La lettre juridique n°145 du 2 décembre 2004 : Social général

[Jurisprudence] A propos de la garantie de l'AGS : une extension de la liste des créances garanties en trompe-l'oeil

Réf. : Cass. soc., 23 novembre 2004, n° 02-41.836, M. Jean Fauvet c/ Société Stradelec, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9590DDK)

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N3730ABR

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


La santé financière de l'AGS est directement tributaire de l'état de l'économie et du nombre de procédures collectives ouvertes. Elle est, également, subordonnée à des considérations plus juridiques qui tiennent aux plafonds garantis, qui ont été baissés en 2003 (décret n° 2003-684 du 24 juillet 2003, modifiant l'article D. 143-2 du Code du travail N° Lexbase : L1124BIH, lire A propos de la réforme de l'AGS : attention à vos créances, plafonds surbaissés !, Lexbase Hebdo n° 84 du septembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : L1124BIH), et à l'interprétation que la Cour de cassation fait des conditions mêmes de la garantie. Or, un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 23 novembre 2004, promis à la plus large publicité (P+B+R+I), semble procéder à un nouvel élargissement de la liste des créances garanties, en retenant de la notion de "sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire" une conception large (1). L'apparence est certainement trompeuse, car il nous semble que cette interprétation extensive s'explique par la nature particulière de la créance dans cette affaire (2).
Décision

Cass. soc., 23 novembre 2004, n° 02-41.836, M. Jean Fauvet c/ Société Stradelec, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9590DDK)

Cassation partielle sans renvoi (cour d'appel de Paris, 18e chambre, section E, 18 janvier 2002)

Mots clef : AGS ; créances garanties ; accord de rupture amiable antérieur à la date du jugement d'ouverture ; sort des sommes dues postérieurement à la date du jugement d'ouverture.

Lien base :

Faits

1. M. Fauvet, salarié depuis 1956 de la société Stradelec, a conclu le 30 novembre 1994, avec son employeur, une convention de rupture amiable de son contrat de travail prenant effet au 30 avril 1995, qui lui attribuait une indemnité de 645 000 francs, payable mensuellement, à concurrence de 15 000 francs, à compter du 1er juin 1995.

Une procédure de redressement judiciaire ayant été ouverte le 2 mars 1998, à l'égard de cette société, M. Fauvet a saisi le juge prud'homal pour faire fixer sa créance et obtenir de l'AGS la garantie des sommes dues après le mois de mars 1998.

2. Pour débouter M. Fauvet de sa demande tendant à faire juger que sa créance relevait de la garantie de l'AGS, la cour d'appel a retenu qu'il ressort des termes mêmes de la convention de départ négocié que l'indemnité de rupture prévue constitue des dommages-intérêts dont le paiement a fait l'objet de délais, que cette convention ne contient aucune clause prévoyant que la déchéance du terme est acquise de plein droit en cas de non-respect d'une échéance ou de redressement judiciaire, que M. Fauvet ne justifie pas que la déchéance du terme ait été demandée et constatée en justice avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, que l'Unédic, qui a garanti le paiement de la mensualité échue antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, est bien fondée à refuser de garantir les mensualités impayées échues postérieurement à ce jugement.

Problème juridique

La créance du salarié, dont le principe a été arrêté contractuellement antérieurement à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, mais dont le paiement s'échelonne postérieurement à cette date, doit-elle être garantie par l'AGS pour la période postérieure à la date d'ouverture de la procédure collective ?

Solution

1. Vu l'article L. 143-11-1, alinéa 2, 1° du Code du travail (N° Lexbase : L9556GQY)
En vertu de ce texte, l'assurance contre le risque de non-paiement, en cas de redressement ou de liquidation judiciaire de l'employeur, couvre les sommes dues aux salariés en exécution du contrat de travail à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective.

2. "En statuant comme elle l'a fait, alors que la créance du salarié résultait d'un accord conclu avant le jugement d'ouverture et que la somme convenue était due à la date de ce jugement, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Commentaire

1. Une extension apparente de la liste des créances garanties

  • La détermination légale des créances garanties

L'article L. 143-11-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9556GQY) dispose que "tout employeur ayant la qualité de commerçant, d'artisan, d'agriculteur ou de personne morale de droit privé et occupant un ou plusieurs salariés doit assurer ses salariés, y compris les travailleurs salariés détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés expatriés visés à l'article L. 351-4 (N° Lexbase : L6231ACR), contre le risque de non-paiement, en cas de procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, des sommes qui leur sont dues et contre le risque de rupture du contrat de travail pour cause de force majeure consécutive à un sinistre en exécution du contrat de travail".

Le 1° de ce texte précise que ces créances concernent, en premier chef, "les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire".

Le texte ne vise pas les créances dans leur principe, mais bien les "sommes" dues au salarié, et impose un critère chronologique très simple, puisque seules celles qui étaient dues à la date du jugement d'ouverture seront couvertes.

  • L'exclusion des sommes dues postérieurement au jugement d'ouverture mais convenues antérieurement

C'est pour cette raison que sont exclues de la garantie les commissions acquises par un VRP après cette date et au cours de la période d'observation, même si le principe du droit à commission résultait directement du contrat de travail, conclu antérieurement au jugement d'ouverture (CA Versailles, 11e ch., 30 janvier 1989, n° 915/88, Assédic Languedoc-Roussillon-Cevennes c/ Monsieur Claude Iung N° Lexbase : A4421A7U).

La Cour de cassation a eu, par ailleurs, l'occasion d'indiquer, à plusieurs reprises, qu'il ne suffisait pas que la créance soit née antérieurement à la date du jugement d'ouverture pour que l'intégralité des sommes soit garantie, notamment lorsque ces sommes devaient être payées postérieurement. Cette solution a été répétée concernant le paiement au salarié de l'indemnité compensatrice de non-concurrence (Cass. soc., 6 mai 1997, n° 94-42.699, M. Bourdin, publié N° Lexbase : A2151AAW : "la contrepartie pécuniaire de la clause de non-concurrence est une créance due mois par mois pendant la durée de l'interdiction de concurrence à compter du jour du licenciement" ; Cass. soc., 2 octobre 1997, n° 95-42.403, Groupement régional des assedics de la région parisienne (GARP) et autres c/ M. Dany Hauguet et autres, inédit N° Lexbase : A4483CLM ; Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 96-43.941, Mlle Soret c/ Société Chambon SICM et autres, publié N° Lexbase : A4620AG9, Dr. soc. 2000, p. 123, obs. Ch. Radé).

Dans ces conditions, il semblait logique de considérer que toutes les sommes dues postérieurement au jugement d'ouverture devraient être exclues du domaine de la garantie et, qu'en l'espèce, l'AGS ne devrait pas garantir.

  • L'élargissement apparent de la liste des créances garanties

Or, c'est à une solution contraire que conduit cette décision.

Dans cette affaire, un salarié et son employeur avaient conclu un accord de rupture amiable aux termes duquel l'employeur s'engageait à lui verser la somme de 645 000 francs à titre d'indemnités, payable mensuellement à concurrence de 15 000 francs, à compter du 1er juin 1995, soit pendant près de quatre ans (45 mois). Malheureusement pour le salarié, l'entreprise avait été placée en redressement judiciaire moins de trois ans plus tard et le salarié avait cherché, en vain, à obtenir la garantie de l'AGS. Or, il avait été débouté, la cour d'appel constatant que l'accord ne contenait aucune clause de déchéance du terme en cas de non-paiement et que, dans ces conditions, l'AGS ne devait pas garantir les échéances postérieures au jugement d'ouverture.

L'explication semblait parfaitement juste, et pourtant elle est censurée, qui plus est sans renvoi, par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui affirme, au contraire, que "la créance du salarié résultait d'un accord conclu avant le jugement d'ouverture et que la somme convenue était due à la date de ce jugement".

Il suffit donc, selon la Haute juridiction, que la créance existe dans son principe avant la date du jugement d'ouverture et que la somme stipulée soit due pour que l'AGS doive en garantir le paiement, même pour des échéances arrivées à terme postérieurement.

2. Une solution justifiée signe d'une évolution de la jurisprudence ?

  • Une solution équitable

Sur le plan de la stricte équité, la solution nous semble parfaitement juste. Lors de la conclusion de l'accord de rupture amiable, le salarié avait probablement accepté de quitter l'entreprise de manière non contentieuse, en contrepartie des fortes indemnités consenties par l'employeur. Ne pouvant, sans doute, lui payer la somme d'une seule traite, l'employeur avait demandé à bénéficier d'un délai de quatre ans pour la lui payer. Le salarié avait accepté de lui consentir, en quelque sorte, un prêt à taux zéro sur quatre ans.

L'analogie avec le prêt avait d'ailleurs été relevée par la cour d'appel de Paris, qui avait justifié le refus de garantie par l'absence de toute clause de déchéance, explicite ou implicite, dans l'accord conclu par les parties.

Ce n'est pas sur ce terrain que s'est située la Cour de cassation qui a préféré relever, d'une part, que la créance était due avant le jugement d'ouverture et, d'autre part, que la somme l'avait également été.

La solution pourrait surprendre, si on compare cette décision avec celles qui avaient été rendues en matière de contrepartie de la clause de non-concurrence puisque, dans cette hypothèse, rappelons-le, la garantie avait été écartée. Faut-il alors déduire de cette décision une évolution sensible de la Cour de cassation visant à élargir la liste des créances garanties ?

Rien n'est moins sûr, car il existe une différence importante entre l'indemnité compensatrice de non-concurrence et les indemnités dont il est question dans cette affaire.

  • Un élargissement strictement limité

L'indemnité compensatrice de non-concurrence apparaît, en effet, comme la rémunération, désormais obligatoire, de la clause de non-concurrence (voir, par exemple, Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE, La Cour de cassation prise en flagrant délit de violation du principe de la prohibition des arrêts de règlement, Lexbase Hebdo n° 33 du 24 juillet 2002 - édition sociale N° Lexbase : N3574AAM). Or, cette obligation est à exécution successive et son respect conditionne l'octroi au salarié de l'indemnité compensatrice. Le jour où il ne respecte plus son engagement, la contrepartie cesse d'être due (Cass. soc., 25 février 2003, n° 00-46.263, M. Guy Renoud c/ Société Molyslip, publié N° Lexbase : A2629A7I, JCP G 2003, II, 10014, note D. Corrignan-Carsin).

Or, en l'espèce, les indemnités dues par l'employeur compensaient la rupture du contrat de travail, et aucunement une obligation qui pèserait sur le salarié postérieurement à la rupture. En d'autres termes, la somme était bien due au salarié dès la conclusion de l'accord de rupture amiable, quelles que soient les circonstances postérieures. Pour faire une comparaison avec le divorce, il s'agissait ici de la même différence entre le paiement d'une prestation compensatoire sous la forme d'un capital, fixé lors du divorce, et remboursé sur une période plus ou moins longue (pas plus de huit ans lorsqu'elle est fixée par le juge), et le paiement d'une rente compensatoire viagère, aujourd'hui exceptionnelle. Dans la première hypothèse, rien ne peut venir affecter le remboursement du capital, même pas le décès du bénéficiaire, dans la seconde, le décès du bénéficiaire éteint l'obligation.

C'est bien ce qui justifie ici la différence de traitement entre la contrepartie de la clause de non-concurrence, qui n'est due que pour autant que le salarié respecte, mois après mois, son obligation de non-concurrence, et le remboursement des dommages et intérêts qui est dû sur la période stipulée, et que rien ne peut venir remettre en cause.

La solution dégagée dans cet arrêt du 23 novembre 2004 devrait donc, logiquement, être cantonnée aux seules hypothèses d'un remboursement d'une indemnité dont le principe et le montant sont définitivement établis antérieurement au jugement d'ouverture, comme c'était le cas ici, mais ne devrait pas modifier l'analyse que la jurisprudence fait de la garantie de l'AGS lorsque le paiement des sommes demeure subordonné au respect de conditions, vérifié postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective.

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