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le 07 Octobre 2010
I. La source des aménagements
L'une des grandes caractéristiques du droit du travail est, on le sait, de faire coexister une pluralité de sources. Outre, évidemment, la loi et le règlement, la matière est régie par des normes conventionnelles, les conventions et accords collectifs de travail, et des actes unilatéraux, qu'il s'agisse des engagements unilatéraux de l'employeur stricto sensu ou des actes qui en ont, selon la jurisprudence, la valeur : usage ou encore accords dits "atypiques". Si le contrat de travail ne saurait, évidemment, être omis, il doit cependant être laissé de côté, dans la mesure où il a pour objet d'organiser la relation individuelle de travail et non, en principe, les rapports collectifs. En revanche, il faut encore évoquer les accords dits préélectoraux qui, pour ressembler très fortement à des accords collectifs, s'en distinguent, néanmoins, sur un certain nombre de points.
Il n'est guère besoin de s'étendre ici sur le fait que les différentes sources recensées ci-dessus ne suivent pas le même régime juridique. Par exemple, les règles de dénonciation d'un accord ou d'une convention collective n'ont pas vocation à s'appliquer à la dénonciation d'un acte unilatéral. Par ailleurs, et pour en venir à un problème évoqué dans l'un des arrêts commentés, les règles de conclusion d'un accord collectif diffèrent, sur un point essentiel, de celles qui s'appliquent aux accords préélectoraux. En effet, ces derniers ne sont valables que s'ils sont signés par l'ensemble des syndicats représentatifs. Pour être tout à fait précis, la loi n'exige une telle unanimité que pour les clauses modifiant le nombre et la composition des collèges (C. trav., art. L. 423-3 N° Lexbase : L6363ACN et L. 433-2 N° Lexbase : L6419ACQ).
Pourtant, la jurisprudence incline à l'exiger pour l'ensemble des dispositions du protocole, c'est-à-dire également pour celles fixant le déroulement des opérations électorales (v., par ex., Cass. soc., 7 novembre 1990, n° 89-61.333, Société Schlumberger c/ Syndicat des métaux CGT, publié N° Lexbase : A4719ACR) (2). Pour autant, cette exigence d'unanimité, dont la jurisprudence tend d'ailleurs à réduire aujourd'hui le champ d'application (3), ne saurait être étendue à l'excès et, notamment, au-delà de l'accord préélectoral.
C'est ce que précise la Cour de cassation dans l'un des arrêts commentés, en décidant que "l'alinéa 3 de l'article L. 433-1 du Code du travail n'exige pas l'unanimité pour la conclusion de la convention ou de l'accord collectif augmentant le nombre des membres du comité d'entreprise" (Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.508, F-P+B N° Lexbase : A3756DET). La solution est parfaitement fondée. En effet, l'article L. 433-1, alinéa 3 ([lXB=L9604GQR]) indique simplement que "le nombre de membres [du comité d'entreprise] peut être augmenté par voie de convention collective ou d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales reconnues représentatives". En aucune façon, il n'exige donc une quelconque unanimité. Ubi lex non distinguit nec nos distinguere debenus (4).
Dans un arrêt en date du 6 octobre 2004, la Cour de cassation a affirmé que "les dispositions concernant le fonctionnement ou les pouvoirs des comités d'entreprise ne peuvent résulter que d'accords collectifs ou d'usages" (Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 03-60.333, F-D N° Lexbase : A5803DDB).
Il résulte de cette décision, dont il faut relever qu'elle n'a pas fait l'objet d'une publication, qu'un accord atypique ne saurait avoir pour objet le fonctionnement ou les pouvoirs du comité d'entreprise. Une telle faculté est, en revanche, ouverte à l'accord collectif et aux usages. Ainsi que nous avions pu le relever (v. notre chron. préc.), l'arrêt suscite, de ce point de vue, l'étonnement dans la mesure où, dans une décision antérieure, la Chambre sociale avait clairement affirmé que "si le nombre des délégués ou des représentants syndicaux tel qu'il est fixé par la loi peut être augmenté à la suite d'une négociation avec les syndicats représentatifs par accord collectif, ni un usage de l'entreprise, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes" (Cass. soc., 30 mai 2001, n° 00-60.150, Société nationale de télévision France 3 c/ M. Michel Barre, publié N° Lexbase : A5667AT3) (5).
Si aucune des décisions commentées ne vient répondre à la question de savoir comment les deux solutions qui viennent d'être évoquées peuvent se concilier (6), l'une d'entre elles intéresse, en revanche, l'articulation, dans la matière qui nous intéresse, entre la norme conventionnelle et l'usage. Selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, en effet, "lorsque l'accord collectif fixe des conditions permettant la désignation d'un représentant syndical au comité de groupe, il ne peut y être dérogé par voie d'usage" (Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.484, F-P+B N° Lexbase : A3754DER) (7). Cette solution, d'abord fondée sur la force obligatoire des conventions, ainsi que l'indique le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), s'explique aussi par la hiérarchie des sources en droit du travail, qui conduit à faire primer la convention collective sur l'usage, simplement supplétif de la volonté des parties à l'acte juridique.
II. L'opposabilité des aménagements
Ainsi que nous l'avons brièvement évoqué précédemment, la Cour de cassation tend, aujourd'hui, à donner à la règle de l'unanimité un champ d'application plus restreint, ainsi que le démontre très clairement un arrêt rendu le 12 juin 2002. Dans cette décision, la Chambre sociale a, en effet, décidé qu'une stipulation électorale qui ne concerne pas le nombre et la composition des collèges électoraux, mais la répartition des sièges entre les catégories, doit s'appliquer, même sans avoir recueilli l'accord de tous les syndicats représentatifs (Cass. soc., 12 juin 2002, n° 01-60.617, F-P N° Lexbase : A8847AYC, Dr. soc. 2002, p. 1162, obs. M. Cohen).
Si le principe et la portée de cette solution peuvent prêter à discussion (v. notamment les critiques de G. Borenfreund, art. préc., p. 119), cela n'enlève toutefois rien aux effets d'un accord unanime qui viendrait à être conclu sur les modalités des élections. Si celui-ci revêt, évidemment, une force contraignante pour les parties signataires, il est également opposable aux salariés qui lui sont soumis.
C'est ce que confirme la Cour de cassation, dans l'un des arrêts rendus le 8 décembre 2004, en affirmant que "l'employeur et les organisations syndicales peuvent décider à l'unanimité de reporter la date des élections" (8) (Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.509, M. Pascal Perrier c/ Banque Neuflize Schlumberger Mallet Demachy (NSMD), F-P+B N° Lexbase : A3757DEU). Un salarié ne saurait, par suite, solliciter l'annulation des élections en raison d'un tel report.
Cela étant, cette même décision confirme, si besoin était, que l'unanimité n'enlève pas au juge le pouvoir de contrôler la validité des stipulations adoptées par les parties à l'acte, notamment au regard des principes généraux du droit électoral. Selon la Cour de cassation, "en constatant que les dispositions du protocole préélectoral permettaient d'assurer l'identité des électeurs ainsi que la sincérité et le secret du vote électronique, comme la publicité du scrutin, conformément aux principes généraux du droit électoral, le tribunal a légalement justifié sa décision".
Au-delà de la question de la validité de l'accord préélectoral, il convient de souligner que la Cour de cassation vient admettre, par la présente décision et pour la première fois à notre connaissance, la possibilité de mettre en place un vote électronique (9). Si cette solution doit être approuvée, elle n'allait pas de soi, dans le silence des textes. La mise en place du vote électronique reste, cependant, soumise à de strictes conditions, garantissant la confidentialité et le contrôle des opérations électorales.
Les dispositions d'une convention ou d'un accord collectif de travail qui tendent à améliorer l'exercice du droit syndical dans les entreprises ou les institutions représentatives du personnel, sont applicables de plein droit à tous et, en particulier, aux syndicats représentatifs, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre ceux qui ont signé ou adhéré à la convention ou à l'accord collectif et ceux qui n'y ont pas adhéré ou qui ne l'ont pas signé (Cass. soc., 29 mai 2001, n° 98-23.078, Union nationale des syndicats CGT-Cegelec c/ Société Cegelec et autres, publié N° Lexbase : A4696AT4).
Si le bénéfice des droits conventionnels est ainsi largement ouvert, il peut être soumis à un certain nombre de conditions prévues par le texte en cause, qui auront vocation à s'appliquer aux syndicats concernés. C'est ce que rappelle la Cour de cassation, dans l'un des arrêts commentés, en reconnaissant la validité de la stipulation d'un accord de groupe, permettant aux organisations syndicales de désigner des représentants syndicaux au comité de groupe, à la condition d'avoir un siège au comité de groupe (Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 03-60.484, F-P+B N° Lexbase : A3754DER). Ces dispositions restrictives ne sauraient être contestées, dès lors qu'elles concernent un droit d'origine purement conventionnelle (10) et, surtout, qu'elles ne présentent aucun caractère discriminatoire.
De façon plus générale, cette solution conduit à s'interroger sur le fait de savoir si une telle condition est applicable au syndicat non signataire de l'accord collectif. Sa qualité de tiers à l'acte juridique pourrait en faire légitimement douter, comme elle pouvait, d'ailleurs, conduire à affirmer que ce même syndicat n'a pas vocation à bénéficier des droits reconnus par l'accord. La Cour de cassation a, toutefois, décidé le contraire dans l'arrêt précité du 29 mai 2001. Il paraissait, par suite, difficile à la Chambre sociale d'affirmer qu'un syndicat non signataire peut bénéficier des droits reconnus par un accord, sans pour autant être tenu des obligations qu'ils comportent.
On ne saurait, dès lors, être surpris que cette dernière ait affirmé qu'un accord de groupe est "opposable aux organisations syndicales non signataires en sorte que si elles entendent participer aux négociations de groupe qu'il prévoit, elles sont tenues de désigner leurs représentants conformément à ses dispositions" (Cass. soc., 30 avril 2003, n° 01-10.027, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7524BSH, adde notre chron., Consécration jurisprudentielle des accords collectifs de groupe, Lexbase Hebdo n° 71 du 15 mai 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9953AAU).
Une telle solution, pour être logique, ne s'explique juridiquement que parce que le syndicat devient un sujet de l'accord collectif, au même titre qu'un salarié. Il est, par suite, tenu des obligations qu'il comporte en vertu de son effet réglementaire. On reste, cependant, dubitatif sur la référence expresse à la notion d'inopposabilité qui n'a, normalement, pas pour effet de soumettre un tiers aux obligations nées d'un acte juridique.
Gilles Auzero
Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux IV
(2) Dans cette hypothèse, l'absence d'unanimité ne rend pas le protocole irrégulier, mais permet seulement la saisine du juge d'instance pour la fixation des modalités sur lesquelles l'accord n'a pu intervenir (Cass. soc., 28 octobre 1997, n° 96-60.272, M. Quenouiller et autres c/ Société Dercam technologie N° Lexbase : A6390AGR).
(3) V., sur la question, G. Borenfreund, Négociation préélectorale et droit commun de la négociation collective, Etudes offertes à Jean Pélissier, Dalloz, p. 93, spéc. pp. 115 et s.
(4) Exiger l'unanimité reviendrait, en outre, à ajouter, dans le silence de la loi, une condition supplémentaire à la validité d'un accord collectif.
(5) V. aussi, dans le même sens, Cass. soc., 20 mars 2001, n° 99-60.496, Union départementaledes syndicats confédérés CGT des Hautes-Pyrénées c/ Société Actalimet autres, publié (N° Lexbase : A1250ATH), Dr. soc. 2001, p. 568, obs. J. Savatier : "Si le nombre de délégués syndicaux, tel qu'il est fixé par la loi, peut être augmenté par accord collectif à la suite d'une négociation avec les syndicats représentatifs, ni un usage, ni un engagement unilatéral de l'employeur ne peuvent modifier les dispositions légales correspondantes". Il est vrai qu'à la différence de l'article L. 434-12 (N° Lexbase : L6444ACN), l'article L. 412-21 (N° Lexbase : L6341ACT) ne vise que les "conventions ou accords" et non les usages.
(6) Pour une tentative d'explication, v. notre chronique précitée Restrictions et interrogations quant aux sources d'amélioration des dispositions légales relatives au droit syndical et à la représentation du personnel, Lexbase Hebdo n° 139 du 20 octobre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3178ABC).
(7) Il est à noter que cet arrêt a été rendu au visa des articles 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), L. 439-3 du Code du travail (N° Lexbase : L6468ACK) et 3-4 d'un protocole d'accord applicable en l'espèce. Cette dernière disposition permet aux organisations syndicales de désigner des représentants syndicaux au comité de groupe, à la condition d'avoir un siège au comité de groupe.
(8) Cette décision laisse, en outre, à penser que le report des élections ne peut être décidé que par voie d'accord unanime. Si cette solution nous paraît devoir être approuvée, elle conduit à se demander, dès lors qu'on la rapproche de l'arrêt précité du 12 juin 2002, quel est désormais le domaine exact de la règle de l'unanimité.
(9) V. aussi la position du ministre des Affaires sociales sur la question : Rép. min, n° 8428, JO Sénat, 2 octobre 2003, p. 2956, Bref social n° 13992, 17 oct. 2003 (N° Lexbase : L5035GUZ).
(10) On peut, en effet, s'interroger sur la validité d'une telle condition lorsqu'elle vient restreindre le bénéfice d'une clause conventionnelle qui, sans véritablement créer un droit, se contente simplement d'améliorer une disposition légale. Ainsi, par exemple, une stipulation conventionnelle réservant la possibilité de désigner un délégué syndical supplémentaire aux syndicats ayant obtenu un certain pourcentage de voix aux dernières élections dans l'entreprise est-elle valable ? V., sur cette délicate question, notre thèse, Les accords d'entreprise relatifs au droit syndical et à la représentation du personnel, Bordeaux IV, 1997.
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