Réf. : CE 9° et 10° s-s, 25 février 2004 n° 250328, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Hallminster Limited (N° Lexbase : A3620DBP)
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par S. M.
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, une société de capitaux de droit britannique Hallminster Limited avait cédé, en 1989, la totalité des parts qu'elle détenait dans une société civile d'exploitation du vignoble de Château-Latour (Gironde). Elle avait acquitté spontanément l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1989, au taux réduit de 15 % alors prévu au I de l'article 39 quindecies du CGI , à raison de la plus-value à long terme dégagée lors de cette cession. La société britannique avait, par la suite, fait l'objet en 1992 d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos au cours des quatre années 1989 à 1992, pour lesquelles la société avait également acquitté l'impôt à raison, d'une part, des produits de ses ventes de vins et, d'autres part, des produits de placements financiers qu'elle avait réalisés en France. A l'issue de cette vérification, l'administration l'avait redressée au titre de la plus-value de cession de part, estimant que celle-ci était imposable dans l'Etat de situation du bien cédé en vertu de l'article 13-1 de la convention franco-britannique, c'est-à-dire en France. La société avait alors réclamé la décharge de cette imposition, soutenant qu'eu égard aux dispositions de cette convention fiscale, elle avait cessé, à compter du 1er janvier 1989, d'être redevable de l'impôt sur les sociétés en France. La cour administrative de Bordeaux, suivie par le Haut conseil, a infirmé le jugement du tribunal administratif, faisant droit aux conclusions de la société Hallminster.
1. Le lieu d'imposition des plus-values
La question est celle de savoir si les biens immobiliers d'entreprise relèvent du régime des bénéfices industriels et commerciaux ou du régime spécifique aux biens immobiliers. Pour trouver une solution logique et cohérente, le Conseil d'Etat a été obligé de démêler le jeu des dispositions de la convention conclue entre la France et la Grande-Bretagne, dans laquelle s'articulent les articles 5, 6 et 13. Sa solution repose donc sur une lecture minutieuse et interprétative de ces trois articles. En fait, toute la difficulté repose sur une asymétrie existant entre l'article 5 et l'article 13 de la convention.
En effet, l'article 5 relatif aux revenus tirés de biens immobiliers stipule que ces revenus sont imposables dans l'Etat où est situé le bien. Son § 2 assimile les parts des sociétés immobilières à des biens immobiliers. Enfin, les stipulations du § 4 de l'article 5 s'appliquent également aux revenus provenant des biens immobiliers d'une entreprise.
En revanche, l'article 13 relatif aux gains en capital contient la même règle pour l'imposition des plus-values tirées de l'aliénation de ces biens immobiliers (au sens de l'article 5), mais ne prévoit pas de règle (à l'instar du § 4 de l'article 5) indiquant que ses stipulations s'appliquent également aux gains en capital réalisés par les entreprises commerciales.
Face au silence de l'article 13, s'agissant des plus-values immobilières d'entreprise, et en l'absence de disposition particulière, le Conseil d'Etat ne pouvait que soumettre ces gains dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux obéissant aux dispositions de l'article 6 de la convention. Aux termes de cet article, les bénéfices des sociétés commerciales ne sont imposables que dans l'Etat dans lequel elles sont situées à moins que ces entreprises exercent leur activité par l'intermédiaire d'un établissement stable. Il est vrai qu'en définissant les bénéfices industriels et commerciaux, l'article 6 §5 a prévu d'écarter certains revenus visés à d'autres articles sans exclure les plus-values visées à l'article 13 de la convention.
Ainsi, la solution de la cour administrative d'appel de Bordeaux reprise par le Conseil d'Etat, devenait logique. D'une part, la société Hallminster n'exerçait pas son activité au travers d'un établissement stable en France. En effet, cette société n'avait qu'une participation dans une société civile française ; or, cette participation n'est pas constitutive d'un établissement stable selon la définition de la convention franco-britannique. D'autre part, les plus-values réalisées par cette dernière n'entraient ni dans la définition et le champ d'application de l'article 5 de la convention franco-britannique, ni dans celui de l'article 13 de cette convention. Ainsi, les plus-values litigieuses ne pouvaient être considérées que comme des revenus soumis au régime des BIC, relevant par conséquent de l'article 6. Ainsi, la cour de Bordeaux a justement déduit que les plus-values, en application de cet article, ne pouvaient n'être imposées qu'en Grande Bretagne.
Le Conseil d'Etat avait déjà, par le passé, usé de ce raisonnement, mais a contrario, dans un arrêt "SPA Raffaella" (CE Contentieux, 22 mai 1992, n° 63266, SPA Raffaella c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A6676ARP), en matière de revenus immobiliers. En effet, la convention franco-italienne ne comportant pas de stipulation réglant expressément le cas des revenus immobiliers des entreprises industrielles et commerciales, le Conseil d'Etat avait appliqué le droit interne sur la question.
2. Le lieu d'imposition des profits retirés de la vente de stocks de vins
La société de capitaux britannique était également confrontée à un autre problème : l'écoulement du stock de vins par un ancien associé de la société civile d'exploitation était-il constitutif d'une activité agricole soumise à l'article 5 de la convention, comme le faisait valoir le ministre de l'Economie, ou s'agissait-il tout simplement d'une activité de négoce à caractère commercial ? La question était primordiale, car en découlait, par la suite, le lieu d'imposition des profits tirés de la vente.
En l'espèce, les vins dont la société Hallminster Limited avait, depuis la France, réalisé la vente au cours des années 1989 à 1992 étaient issus de la production de la société civile d'exploitation du vignoble de Château-Latour, auprès de laquelle la société britannique les avait acquis en contrepartie de la fraction correspondant à ses droits sociaux des bénéfices réalisés par la société civile. Au regard des faits de l'espèce, l'analyse du ministre ne pouvait être que rejetée.
D'une part, le fait que la société civile française ait eu la qualité d'exploitant viticole n'impliquait pas forcément que ses associés aient la même qualité. D'autre part, la société britannique, en faisant l'acquisition du stock de vins, avait eu l'intention de se faire rémunérer en nature moyennant un prix correspondant à sa part dans les bénéfices. Le transfert de propriété avait donc été effectif et, par conséquent, la société en était devenue le propriétaire. La société, en écoulant le stock, ne pouvait être regardée comme ayant poursuivi une exploitation qu'elle n'accomplissait pas antérieurement à la cession de ses parts sociales, mais comme s'étant livrée tout simplement à une activité commerciale de négoce de vins. Par conséquent, les profits en cause ne pouvaient entrer dans le champ de l'article 5 de la convention franco-britannique, mais devaient être soumis à celui de l'article 6 de cette même convention qui subordonne l'imposition de ces profits en France en l'absence d'établissement stable. Or, en l'espèce, la société Hallminster ne disposait pas d'établissement stable et par conséquent les profits réalisés étaient imposables en Grande-Bretagne.
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