Lexbase Social n°316 du 4 septembre 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] La lettre de rupture du contrat de sous-traitance requalifié en contrat de travail peut valoir lettre de licenciement

Réf. : Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-46.379, Société Magnus France c/ M. Salvatore Dedaj, F P+B (N° Lexbase : A6215D93)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

La requalification de faux contrats d'entreprise en contrat de travail entraîne de très lourdes conséquences financières pour l'entreprise. Ceux qui ont déjà subi les affres de pareilles requalifications se consoleront peut-être à la lecture d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui permet de considérer que la lettre de rupture d'un contrat de sous-traitance puisse être qualifiée de lettre de licenciement (I) et que le juge y découvre les justes motifs de la rupture (II).
Résumé

Le juge qui requalifie un contrat de sous-traitance en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse.

Commentaire

I - Requalification du contrat de travail et qualification de la lettre de rupture des relations contractuelles

  • Problématique

La requalification d'un contrat commercial en contrat de travail emporte pour les parties de très nombreuses conséquences juridiques. Indépendamment des obligations qui vont naître à la charge de "l'employeur" au regard du droit de la Sécurité sociale, la requalification place rétrospectivement l'autre contractant dans la situation d'un salarié, emportant, notamment, un droit à salaire basé sur la durée du travail accompli et l'application des minima légaux ou conventionnelles, ainsi que le bénéfice de l'ensemble des droits liés à la rupture du contrat de travail, qu'il s'agisse du bénéfice de l'assurance chômage, du droit à préavis, à l'indemnité de licenciement ou des indemnités dues pour absence de cause réelle et sérieuse.

L'hyper formalisation de la rupture du contrat de travail pourrait conduire le juge à considérer que la rupture du contrat, requalifiée en licenciement dans la droite ligne de la requalification du contrat qui unissait les parties, doit s'analyser en un licenciement et que ce dernier, à défaut d'avoir été régulièrement notifié au salarié, doit être dépourvu de cause réelle et sérieuse, par application d'une jurisprudence ancienne et constante.

Cette conclusion renforcerait, certes, l'efficacité de la requalification du contrat, en ce qu'elle constituerait une "sanction" infligée à un "employeur", qui avait cru pouvoir échapper à ses obligations professionnelles en donnant à la relation professionnelle nouée avec le "salarié" une autre qualification que celle de contrat de travail qui s'imposait, compte tenu de la subordination dans laquelle se trouvait placé le travailleur. Elle pourrait, toutefois, sembler excessive toutes les fois que le "salarié" peut être regardé comme responsable de la rupture, notamment, parce qu'il a commis des fautes justifiant la rupture du lien conventionnel.

Faut-il, dans ces conditions, écarter, par principe, la qualification de "lettre de licenciement", face à une lettre de rupture ne faisant pas, et pour cause, référence à un licenciement, c'est-à-dire retenir une conception très formelle de la notion de "lettre de licenciement", au sens où l'entend l'article L. 1232-6 du Code du travail ou, au contraire, promouvoir une conception plus matérielle, ce qui autoriserait éventuellement le juge à considérer la lettre de rupture comme une lettre de licenciement ?

  • Etat du droit concernant la notion de lettre de licenciement

L'article L. 1232-6 du Code du travail comporte plusieurs exigences concernant la forme et les mentions qui doivent figurer dans la lettre de licenciement : celle-ci doit, ainsi, être notifiée par lettre recommandée, ce qui impose la rédaction d'un écrit et exclut, par principe, le licenciement verbal (1) et comporter l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur pour justifier le licenciement.

La jurisprudence a apporté quelques précisions : la lettre de licenciement doit être rédigée, ce qui exclut la pratique de la notification factice d'une feuille blanche (2) ; elle doit, également, être signée par l'employeur ou par un salarié ayant reçu une délégation d'autorité (3).

A notre connaissance, la jurisprudence n'a, en revanche, jamais exigé que la lettre soit expressément désignée par l'employeur comme constituant une "lettre de licenciement".

  • Solution retenue en l'espèce

Dans cette affaire, le "salarié" avait bien reçu une lettre de rupture du contrat, mais il ne pouvait s'agir, par hypothèse, d'une lettre de "licenciement", dans la mesure où les parties n'étaient pas, à tout le moins formellement, liées par un contrat de travail. La cour d'appel de Grenoble avait refusé de considérer que la lettre de rupture du contrat de sous-traitance puisse s'analyser en une lettre de licenciement et ce, dans la mesure où la volonté de l'employeur de se soustraire à l'application du Code du travail le privait ultérieurement du droit de réclamer le bénéfice de certaines de ces dispositions.

Or, tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse cette décision et affirme que "le juge qui requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement".

  • Une solution juste

La Cour de cassation décide, ainsi, de retenir une conception plus matérielle que formelle de la lettre de licenciement, refusant d'exclure, par principe, que l'employeur puisse tenter de se justifier des motifs avancés pour rompre le contrat.

Ce n'est pas la première fois que la Haute juridiction considère qu'une lettre, initialement destinée à rompre un contrat autrement dénommé par les parties, puisse valoir lettre de licenciement, qu'il s'agisse de considérer l'existence initiale d'autres contrats qu'un contrat de travail (4) ou qu'il s'agisse d'un CDD requalifié en CDI (5). Mais c'est, à notre connaissance, la première fois qu'elle énonce cette règle avec autant de clarté.

Cette solution nous paraît bienvenue.

Dans la mesure où l'article L. 1232-6 du Code du travail ne contient pas de précision particulière, la solution se justifie car ce qui compte est, finalement, que le salarié reçoive un courrier écrit de rupture, qui lui soit notifié en recommandé, sans que la mention du "licenciement" ne soit nécessairement capitale.

II - Requalification du contrat de travail et motivation de la lettre de rupture du contrat de travail

  • Problématique

Une question comparable se pose s'agissant, cette fois-ci, de l'exigence faite par l'article L. 1232-6 du Code du travail de mentionner, dans la lettre de rupture, le ou les motifs invoqués par l'employeur.

Dans cette affaire, la cour d'appel de Grenoble avait, également, refusé de considérer que les reproches faits par écrit au "sous-traitant" puissent constituer pareils griefs, dans la mesure où, par hypothèse, l'entreprise n'avait pas souhaité s'inscrire dans le cadre du Code du travail.

Cette solution, tout comme le refus de considérer que la lettre de rupture puisse être qualifiée de lettre de licenciement, justifie la cassation de l'arrêt, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant que le juge qui requalifie la relation contractuelle en un contrat de travail à durée indéterminée doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement "et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse". En d'autres termes, et même si l'employeur n'a pas expressément indiqué au salarié que les griefs formulés à son encontre constituaient des "motifs de licenciement", au sens où l'entend le Code du travail, le juge doit examiner ces griefs pour déterminer s'ils étaient de nature à justifier, ou non, la rupture des relations contractuelles.

  • Une solution également justifiée

Cette solution nous semble, également, bienvenue, dans la mesure où elle est peu formaliste. Ce caractère libéral tranche, d'ailleurs, avec la jurisprudence "Rogie", qui traite le défaut de motivation comme un défaut de cause réelle et sérieuse (6), en laissant à une entreprise, qui voit un contrat de sous-traitance requalifié en contrat de travail, une chance de justifier la rupture au regard des exigences posées par le Code du travail, à condition, toutefois, que les faits visés dans la lettre de rupture puissent constituer à la fois une cause réelle, matériellement vérifiable par le juge et, en même temps, une cause sérieuse de licenciement, ce qui sera le cas lorsque l'entreprise aura reproché au contractant des fautes ou une insuffisance professionnelle.

Dans cette affaire, l'entreprise reprochait au "sous-traitant" d'avoir "discrédité l'entreprise en usant de la messagerie électronique mise à sa disposition". Or, on sait que l'abus dans l'utilisation de la messagerie électronique de l'entreprise peut constituer une faute justifiant le licenciement (7).

La solution doit être approuvée dans la mesure où elle limite les effets de la requalification à une juste mesure, le "salarié" ne pouvant tirer de celles-ci plus de droit qu'il n'en aurait eu si les parties avaient, dès le départ, opté pour la qualification de contrat de travail.


(1) Cass. soc., 23 juin 1998, n° 96-41.688, M. Antoine Tiago c/ M. Jean-Louis Eberhard (N° Lexbase : A6937AHE), RJS, 1998, n° 971, et ce, même si les griefs formulés verbalement sont avérés.
(2) Cass. soc., 24 janvier 2007, n° 05-42.135, M. Vincent Désir, FS-P+B (N° Lexbase : A6866DTH), D., 2007, pan. p. 2268, obs. B. Reynès.
(3) Cass. soc., 29 juin 1999, n° 97-42.208, M. Duizabo c/ Mme Gérard (N° Lexbase : A4751AG3), Bull. civ. V, n° 310.
(4) Cass. soc., 12 juillet 2004, n° 03-43.296, M. Jean-François Payet c/ Société Sorelait, F-D (N° Lexbase : A1157DD9) : "Mais attendu qu'ayant constaté que l'employeur avait notifié par lettre la rupture des contrats, la cour d'appel en a exactement déduit, après avoir requalifié les contrats rompus en contrat de travail, dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ), que cette lettre constituait une lettre de licenciement" ; Cass. soc., 10 mai 2006, n° 04-45.539, Société Socemie Euronews c/ Mme Martine Rondet-Mignotte, F-D (N° Lexbase : A3570DPW) : "Mais attendu, d'abord, qu'ayant constaté que la lettre du 29 janvier 2001 informait l'intéressée de la décision de la société Euronews de ne plus avoir recours à ses services à compter du 18 février suivant, la cour d'appel a pu décider, après avoir requalifié les contrats de prestations de service qui s'étaient succédé pendant cinq ans en un contrat de travail à durée indéterminée que cette lettre s'analysait en une lettre de rupture".
(5) Cass. soc., 7 mai 2003, n° 00-44.396, Mme Christine Lesage-Labrune c/ Faculté libre de droit, F-P (N° Lexbase : A7894BS8), Bull. civ. V, n° 156 : "Mais attendu que lorsque le juge requalifie des contrats à durée déterminée successifs en un contrat à durée indéterminée, il doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement".
(6) Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 88-44.308, M. Rogie c/ Société Sermaize Distribution (N° Lexbase : A9329AAR), D., 1991, p. 99, note J. Savatier. On sait que, en dépit du voeu exprimé par les partenaires sociaux dans l'accord portant sur la modernisation du marché du travail conclu le 11 janvier 2008, la loi éponyme n'a pas repris la même solution. Lire nos obs., Article 4 de la loi portant modernisation du marché du travail : dispositions relatives au droit du licenciement, Lexbase Hebdo n° 312 du 10 juillet 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N5223BGK).
(7) Ainsi, Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-45.269, M. Marc X... c/ Société Spot image SA (N° Lexbase : A5260DCS), Bull. civ. V, n° 152 : "Attendu, cependant, que le fait pour un salarié d'utiliser la messagerie électronique que l'employeur met à sa disposition pour émettre, dans des conditions permettant d'identifier l'employeur, un courriel contenant des propos antisémites est nécessairement constitutif d'une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis".

Décision

Cass. soc., 9 juillet 2008, n° 06-46.379, Société Magnus France c/ M. Salvatore Dedaj, F P+B (N° Lexbase : A6215D93)

Cassation, CA Grenoble, ch. soc., 30 octobre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 1232-6

Mots clef : contrat de travail ; requalification ; lettre de licenciement ; qualification ; motivation.

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