La lettre juridique n°145 du 2 décembre 2004 :

[Jurisprudence] La portée de la déchéance du droit aux intérêts du banquier en présence de plusieurs cautions solidaires

Réf. : Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 01-03.772, M. Lambert c/ Banque populaire du Centre, F-P+B (N° Lexbase : A8396DDC)

Lecture: 7 min

N3743ABA

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] La portée de la déchéance du droit aux intérêts du banquier en présence de plusieurs cautions solidaires. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207036-cite-dans-titre-nbsp-i-la-portee-de-la-decheance-du-droit-aux-interets-du-banquier-en-presence-de-pl
Copier

le 07 Octobre 2010

La déchéance du droit aux intérêts du banquier fautif pour manquement à son obligation d'information à l'égard de la caution est une sanction particulière qui nourrit un contentieux abondant. En l'espèce, la Banque populaire avait octroyé à mademoiselle H. un prêt d'un montant de 150 000 francs (environ 22 900 euros). Les consorts L., M. H. et la commune de Cahus se sont portés cautions solidaires envers l'établissement de crédit en remboursement des sommes dues. A la suite de la liquidation judiciaire prononcée à l'égard de mademoiselle H., la banque a assigné les cautions en exécution de leurs obligations. Constatant le manquement du banquier à son obligation d'information, prescrite par l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9255DYG), les juges du fond ont prononcé la perte par déchéance du droit aux intérêts contractuels de la banque au profit de l'ensemble des cautions. En effet, selon les termes de l'arrêt de la cour d'appel, la déchéance du droit aux intérêts du banquier devait être prononcée à l'égard de toutes les cautions afin de ne pas rompre l'égalité entre elles. La banque forme un pourvoi : elle conteste l'extension de la déchéance du droit aux intérêts de la banque à l'ensemble des cautions. La Cour de cassation devait décider si la déchéance du droit aux intérêts de la banque prononcée à l'égard de l'une des cautions est une exception bénéficiant aux autres codébiteurs poursuivis. La première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 novembre 2004, a cassé partiellement, au visa de l'article 1208 du Code civil (N° Lexbase : L1310AB7), la décision rendue par les juges du fond, dans des termes qui méritent d'être reproduits. La Cour de cassation énonce que "l'exception tirée de l'inobservation par la banque de l'obligation d'information prescrite par l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier est personnelle à la caution qui l'invoque et ne profite pas aux autres cautions, fussent-elles solidaires".

La question de l'extension des effets de la déchéance du droit aux intérêts du banquier prononcée à l'égard de l'une des cautions solidaires à l'ensemble des cofidéjusseurs n'avait jamais été tranchée par la Cour de cassation. Elle précise que le manquement du banquier à son obligation d'information à l'égard de l'une des cautions et sa sanction ne peuvent être invoqués par les autres cautions solidaires. La faute du banquier est une exception purement personnelle à la caution qui en a souffert. Les autres cautions ne sont pas admises à s'en prévaloir. Le manquement du banquier ou sa sanction est une exception purement personnelle à celle des cautions qui l'invoque et demeure inopposable s'agissant des autres cautions solidaires (I). La solution se justifie au regard de la nature juridique de la déchéance qui est une peine privée. Cette sanction bénéficie exclusivement à la caution victime de la faute du banquier (II).

I - La déchéance du droit aux intérêts : une exception purement personnelle inopposable

L'opposabilité des exceptions par le codébiteur solidaire poursuivi est prévue par l'article 1208 du Code civil. Cette disposition conduit à distinguer trois catégories d'exceptions : communes, simplement personnelles, et purement personnelles.

Les exceptions communes sont celles qui peuvent être invoquées par tous les débiteurs. L'action du créancier est vouée à se heurter à l'exception considérée (1). Telles sont les causes de nullité qui vicient l'engagement de tous les codébiteurs (2) : par exemple le vice de forme emportant la nullité de l'obligation (3).

Les exceptions simplement personnelles forment une catégorie intermédiaire. Il s'agit d'exceptions qui libèrent entièrement un débiteur, mais qui profitent pour partie aux autres car elles réduisent le montant de la dette. Tel est le cas de la remise de dette : elle peut être invoquée, pour le tout, par le débiteur qui en a profité directement ; mais la remise de dette ne profite aux autres codébiteurs que partiellement. Ils ne peuvent opposer la remise de dette au créancier que pour la part du débiteur en ayant bénéficié : les codébiteurs restent tenus pour le surplus (4).

A l'opposé se situent les exceptions purement personnelles. Ce sont celles qu'un seul débiteur est admis à opposer et dont il est le seul à profiter. Ont, traditionnellement, ce caractère, les exceptions tenant à une cause de nullité qui n'entache qu'un seul engagement : l'incapacité du débiteur ou le vice de consentement subi par lui, à l'exception des autres (5).

Or, pour la première fois, la Cour de cassation traite de la déchéance du droit aux intérêts du banquier sous l'angle de l'article 1208 du Code civil. Elle pose clairement que le manquement à l'obligation d'information du banquier ou sa sanction est une exception purement personnelle qui ne profite qu'à la caution ayant souffert de la faute de l'établissement de crédit.

Les autres cautions ne sont pas en mesure de se prévaloir d'une faute du créancier qui n'a pas été réalisée à leur encontre. La solution se justifie pleinement car la déchéance du droit aux intérêts est une peine privée profitant uniquement à la caution victime.

II - La déchéance du droit aux intérêts : une peine privée bénéficiant exclusivement à la caution victime

La déchéance du droit aux intérêts du banquier à l'égard de la caution est une peine qui réprime le manquement de celui-ci à son obligation d'information. Le contenu de l'obligation d'information incombant au banquier à peine de déchéance à l'égard de la caution est le suivant. L'article L. 313-22 du Code monétaire et financier impose aux établissements de crédit l'obligation de porter annuellement à la connaissance des cautions ayant garanti des crédits à des entreprises, le montant des encours au 31 décembre de l'année précédente. La communication doit être faite avant le 31 mars de chaque année et donner l'état de la dette garantie au 31 décembre précédent (6).

Le second alinéa de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier fixe la sanction du défaut d'information : la perte des intérêts échus entre la précédente information et la nouvelle. Il s'agit d'une sanction qui ne procède pas de la responsabilité civile, parce qu'elle n'a pas de vocation réparatrice. Elle est prononcée (7) même en l'absence de préjudice et ne couvre pas nécessairement tout le préjudice lorsqu'il existe (8).

La déchéance du droit aux intérêts crée un déséquilibre substantiel au stade de l'exécution d'un contrat unilatéral en diminuant les droits de la partie qui bénéficie de l'engagement de son cocontractant. Ainsi, dans le cautionnement, la déchéance du droit aux intérêts de l'établissement de crédit vis-à-vis de la caution modifie l'équilibre des droits entre les parties. La sanction de la faute du banquier entraîne la perte du droit aux intérêts contractuels à l'exclusion des intérêts légaux (9). Cette déchéance consiste en la perte des intérêts conventionnels, "les cautions étant seulement tenues à titre personnel à payer les intérêts au taux légal à compter de la première mise en demeure qu'elles reçoivent" (10). La solution se justifie car la déchéance du droit aux intérêts est une peine privée qui doit être interprétée de manière restrictive. Selon l'esprit de la loi, la déchéance du droit aux intérêts est conçue pour sanctionner les manquements à une obligation d'origine contractuelle. La déchéance anéantit le droit aux intérêts (11) prévus par le contrat et ne peut affecter de manière extensive les intérêts légaux.

En définitive, la déchéance du droit aux intérêts est une peine privée qui peut conduire à la refonte des relations contractuelles ou légales entre la caution et son créancier le banquier à la défaveur de ce dernier. Cette peine privée contractuelle supprime les droits de la partie fautive et maintient les effets de la convention au profit de la victime. Par essence répressive, la déchéance concerne uniquement les rapports entre la personne fautive et sa victime. En l'espèce, l'arrêt rappelle implicitement que la déchéance ne peut s'appliquer lorsque aucune faute ne peut être imputée à la banque à l'égard des autres cautions. Le fait générateur de cette peine est la faute de la personne qui est susceptible de l'encourir. En l'absence de faute préjudiciable constatée, les autres coobligés non lésés ne peuvent se prévaloir du bénéfice de la déchéance. Seules les victimes de la personne passible de déchéance sont à même d'en profiter.

Alexandre Le Gars
Docteur en droit
Chargé d'enseignement à l'université des sciences sociales de Toulouse I


(1) J. Flour et J.-L. Aubert, Les obligations, le rapport d'obligation, T 3, 3ème éd., Armand Colin 2004, n° 318.
(2) Ph. Le Tourneau et J. Julien, Solidarité, Dalloz 2004, n° 104.
(3) Cass. com., 25 mars 1991, n° 88-20.162, M. Le Pêcheur c/ Receveur principal des Impôts de Paris 1er (N° Lexbase : A4070AH9), Bull civ. IV, n° 118.
(4) Cass. civ. 1, 26 mai 1994, n° 92-13.435, M. Sanchez c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel des Alpes-Maritimes (N° Lexbase : A3875ACI), Bull. civ. I, n° 187.
(5) Ph. Le Tourneau et J. Julien, précité, n° 107 et suivants.
(6) Le texte définit de manière précise la teneur de l'information due, qui intéresse le montant et la durée de l'engagement de la caution. L'information doit porter exclusivement sur le passif garanti par la caution : la disposition indique que l'information porte sur le "montant du principal et des intérêts, commissions, frais et accessoires restant dus au 31 décembre de l'année précédente". La formule de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier impose, en outre, que les éléments de la créance soient distingués, pour le moins en ce qui concerne le principal et les intérêts. Cette nécessité de classement des éléments de la créance, afférents à une période déterminée, est corroborée par la Cour de cassation : Cass. com., 22 juin 1993, n° 91-14.741, M. Moussaud c/ Crédit du Nord (N° Lexbase : A5696ABL), Bull. civ. IV, n° 257 ; Cass. com., 30 novembre 1993, n° 91-14.856, Société française de factoring c/ M. Najar (N° Lexbase : A5818AHX), Bull. civ. IV, n° 434.
(7) Le texte de l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier est dépourvu d'équivoque : il impose au juge le prononcé de la déchéance du droit aux intérêts lorsque le défaut d'information de la caution est avéré. Ce dernier dispose seulement du pouvoir d'apprécier les conditions d'application de la peine : Cass. com., 22 juin 1993, précité.
(8) V.-F. Pollaud-Dulian, De quelques avatars de l'action en responsabilité civile dans le droit des affaires, RTD Com., 1997, p. 349.
(9) La déchéance ne vise pas les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L1254AB3). Selon la Cour de cassation, "les dispositions de l'article 48 de la loi du 1er mars 1984 concernent les intérêts dus par la caution en cette dernière qualité et non ceux dus par la caution par application de l'article 1153, alinéa 3, du Code civil, après qu'elle eut été mise en demeure d'exécuter son engagement" : Cass. com., 25 juin 1991, n° 89-20.071, Epoux Benhamou c/ Crédit industriel et commercial de Paris (N° Lexbase : A4760AHR), Bull. IV., n° 233.
(10) Voir, Cass. civ. 1, 9 décembre 1997, n° 95-19.940, Crédit industriel et commercial de Paris c/ Epoux Ribillard (N° Lexbase : A0723ACR), D. 1998, IR p. 27.; Cass. civ. 1, 12 mars 2002, n° 99-17.209, M. Michel Benard c/ Caisse d'épargne et de prévoyance Poitou-Charentes, FS-P+B+R (N° Lexbase : A2241AYN), D., 2002, AJ. p. 1199, obs. A. Lienhard.
(11) En outre, l'article L. 313-22 du Code monétaire et financier déroge au droit commun de l'imputation des paiements. Car selon la disposition susmentionnée : "les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports entre la caution et l'établissement, affectés prioritairement au règlement du principal de la dette". En d'autres termes, si le capital reste dû, les intérêts sont considérés à l'égard de la caution comme demeurés impayés, afin que la déchéance puisse s'appliquer, même si, dans les rapports entre le débiteur principal et son créancier, les intérêts ont été, en tout ou partie, acquittés.

newsid:13743

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.