La lettre juridique n°117 du 22 avril 2004 : Sociétés

[Textes] A propos de l'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 : l'évolution du droit pénal des sociétés (seconde partie)

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N1342ABC

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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010


Par une série de textes (ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L4315DPI ; décret n° 2004-275 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L4314DPH ; ordonnance n° 2004-279 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L9555DQX ; ordonnance n° 2004-280 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L5293DST ; ordonnance n° 2004-281 du 25 mars 2004 N° Lexbase : L9556DQY), le pouvoir exécutif a mis en oeuvre la délégation qui lui avait été octroyée par le pouvoir législatif aux fins, notamment, de simplifier le droit des sociétés (loi n° 2003-591, 2 juillet 2003, habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, art. 26 N° Lexbase : L6771BHA). Le droit des sociétés à responsabilité limitée s'en trouve modifié en profondeur par les dispositions du chapitre III de l'ordonnance n° 2004-274. Pour autant, l'ambiguïté de la nature de l'engagement qui lie les associés d'une SARL est maintenue. En effet, on classe généralement la SARL parmi les sociétés de capitaux (1). Néanmoins, contrairement aux sociétés par actions, les SARL ne sont plus tenues d'avoir un capital minimal et connaissent des conditions d'agrément qui ne vont pas sans rappeler celles des sociétés de personnes. Cela peut laisser penser que, dans les SARL, la personne des associés ou des dirigeants et les garanties que ceux-ci peuvent apporter importent plus que le capital social, gage des créanciers. Peut-être faut-il voir là un nouveau pas de la réglementation française dans la quête d'une plus grande attractivité par rapport au droit national des autres Etats membres de l'Union européenne ? Quatre importantes questions peuvent être dégagées. En premier lieu, les modes de financement de l'activité de ces sociétés sont plus ouverts. En deuxième lieu, la direction des SARL est assouplie. En troisième lieu, l'agrément des associés entrants est également aménagé (ces trois premiers points ont fait l'objet de la première partie de cet article : lire N° Lexbase : N1232ABA). En quatrième et dernier lieu, le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés, déjà largement engagé depuis les réformes effectuées par la loi relative aux nouvelles régulations économiques (2), la loi pour l'initiative économique (3) et la loi de sécurité financière (4), trouve un nouveau prolongement.

Section 4 : La dépénalisation du droit des sociétés

§ 1 De la nécessité de pénaliser...

Comme le relève justement W. Jeandidier dans son ouvrage consacré au droit pénal des affaires (5), la révolution industrielle française a, notamment, eu pour conséquence d'imposer la mise en place de structures sociales aptes à brasser les capitaux : c'est ainsi que sont nées en France les sociétés de capitaux. Puis, ont suivi, pour répondre à des besoins différents, les sociétés de personnes.

Cependant, l'émergence de ces structures s'est accompagnée d'une délinquance spécifique aux sociétés qui peut, comme en attestent des scandales financiers anciens ou récents (affaires du Canal de Panama ou Enron, notamment, pour ne citer qu'elles), bouleverser l'économie nationale, voire internationale.

Ainsi, le développement des affaires a impliqué la création de lois et de règlements spéciaux : c'est dans ce cadre qu'est né le droit pénal des sociétés.

Cependant, tentant de répondre à toutes les hypothèses pouvant se poser par la création d'une infraction pénale spécifique, la matière, noyée dans les textes législatifs et réglementaires, est rapidement devenue impraticable.

La droit pénal de l'entreprise s'applique à l'ensemble des matières pouvant être touchées par la vie sociétaire : sanctions des atteintes à la concurrence, à l'environnement, aux droits des salariés, des actionnaires, etc.

Son expansion a pris une telle ampleur qu'il est rapidement devenu impossible de dresser une liste exhaustive des sanctions pénales encourues.

Ainsi, au vu de cette inflation législative, la volonté de dépénaliser la vie des affaires a rapidement vu le jour (6).

§ 2 ... A la volonté de dépénaliser

Cette dépénalisation, si elle a pour objectif une plus grande lisibilité de la matière, ne peut-elle pas être considérée comme la victoire d'un certain courant de pensée décrit par J.-M. Robert, ancien Procureur général près la Cour de cassation ? Relatant les propos développés dans un congrès de criminologie qui s'est tenu à Limoges au milieu des années 1970, il précise : "On y entendit que la recherche du profit étant la règle dans une société de consommation et dans une société capitaliste, profit et rentabilité se confondant, la frontière ne peut pas apparaître entre le licite et l'illicite ; il vaudrait mieux dépénaliser sinon totalement, du moins partiellement, certains délits d'affaires" (7). Même si nous ne le pensons pas, la question reste et méritait d'être posée.

En revanche, s'il est une certitude, c'est que cette vague de dépénalisation va de paire avec l'ouverture des frontières de la France sur l'Europe.

A - Le point de départ : la loi relative aux nouvelles régulations économiques

Dans le passé, chaque étape importante de la législation sur les sociétés a correspondu à des changements internationaux majeurs. Si la loi de 1867 était de faire le libre-échange franco-anglais, celle de 1966 devait être mise en relation avec la création du Marché commun.

Avec le renforcement de l'esprit communautaire et du lien européen, il est donc devenu nécessaire d'assurer la compétitivité juridique de la France par rapport aux systèmes d'inspiration anglo-saxonne d'un côté et germanique de l'autre.

C'est ce qu'a tenté de faire la loi relative aux nouvelles régulations économiques, dite "NRE" (2). Et c'est ce texte qui a inauguré la phase de dépénalisation du droit des affaires et, plus spécifiquement, celle du droit des sociétés.

Ont ainsi été abrogés des articles peu utilisés en pratique (on pense notamment à l'obtention ou à la tentative d'obtention de souscriptions ou des versements par simulation de souscriptions ou de versements, l'indication de fausses personnes attachées à la société pour provoquer des souscriptions ou des versements, le fait de commencer les opérations sociétaires avant l'entrée en fonction du conseil de surveillance, etc.).

En revanche, la loi NRE a été l'occasion de donner un nouveau souffle à l'injonction de faire : en effet, afin d'assurer une plus grande effectivité de certains droits, le législateur a préféré l'injonction à la sanction.

M. Besson, dans son rapport n° 2327 sur la loi relative aux nouvelles régulations économiques, précisait notamment eu égard à l'information des actionnaires qu'"en permettant aux actionnaires d'exiger la production, la communication ou la transmission des documents sociaux, par injonction ou par désignation d'un mandataire, [ce nouvel article] donne une portée concrète au droit d'information de ces derniers, droit essentiel pour leur participation effective à la vie de la société et l'exercice d'un vote éclairé sur la gestion des dirigeants de cette société.
En l'état actuel du droit [avant la loi NRE, NDLR], le principe est que la société doit obligatoirement procéder à l'envoi de ces documents, en particulier avant la tenue des assemblées générales, sous peine de sanction pénale. Si ce mécanisme permet de protéger les droits des actionnaires, il reste cependant d'une portée pratique relativement limitée dans la mesure où la sanction intervient a posteriori.
Le présent article renverse cette logique en autorisant les personnes intéressées à saisir le juge des référés, pour obtenir la communication" des documents qu'il énumère.

Le domaine des injonctions de faire s'étend ainsi à la production et à la communication de certains documents (C. com., art. L. 238-1 N° Lexbase : L2193ATE), aux appels de fonds en vue de la libération du capital (C. civ., art. 1843-3 N° Lexbase : L2017ABC) et au dépôt des pièces et actes au registre du commerce et des sociétés (C. com., art. L. 123-5-1 N° Lexbase : L2182ATY).

Cette vague de dépénalisation doit cependant être nuancée dans la mesure où des peines préexistantes ont été aggravées : ainsi, les commissaires aux comptes ont vu certaines conditions d'exercice de leurs fonctions mieux protégées (par exemple, le délit d'obstacle à leurs fonctions ou le défaut de convocation ont été sanctionnés plus sévèrement par la loi NRE).

L'initiative lancée par la loi NRE a été prolongée par la loi relative à la sécurité financière du 1er août 2003 (4).

B - Le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés et la loi de sécurité financière

La loi relative à la sécurité financière participe du processus de dépénalisation du droit des sociétés (lire, sur ce point : J.-P. Dom, "Présentation des aménagements du droit des sociétés par la loi de sécurité financière", Lexbase Hebdo n° 82, 29 juillet 2003 - édition Affaires N° Lexbase : N8423AA9).

Pour n'en reprendre que les grandes lignes, les dispositions pénales sanctionnant la violation du droit de vote des actionnaires ont été remplacées par une dangereuse nullité édictée par l'article L. 235-2-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7455DAD) : "sont nulles les délibérations prises en violation des dispositions régissant les droits de vote attachés aux actions".

En outre, certaines des sanctions pénales applicables à l'occasion d'une augmentation de capital dans les sociétés par actions ont également été remplacées par une nullité : ainsi, le nouvel article L. 225-149-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7824DAZ) prévoit-il que les décisions prises en violation des dispositions de la sous-section du Code relative aux augmentations de capital sont nulles.

L'attention doit toutefois être attirée sur le fait qu'une nullité de plein droit peut être autrement plus dangereuse qu'une sanction pénale : si la sanction pénale ne concerne qu'un dirigeant, la nullité peut bouleverser la vie sociale, notamment dans l'hypothèse où la société fait appel public à l'épargne... Une nullité dont l'opportunité du prononcé aurait été laissée à l'appréciation du juge n'aurait-elle pas été préférable ?

Enfin, certaines sanctions auparavant encourues par le liquidateur de la société ont été remplacées par une injonction de faire (C. com., art. L. 238-2 N° Lexbase : L7358DAR).

C - La dépénalisation du droit des sociétés par l'ordonnance du 25 mars 2004 : suite et fin ?

L'ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004, prise en application de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit (N° Lexbase : L6771BHA), s'inscrit également dans la vague de dépénalisation du droit des sociétés.

A ce titre, a, tout d'abord, été abrogé l'article L. 242-7 du Code de commerce qui punissait d'une amende le fait de ne pas constater les délibérations du conseil d'administration par des procès-verbaux formant un registre spécial tenu au siège de la société.

A la sanction pénale sont substituées deux mesures :

- d'une part, une nullité, d'application restreinte quant aux personnes pouvant la demander et quant au délai dans lequel l'action peut être engagée, qui est contenue dans un nouvel article L. 235-14 du Code de commerce. Selon ce dernier texte : "Le fait pour le président des organes de direction et d'administration ou le président de séance de ces organes de ne pas constater les délibérations de ces organes par des procès-verbaux est sanctionné par la nullité des délibérations desdits organes.
L'action est ouverte à tout administrateur, membre du directoire ou membre du conseil de surveillance.
Cette action en nullité peut être exercée jusqu'à l'approbation du procès-verbal de la deuxième réunion du conseil d'administration, du directoire ou du conseil de surveillance qui suit celle dont les délibérations sont susceptibles d'être annulées.
Elle est soumise aux articles L. 235-4 (N° Lexbase : L6341AIP) et L. 235-5 (N° Lexbase : L6342AIQ)" ;

- d'autre part, une injonction qui peut être demandée par tout intéressé en vertu d'un nouvel article L. 238-4 du Code de commerce.

Par ailleurs, ont été abrogés les articles L. 242-12 et L. 242-13 du Code de commerce qui sanctionnaient d'une amende le fait de ne pas porter à la connaissance des actionnaires certains renseignements dont la communication est exigée par l'article 129 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L2365AH3) et le fait de ne pas leur adresser une formule de procuration accompagnée de certains documents.

La sanction pénale est remplacée par une injonction de faire : un nouvel alinéa est ajouté à cet effet à l'article L. 238-1 du Code de commerce.

Par ailleurs, s'il est toujours imposé aux dirigeants, à peine de sanction pénale, de constater les décisions de l'assemblée des actionnaires (C. com., art. L. 242-15 N° Lexbase : L6429AIX) et des obligataires (C. com., art. L. 245-13 N° Lexbase : L6464AIA) par un procès-verbal, n'est plus pénalement sanctionnée l'obligation de conserver au siège social le recueil spécial dans lequel est inséré ledit procès-verbal.

En contrepartie, il est créé dans le Code de commerce un nouvel article L. 238-5 permettant à tout intéressé de demander au président du tribunal statuant en référé d'enjoindre sous astreinte au président de l'assemblée générale des actionnaires ou des obligataires de transcrire les procès-verbaux de ces assemblées sur un registre spécial tenu au siège social.

Enfin, n'est plus pénalement sanctionné le fait, dans les sociétés par actions, d'émettre des obligations négociables dont la valeur nominale est inférieure au minimum légal.

L'ordonnance du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises s'inscrit donc pleinement dans le mouvement de dépénalisation du droit des sociétés.

Pour autant, s'agit-il de la dernière étape de la dépénalisation ? Nous ne le pensons pas. Pour s'en convaincre, il suffit de lire une étude réalisée par la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (8) qui précise, au sujet de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, et plus précisément concernant la réforme du droit pénal des sociétés : "Elle n'en demeure pas moins "embryonnaire" puisque l'habilitation demandée ne concerne que sept infractions, ce qui reste largement insuffisant. Les Commissions chargées, au sein de l'Assemblée nationale et du Sénat, d'étudier le projet de loi ont relevé cette insuffisance, mais ont décidé de rejeter les amendements tendant à l'élargir, au motif qu'un sujet aussi sensible ne pouvait relever d'une loi d'habilitation tendant à la simplification et à la codification du droit".

L'ordonnance du 25 mars 2004, prise en application de la loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, constitue donc une suite de la vague de dépénalisation, mais sans doute pas une fin !


(1) Voir, notamment, la directive 68/151/CEE du 9 mars 1968 (N° Lexbase : L7917AUR) tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les Etats membres, des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa du traité , pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers qui concerne, en droit français, les SARL et les sociétés anonymes.
(2) Loi n° 2001-420, 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques (N° Lexbase : L8295ASZ).
(3) Loi n° 2003-721, 1er août 2003, pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC).
(4) Loi n° 2003-706, 1er août 2003, de sécurité financière (N° Lexbase : L3556BLB).
(5) W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, 2e éd., n° 229.
(6) Lire notamment le rapport de L. Jibert du 12 septembre 1996 sur la dépénalisation du droit des sociétés commerciales.
(7) J.-M. Robert, Le droit pénal des affaires, Que sais-je, PUF, 1976, p. 6.
(8) "La politique de simplification du droit par ordonnance : analyse et proposition de la CCIP", étude de la CCIP de juin 2003, p. 106.

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