigieuse comprise entre le 16 mai 1991 et le 31 décembre 1994. Le Conseil d'Etat annule l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Douai le 22 juillet 2003, "la cour [ayant] commis une erreur de droit".

Cette opposabilité à l'administration de sa propre interprétation permet d'appliquer le taux réduit de la TVA aux transports de corps, tout en maintenant le taux normal aux prestations annexes.

1. L'application du taux réduit aux transports de corps

L'article L. 80 A du LPF dispose qu'"il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque formellement admise par l'administration".

En matière de transport de voyageurs, l'administration a réécrit son interprétation de l'article 279, b quater, du CGI. L'instruction n° 3 C-6-83 en date du 8 avril 1983 entendait largement la notion de transports de voyageurs en admettant l'application du taux réduit au profit des transports de corps réalisés par les prestataires agréés (exploitants d'ambulances, embaumeurs, services des pompes funèbres...). La documentation administrative de base 3 C 226, en date du 15 mai 1991, entendait ne pas distinguer selon le mode de transport utilisé par les voyageurs. Elle ne semblait pas en exclure le voyageur mort, car elle ajoutait : "de même, les transports de corps réalisés par les prestataires agréés : exploitants d'ambulances, embaumeurs, service des pompes funèbres relèvent du taux réduit".

En l'espèce, se posait la question de savoir si cette interprétation extensive de la notion de transports de voyageurs incluait le transport de corps par porteurs lors des cérémonies funéraires. L'interprétation administrative invoquée par le requérant visait le transport de corps par des prestataires agréés sans distinguer selon le moyen de transport utilisé. Aussi, la lettre de l'instruction et de la documentation opposées à l'administration fiscale par la SA Omnium de gestion financière permettait-elle au Conseil d'Etat de ne pas distinguer là où le texte en cause ne distinguait pas ?

Cette application d'un principe traditionnel d'interprétation ne trouvera plus à s'appliquer aux transports de corps, car l'administration fiscale a modifié son interprétation de l'article 279, b quater, du CGI. La dernière instruction, en date du 15 janvier 1998, n° 25 (BOI n° 3 A-2-98 N° Lexbase : X0796AAQ) lui permet, maintenant, de s'opposer à l'application du taux réduit aux transports de corps par porteur. En effet, cette instruction prévoit que "les transports de corps proprement dits, avant et après mise en bière, effectués par les prestataires agréés (exploitants d'ambulances, embaumeurs, régies municipales des pompes funèbres) dans des véhicules aménagés à cet effet ainsi que les transports de personnes avec des cars de suite et les voitures du clergé sont passibles du taux réduit de la TVA (CGI, art. 279-b quater)".

Cette modification est heureuse pour l'administration car, en son absence, le juge refuse d'interpréter l'interprétation administrative (C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, 4e éd., Dalloz, p. 177 et s). La lettre prévaut en la matière, si le contribuable peut se prévaloir d'une interprétation formelle du texte fiscal. Admettre le contraire serait accorder à l'interprétation administrative valeur de loi fiscale, ce que condamne le droit constitutionnel. Par ailleurs, la précision administrative destinée à rectifier une interprétation administrative susceptible de favoriser le contribuable, notamment en matière de transports de corps ne saurait revenir en arrière.

Tout changement d'interprétation de la règle de TVA ne vaut qu'à l'encontre des opérations postérieures à sa publication. En effet, s'agissant des impôts indirects, sont applicables, la loi et, si le contribuable le souhaite, son interprétation la plus favorable existantes lors du fait générateur, c'est-à-dire à la date de la livraison de biens ou de l'exécution de la prestation de services. En revanche, en matière d'imposition des bénéfices, le changement d'interprétation peut concerner une période précédant la mise à disposition des bénéfices. En effet, s'agissant des impôts directs, la loi et son interprétation applicables, à la demande du contribuable sont celles en vigueur à la date du fait générateur, c'est-à-dire la mise à disposition des revenus. Le résultat est réputé mis à disposition de l'entrepreneur à la date de clôture de l'exercice. L'entrepreneur individuel doit déclarer ses bénéfices dans le respect de la loi de finances votée fin décembre. Les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés acquittent l'impôt en fonction de la dernière loi de finances selon que la clôture est intervenue ou non à partir du 31 décembre.

Dans cette affaire, le changement d'interprétation étant intervenu au-delà de la période litigieuse, le taux réduit pouvait s'appliquer aux transports de corps par porteurs. Tel n'est plus le cas depuis le 16 janvier 1998, lendemain de la publication de l'instruction modifiant l'interprétation du champ d'application de l'article 279, b quater, du CGI. Cette modification se veut également plus précise à l'égard des prestations annexes soumises au taux normal.

2. L'application du taux normal aux prestations annexes

L'instruction de 1983 et la documentation administrative de 1991 précitées excluaient du taux réduit les "constitutions de dossier, présence, soins somatiques...". La dernière instruction, en date du 15 janvier 1998 prévoit que "en revanche, les services annexes rendus par ces prestataires lors de ces transports de corps (constitution de dossiers, 'présence', soins somatiques...) demeurent passibles du taux normal. Pour l'application du taux réduit, il appartient aux redevables de comptabiliser distinctement la fraction du prix correspondant à la prestation de transport de corps. À défaut, l'ensemble des opérations relève du taux normal.

Enfin, les livraisons de biens ou les prestations de services annexes (fleurs, garnitures de cercueils, accessoires de cérémonie, faire-part, cartes de remerciements, etc.) sont soumises au taux qui leur est propre. Ainsi, les travaux divers d'imprimerie, la construction, l'entretien et la vente de caveaux, l'entretien et le nettoyage des sépultures et monuments funéraires relèvent du taux normal de la TVA. La fourniture de fleurs est soumise au taux de 19,6 % s'il s'agit de fleurs artificielles ou de compositions florales (couronnes, coussins, etc.). En revanche, bénéficie du taux réduit la fourniture de produits de la floriculture non transformés (fleurs coupées notamment), dans les conditions définies ci-avant DB 3 C 2121, n° 6 à 8.

Les opérations de gestion d'un crématorium par une entreprise privée délégataire sont soumises au taux normal de 19,6 %".

Il est intéressant de souligner que la comptabilisation distincte des opérations relevant de taux différents suffit pour en bénéficier. Il est vrai que la jurisprudence communautaire ne permet pas de refuser l'application de taux différents aux prestations différentes, même si elles sont nécessairement liées (CJCE, 8 mai 2003, aff. C-384 /01, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A9191B48 ; Y. Sérandour, L'Année fiscale 2004, p. 238) ou doivent se compléter pour satisfaire le client (CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A7318AHI). Au point 30 du dernier arrêt cité, la CJCE y affirme, à propos d'une affaire soulevant un problème de définition et de distinction des prestations, qu'"il convient de souligner qu'il s'agit d'une prestation unique notamment dans l'occurrence où un ou plusieurs éléments doivent être considérés comme constituant la prestation principale alors que, à l'inverse, un ou des éléments doivent être regardés comme une ou des prestations accessoires partageant le sort fiscal de la prestation principale. Une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu'elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire".

En résumé, constitue une prestation autonome soumise au régime prévu par la 6ème directive-TVA (N° Lexbase : L9279AU9) toute prestation indépendante dont l'existence et la consommation ne nécessitent pas un autre élément constitutif. Comme en matière d'assiette de la TVA, seule importe la volonté contractuelle (CJCE 24 octobre 1996, aff. C-288/94, Argos Distributors Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 16 N° Lexbase : A7279AH3 ; CJCE, 15 mai 2001, aff. C-34/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Primback Ltd, § 24 N° Lexbase : A3959ATS, Dr. fisc. 2001, n° 37, comm. n° 797 ; CJCE, 15 octobre 2002, aff. C-427/98, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A2779A3C). Si les clients ressentent le désir d'acquérir des prestations différentes qu'ils jugent indispensables pour obtenir satisfaction en les utilisant ensemble, le taux propre à chaque prestation doit s'appliquer. La confection d'une recette nécessitant des flocons de chocolat noir de luxe et du chocolat au lait de ménage en tablettes n'entraîne pas application du taux normal à la vente de l'ensemble au prétexte que l'un des ingrédients relève du taux normal.

L'exigence d'une comptabilisation distincte des prestations relevant de taux différents pourrait prêter à discussion. La 6ème directive-TVA, en son article 28 nonies, 2 a, mentionne "une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l'application de la TVA et son contrôle par l'administration fiscale". Il ne faudrait pas que l'enregistrement distinct et la facturation distincte des prestations soumises à des taux différents puissent exclure l'application de taux distincts au prétexte d'absence de comptabilité distincte.

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